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Chine : trois mille ans au présent

Matteo Ricci - De l’amitié entre la Chine et Rome

D 30 mars 2010     A par Albert Gauvin - C 7 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


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A gauche le jésuite Matteo Ricci et
à droite Xu Guangqi, un haut fonctionnaire chinois qu’il baptisa.

Cette nouvelle Année du Tigre est une année particulière.

L’année 2010 marque en effet le 400e anniversaire de la mort de Matteo Ricci (Macerata 1552 - Pékin 11 mai 1610). A cette occasion un certain nombre de manifestations seront organisées en France, dont, les 27 et 28 mai 2010, à Paris, un colloque international de sinologie sur « L’échange des savoirs entre la Chine et l’Europe ». Vous trouverez toutes les informations sur le site jesuites.com.

Un site internet, mis en ligne en janvier, présente en détails la vie et l’oeuvre de Matteo Ricci.

Dans le journal La Croix du 12 février, Dorian Malovic écrit :

« Matteo Ricci reste dans la mémoire des Chinois.
Quatre cents ans après sa mort, « Li Matou » est reconnu comme un missionnaire « respectueux » et un scientifique « généreux » par les évêques, prêtres, laïcs ou intellectuels chinois athées.
« Li Matou, mais bien sûr que je le connais, tous les Chinois le connaissent ! C’est un homme très important pour la Chine ! » Sandy Fan, jeune catholique de 25 ans du diocèse de Taiyuan dans la province du Shanxi s’en étrangle presque lorsqu’on lui pose la question de savoir ce qu’évoque pour lui Matteo Ricci - de son nom chinois « Li Matou » - dont on célèbre les 400 ans de la mort. » >> la suite de l’article ici.

A Pékin une exposition se tient depuis le samedi 13 février au Musée de la capitale. Voir Pékin Informations.

LIRE AUSSI : Ricci et les intellectuels chinois aujourd’hui pdf

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Dans son entretien de janvier 2008 avec François Jullien pour La Revue des Deux Mondes, Philippe Sollers évoquait ainsi la figure du missionnaire chinois :

« La question mérite en effet d’être posée d’une rencontre qui aurait été possible, à ce moment-là, c’est-à-dire durant ce qu’on appelle bêtement la contre-Réforme et que j’appelle moi la révolution catholique, qui va se manifester par la splendeur esthétique de nouvelles formes qui surgissent à ce moment-là, en Italie, pays qui était très en avance sur le reste de l’Europe [1]. Vous parliez d’altérité que les missionnaires ont rencontrée ; c’est là une question monumentale. La première chose que fera le grand jésuite missionnaire Ricci, qui a aujourd’hui sa tombe à Pékin, c’est d’apprendre le chinois. Il projettera le premier dictionnaire européen chinois, qui fait dans sa version longue une trentaine de kilos et qui est francophone ! Si je voulais le lire, trois vies n’y suffiraient pas. Vous n’auriez pas assez de cinquante vies pour savoir ce qui s’est pensé là ! Comment ne pas sentir qu’on est confronté, avec la Chine, à une autre possibilité de pensée ? Pourquoi la rencontre qui aurait pu avoir lieu n’a pas eu lieu ? Parce que Rome n’a rien compris à ce qu’ont essayé de dire les jésuites. »

Rome, désormais, a compris.

Entre le 30 octobre 2009 et le 24 janvier 2010, une exposition sur Matteo Ricci était organisée au Vatican sur le thème « Entre Rome et Pékin ».
L’organisation en revenait au Comité pour les célébrations du IVe centenaire de la mort du P. Matteo Ricci (1552-1610), en collaboration avec les Musées du Vatican, à la curie généralice des jésuites et à l’université pontificale grégorienne.
L’exposition eut lieu place Saint-Pierre dans le « bras de Charlemagne », du nom de la statue équestre de Charlemagne qui trône au départ du côté gauche (en regardant la basilique Saint-Pierre) de la colonnade du Bernin [2].

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trois mille ans au présent

En mars 2001 la revue art press consacrait un dossier à la Chine. Au sommaire : un entretien de Philippe Sollers avec le Père Benoît Vermander, responsable de l’Institut Ricci de Taipei [3], un article de Jacques Henric sur François Jullien — et ils ne virent pas qu’ils étaient nus... — et un article de Zhang Yinde sur La nouvelle jeunesse de la littérature chinoise. Nous reproduisons ici l’entretien avec Benoît Vermander. Vous y découvrirez au passage la signification du mystérieux poème calligraphié qui se trouve dans le bureau de la revue L’Infini où se déroulait la rencontre.
Le dossier était présenté par Jacques Henric comme suit (extraits) :

Le véritable événement éditorial de l’année ? un dictionnaire nous restituant 3000 ans d’histoire de la langue chinoise. Une réussite exceptionnelle dont nous parle ici un de ses responsables, le directeur de l’Institut Ricci de Taipei, Benoit Vermander, qui appartient à la Compagnie de Jésus. Philippe Sollers, dont l’intérêt pour la Chine remonte à loin, fut un des premiers à prendre la mesure de l’événement, c’est pourquoi nous lui avons proposé de s’entretenir avec Benoît Vermander sur cette entreprise éditoriale hors du commun. (Le Dictionnaire Ricci est le résultat d’un partenariat entre l’Institut de Taipei et les éditions Desclée de Brouwer qui le publient en France.) [...]
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interview de BENOIT VERMANDER par PHILIPPE SOLLERS

Crédit : art press 266, mars 2001
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Philippe Sollers et Benoît Vermander ont dialogué dans le bureau de l’Infini, aux éditions Gallimard. Sur un des murs du bureau est accroché un rouleau en caractères chinois. Philippe Sollers nous a fait remarquer, à Jean-Jacques Schuhl et à moi (Schuhl était silencieusement présent et a suivi avec attention l’entretien), qu’en entrant dans le bureau Benoît Vermander s’était aussitôt approché du rouleau couvert d’idéogrammes et avait eu ce mouvement de tête du haut vers le bas caractéristique de quelqu’un qui lit. De quelqu’un qui lit et non pas de quelqu’un qui croirait se trouver face à un ensemble décoratif et qui n’y jetterait qu’un coup d’oeil distrait. J.H.
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Philippe Sollers. Quand vous êtes-vous familiarisé avec le chinois et dans quelles circonstances ?

Benoît Vermander. Je suis allé en Chine pour la première fois en février 1987, il s’agissait alors de lancer un Jumelage entre la province du Sichuan et la région Midi-Pyrénées. Ce fut le coup de foudre pour ce pays. La raison en est multiple. Coup de foudre d’abord pour la région du Sichuan, qui se trouve au sud-ouest de la Chine, région assez différente de celle des Grands Fleuves de la Chine centrale. Son aspect ne correspond pas à l’image stéréotypée qu’on a souvent. Je dirai qu’elle apparaît beaucoup plus robuste. Depuis treize ans, j’y retourne régulièrement chaque année. Coup de foudre pour des terres, des couleurs, aussi pour des gens avec lesquels on a une très grande facilité de communication, chez lesquels se dévoile une forte qualité et intensité de sentiments, d’émotion. Je vivais sur le mythe du Chinois impassible, or j’ai exactement trouvé l’inverse.

Parliez-vous le chinois alors, et étiez-vous déjà membre de la Compagnie ?

Non, j’y suis entré un an après, et je ne connaissais presque pas le chinois. L’autre raison de ma fascination pour cette culture et ce pays a été la découverte de la calligraphie. Lors de mon premier voyage, j’avais acheté un rouleau. Cette calligraphie était composée de quatre caractères, feng, lin, huo, shan — le vent, la forêt, le feu, la montagne —, qui sont quatre caractères pris dans l’Art de la guerre, un ouvrage de Sun Zi, un stratège du IIIe siècle av. J.C. Il s’agit d’une sorte de maxime qui reprend l’attitude du général qui conduit une armée en marche.

Quels sont ces caractères et leur signification ?

(Benoît Vermander trace sur une feuille de papier les quatre caractères.) Ils résument une phrase de Sun Zi. Ils disent " À l’avancée, une armée doit être rapide comme le vent ; lorsqu’elle prend ses positions, elle doit savoir être englobante, se disperser comme la forêt ; à l’attaque même, elle doit être destructrice comme le feu ; lors de la défense, elle doit être stable comme la montagne. " Cette phrase classique est très souvent utilisée dans les arts martiaux. Le rapport entre la graphie et le sens est ce qui m’a passionné. Cette découverte a coïncidé avec le moment où j’ai connu un basculement dans ma vie. En 1992, j’arrive à Taïwan.

Une parenthèse : puis-je vous demander de me traduire ce texte que vous lisiez en entrant dans ce bureau ? Vous dites qu’il a un peu la saveur d’un poème de Wang Wei ? Nous serions donc au 8e ou 9e siècle...

Voici ce que je lis :

« Pont sur la rive, un saule se penche sur le ruisseau émeraude. Ta maison d’origine est au nord, un saule y indique l’ouest. Arrivant ici, on n’est plus dans le monde des hommes. Sous la douceur du soleil, fleurs parfumées, dans la montagne, chant des Oiseaux. »

C’est une traduction bien approximative d’un poème dont la lecture est rendue difficile par le style de calligraphie cursive employé...

Revenons, voulez-vous, à votre premier coup de foudre pour la Chine. Avez-vous fait ensuite des études personnelles avant de vous lancer dans la formidable aventure de ce dictionnaire ?

Après l’étude de la langue chinoise proprement dite, je me suis plutôt spécialisé dans le champ de l’anthropologie religieuse. Je travaille alors sur une minorité religieuse du sud-ouest, dans le Sichuan, qu’on appelle les Yis, qu’on appelait auparavant les Lolos.

Est-ce que ce sont eux qui se sont installés dans une sorte de matriarcat fondamental ?

Ce n’est pas tout à fait un matriarcat. Je vous dessine une carte rapide. Voici le Sichuan, ici le Yunnan, ici le Tibet et ici la Birmanie. Dans toute cette zone, vous avez des minorités ethniques qui peuvent elles-mêmes être divisées autant que vous voulez. Par commodité, les Chinois, vers 1953-56, ont déterminé cinquante-cinq minorités nationales On compte 90% de Han, autrement dit de « Chinois » tels que nous nous les représentons, et 10% de « minorités nationales », divisées par le gouvernement en cinquante-cinq minorités, qui peuvent comprendre les Mandchous, les Mongols, ou de très petites minorités de trois mille membres environ Ceux qu’on appelle les Yis sont sept millions Mais pour un linguiste, ces sept millions doivent être redivisés en six langues qui elles-mêmes se divisent en vingt-six dialectes C’est un classement national qui correspond très mal à la réalité vécue. Moi, j’étudie l’un de ces groupes à l’intérieur des sept millions, c’est-à-dire un sous-groupe de deux millions qui se trouve à la frontière du Sichuan et du Yunnan. Là, et je vais répondre à votre question sur le matriarcat, vous avez un lac, le lac Lugu, et c’est autour de ce lac que sont censées habiter les populations matriarcales. Le sont-elles vraiment ? C’est encore un débat entre ethnologues. Leurs structures de parenté sont plutôt matrilinéaires en tout cas. Mais le groupe Yi que j’étudie ne fait pas partie de ce système de parenté.

Qu’entendez-vous par anthropologie religieuse ?

Cette population a son écriture propre et possède un trésor de rituels bien à elle. Dans toute occurrence de la vie, on célèbre un rituel. Ce rituel est écrit imprécations envers les démons, allumage du feu, etc. Mon travail consiste à éditer et analyser certains de ces rituels. Le paradoxe, pour répondre à votre question, est que ce travail porte non pas sur le chinois mais procède à partir d’une autre langue de la Chine. Ma participation au dictionnaire a donc été minimale, elle a consisté à faciliter son achèvement. Son histoire remonte à longtemps. Les prémices remonteraient aux années 1890, au cours desquelles se constitue à Shanghai le bureau de sinologie jésuite. Ce sont des sinologues jésuites français qui font deux sortes de travaux, les premiers portent sur les religions chinoises, les seconds sont des travaux de lexicographie. C’est une époque où l’on commence à s’intéresser beaucoup à l’écriture chinoise. Pas seulement les étrangers, mais les Chinois eux-mêmes. En 1898, ceux-ci découvrent les premières « inscriptions oraculaires ». Il s’agit d’inscriptions divinatoires tracées sur des carapaces de tortues ou des omoplates de b ?ufs dont on se servait il y a environ trois mille cinq cents ans. Les Chinois se rendent compte alors que l’origine de leur écriture est divinatoire, et ils identifient ces signes comme les ancêtres des caractères dont ils se servent. Il y a environ cent ans, une nouvelle lexicographie s’est ainsi mise en place. C’est aussi le moment où l’attitude de l’Eglise change. Le retour des missionnaires, en 1842, sera fait avec les canonnières et l’opium. Cela constituait, quel que soit le mérite personnel des missionnaires, une sorte de péché originel.


Peut-être est-ce le moment de parler de monsieur Ricci ?

En effet. Il faut distinguer deux étapes dans l’histoire des Jésuites en Chine. La première commence en 1552. C’est la mort de saint François Xavier sur un îlot au large de Canton, face à la Chine où il n’entrera jamais. La Chine à cette époque est interdite aux étrangers. Dans les trente ans qui suivent, une quarantaine de missionnaires essaient d’y pénétrer par Macao. En vain. En 1583, deux missionnaires jésuites arrivent à obtenir une autorisation du gouverneur de la ville de Zhaoqing, dans la province de Canton. Il s’agit de Matteo Ricci et de Ruggieri. Pendant les dix-huit ans qui suivent, Ricci va faire tout ce qu’il peut pour arriver à Pékin.

Connaît-il déjà le chinois ?

Il l’a appris à Macao. Il a même déjà fait des dictionnaires. Il révèle très vite des dons étonnants. Il possède un charisme personnel, une mémoire impressionnante. Il lit cent caractères et il sait aussitôt les réciter à l’envers. C’est le Mozart des caractères. Il atteint Pékin en 1601, où il ne rencontrera jamais l’Empereur, mais celui-ci lui accorde la permission de s’installer dans la capitale. Il lui donne un lopin de terre sur lequel est édifiée l’église de Nanfang, l’église du Sud, qui existe jusqu’à nos jours.

Crédit : art press 266, mars 2001
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Ricci meurt à Pékin en 1610. Sa tombe se trouve dans l’enceinte de l’Ecole du parti. Elle est très bien entretenue. Il y a d’autres tombes de missionnaires à côté. Cette première période se termine en 1775, quand la suppression de la Compagnie est promulguée en Chine.

Sous quelle influence ? Occidentale ? C’est l’époque des grandes interdictions...

La Compagnie est supprimée par le Pape en 1773, et il laisse aux évêques locaux le soin d’appliquer cette interdiction dans leurs diocèses. Elle le sera partout, sauf en Russie. Cela dit, la Compagnie était mal en point en Chine depuis au moins un demi-siècle, en bonne partie à cause de la Querelle des rites chinois. L’Empereur, qui avait d’abord promulgué un édit de tolérance, interdit en 1721 la propagation chrétienne en Chine, mais il confirme la présence des Jésuites à diverses charges. Le retour des missionnaires se fait en 1842, avec la guerre de l’opium. Vers la fin du 19e siècle, les Jésuites se rendent compte qu’ils doivent renouveler leur approche missionnaire. On décide alors que l’étude de la langue est le premier véhicule de l’inculcation et surtout de « l’inculturation » de la foi. Ce qui explique l’abondance des dictionnaires, lesquels, comme celui du Père Wieger, sont étymologiques et scientifiques. C’est le début d’une nouvelle passion des Jésuites pour le langage chinois. Des archives s’accumulent, on crée ce qui s’appelle la collection des Variétés sinologiques qui publie des ouvrages de sciences religieuses ou lexico-graphiques. Arrivent la guerre sino-japonaise puis la guerre civile. Les missionnaires se dispersent, deux d’entre eux, un Hongrois et un Français, André Deltour et Zsamar, rassemblent tout le matériel et le rapatrient à Macao. Le Père Zsamar décide alors de commencer un dictionnaire polyglotte qui aurait dû être en chinois, français, hongrois, anglais, espagnol et latin. L’équipe des Pères, expulsée de Chine, se regroupe à Taichung, au centre de Taïwan. Commence l’époque héroïque du dictionnaire. Ils découpent tous les dictionnaires qu’ils possèdent et constituent un fichier comprenant deux millions d’indexations. C’est un matériel non analysé, mais ils sont néanmoins convaincus que dans les cinq ans qui suivent, ils vont publier ce dictionnaire. Ne sera en fait publiée que la partie française mais qui correspond bien à leur projet initial ; elle le sera avec un léger délai de... cinquante ans. Ces Pères étaient extrêmement dévoués, mais ils ne se sont pas tout de suite rendu compte que l’essentiel pour un dictionnaire, ce n’est pas le collationnement des matériaux mais leur édition. Le plus long, dans la fabrication d’un dictionnaire, ce n’est pas ce qu’on y met, mais tout ce que l’on doit vérifier, tout ce qu’on décide de ne pas y mettre. C’est aussi l’époque où se re-développe l’étude des inscriptions oraculaires.

Pouvez-vous me dire un mot du Yi King dans cette aventure ?

C’est une source étymologique importante. Il s’agit d’un recueil de symboles qui livre des sens. Pour un dictionnaire, il est une source à la fois fondamentale et limitée en importance numérique. Nous avons donc publié l’an dernier un dictionnaire étymologique, prélude à la totalité de l’ouvrage qui sortira en novembre-décembre 2001. Notre dictionnaire étymologique, tel qu’il vient d’être publié en trois volumes, se présente ainsi : il y a le caractère et ses sens principaux, à côté on trouve indiquées toutes les prononciations ; ensuite vient la partie qu’on appelle inscriptions oraculaires qui recense des graphies, avec toutes les occurrences relevées dans les contextes, car ce n’est que par les contextes qu’on peut déterminer les sens ; ensuite viennent les inscriptions sur bronze (sur les vases notamment), beaucoup plus nombreuses, toujours avec sens et contextes ; ensuite, nous trouvons une partie qui comprend une sélection de sens dans les textes classiques les plus connus, comme les Entretiens de Confucius, le Zhuangzi, le Lao Zi...

Quelle est la meilleure traduction du Lao Zi selon vous ?

Ma réponse sera prudente. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise traduction du Lao Zi car c’est un texte tellement plastique... Et puis, on a trouvé ces dernières années de nombreuses variantes, de nouvelles versions qui sont très différentes de la version classique qui a été finalisé vers le IIe siècle de notre ère, si bien qu’on ne sait même pas s’il y a un Lao Zi au départ. Quoi qu’il en soit, dans les versions maintenant recensées, l’ordre des chapitres est complètement inversé. Mais j’en reviens au dictionnaire. Après les inscriptions sur bronze, on a une sélection des sens déviants dans les textes classiques qui peuvent modifier l’acception reçue de tel caractère,  Da  (grand), par exemple. Et enfin, on a les sens contemporains.

Quelle est la situation de ce dictionnaire par rapport à ceux existant ?

Le seul qui existait en français, étymologique, c’était le Wieger, datant d’il y a cent ans. Je crois pouvoir affirmer sans hésitation que c’est au monde le seul dictionnaire étymologique de cette taille, dans quelque langue que ce soit, y compris en chinois.

Un tel travail fournit-il une clé pour parler de la situation de la Chine aujourd’hui ?

Je vous rappelle que mon travail n’a pas été de faire le dictionnaire mais de le terminer en prenant la suite du Père Yves Raguin à l’Institut Ricci de Taïpeï, il y a environ cinq ans — c’est ce Père qui avait porté le projet, jusqu’à sa mort en 1998, il était âgé de 86 ans. Voyant que le Dictionnaire était sur le point de se terminer, nous avons décidé de nous porter peu à peu vers d’autres travaux, en essayant de garder une attitude de fidélité créatrice. Pour ce faire, je me rends en permanence en Chine continentale. Ma tâche est avant tout de nouer un dialogue avec des intellectuels chinois.

Avez-vous des difficultés ?

Jamais avec les hommes, parfois avec les systèmes. Le Ricci a organisé ces dernières années quatre colloques : un sur « Expérience artistique et expérience spirituelle dans l’art du 20e siècle » un sur le concept d’harmonie, le troisième sur la gestion des conflits dans le système éducatif, le quatrième, l’été dernier, sur « Environnement, développement et religion », à savoir sur la contribution du taoïsme, du bouddhisme et du christianisme à une pensée d’une défense de l’environnement en Chine aujourd’hui.

Y a-t-il une persécution des intellectuels par les autorités chinoises ?

Les nouvelles récentes qui nous parviennent de Chine sont inquiétantes. D’un point de vue de sociologue ou de politiste, qui, par formation, est plutôt le mien, je n’emploierais pas le mot de persécution à proprement parler. Il y a bien aujourd’hui persécution contre le mouvement Falungong, mais votre question portait sans doute sur le christianisme ou le catholicisme. Contrairement à ce qu’on pense, il n’y a pas deux Eglises chinoises, il n’y a jamais eu de schisme déclaré. Il y a une Eglise divisée. Ces divisions ne sont pas tranchées : pas d’un côté des gens pour le régime, et de l’autre des gens contre et persécutés. Le catholique chinois opère un choix stratégique, il n’existe pas de débat doctrinal. À partir de 1960, des gens ont dit : il faut sauver quelque chose, et d’autres : jamais, pas de compromissions ! Tout cela, avec des faiblesses humaines et des entêtements humains. Ce ne sont pas forcément les plus entêtés ou les héroïques qui sont les plus saints. Et vice-versa : les plus souples ne sont pas nécessairement les plus intelligents. Certains sont clairs : pas de légitimité donnée au gouvernement ni au Parti ! Ce sont les plus extrêmes et de ceux-là on peut dire qu’ils sont persécutés. Pas pour des raisons religieuses mais pour des raisons de « sécurité ». La peur panique du gouvernement, lequel vit sur une peur perpétuelle, est de voir sa légitimité contestée, notamment par des religions. Il y a, par ailleurs, des gens qui sont anti-Parti mais qui ne contestent pas le régime proprement dit. Les difficultés qu’ils rencontrent sont en dents de scie, suivant le degré de nervosité du Parti. Ensuite, vous avez différentes gammes d’accommodement, jusqu’aux gens dont on peut dire qu’ils sont dans la compromission pure et simple. Ils obéissent aux directives du Parti. C’est ce qu’on appelle l’Association patriotique, qui n’est pas l’équivalent de l’Eglise patriotique. Cette Association, de structure léniniste, fait tout ce qu’elle peut pour chapeauter les Eglises reconnues par le gouvernement. Et la situation par rapport à Rome ? Elle se durcit de fait. Il y a de chaque côté un dilemme. Du côté romain, l’angoisse est que ce non-schisme en devienne un vrai, qu’on ait définitivement deux conférences épiscopales et deux Églises qui s’ignorent. Le but de Rome est de signer un concordat qui permette d’avoir une nomination d’évêque par diocèse. Mais une des concessions à faire, c’est l’abandon de Taiwan, et Rome redoute une réaction des catholiques taiwanais. Du côté du gouvernement chinois, c’est exactement l’inverse. La grande raison pour conclure un accord avec Rome est la suivante : si le Vatican abandonne Taiwan, il y a de bonnes chances que les pays qui reconnaissent la légitimité de Taiwan, notamment les pays d’Amérique centrale, suivent le Vatican, ce serait alors un coup majeur porté à Taiwan. Le gouvernement chinois a donc toutes raisons de conclure un concordat avec le Vatican. Seulement, pour la première fois, ce serait admettre une intervention étrangère dans les affaires religieuses chinoises.

Revenons au dictionnaire. Qu’en attendez-vous maintenant qu’il est là ?

Son intégralité va sortir vers novembre [2001]...

Combien de kilos ?

Il pèsera dix-huit kilos. Le dictionnaire étymologique avait été tiré à cinq mille exemplaires dont trois mille reliés. On sera plus ou moins dans cet ordre de grandeur pour le dictionnaire intégral. Une des raisons de l’échec des autres dictionnaires est que l’effort que demande leur réalisation n’a rien à voir avec la taille du marché. Nous avons bénéficié pendant des années d’un gros effort de mécénat, tant de l’Etat que d’entreprises, mais on a toujours à trouver 800.000 francs pour boucler le Grand Dictionnaire, lequel sera une encyclopédie éclatée de la langue et de la culture chinoises. Aux treize mille cinq cents caractères qui sont analysés dans ces trois premiers volumes, seront rattachées trois cent mille définitions, dont la plupart seront très développées. Notre but : proposer une encyclopédie éclatée qui permettra au lecteur, par rapport aux travaux sinologiques antérieurs, non plus d’entrer dans la vision de la Chine que l’auteur lui impose, mais d’entrer là où il veut par le biais du langage. On en attend qu’il soit un instrument de référence à très long terme, et nous avons le projet de le mettre sur l’internet. Ce qui n’est pas simple, car nous n’avons pas résolu la manière de faire cohabiter sur Internet le français et le chinois pour un tel volume d’informations. Il faudra faire préalablement une recherche de développement informatique, de façon à rendre le CD-Rom ou la base Internet aussi multifonctionnels que possible. Un travail de cinq années au moins est à prévoir. Un des grands avantages de l’informatique, ce sera de permettre une actualisation continue, parce que des mots chinois se créent tous les jours. Le rêve serait d’avoir un lexicographe à Paris, un à Taipei, un à Pékin, qui seraient chargés en permanence de l’actualisation de ce qui serait la plus grande banque de données sur le langage chinois.

Comment voyez-vous la Chine dans quarante ans ? Pas seulement sur le plan politique.

Je pense que ce sera un pays encore plus inégal et plus éclaté qu’il ne l’est aujourd’hui, parce que les différentiels de développement sont énormes. Dans la zone où je travaille, à trois mille mètres d’altitude, je vois encore des familles dont la moitié des enfants meurent avant l’adolescence, par manque d’hygiène plus que par malnutrition. Ce n’est pas la majorité des cas mais enfin... Dans l’école que j’ai un peu contribué à créer, j’ai fait une enquête pour connaître le revenu exact des familles. Une famille de six personnes pouvait avoir un revenu annuel de 900 renminbi par an, c’est-à-dire environ 700 francs par famille, pas par personne. Quand vous savez qu’il faut débourser pour aller à l’école 100 renminbi par semestre, c’est-à-dire 200 renminbi par an et par enfant... Dans le même moment, vous trouvez aujourd’hui en Chine des gens millionnaires en francs et même en dollars... Cette situation économique a évidemment des effets sur l’accès qu’on peut avoir aux bien culturels.

Il y a une classe intermédiaire importante.

Oui, qui est en train de se constituer mais qui est encore privée de références culturelles. La vie culturelle du Chinois moyen, c’est le karaoké. Elle est souvent épouvantablement pauvre. Si bien que l’un des défis, c’est la reviviscence de formes culturelles qui ne seront pas des copies du passé. Tout le monde ne va pas se mettre à la calligraphie, mais il y a moyen d’inventer des formes qui prennent en charge à la fois l’héritage culturel et l’ordinateur, par exemple.
Il ne s’agira plus de répéter mais d’inventer. Dans le cinéma chinois, les choses commencent à se passer ainsi. Il existe également de très bons philosophes, de très bons théoriciens des religions, et même de très bons théologiens. La plupart justement partent d’une réflexion sur les spécificités du langage chinois. Faire une théologie en langue chinoise, de la langue chinoise jusqu’à un certain point, c’est une tâche d’aujourd’hui — et c’est là où l’effort lexicographique des cinquante dernières années retrouve toute son actualité — elle nourrit l’échange avec les intellectuels chinois d’aujourd’hui et ouvre sur de nouveaux horizons...

art press 266, mars 2001.

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Préface à "Matteo Ricci, serviteur du Maître du Ciel" de Jacques Bésineau (Paris, Desclé de Brouwer, 2003)

MATTEO RICCI :
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LA SAGESSE DE L’AMITIÉ

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Le nom de Matteo Ricci n’a pas toujours été aussi connu ni populaire qu’il l’est devenu aujourd’hui. C’est l’après-Concile qui a redonné toute son actualité à la figure de ce jésuite, pionnier de la rencontre entre l’Église et les cultures du monde. Pendant plus de trois siècles, la réputation de Ricci a pâti de l’équivoque portée par la Querelle des rites chinois, débutée pour­ tant bien après sa mort. On soupçonnait le modèle d’évangélisation dont il avait été le promoteur d’occulter la révélation du Christ au profit d’une approche syncrétiste peu respectueuse de la singularité du message chrétien. Accusation en rien fondée, le livre de Jacques Bésineau le montre amplement, mais les rumeurs et les préjugés ont la vie dure, et l’approche de Ricci était si novatrice qu’il n’est pas sûr qu’elle soit encore pleinement comprise.
Ricci était un homme en quête d’Universel. La révé­lation de la radicale différence du monde chinois par rapport à celui dont il vient, différence qu’il est le pre­mier à aborder de front, ne semble pas avoir constitué un défi pour sa foi. Elle a prouvé être plutôt un formi­dable facteur déclenchant pour rechercher le terreau commun de l’humanité, ce qui nous fait communiquer et vivre ensemble au-delà de ce qui nous sépare. Ricci aborde cette tâche équipé de toutes les armes de la Renaissance triomphante. Avec sa science de carto­graphe, il présente aux Chinois un monde unique, un monde dans lequel l’Empire chinois se reconnaît un parmi d’autres. Avec sa science de géomètre, il traduit les Éléments de géométrie d’Euclide, cherchant là les fondements d’un langage commun, celui de la rationalité scientifique et technique, révélateur de la nature pro­ fonde de l’homme, doté par Dieu de la raison. Avec sa science de théologien et de dialecticien, il tente d’accréditer l’idée d’un Dieu Lln, et ce au travers d’un dialogue fictif entre un sage chinois et un sage venu d’Occident (Le véritable sens du Seigneur du Ciel).
Tels sont pour lui les prolégomènes à partir desquels pourra se déployer l’annonce de la révélation chré­tienne. Il s’émerveille de trouver en Chine une commune humanité, marque de la présence par toute la terre du Créateur qui a façonné l’homme à son image, et il veut convaincre ceux qu’il rencontre que cette commune humanité est le terreau dans lequel il faut chercher et trouver Dieu. En parallèle, il veut faire savoir à l’Europe la richesse de ce qu’il découvre en terre de Chine, trouvant en cette richesse une nouvelle raison de glorifier Celui dont la diversité des langues et des cultures semble pourtant morceler la présence.
Car la passion de l’universalité s’éprouve dans le creuset des différences. Jacques Bésineau nous décrit là un itinéraire proprement héroïque, une aventure qui se déploie dans la durée et avec une étonnante ténacité. Cette ténacité se manifeste tout particulièrement dans la maîtrise de la langue : Ricci ira jusqu’au bout de la différence linguistique. Le sérieux qu’il accorde à la langue chinoise est l’un des traits qui forcent le plus l’admiration. Il sait que l’universalité qu’il a vocation à communiquer trouve chemin justement au travers des particularités de la langue. Il pressent que l’écriture chi­ noise n’est pas simple instrument de communication mais qu’elle est porteuse d’une vision du monde, d’une cosmologie liée à sa structure même. C’est par la maîtrise de la langue qu’il pénètre dans le sens et dans la saveur des classiques chinois.
C’est aussi au travers de cette maîtrise de la langue et de l’écriture qu’il créera et nourrira les amitiés qui l’accompagneront sans cesse. Se faire des amis, ce n’est pas là seulement une nécessité stratégique, c’est un impératif intérieur. La spiritualité de Ricci est une spiri­tualité de l’amitié, nourrie dans la pratique des Exer­cices spirituels de saint Ignace, lesquels donnent un accès plus intime à Celui qui dit aux Apôtres : « Je ne vous appelle plus serviteurs, mais amis. » Ricci ouvre sa car­rière publique en Chine par la compilation du petit recueil intitulé De l’amitié. Il aurait sans doute voulu que cette amitié-là soit toujours à la racine de l’entre­prise missionnaire et de l’échange Chine-Occident. Mais les querelles allaient diviser l’Église chinoise presque au point de la faire périr, et les échanges entre les deux mondes allaient souffrir de la tonalité de plus en plus agressive de l’expansionnisme occidental, qui nourrirait en retour une méfiance accrue de la part de l’Empire chinois. L’ère de la globalisation n’est-elle pas l’occasion de redonner toute sa saveur à cette spiritua­lité de l’amitié ! Cela reste utopique tant que les échanges restent marqués par les inégalités écono­miques ou la domination d’une culture sur les autres.
Mais le petit traité placé à l’orée de la carrière chinoise de Ricci sonne encore comme le plus nécessaire des rappels.
De fait, le modèle d’échange que Ricci promeut nous reste contemporain à plus d’un titre. Pas seulement parce qu’il place l’amitié au fondement de la relation, mais aussi parce qu’il se développe selon une progres­sion rigoureuse. Ricci reconnaît d’abord la communauté des problèmes que partage l’espèce humaine — quête scientifique, interrogations sur Dieu et le monde, racines de la moralité sociale... Le plus universel en nous, c’est peut-être justement ce qui nous pose question et nous taraude ! A partir de là, il reconnaît aussi la diversité des ressources culturelles mises en œuvre pour affronter ces questions : le canon chinois ouvre sur un univers bien différent de celui dévoilé par les textes bibliques. Ensuite, ces ressources sont évaluées et échangées au travers d’un dialogue d’égaux — ce dialogue qui forme la trame du Véritable sens du Sei­gneur du Ciel. Enfin, si les réponses qui sont finalement élaborées portent témoignage de l’universalité qui nous rassemble, elles restent marquées du sceau de la différence culturelle — ce n’est pas à tort que Ricci est reconnu con1me l’un des grands pionniers de l’inculturation de la foi. La dynamique qui s’esquisse ainsi est essentiellement créatrice, elle tend moins à répéter le passé qu’à inventer les solutions ou les expressions linguistiques qui permettent à chacun d’exprimer à frais nouveaux le mystère du monde et celui de la présence divine en son sein.
Il faut savoir gré à Jacques Bésineau de nous retracer avec tant de fidélité ce que fut le périple de Ricci. D’abord parce qu’un récit de cet ordre se révélait nécessaire — et celui que nous offre Jacques Bésineau est exemplaire par sa rigueur et sa clarté. Ensuite parce que la précision de la narration est par elle-même inspirante. Nous sommes renvoyés à la fois aux aléas d’une aventure inscrite dans un temps donné, marquée par les ambiguïtés d’alors, et à un parcours que sa force singulière charge de sens pour aujourd’hui. Ce n’est pas exactement que les défis seraient demeurés les mêmes. Par certains côtés, on pourrait les dire inversés. Ricci se débattait avec l’étrange et le nouveau. Nous nous débattrions plutôt avec les clichés et les rancœurs qui désormais endeuillent le dialogue interculturel comme l’échange interreligieux. A l’ère du « pas assez connu » a succédé celle du « trop connu » ... Mais c’est le type d’homme qu’est Ricci qui se révèle singulièrement adapté à des temps pourtant différents. Sa confiance en la nature humaine et en ses interlocuteurs ; l’alliance de la sensibilité culturelle et de la rigueur scientifique ; sa capacité à entrer en relations, à faire preuve de respect et d’aménité ; son sens de la durée et des médiations culturelles, linguistiques, historiques ... Il y a là de quoi trouver modèle à la définition de ce que devrait être une éducation humaniste pour temps de globalisation ! Car ce sont encore et toujours des êtres humains qui entrent en relation d’une région du globe à l’autre — des êtres humains, non pas des essences culturelles, des techniques, des intérêts économiques ou des fuseaux horaires ... Les hommes et les femmes d’aujourd’hui sont-ils véritablement préparés à vivre la rencontre, l’amitié, avec leurs risques et leur intensité ? La question se pose pour les croyants qui découvrent les sagesses et la conception du salut offertes par d’autres religions. Elle se pose pour les touristes qui ne savent trop comment se comporter dans les montagnes du Yunnan ou devant les pauvres des grandes villes chinoises. Elle se pose aussi bien pour les hommes d’affaires qui se plaignent que les termes loi ou contrat semblent ne pas posséder le même sens à Paris et Shanghai. Elle se pose en réciproque pour l’étudiant japonais ou chinois tentant de comprendre les règles de sociabilité qui régissent l’existence d’une université américaine ou européenne. Nous restons souvent étrangement désarmés lorsque nous affrontons dans la réalité les défis nés de la rencontre.
Ricci offre alors le modèle d’un homme bâti pour la rencontre, offert pour la rencontre, et préparé à elle au travers d’une éducation humaniste qui n’était point accumulation de savoirs hétéroclites mais intégration de toutes les dimensions de l’être. Une éducation humaniste amène à se connaître soi-même, avec ses parts de lumière et de ténèbres (l’instrument essentiel, pour Ricci, fut à cet égard la pratique des Exercices spirituels). La même éducation prépare à connaître les autres, en intégrant en un tout connaissance affective, capacité à se mettre à la place d’autrui, et connaissance rationnelle. Une éducation humaniste, pour hier comme pour aujourd’hui, est interdisciplinaire par nature, amenant son bénéficiaire à établir naturellement des connections entre les différents champs du savoir ou les différentes façons d’aborder la réalité. Elle développe bien entendu les facultés créatrices du sujet
— la créativité fut le ressort grâce auquel Ricci sut développer sa méthode d’approche au travers de tous les aléas. Enfin, une éducation humaniste prépare des bâtisseurs de paix, des personnes capables de faire face au conflit sans se laisser entraîner dans sa logique.
Ricci, en définitive, reste donc pour nous un éducateur. De quelque façon, une fois parvenu en Chine, il sut se modeler selon la figure de l’éducateur par excellence que fut Confucius — et cette parenté ne contribua pas peu à son succès. Il mérita pleinement d’être qualifié de Sage par ceux-là chez qui il s’était rendu, et pour lesquels la sagesse s’identifie à la vertu. Il est des maîtres dont la conduite constitue le plus précieux des enseignements, un enseignement qui dépasse alors les temps et les continents. Ricci fut de ceux-là. L’entrée dans une ère de contacts incessants entre l’Occident et la Chine ne diminue en rien son actualité. Il est placé au porche des Temps modernes pour nous montrer comment la vraie rencontre est ce creuset qui nous émonde pour nous faire porter abondance de fruit — un fruit riche de la double saveur de la sagesse et de l’amitié.

Benoît Vermander, s.j. directeur de l’Institut Ricci de Taipei.

*


Alors que les catholiques chinois et leur Eglise connaissent des moments difficiles — Sollers a tenu à leur dédier sa conférence sur le catholicisme de Dante du 1er juillet 2009 au Collège des Bernardins —, il n’est pas inutile de rappeler les hommages que les papes Jean Paul II, le 24 octobre 2001, et Benoît XVI, le 6 mai 2009, ont rendu au grand missionnaire jésuite.

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Matteo Ricci

Message du pape Jean Paul II

aux participants au congrès international " Matteo Ricci " :
pour un dialogue entre la Chine et l’Occident

1. Mesdames, Messieurs, c’est avec une joie profonde que je m’adresse à vous, à l’occasion du Congrès international, organisé pour commémorer le 400 anniversaire de l’arrivée à Pékin du grand missionnaire, lettré et scientifique italien, le Père Matteo Ricci, célèbre fils de la Compagnie de Jésus. J’adresse un salut particulier au Recteur Magnifique de l’Université pontificale grégorienne et aux responsables de l’Institut italo-chinois, les deux Institutions qui ont promu et organisé ce Colloque. En vous accueillant avec une vive cordialité, je suis particulièrement heureux d’adresser un salut respectueux aux chercheurs venus de Chine, patrie d’adoption bien-aimée du Père Ricci.

Je sais que votre Colloque romain se situe, d’une certaine façon, en continuité avec l’important Symposium international qui s’est déroulé ces jours derniers à Pékin (14-17 octobre) et qui portait sur le thème suivant : Encounters and Dialogues ("Rencontres et Dialogues"), en particulier dans le cadre des échanges culturels entre la Chine et l’Occident à l’époque de la fin de la dynastie Ming et au début de la dynastie Qing. En effet, au cours de cette rencontre l’attention des chercheurs s’est également portée sur l’oeuvre incomparable que le Père Matteo Ricci accomplit dans ce pays.

2. La rencontre d’aujourd’hui nous conduit tous par l’esprit et par les sentiments à Pékin, la grande capitale de la Chine moderne, capitale de l’"Empire du Milieu" au temps du Père Ricci. Après avoir étudié pendant vingt-et-un ans, de façon attentive et passionnée, la langue, l’histoire et la culture de la Chine, il entrait à Pékin, résidence de l’Empereur, le 24 janvier 1601. Accueilli avec tous les honneurs, estimé et souvent consulté par des lettrés, des mandarins et des personnes souhaitant apprendre les nouvelles sciences dont il était un fervent amateur, il vécut le reste de ses jours dans la capitale impériale, où il mourut saintement le 11 mai 1610, à l’âge de 57 ans, dont presque 28 années passées en Chine. J’ai plaisir à rappeler ici que, lors-qu’il arriva à Pékin, il écrivit à l’Empereur Wan-li un Mémorial dans lequel, en se présentant comme religieux et célibataire, il ne demandait aucun privilège à la cour, mais uniquement de pouvoir mettre au service de Sa Majesté sa propre personne et ce qu’il avait pu apprendre sur les sciences dans le "grand Occident", dont il était originaire (cf. Oeuvres historiques du P. Matteo Ricci, s.j., vol. II, Macerata 1913, 496s). La réaction de l’Empereur fut positive, donnant ainsi une plus grande signification et importance à la présence catholique dans la Chine moderne.

Cette même Chine éprouve, depuis quatre siècles, une profonde considération pour Li Madou, "le Sage d’Occident", comme fut désigné et est encore appelé le Père Matteo Ricci. Historiquement et culturellement il a été, en tant que pionnier, un précieux anneau de jonction entre la culture européenne de la renaissance et la culture de la Chine, ainsi que, réciproquement, entre la civilisation chinoise, antique et avancée, et le monde européen.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le noter, avec une intime conviction, en m’adressant aux participants au Colloque international d’études sur le Père Ricci, organisé pour le IV centenaire de l’arrivée de Matteo Ricci en Chine (1582-1982), il joua un rôle de grand mérite dans l’inculturation : il élabora la terminologie chinoise de la théologie et de la liturgie catholique, créant ainsi les conditions pour faire connaître le Christ et incarner son message évangélique et l’Eglise dans le contexte de la culture chinoise (cf. Insegnamenti di Giovanni Paolo II, II, vol. V/3, 1982, Libreria Editrice Vaticana, 1982, 923-925). Le Père Matteo Ricci devint tellement "Chinois avec les Chinois" qu’il se transforma en véritable sinologue, au sens culturel et spirituel le plus profond du terme, car il sut atteindre dans sa personne une extraordinaire harmonie intérieure entre le prêtre et le chercheur, entre le catholique et l’orientaliste, entre l’italien et le chinois.

3. Quatre cents ans après l’arrivée de Matteo Ricci à Pékin, nous ne pouvons que nous demander quel est le message qu’il peut offrir à la grande nation chinoise et à l’Eglise catholique, auxquelles il se sentit toujours profondément lié et desquelles il fut sincèrement apprécié et aimé.

Un des aspects qui rendent l’oeuvre du Père Ricci en Chine originale et toujours actuelle, est la profonde sympathie qu’il nourrit dès le début à l’égard du peuple chinois, en ce qui concerne son histoire, sa culture et ses traditions. Le petit Traité sur l’Amitié (De Amicitia - Jiaoyoulun), qui remporta un grand succès en Chine dès la première édition parue à Nankin en 1595, et le vaste et intense réseau d’amitiés qu’il développa et cultiva au cours de ses 28 années de vie dans ce pays, demeurent un témoignage irréfutable de sa loyauté, de sa sincérité et de sa fraternité envers le peuple qui l’avait accueilli. Ces sentiments et ces attitudes de très profond respect naissaient de l’estime qu’il éprouvait pour la culture de la Chine, au point de le conduire à étudier, traduire et expliquer l’antique tradition confucianiste, proposant ainsi une revalorisation des classiques chinois.

Dès les premiers contacts avec les Chinois, le père Ricci fonda toute sa méthodologie scientifique et apostolique sur deux piliers, auxquels il resta fidèle jusqu’à la mort, malgré les multiples difficultés et incompréhensions internes et externes : premièrement, les néophytes chinois qui embrassaient le christianisme ne devaient en aucune façon manquer de loyauté à l’égard de leur pays ; deuxièmement, la révélation chrétienne sur le mystère de Dieu n’annihilait absolument pas, mais valorisait et complétait même ce qui était beau et bon, juste et saint, dans l’antique tradition chinoise, ce dont elle avait eu l’intuition et qu’elle avait transmis. C’est sur cette intuition que le Père Ricci, de la même façon que l’avaient fait les Pères de l’Eglise des siècles passés, lors de la rencontre entre le message de l’Evangile de Jésus-Christ et la culture gréco-romaine, fonda tout son patient et clairvoyant travail d’inculturation de la foi en Chine, en cherchant constamment un terrain commun d’entente avec les sages de ce grand pays.

4. Le peuple chinois est tourné, en particulier ces derniers temps, vers l’obtention d’objectifs significatifs en matière de progrès social. L’Eglise catholique, quant à elle, considère avec respect cet élan surprenant et ces projets clairvoyants d’initiatives, et elle offre avec discrétion sa propre contribution dans la promotion et dans la défense de la personne humaine, de ses valeurs, de sa spiritualité et de sa vocation transcendante. L’Eglise a particulièrement à coeur des valeurs et des objectifs qui sont également d’une importance primordiale pour la Chine moderne : la solidarité, la paix, la justice sociale, le développement intelligent du phénomène de la mondialisation, le progrès civil de tous les peuples.

Comme l’écrivait précisément à Pékin le Père Ricci, en rédigeant au cours des deux dernières années de sa vie l’oeuvre avant-gardiste fondamentale destinée à faire connaître la Chine au reste du monde, intitulée De l’Entrée de la Compagnie de Jésus et de la Chrétienté en Chine (cf. Fonti Ricciane, a cura di Pasquale M. D’Elia S.I., vol. 2, Roma 1949, n. 617, p. 152), l’Eglise catholique d’aujourd’hui ne demande aucun privilège à la Chine et à ses Autorités politiques, mais uniquement de pouvoir reprendre le dialogue, afin de parvenir à une relation empreinte de respect réciproque et de connaissance approfondie.

5. A l’exemple de cet éminent fils de l’Eglise catholique, je désire réaffirmer que le Saint Siège considère le peuple chinois avec une profonde sympathie et avec une grande attention. On connaît les pas importants que celui-ci a accomplis, à une époque récente, dans les domaines social, économique et éducatif, tout en continuant à faire face à des difficultés nombreuses et persistantes. Que la Chine le sache : l’Eglise catholique a la vive intention d’offrir, encore une fois, un service humble et désintéressé pour le bien des catholiques chinois et pour celui de tous les habitants du pays. A ce propos, qu’il me soit permis de rappeler ici le profond engagement évangélique d’une longue série de généreux missionnaires, hommes et femmes, ainsi que les oeuvres de promotion humaine qu’ils ont accomplies au cours des siècles : ils lancèrent les initiatives sociales importantes et nombreuses, en particulier dans le domaine de la santé et de l’éducation, qui reçurent un vaste accueil reconnaissant de la part du peuple chinois.

Cependant, l’histoire nous rappelle malheureusement que l’action des membres de l’Eglise en Chine n’a pas été toujours exempte d’erreurs, fruits amers des limites de l’âme et de l’action humaine, et que, de plus, elle a été conditionnée par des situations difficiles, liées à des événements historiques complexes et à des intérêts politiques opposés. Des disputes théologiques ne manquèrent pas non plus, exacerbant les esprits et créant de graves difficultés dans le processus d’évangélisation. Au cours de différentes périodes de l’histoire moderne, une certaine "protection" de la part de puissances politiques européennes se révéla, à de nombreuses reprises, limitative de la liberté d’action même de l’Eglise et eut des répercussions négatives pour la Chine : ce sont des situations et des événements qui influencèrent le chemin de l’Eglise, l’empêchant d’accomplir en plénitude — en faveur du peuple chinois — la mission qui lui avait été confiée par son Fondateur, Jésus-Christ.

J’éprouve un profond regret pour ces erreurs et ces limites du passé, et je suis navré qu’elles aient engendré chez de nombreuses personnes l’impression d’un manque de respect et d’estime de l’Eglise catholique à l’égard du Peuple chinois, les incitant à penser que celle-ci a été inspirée par des sentiments d’hostilité à l’égard de la Chine. Pour tout cela je demande le pardon et la compréhension de ceux qui se sont sentis, d’une certaine façon, blessés par ces formes d’action des chrétiens.

L’Eglise ne doit pas avoir peur de la vérité historique et elle est disposée — même au prix d’une profonde souffrance — à admettre les responsabilités de ses enfants. Cela vaut également pour ce qui concerne ses relations, passées et récentes, avec le Peuple chinois. La vérité historique doit être recherchée avec sérénité et impartialité, de façon exhaustive. Il s’agit d’une tâche importante, qui doit être prise en charge par les chercheurs et à laquelle vous pouvez contribuer vous aussi, qui connaissez particulièrement la réalité chinoise. Je peux vous assurer que le Saint-Siège est toujours prêt à offrir sa propre disponibilité et sa collaboration en ce qui concerne ce travail de recherche.

6. En cette heure, les paroles que le Père Ricci écrivait au début de son Traité sur l’Amitié (nn.1 et 3) redeviennent actuelles. En apportant au coeur de la culture et de la civilisation de la Chine de la fin du XVIème siècle l’héritage de la réflexion classique gréco-romaine et chrétienne sur l’amitié elle-même, il définissait l’ami comme "la moitié de soi-même, et même un autre moi". Dès lors, "la raison d’être de l’amitié est le besoin mutuel et l’aide mutuelle".

C’est avec cette nouvelle et profonde pensée d’amitié à l’égard de tout le peuple chinois, que je forme le voeu de voir rapidement instaurées des voies concrètes de communication et de collaboration entre le Saint-Siège et la République populaire de Chine. L’amitié se nourrit de contacts, du partage des sentiments dans les situations heureuses et tristes, de solidarité, d’aide réciproque. Le Siège apostolique cherche avec sincérité à être l’ami de tous les peuples et à collaborer avec toute personne de bonne volonté au niveau mondial.

La Chine et l’Eglise catholique, sous des aspects certainement différents mais qui ne sont en aucune façon opposés, se trouvent historiquement parmi les plus anciennes "institutions" vivantes et actives du monde : toutes deux, bien que dans des domaines différents — politique et social, pour l’une, religieux et spirituel, pour l’autre —, comptent plus d’un milliard de fils et de filles. Ce n’est un mystère pour personne que l’activité du Saint-Siège, au nom de toute l’Eglise catholique et — je crois — au nom de toute l’humanité, souhaite l’ouverture d’un espace de dialogue avec les Autorités de la République populaire de Chine, dans lequel, les incompréhensions du passé ayant été surmontées, l’on puisse travailler ensemble pour le bien du Peuple chinois et pour la paix dans le monde. Le moment actuel de profonde inquiétude de la Communauté internationale exige de tous un engagement passionné pour favoriser la création et le développement de liens de sympathie, d’amitié et de solidarité entre les peuples. Dans ce contexte, la normalisation des rapports entre la République populaire de Chine et le Saint-Siège aurait sans aucun doute des répercussions positives pour le cheminement de l’humanité.

7. En vous renouvelant à tous, Mesdames, Messieurs, l’expression de ma satisfaction pour la célébration opportune d’un événement historique aussi significatif, je souhaite et je prie afin que la route ouverte par le Père Matteo Ricci entre l’Orient et l’Occident, entre la chrétienté et la culture chinoise, puisse retrouver des voies toujours nouvelles de dialogue et d’enrichissement humain et spirituel réciproques. Avec ces voeux, je suis heureux de donner à tous ma Bénédiction apostolique, propitiatrice auprès de Dieu de tout bien, de bonheur et de progrès.

Du Vatican, le 24 octobre 2001.

*


En mai 2009, le pape Benoît XVI adressait un message à Mgr Claudio Giugliodori, évêque de Macerata-Tolentino-Recanati-Cingoli-Treia, à l’occasion de différentes initiatives pour la célébration du IV centenaire de la mort du P. Matteo Ricci.

Benoît XVI citait le Traité sur l’Amitié (De amicitia - Jiaoyoulun) du P. Matteo Ricci comme un « modèle de rencontre fructueuse entre les civilisations européenne et chinoise » et pour « l’inculturation du christianisme en Chine ».

Message de Benoît XVI

J’ai appris avec joie que sont programmées dans ce diocèse différentes initiatives pour commémorer, dans des milieux ecclésiaux et civils, le IVe centenaire de la mort du P. Matteo Ricci, de la Compagnie de Jésus, survenue à Pékin le 11 mai 1610. A l’occasion de l’ouverture de cette année jubilaire spéciale, je suis heureux de vous adresser ainsi qu’à toute la communauté diocésaine ma salutation cordiale.

Né à Macerata le 6 octobre 1552, le jésuite Matteo Ricci, doté d’une foi profonde et d’un génie culturel et scientifique extraordinaire, a consacré de longues années de son existence à tisser un dialogue fructueux entre l’Occident et l’Orient, en menant de façon contemporaine une action efficace d’enracinement de l’Evangile dans la culture du grand peuple de Chine. Son exemple demeure aujourd’hui encore un modèle de rencontre fructueuse entre les civilisations européenne et chinoise.

Je m’associe donc volontiers à ceux qui considèrent ce généreux fils de votre terre comme un ministre de l’Eglise obéissant, et un messager de l’Evangile du Christ intrépide et intelligent. En considérant son activité scientifique et spirituelle intense, on ne peut pas ne pas rester favorablement frappé de la capacité innovante particulière avec laquelle il a abordé, en tout respect, les traditions culturelles et spirituelles chinoises dans leur ensemble. C’est en effet cette attitude qui a caractérisé sa mission visant à rechercher la possibilité d’une harmonie entre la civilisation chinoise, noble et millénaire, et la nouveauté chrétienne, qui est un ferment de libération et de renouveau authentique à l’intérieur de toute société, l’Evangile étant un message de salut universel, destiné à tous les hommes, à quelque contexte culturel et religieux qu’ils appartiennent.

En outre, ce qui a rendu son apostolat original, et l’on pourrait même dire prophétique, ce fut certainement la sympathie profonde qu’il nourrissait pour les Chinois, pour leur histoire, pour leurs cultures et leurs traditions religieuses. Il suffit de rappeler son Traité sur l’Amitié (De amicitia - Jiaoyoulun), qui remporta un large succès dès sa première édition à Nankin, en 1595. Modèle de dialogue et de respect pour les croyances d’autrui, votre compatriote a fait de l’amitié le style de son apostolat au cours de ses 28 années de séjour en Chine. L’amitié qu’il offrait était réciproque chez les populations locales, grâce justement au climat de respect et d’estime qu’il cherchait à cultiver, en se préoccupant de connaître toujours mieux les traditions de la Chine de cette époque. En dépit des difficultés et des incompréhensions qu’il a rencontrées, le Père Ricci a voulu rester fidèle jusqu’à la mort à ce style d’évangélisation, en mettant en ?uvre une méthodologie, si l’on peut dire, scientifique, et une stratégie pastorale fondées d’une part sur le respect des sains usages du lieu, que les néophytes chinois ne devaient pas abandonner en embrassant la foi chrétienne, et d’autre part sur la conscience que la Révélation pouvait les mettre encore plus en valeur et les compléter. Et ce fut justement à partir de ces convictions que, à l’instar des Pères de l’Eglise lors de la rencontre de l’Evangile avec la culture gréco-romaine, il a imposé ce prévoyant travail d’inculturation du christianisme en Chine, en recherchant une constante entente avec les savants de ce pays.

Je souhaite vivement que les manifestations jubilaires en son honneur — rencontres, publications, expositions, congrès et d’autres événements culturels en Italie et en Chine — offrent l’occasion d’approfondir la connaissance de sa personnalité et de son activité. Qu’en suivant son exemple nos communautés, à l’intérieur desquelles vivent des personnes de différentes cultures et religions, puissent grandir dans l’esprit d’accueil et de respect réciproque. Que le souvenir de ce noble fils de Macerata soit aussi pour cette communauté diocésaine un motif de fortifier, à son école, cette aspiration missionnaire qui doit animer la vie de tout disciple du Christ authentique.

Frère vénéré, je formule des v ?ux fervents pour la pleine réussite des célébrations jubilaires prévues à partir du 11 mai prochain, je vous assure de mon souvenir dans la prière et, en invoquant l’intercession maternelle de Marie, Reine de la Chine, je vous envoie de tout c ?ur ma bénédiction ainsi qu’à ceux qui sont confiés à vos soins pastoraux.

Du Vatican, 6 mai 2009
© Copyright du texte original en italien : Librairie Editrice du Vatican
Traduit de l’italien par Zenit.

*


Matteo Ricci

par le Père jésuite Michel Masson, président de l’Institut Ricci
et Frédéric Wong, spécialiste du confucianisme

Quand il meurt voilà 400 ans, l’empereur donne l’autorisation qu’il repose en terre chinoise. Bien qu’italien, Mattéo Ricci était chinois au milieu des chinois. Ce jésuite découvre le meilleur de cette culture millénaire et l’ouvre à l’espérance de l’Evangile. Sa voie : un apostolat intellectuel. Il réfléchit au rapport entre foi et raison. Sa cause de béatification se poursuit à Rome, nul doute qu’il serait heureux de la voir aboutir en ces temps d’inculturation.

Émission du 25/04/2010

*



La mappemonde de Matteo Ricci présentée à la Bibliothèque du Congrès

Commentaires en chinois et en anglais.

*

Lire : Jacques Gernet, La Politique de conversion de Matteo Ricci en Chine.

*

[2Voir la présentation de l’exposition.

La présentation par Romereports.com (en anglais) :

[3Pour en savoir plus sur Benoît Vermander. Benoît Vermander est également l’auteur d’un livre collectif : L’anneau immobile. Regards croisés sur Maître Eckhart. Maître Eckhart et Lao Zi ? Nous y reviendrons.

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7 Messages

  • A.G. | 26 septembre 2013 - 10:37 1

    Le sens réel de « Seigneur du Ciel », bien qu’ écrit par un Occidental, fait partie intégrante de la tradition intellectuelle chinoise, ayant influencé des penseurs comme Fang Yizhi, Huang Zongxi ou Dai Zhen. Il a aussi ouvert la voie à une quatrième école, celle du Christianisme confucéen, à côté des trois écoles traditionnelles du confucianisme, taoïsme et bouddhisme. Le Jésuite italien Matteo Ricci dialogue ici avec un lettré confucéen. Il écarte toutes les données de la religion révélée pour s’engager dans un travail de raison, s’appuyant à la fois sur la philosophie scolastique et sur les textes classiques chinois. Il démontre que la foi chrétienne est compatible avec la tradition chinoise la plus authentique.

    Ce texte, longuement mûri, publié en 1603 et réédité de nombreuses fois en Chine, a été traduit en plusieurs langues. En langue française, il n’existe qu’une traduction du XVIIIe siècle. Aussi, nous présentons ici pour la première fois l’intégralité du texte chinois avec une traduction moderne et annotée. La bibliothèque chinoise accueille, en édition bilingue, les classiques de la littérature chinoise en langue classique dans tous les domaines des lettres et des sciences (philosophie, histoire, poésie, politique et militaria, mais aussi médecine, astronomie, mathématiques, etc.).

    Les textes et traductions sont accompagnés d’une longue introduction et d’un appareil critique développé (notes, chronologie, glossaire, cartes et index).

    La possibilité est ainsi offerte au lecteur non sinophone d’entrer de plain-pied dans les ouvrages les plus représentatifs de l’immense production écrite qui caractérise la culture chinoise, depuis l’époque de Confucius (551-479 av. n. è.) jusqu’à la chute du régime impérial en 1911.

    Edition Les Belles Lettres.


  • A.G. | 13 juin 2010 - 16:34 2

    L’aventure peu ordinaire de Matteo Ricci, jésuite italien, qui parvint à pénètrer à la cour impériale de Chine à la fin du XVI ème et à vivre et évangéliser à Pékin où il mourut il y a quatre-cents ans, en mai 1610. La fabrique de l’histoire du 10-06-10.


  • Pak | 3 avril 2010 - 12:01 3

    Nuançons ces 3000 ans comme le fait Jean-François Billeter - dont vous devriez citer ici ses propos par un lien qui d’ailleurs figure sur votre site.


  • D.B. | 2 avril 2010 - 21:35 4

    A ne pas confondre avec un faux coupable...


  • A.G. | 2 avril 2010 - 21:13 5

    Bon. C’est North by Northwest alors ?
    _ Un innocent dans un monde coupable.


  • D.B. | 2 avril 2010 - 20:13 6

    Puisque nous connaissons désormais le sens des idéogrammes de ce rouleau chinois, poursuivons ce judicieux rapprochement avec Les Voyageurs du Temps en regardant maintenant (enfin) la photo de presse qui en a accompagné la publication. Le profil gauche de Philippe Sollers avec Paris en arrière plan ? Bien sûr. Mais aussi un pont, un arbre... Et, Philippe Sollers qui semble depuis l’est s’être dirigé vers l’ouest, se tourne vers le nord...


  • V.K. | 2 avril 2010 - 09:05 7

    Longtemps je me suis posé la question de savoir ce qui était écrit sur le rouleau d’idéogrammes présent dans le petit bureau de Philippe Sollers depuis ses débuts.

    « la pièce n’a pas bougé, avec son exiguïté, ses piles de livres en équilibre instable, son rouleau d’idéogrammes déployé sur le mur » nous dit Meyronnis, encore récemment (article : « François Meyronnis, le scripteur antisocial » ).

    Sur ce rouleau, ce que je savais, c’est que Sollers l’avait acquis lors de son voyage en Chine en 1973.


    « je l’ai trouvé dans un coin à Pékin »
    confiait-il à Pierre Assouline (Beaux Arts N°110, mars 1993). Et cet éloge de l’art du calligraphe :

    « le tableau en même temps que le poème. C’est magnifique de ne pas accepter la dislocation entre d’un côté ce qu’il y a à voir et de l’autre ce qu’il y a à dire. C’est la même chose. » poursuivait-il.

    Ailleurs, dans un entretien pour le Journal des Grandes Ecoles, automne 2005 :

    « (Me montrant une gravure sur un mur) Regardez ce rouleau chinois, il ne constitue pas une décoration mais un poème, c’est-à-dire le langage sous sa forme la plus concentrée. »

    Mais sa signification restait un mystère .
    _
    _ Et voilà qu’A. Gauvin, sortant de ses archives un article d’Art Press de mars 2001, lève le voile ; le jésuite Benoît Vermander l’avait décrypté, au débotté, dans le bureau même de Philippe Sollers (voir photo). Et que relate le rouleau ? Il y est question d’un pont (sur le ruisseau ) au bord duquel pousse un saule, et aussi de la maison d’origine de l’interlocuteur à qui s’adresse le narrateur :

    «  Arrivant ici, on n’est plus dans le monde des hommes. Sous la douceur du soleil, fleurs parfumées, dans la montagne, chant des Oiseaux. »
    _
    _ Serait-ce, là, le Paradis de Sollers ? Reconnaissez que ceci résonne étrangement dans le bureau d’un homme qui a passé sept années de sa vie à écrire son Paradis, non ?
    _
    _ Que disent les idéogrammes qui précèdent ?

    « Pont sur la rive, un saule se penche sur le ruisseau émeraude.
    _ Ta maison d’origine est au nord, un saule y indique l’ouest. »

    Ce pont au-delà du ruisseau n’évoque t-il pas le passage symbolique d’un voyageur du Temps, dans un autre temps, son dernier voyage parmi les hommes. Au-delà « on n’est plus dans le monde des hommes ». La mention du nord et de l’ouest n’est sans doute pas une simple fantaisie du scripteur. Qu’évoquent ces points cardinaux dans la cosmogonie ou la symbolique chinoise ? Un connaisseur plus avisé que moi pourra sans doute en proposer une analyse. Quelques pistes, à tout hasard : dans les vieux plans de Pékin du temps des Ming, contrairement à nos habitudes, le Sud est toujours en haut (le Temple du Ciel et celui de l’agriculture )et le Nord en bas (le Temple Jaune et le Temple de la Terre) ; Par ailleurs, Le chinois associe l’automne à l’Ouest et l’hiver au Nord. La symbolique des quatre points cardinaux calquée sur celle des rythmes naturels : les quatre saisons, les quatre états végétaux - croissance, floraison, récolte, hibernation - les quatre âges de la vie - enfance, adolescence, maturité, vieillesse... (et les quatre éléments - feu, air, terre, eau)...