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Sollers par Jacques Henric

art press 512, juillet-août 2023

D 28 juin 2023     A par Albert Gauvin - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook




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Sollers

La presse l’a annoncé, Philippe Sollers est mort le 5 mai 2023, à l’âge de 86 ans. Ces lignes ne sont en rien une notice nécrologique, à savoir le rappel de la biographie d’un homme mort. Il faudrait, pour qu’elles le soient, être assuré que Philippe Sollers est bien mort, et qu’on sache donc ce qu’est la mort. Qui, sauf à faire de la littérature et en appeler à l’innumérable liste des métaphysiques, sait ce qu’est la mort ? Sollers lui-même ne doutait-il pas de sa réalité, lui qui avait exprimé son refus d’être incinéré, de voir son corps partir en fumée, son squelette s’effondrer et finir en cendres. Quant à son souhait, pour ses obsèques, d’une messe catholique à Ars-en-Ré, n’est-il pas le signe du crédit qu’il accordait à la résurrection des corps, acte de foi proclamé dans le Credo ? Alors la mort, que pouvons-nous en dire de mieux — disons de plus prudent, de plus sensé, provisoires vivants que nous sommes —, que celui ou celle qui était là n’est plus là, ne sera plus jamais là, à nos côtés ? Le mot qu’on utilise parfois de « disparition » est peut-être un des moins impropres à signifier ce réel-là. Plus là, ailleurs, assurément ailleurs. En tout cas, pour les vivants, cette absence est une grande souffrance.
Pour ce qui est de la biographie de Sollers et de la recension de ses livres, je renvoie nos lecteurs aux textes très complets et manifestant une belle compréhension de l’ensemble de son œuvre parus dans la presse, notamment ceux de Philippe Forest dans le Monde, de Mathieu Lindon dans Libération, de Marc Lambron dans le Point. Je me contenterai, pour ma part, d’évoquer quelques souvenirs et images que je garde de Sollers au cours de ce qui fut un compagnonnage avec lui de près de 60 ans. Il me semble que je reste, hélas, et à mon corps défendant — avec Julia Kristeva son épouse et Marcelin Pleynet, poète et secrétaire de rédaction de la revue —, le seul à avoir vécu l’aventure de Tel Quel. Les camarades d’alors, membres ou non du comité de rédaction de la revue, Marc Devade, Pierre Rottenberg, Maurice Roche, Jean Thibaudeau, Jacqueline Risset, Denis Roche, Pierre Guyotat, sont morts, et, à cette liste, il me faudrait ajouter certains aînés de Sollers, penseurs capitaux de l’époque en dialogue avec Tel Quel. Je pense notamment à Barthes, Derrida et Lacan.
De Sollers, la première chose qui me vient à l’esprit : il fut l’ami avec qui, de ma vie, j’ai le plus ri (voir la photo illustrant cet édito, choisie parmi des dizaines de même nature). Il avait en lui, sauvegardé, l’enfant qu’il avait été, son côté gamin farceur que j’aimais retrouver chez quelques hommes âgés dont je fus proche, je pense au poète et biographe de Sade, Gilbert Lely, au sculpteur César, ou à Pierre Klossowski. J’ai raconté dans un livre paru en 2007, Politique, que m’avait commandé Bernard Comment, les nuits folles du colloque de Cerisy « Artaud/ Bataille » (1972), au cours desquelles, après des journées d’intense travail, une bande d’énergumènes pris d’alcool, entraînés par Sollers, jouaient à la petite guerre avec des manches à balai en guise de fusil et mettaient une belle pagaille chez les occupants des chambres du château, plus particulièrement dans le dortoir des jeunes filles.
Lecteur de Tel Quel, dès la parution de la revue en 1960, j’ai très tôt rendu compte des livres publiés dans la collection du même nom, dirigée par Sollers. Je tenais la chronique littéraire de l’hebdomadaire du « Comité central du Parti communiste », France-Nouvelle, et j’intervenais épisodiquement dans les Lettres françaises. En 1965, suite au papier que j’ai écrit sur son roman Drame, Sollers m’écrit et me propose de nous rencontrer. C’est mon premier contact avec lui. Vivant loin de Paris, c’est aussi le début d’une volumineuse correspondance, aujourd’hui déposée à l’lmec. La dernière fois que nous nous sommes vus, ce fut à l’occasion d’une émission de radio de Josyane Savigneau où je présentais le Journal de Denis Roche qui venait de paraître et Vincent Roy le dernier volume de la correspondance de Sollers avec Dominique Rolin. Nouvelle occasion, en fin d’émission, de se payer quelques crises de fou-rire et un franc déconnage sur les acteurs vedettes de la vie littéraire du moment.
Nommé à un poste d’enseignant à Paris, je prends l’habitude de retrouver Sollers deux ou trois fois par semaine dans le bureau du Seuil, rue Jacob, en présence de Pleynet et de collaborateurs de la revue. Avec Sollers, ce sont des rendez-vous dans les cafés et les restaurants de Saint-Germain ou de Montparnasse, des dîners de vernissage souvent suivis de descentes dans des boîtes de nuit, celle du Carrousel ayant nos faveurs, pour la saisissante beauté de ses travestis et transsexuels.
Nostalgie de cette époque, mais j’en viens à l’essentiel, à Sollers éditeur et écrivain. Que lui devons-nous, Catherine Millet et moi, et ce magazine où j’écris ces lignes en guise d’hommage et de gratitude ? Pour ma part, je lui dois beaucoup. Je lui dois d’avoir publié mes premiers livres à une époque où ceux-ci auraient eu quelque mal à trouver un éditeur. Sans doute, lui dois-je même de les avoir écrits. Aurais-je osé avant 1968 me lancer dans l’écriture d’Archées sans la connaissance que j’avais de nos goûts littéraires communs : Sade, Proust, Joyce, Pound, Bataille, Artaud, Ponge, Céline, Dante (cf. le livre peu cité des entretiens de Philippe Sollers avec Benoît Chantre sur la Divine Comédie). Quant à artpress, quelle aurait été son histoire, sa longévité, sans la présence de Sollers dès la parution de la revue en 1972 et son fidèle soutien jusqu’aux premières atteintes de la maladie ? Aujourd’hui, divine surprise en même temps qu’étrange paradoxe, cet écrivain boudé par les grands journaux, au centre d’aucun colloque, ignoré des universitaires (à l’exception de Philippe Forest), de la collection Quarto qui vient d’accueillir un choix de textes d’Annie Ernaux, voilà qu’à sa mort, il est l’objet d’une impressionnante couverture de presse que n’ont pas connue les plus médiatiques de ses pairs. Une pléthore d’admirateurs se manifeste soudain, lui tressant de volumineuses et étouffantes couronnes. Emphase, débauche de superlatifs : Sollers le plus grand de ceci, le plus grand de cela ... ! Est-ce un mal français que de tenter d’envoyer de leur vivant des écrivains ou artistes dans un cul de basse-fosse avant de leur dresser un mausolée ? Évitons le cénotaphe pour Sollers ! (Son œuvre le refuse, et heureusement sa tombe de Ré le protège.) Il y a plus et mieux à faire : un travail critique sur l’ensemble de ses livres. Pour le lancer, pourquoi ne pas mettre en route un volume de la Pléiade (collection où on trouve un Vian et un d’Ormesson !) qui réunirait un premier choix de ses romans et de ses essais. Antoine Gallimard, qui fut son éditeur et ami, pourrait en prendre l’initiative. Un vœu pieux, un rêve ? Non, ça se fera. Si ça ne se faisait pas, ce serait un des signes que nous sommes désormais entrés dans quelque voyage au bout de la nuit dont même Céline n’avait pas idée.

Jacques Henric

Vous retrouverez de nombreux textes et entretiens d’Henric sur et avec Sollers en feuilletant ici.

Note personnelle : L’édition des Pléiades est en général confiée à des universitaires. Alors, pour Sollers, qui ? Je n’en vois qu’un, pas vous ? A.G.

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1 Messages

  • gabriella bosco | 28 juin 2023 - 20:31 1

    cher Jacques Henric, Philippe Sollers et Philippe Forest m’ont souvent parlé de vous, je vous connais par vos écrits et par personnes interposées : merci pour votre hommage à PhS, j’ai beaucoup apprécié, et je tiens à vous signaler que les universitaires de Turin aussi ne l’ont pas ignoré, les universitaires Forest et Bosco (!) grands amis l’un de l’autre, ont vécu dans ce sens (et dans beaucoup d’autres aussi, d’ailleurs) la même aventure

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