A quelques jours du premier anniversaire de la mort de Philippe Sollers qui s’est éteint le 5 mai 2023, voici un témoignage de Laure Adler, déniché par Dominique Brouttelande qui depuis les débuts de pileface (2005) suit l’aventure du site, et de-ci, de là, nous fait part de ses trouvailles :

Viens de feuilleter le volume de Laure Adler récemment paru chez Bouquins et suis tombé sur la retranscription d’un entretien radiophonique avec Ph S.
Avec sa belle présentation.

Dominique. B.

Laure Adler. Retenir la vie, coll. Bouquins

RETENIR LA VIE : Itinéraire d’une femme engagée
Bouquins, 21 mars 2024
1152 pages
Le livre sur amazon

LAURE ADLER : J’ai rencontré très jeune Philippe Sollers et il a été très important dans ma vie d’éditrice, de lectrice et d’amie. Il m’a donné l’élan et la confiance quand j’ai eu la chance de faire partie du comité éditorial de Denoël à l’initiative de Claude Gallimard – où participaient aussi Jorge Semprun et Gérard Bourgadier. J’étais très intimidée, déjà passionnée de littérature mais quasi muette tant je craignais d’affirmer et de décevoir mes interlocuteurs. Sollers non seulement me la donnait, cette parole, mais me relançait et m’écoutait. Il me confiait chaque semaine un texte souvent issu de la littérature chinoise et me la commentait la semaine suivante avec humour sans jamais faire le professeur. Pour autant, il fut une sorte de professeur à mon égard et quand j’avais des choix personnels difficiles à faire, je prenais rendez-vous avec lui. Sollers, c’est l’acidité, le mordant, un personnage clownesque pour certains, un réac accompli et que sais-je encore… A mes yeux, il est un des écrivains contemporains les plus importants par sa recherche dans et par la langue même, un métaphysicien énigmatique, un observateur passionné de son temps, un encyclopédiste accompli et un monsieur si délicat et si gentil.

Philippe Sollers s’est éteint le 5 mai 2023. Ecrivain magistral, et éditeur infatigable, il nous lègue un rapport au monde où la littérature joue un rôle essentiel. Sa « guerre du goût », il nous revient de la mener encore et toujours. La publication de cet entretien est aussi la marque de notre reconnaissance pour tout ce qu’il nous aura apporté.

TEXTE CITE : « Solaire Philippe Sollers », d’après l’émission L’Heure bleue diffusée sur France Inter le 14 février 2017.

[L’entretien débute par la lecture par Laure Adler d’un extrait du roman Beauté de Philippe Sollers :]

Les sociétés changent de peau, comme les serpents, mais le venin reste le même, et il y a seulement des mutations dans la desquamation. Tous les serpents ne sont pas venimeux, mais ils n’en sont parfois que plus dangereux », ceux qui étouffent, ceux qui ingurgitent. « Vivre, c’est défendre une forme », « Webern aimait citer » cette phrase de Hölderlin, assure le roman. Alors, quand des « pantins islamistes » s’acharnent « sur des statues antiques » : « Voilà des formes qui contiennent un soleil divin insupportable, il faut donc les réduire en poussière comme si elles n’avaient jamais existé. La Contre-Beauté sent la Beauté, ça la brûle. La Beauté est insolente, elle ne croit qu’à elle-même, elle insulte la loi et la foi.

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Editions Gallimard (2 février 2017)
224 pages

Présentation de l’éditeur

"Dans le chaos actuel, le narrateur de ce roman est amoureux de Lisa, une jeune pianiste grecque exceptionnelle. C’est la beauté."
Philippe Sollers.

L’Emission « L’Heure bleue » avec Laure Adler et Philippe Sollers du 14 février 2017

Philippe Sollers le 7 novembre 2016 à Paris. © AFP / JACQUES DEMARTHON

Malgré les années qui passent, il ne décolère pas, il a toujours le verbe haut et a gardé l’esprit vif.

Avec "Beauté", Philippe Sollers renoue avec sa veine romantique. L’histoire commence en Grèce où le narrateur se trouve avec son amante, une pianiste célèbre, qui s’appelle Lisa. Elle se déroule aussi pendant un concert au Grand Théâtre de Bordeaux où la jeune femme interprète les Variations de Webern. Le matin, elle reçoit des messages particulièrement angoissants sur le déferlement des migrants en Grèce, son pays. Elle demande à son public une minute de silence en raison de la catastrophe humanitaire qui se joue. Mais la Grèce, c’est aussi le pays de Zeus, de Platon, du temple d’Athéna Aphaia où on peut lire l’inscription mise en épigraphe du roman : "Immortelle est la beauté". Philippe Sollers nous en dira beaucoup plus mais sachez que le vieux mousquetaire bordelais a encore bien d’autres choses à nous raconter...

"Ce n’est pas mon premier contact avec la foudre. J’ai 12 ans, je suis seul à la campagne dans une grande maison, la foudre tombe dans le jardin, et, par la fenêtre ouverte, entre dans la pièce où je suis. C’est une boule de feu qui monte et descend le long d’un rideau. Je suis là, debout, elle va me consumer sur place. Je suis dans une angoisse folle (la plus folle de ma vie), mais cette irruption d’or brûlant compact est d’une beauté incroyable. C’est une planète qu’on pourrait saisir dans la main. Dix secondes d’enfer, et la voilà qui sort et disparaît dans les arbres, sans que le rideau ait pris feu. Je me jette sur un divan, je ferme les yeux, j’ai compris. Quoi ? Aucun mot pour le dire. Mon corps, ou plutôt mon cadavre aurait pu être le héros d’une information locale. « Orage tragique : un jeune garçon foudroyé près d’une fenêtre, chez lui. »"

Extrait de "Beauté" de Philippe Sollers, dans la collection Blanche aux Éditions Gallimard.

AUSSI DANS L’EMISSION :

La correspondance Philippe Sollers – Dominique Rolin : pour octobre 2017 :

Philippe Forest sur Sollers :

Choix musical de Philippe Sollers : Martha Argerich pour" Bach : La gigue"
Extrait d’une interview sur TV5 Monde par Patrick Simonin le 22 septembre 2010 : Zinédine Zidane à propos de son enfance
• Archive Ina de 1954 ( au micro de Roger Grenier ) : Georges Bataille à propos de l’expression de sa propre pensée
• Archive Ina du 4 juin 2000 : Dominique Rolin parle de son travail d’écriture à Venise et de sa solitude
Générique : Veridis Quo des Daft Punk

VOIR AUSSI SUR PILEFACE

Beauté
Dominique Brouttelande