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Entendre Heidegger — lire Hölderlin

D 25 février 2008     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook





« Je vous prie de ne lire ce feuillet qu’avec bienveillance. Ainsi lu, il ne sera pas incompréhensible, encore moins choquant. Mais s’il se trouve pourtant quelqu’un qui juge une telle langue trop peu conventionnelle, alors je dois lui faire un aveu : je ne peux rien faire d’autre. Par une belle journée se laissent entendre presque toutes sortes de manières de chanter, et la Nature, d’où elles proviennent, les reprend aussi.
L’auteur songe à soumettre au public toute une série de semblables feuillets, et celui-ci en est en quelque sorte l’essai. »

Hölderlin, Avertissement à Fête de la Paix.


Illuminations

« ... Et veiller sur l’Esprit,
Comme la prêtresse sur le feu du Ciel,
C’est là sa raison. » Hölderlin, En forêt.
« La séance des rythmes occupent la demeure, la tête et le monde de l’esprit. »
Rimbaud, Jeunesse.


« Illuminations à travers les textes sacrés » — c’est le titre complet —, le livre que Sollers publie en 2003, commence par une citation de l’Apocalypse de saint Jean puis, tout de suite après, des extraits de la troisième version (il y en a quatre) du poème Patmos qu’Hölderlin écrivit entre 1803 et 1806 et qui resta finalement inachevé. Avec Hölderlin, écrit Sollers, « la levée du voile trouve son lieu et sa formule — une nouvelle fois. » Il s’agit d’ « aller à l’Esprit ». Pour ce voyage sont convoqués, outre Hölderlin, Rimbaud — le premier, peut-être, à avoir trouvé en français le « lieu et la formule » — et deux autres penseurs allemands : Nietzsche et Heidegger.
Nietzsche méprisait les Allemands de son temps (il dédie Humain, trop humain à Voltaire et parsème de plus en plus ses livres de mots français). Heidegger n’a cessé de méditer sur le destin des Grecs et des Allemands. Il voit dans Hölderlin « le poète du poète » et « le poète des Allemands futurs », « comme tel il est l’unique » dit-il (Les hymnes de Hölderlin, Gallimard, p.204).
Comment entendre cette affirmation, au-delà de ce que Heidegger appelle, à la fin de son texte sur La Germanie, la « mission grecque-allemande à partir de laquelle la pensée, issue de son origine propre, engage le dialogue avec la poésie et son urgence » (p.143) — comment l’entendre aussi au-delà, littéralement, de tous les malentendus ?

« J’ouvre Hölderlin. J’ai dans ma poche les textes de Heidegger à son sujet. Je rappelle que Approche de Hölderlin [1] veut dire à la fois que nous tenterions de nous approcher de lui, mais, peut-être et surtout après deux siècles, que c’est lui, dans la dévastation et le bruit universels, qui s’approcherait de nous. J’ouvre donc Hölderlin. Je lis, je relis et je suis envahi d’une stupeur immense. Je relis encore une fois, me voilà de plus en plus étonné. Je relis une nouvelle fois, j’essaie autant que possible de ne pas m’interposer entre ma lecture et moi, et soudain le monde, qui me paraissait voué à une fermeture définitive, se déploie.

Je sens tout de suite que je n’en aurai jamais fini, pas plus qu’avec les Illuminations de Rimbaud. Je vais donc m’isoler et lire encore et relire, non pas des textes à proprement parler, bien qu’il s’agisse aussi de cela, mais un effet de respiration, de rythme et d’air qui, ici même, dans une mégalopée informatisée et très encombrée, au milieu de cinquante écrans de télévision surchargés, au milieu de mille ordinateurs ne cessant de crépiter, va me dire qu’après tout j’existe. » (Folio, p.161)

Sollers écrit plus loin : « La poésie est écrite, mais, pour en percevoir l’illumination, il faut la rendre à son souffle, à son rythme, à sa vision et à ce que Heidegger a raison d’appeler, par-delà sa propre mort, son "ton fondamental". » (Folio, p.166).

Dans Les hymnes de Hölderlin Heidegger écrit : « Nous n’avons pas encore considéré le fait que la tonalité (Stimme) du dire ne doit pas détoner (gestimmt sein muss), que le poète parle en vertu d’un ton (Stimmung) qui détermine (be-stimmt) la basse et les bases, et qui donne le ton à l’espace sur et dans lequel le dire poétique instaure un être. Ce ton, nous le nommons ton fondamental de la poésie. Par ton fondamental, nous n’entendons cependant pas une tonalité affective ondoyante qui accompagnerait seulement le dire : au contraire, le ton fondamental ouvre le monde qui reçoit dans le dire poétique l’empreinte de l’Être. » (Op. cité, p.83. Traduction Julien Hervier [2])

« L’évènement fondamental du ton fondamental » est ce que Heidegger appelle la "maturation" (Zeitigung) du temps originel : « Ce temps originel emporte notre Dasein [Etre-le-là] dans l’avenir et l’avoir-été, à supposer qu’il soit authentique. » (Les hymnes, p.108)

Sollers commente ce passage ainsi : « L’emportement authentique nous est de plus en plus refusé. Seuls quelques musiciens, nous le sentons désormais, y parviennent. » et « L’avoir-été n’est pas le passé. Il se conjugue d’abord au futur, hier n’est que le seuil de toujours » [« Arrivée de toujours, qui t’en iras partout » dira Rimbaud dans A une Raison] « Ce temps, écrit encore Sollers, on peut le définir ainsi : le temps du "il est enfin temps". Le temps d’un combat dans l’urgence. Le ton fondamental est ainsi une puissance em-portante, mais aussi im-portante : elle emporte et elle importe. Elle ouvre, elle fonde. « Mais les poètes fondent ce qui demeure. » Raison pour laquelle ils sont l’objet de la fureur de ce qui sombre dans le passé, d’une malfaisance qui va vers la ruine, mais qui sait que quelque chose d’indemne est sauvé. » (Folio, p.167)

Lire, relire, lire encore, lire une nouvelle fois, voilà ce que nous vous proposons en écoutant comment Heidegger lit lui-même — à haute voix — quelques poèmes de Hölderlin.

A l’écoute, quelque chose de ce "ton fondamental" qui est propre à la poésie de Hölderlin mais aussi à « l’énorme archive qui parle de Dieu, des dieux, du divin, de sa révélation ou de son style dans toutes les langues »  [3], sera peut-être entendu.

oOo


Martin Heidegger lit Hölderlin (1961)

Vorbemerkung (Remarque préliminaire), 7’29

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1. Ermunterung (Exhortation, 2ème version, 1800)


Echo des Himmels ! heiliges Herz ! warum
Warum verstummst du unter den Lebenden,
Schläfst, freies ! von den Götterlosen
Ewig hinab in die Nacht verwiesen ?


Wacht denn, wie vormals, nimmer des Aethers Licht,
Und blüht die alte Mutter, die Erde nicht ?
Und übt der Geist nicht da und dort, nicht
Lächend die Liebe das Recht noch immer ?


Nur du nicht mehr ! doch mahnen dir Himmellischen,
Und stillebildend weht, wie ein kahl Gefild,
Der Othem der Natur dich an, der
Alleserheiternde, seelenvolle.


Beim Jova ! bald, singen die Haine nicht
Des Lebens Lob allein, denn es ist die Zeit,
Dass aus der Menschen Munde sie, die
Schönere Seele sich neuverkündet,


Dann liebender im Bunde mit Sterblichen
Das Element sich bildet, und dann erst reich,
Bei frommer Kinder Dank, der Erde
Brust, die unendliche, sich entfaltet


Und unsre Tage wieder, wie Blumen, sind,
Wo sie, des Himmels Sonne sich ausgetheilt
Im stillen Wechsel sieht und wieder
Froh in den Frohen das Licht sich findet,


Und er, der sprachlos waltet und unbekannt
Zukünftiges bereitet, der Gott, der Geist
Im Menschenwort, am schönen Tage
Kommenden Jahren, wie einst, sich ausspricht.


Echo du ciel ! ô coeur saint ! pourquoi,
Pourquoi fais-tu silence entre les vivants,
Et dors-tu, libre, par les sans-dieux
Sans fin au fond de la nuit ravalée ?


Ne veille plus, comme avant, le jour d’Ether ?
Et ne fleurit la Terre, la mère ancienne ?
Plus n’exercent l’Esprit ça et là,
L’Amour, en souriant, leur droit encore ?


Tu manques seule ! Or les Célestes [4] font signe
Et créant en paix souffle, comme au champ nu,
Sur toi le souffle de la Nature
Pour tous rassérénant et riche d’âme.


Par Jéhovah [5] ! bientôt plus ne seront seuls
Les bois à chanter louange de vie,
Car il est temps que de bouche d’homme
L’âme embellie à nouveau s’annonce,


En plus d’amour, en l’alliance des mortels
Que l’élément s’y fonde, alors, qu’enfin riche
Dans le merci de ses bons enfants
S’ouvre, infini, le sein de la Terre [6]


Et qu’à nouveau nos jours soient comme des fleurs,
Où se voit la céleste Etoile du jour [7],
En calme cycle éclatée, et qu’en joie
La lumière en leur joie se retrouve,


Et que lui, qui muet règne et en secret
Prépare ce qui viendra, le Dieu, l’Esprit
D’un mot d’homme, au beau jour, comme avant,
Aux années à venir se déclare.

(Traduction François Garrigue, Oeuvre poétique complète, Edition de la Différence, 2005, p.531)

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2. Die Wanderung (La migration)

Ecrit à partir de 1801, La migration a été publiée en novembre 1806 dans l’Almanach des Muses de Seckendorf. Hölderlin avait été admis le 15 septembre à la clinique du docteur Autenrieth à Tübingen.
Le 3 mai 1807, le menuisier Zimmer prend en hébergement Hölderlin, jugé incurable, dans la tour ronde qui domine le Neckar. Le poète y demeurera jusqu’à sa mort le 7 juin 1843.


I. Glückseelig Suevien, meine Mutter,
Auch du, der glänzenderen, der Schwester
Lombarda drüben gleich,
Von hundert Bächen durchflossen !
Und Bäume genug, weißblühend und rötlich,
Und dunklere, wild, tiefgrünenden Laubs voll,
Und Alpengebirg, der Schweiz auch überschattet
Benachbartes dich ; denn nah dem Herde des Hauses
Wohnst du, und hörst, wie drinnen
Aus silbernen Opferschalen
Der Quell rauscht, ausgeschüttet
Von reinen Händen, wenn berührt


Von warmen Strahlen
Kristallenes Eis und umgestürtzt
Vom leichtanregenden Lichte
Der schneeige Gipfel übergießt die Erde
Mit reinestem Wasser. Darum ist
Dir angeboren die Treue. Schwer verläßt,
Was nahe dem Ursprung wohnet, den Ort.
Und deine Kinder, die Städte,
Am weithindämmernden See,
An Neckars Weiden, am Rheine,
Sie alle meinen, es wäre
Sonst nirgend besser zu wohnen.


II. Ich aber will dem Kaukasos zu !
Denn sagen hört ich
Noch heut in den Lüften :
Frei sei’n, wie Schwalben, die Dichter.
Auch hat mir ohnedies
In jüngeren Tagen vertraut,
Es seien vor alter Zeit
Die Eltern einst, das deutsche Geschlecht,
Still fortgezogen von Wellen der Donau,
Am Sommertage, da diese
Sich Schatten suchten, zusammen
Mit Kindern der Sonn
Am schwarzen Meere gekommen ;
Und nicht umsonst sei dies
Das gastfreundliche genennet.


III. Denn, als sie erst sicht angesehen,
Da nahten die Anderen erst ; dann stazten auch
Die Unseren sich neugierig unter den Ölbaum.
Doch als sich ihre Gewande berührt,
Und keiner vernehmen konnte
Die eigene Rede des andern, wäre wohl
Enstanden ein Zwist, wenn nicht aus Zweigen herunter
Gekommen wäre die Kühlung,
Die Lächeln über das Angesicht
Der Streitenden öfters breitet, und ein Weile
Sahn still sie auf, dann reichten sie sich
Die Hände liebend einander. Und bald


IV. Vertauschten sie Waffen und all
Die lieben Güter des Hauses,
Vertauschten das Wort auch und es wünschten
Die freundlichen Väters umsonst nichts
Beim Hochzeitjubel den Kindern.
Denn aus den heiligvermählten
Wuchs schöner, denn Alles,
Was vor und nach
Von Menschen sich nannt, ein Geschlecht auf. Wo,
Wo aber wohnt ihr, liebe Verwandten,
Daß wir das Bündnis wiederbegehn
Und der teuern Ahnen gedenken ?


V. Dort an den Ufern, unter den Bäumen
Ionias, in Ebenen des Kaysters,
Wo Kraniche, des Aethers froh,
Umschlossen sind von fernhindämmernden Bergen,
Dort wart auch ihr, ihr Schönsten ! oder pflegtet
Der Inseln, die mit Wein bekränzt,
Voll tönten von Gesang ; noch andere wohnten
Am Tayget, am vielgepriesnen Hymettos,
Die blühten zuletzt ; doch von
Parnassos Quell bis zu des Tmolos
Goldglänzenden Bächen erklang
Ein ewiges Lied ; so rauschten
Damals die Wälder und all
Die Saitenspiele zusamt
Von himmlischer Milde gerühret.


VI. O Land des Homer !
Am purpuren Kirschbaum oder wenn
Von dir gesandt im Weinberg mir
Die jungen Pfirsiche grünen,
Und die Schwalbe fernher kommt und vieles erzählend
An meinen Wänden ihr Haus baut, in
Den Tagen des Mais, auch unter den Sternen
Gedenk ich, o Ionia, dein ! doch Menschen
Ist Gegenwärtiges lieb. Drum bin ich
Gekommen, euch, ihr Inseln, zu sehn, und euch,
Ihr Mündungen der Ströme, o ihr Hallen der Thetis,
Ihr Wälder, euch, und euch, ihr Wolken des Ida !


VII. Doch nicht zu bleiben gedenk ich.
Unfreundlich ist und schwer zu gewinnen
Die Verschlossene, der ich entkommen, die Mutter.
Von ihren Söhnen einer, der Rhein,
Mit Gewalt wollt er ans Herz ihr stürzen und schwand
Der Zurückgestoßene, niemand weiß, wohin, in die Ferne.
Doch so nicht wünscht ich gegangen zu sein,
Von ihr, und nur, euch einzuladen,
Bin ich zu euch, ihr Grazien Griechenlands,
Ihr Himmelstöchter, gegangen,
Daß, wenn die Reise zu weit nicht ist,
Zu uns ihr kommet, ihr Holden !


VIII. Wenn milder atmen die Lüfte,
Und liebende Pfeile der Morgen
Uns Allzugedultigen schickt,
Und leichte Gewölke blühn
Uns über den schüchternen Augen,
Dann werden wir sagen, wie kommt
Ihr, Charitinnen, zu Wilden ?
Die Dienerinnen des Himmels
Sind aber wunderbar,
Wie alles Göttlichgeborne.
Zum Traume wirds ihm, will es Einer
Beschleichen und straft den, der
Ihm gleichen will mit Gewalt ;
Oft überraschet es einen,
Der eben kaum es gedacht hat.


Souabe fortunée, Ô Mère,
Comme ta soeur plus éclatante
La Lombardie là-bas
Par cent rivières irriguée !
Et des arbres en foule, aux fleurs blanches, aux fleurs pourprée,
Les sauvages plus sombres d’un vert profond,
Et les cimes aussi des Alpes suisses jettent leur ombre
Toutes proches sur toi ; car tu habites
Près du foyer de la demeure
Et tu entends en lui,
Hors des coupes d’argent que penchent des mains pures,


Bruire la source, quand frôlée
Par le feu des rayons, la glace
Cristalline et, croulant sous le tact léger
de la lumière, les neigeux
Sommets font ruisseler au sol
L’eau la plus pure. C’est là d’où procède
Ta native fidélité. C’est ce qui gîte
Près du jaillissement originel ne quitte
Un tel lieu qu’à grand-peine. Et tes enfants, les
Cités aux rives du lointain lac pâle,
Aux berges herbeuses du Neckar [8], aux bords du Rhin :
Certes, nul autre lieu, se dit chacune,
Ne saurait m’être un meilleur séjour.


Mais moi, c’est le Caucase où je prétends !
Car j’entendais encore, aujourd’hui même,
Ce dire dans les airs :
Aux poètes la liberté de l’hirondelle !
Et je me vis, en des jours plus anciens,
Faire cette autre confidence :
Nos pères jadis, la race allemande,
Portés par les flots paisibles du Danube,
Avec les fils du Soleil [9] en quête
D’ombre, un jour d’été,
Là-bas aux rives de la Mer
Noire se rencontrèrent.
Et cette mer n’était point nommée
L’Hospitalière sans raison.


Car à peine s’était-il entr’aperçus, les autres
S’avancèrent les premiers et les nôtres alors, l’âme
Curieuse, firent halte à leur tour sous l’olivier.
Mais lorsqu’ils eurent touché leurs vêtements
Sans que nul découvrît un sens aux dires
De l’autre, le discord
Eût pu naître si les branches n’avaient laisser descendre
Sur eux cette fraîcheur
Qui parfois, aux faces des antagonistes,
S’éployer un sourire. Et s’étant
Regardés en silence, ils se tendirent
Des mains amies. Et bientôt



Leurs armes échangées et tous
Les chers biens du foyer, ils échangèrent aussi
Leur parole, et nul souhait des pères
Aux enfants, dans l’exultation des noces, ne
Demeura vain, car des épousailles sacrées,
Plus belle
Que tout ce qui porta jamais nom d’homme,
Une race naquit. Mais où donc,
Ô chers parents, où tenez-vous demeure,
Que nous célébrions nouvelle alliance,
Nous souvenant des ancêtres bien-aimés ?



Là-bas au long des rives, sous les arbres
D’Ionie, aux plaines de Caystre
Où le pâle scintillement des cimes
Cerne au loin les grand oiseaux ivres dans l’Ether,
Là vous fûtes aussi, vous les plus beaux ! - ou laboureurs
Des îles aux vignes en couronne,
Toutes sonores de chants ; d’autres habitèrent encore
Au pied du Taygète et de l’Hymette au nom fameux :
Les derniers à florir ! Mais, de la source
Du Parnasse au Tmolos miroitant d’or, monta
L’hymne éternel des bruissantes
Forêts sacrées et du
Frémissement universel des lyres
Frôlées d’une divine douceur.


Ô pays d’Homère !
Sous le cerisier qui s’empourpre ou dans
La vigne, quand voici verdir
(Ton présent de jadis) mes jeunes pêches,
Au temps où de très loin venue l’hirondelle à mes murs
Fait sa demeure et file ses récits inépuisables,
Aux jours de mai et sous le ciel d’étoiles, ô
Ionie, je songe à toi ! Mais l’homme
A le désir profond de la présence. Et c’est pourquoi
Je suis venu vous contempler, ô îles, et vous, ô
Portiques de Thétis, embouchures des fleuves,
Vous, ô forêts, et vous, nuages de l’Ida !



Et pourtant je ne songe point à demeurer.
Inclémence, âpre à conquérir est la
Taciturne, celle à qui j’échappai, la Mère.
Un de ses fils, le Rhin, voulut avec violence
Se jeter à son coeur — il disparut
Au loin, nul ne sait où, le rejeté !
Tel je ne voudrais point l’avoir quittée, et je
Ne suis chez vous, ô Grâces [10] de l’Hellade,
Filles du Ciel, qu’aux fins de cette seule invite :
Venez, si ce n’est là trop ample voyage,
Ô souriantes, venez jusques à nous !


Quand les brises souffleront plus douces,
Quand le matin poindra de ses traits amoureux
Nos coeurs trop pleins de patience,
Quand, relevant nos regards timides, nous verrons
Fleurir là-haut de légers nuages,
Alors nous vous dirons : Qu’est-ce donc, ô
Charites [11], que vous veniez chez des Barbares ?
Mais les Servantes du Ciel
Sont créatures surprenantes,
Comme tout être de divine extrace.
Tentons-nous de guetter l’un d’eux, il se
Fait rêve et punit quiconque
Voudrait par force l’égaler,
Mais ravit maintes fois de sa brusque présence
Tel qui venait à peine d’y songer.

(Traduction Gustave Roud, Odes, élégies, hymnes, Coll. Poésie/Gallimard)

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3. Heimkunft (Retour au pays, 2ème version)

Ce poème a été traduit par Michel Deguy et publié en ouverture du numéro 6 de Tel Quel (été 1961) [12] où il était suivi du commentaire de Heidegger, publié sous le titre « Eclaircissement », traduction littérale du titre allemand « Erläuterunge ». Le commentaire est le discours que Heidegger a prononcé en mémoire du poète pour la fête du centenaire de sa mort, à l’Université de Fribourg-en-Brigsbau, le 6 juin 1943.
Poème et commentaire seront repris l’année suivante, en 1962, dans le recueil Approche de Hölderlin (Gallimard, coll. Tel).
Voir le texte et la traduction de Michel Deguy tel qu’elle fut publiée dans Tel Quel en note >> [13].

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4. Friedensfeier (Fête de la Paix ou Fête de l’Accord)

Vraisemblablement écrit vers 1803, on n’a longtemps connu de ce poème que les ébauches en prose puis en vers. Le texte complet que lit Heidegger n’a été découvert qu’en 1954 à Londres.
Heidegger commence par lire la manière d’avertissement que Hölderlin avait mis avant le poème :

« Je vous prie de ne lire ce feuillet qu’avec bienveillance. Ainsi lu, il ne sera pas incompréhensible, encore moins choquant. Mais s’il se trouve pourtant quelqu’un qui juge une telle langue trop peu conventionnelle, alors je dois lui faire un aveu : je ne peux rien faire d’autre. Par une belle journée se laissent entendre presque toutes sortes de manières de chanter, et la Nature, d’où elles proviennent, les reprend aussi.
L’auteur songe à soumettre au public toute une série de semblables feuillets, et celui-ci en est en quelque sorte l’essai. »

 [14].

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5. Der Ister (L’Ister, 1803-1806)

Jetzt komme, Feuer !
Begierig sind wir,
Zu schauen den Tag,
Und wenn die Prüfung
Ist durch die Knie gegangen,
Mag einer spüren das Waldgeschrei.
Wir singen aber vom Indus her
Fernangekommen und
Vom Alpheus, lange haben
Das Schickliche wir gesucht,
Nicht ohne Schwingen mag
Zum Nächsten einer greifen
Geradezu
Und kommen auf die andere Seite.
Hier aber wollen wir bauen.
Denn Ströme machen urbar
Das Land. Wenn nämlich Kräuter wachsen
Und an denselben gehn
In Sommer zu trinken die Tiere,
So gehn auch Menschen daran.


Man nennet aber diesen den Ister.
Schön wohnt er. Es brennet der Säulen Laub,
Und reget sich. Wild stehn
Sie aufgerichtet, untereinander ; darob
Ein zweites Maß, springt vor
Von Felsen das Dach. So wundert
Mich nicht, daß er
Den Herkules zu Gaste geladen,
Ferglänzend, am Olympos drunten,
Da der, sich Schatten zu suchen
Vom heißen Isthmos kam,
Denn voll des Mutes waren
Daselbst sie, es bedarf aber, der Geister wegen,
Der Kühlung auch. Darum zog jener lieber
An die Wasserquellen hieher und gelben Ufer,
Hoch duftend oben, und schwarz
Vom Fichtenwald, wo in den Tiefen
Ein Jäger gern lustwandelt
Mittags, und Wachstum hörbar ist
An harzigen Bäumen des Isters,


Der scheinet aber fast
Rückwärts zu gehen und
Ich mein, er müsse kommen
Von Osten.
Vieles wäre
Zu sagen davon. Und warum hängt er
An den Bergen gerad ? Der andre,
Der Rhein, ist seitwärts
Hinweggegangen. Umsonst nicht gehn
Im Trocknen die Ströme. Aber wie ? Ein Zeichen braucht es,
Nichts anderes, schlecht und recht, damit es Sonn
Und Mond trag im Gemüt, untrennbar,
Und fortgeh, Tag und Nacht auch, und
Die Himmlischen warm sich fühlen aneinander.
Darum sind jene auch
Die Freude des Höchsten. Denn wie käm er
Herunter ? Und wie Hertha grün,
Sind sie die Kinder des Himmels. Aber allzugedultig
Scheint der mir, nicht
Freier, und fast zu spotten. Nämlich wenn

Angehen soll der Tag
In der Jugend, wo er zu wachsen
Anfängt, es treibet ein anderer da
Hoch schon die Pracht, und Füllen gleich
In den Zaum knirscht er, und weithin hören
Das Treiben die Lüfte,
Ist der zufrieden ;
Es brauchet aber Stiche der Fels
Und Furchen die Erd,
Unwirtbar wär es, ohne Weile ;
Was aber jener tuet, der Strom,
Weiß niemand.

À présent viens, feu !
Avides sommes-nous
De contempler le jour,
Et quand l’épreuve
Est passée au travers des genoux,
Peut-on percevoir les clameurs de la forêt.
Mais nous chantons, depuis l’Indus
Venus de loin et
Depuis l’Alphée, longtemps avons-nous
Cherché le convenable,
Nul, sans ailes, ne peut
Atteindre le plus proche
Directement
Et passer de l’autre côté.
Mais ici voulons-nous bâtir.
Car les fleuves défrichent
Le pays. Quand en effet pousse l’herbe
Et que vers ceux-là même vont
En été, pour boire, les bêtes,
Alors y vont aussi les humains.


Mais on nomme celui-ci l’Ister. C’est beau,
comme il habite. Ils brûlent, les feuillages des colonnes,
Et s’agitent. Sauvages se dressent-ils
Disposés l’un au-dessous de l’autre ; par-dessus
Un second degré va saillir au devant
Des rochers le toit. Ainsi ne me surprend
Pas qu’il eût prié
Hercule [15] d’être son hôte,
En scintillant au loin, au pied de l’Olympe [16],
Comme lui, pour se chercher un ombrage,
Venait de l’Isthme brûlant,
Car plein de courage étaient-ils
Là même, mais il est besoin, aux esprits égarés,
De fraîcheur aussi. C’est pourquoi celui-ci préféra filer
Auprès des sources ici, et des rives jaunies,
Fort embaumant là-haut, et, noir
De la forêt de pins, là où tout au fond
Un chasseur volontiers chemine avec plaisir
À midi, et la croissance est audible
Auprès des arbres résineux de l’Ister,

Mais lui semble presque
Aller à reculons, et
J’ai l’idée qu’il doit venir
De l’Orient.
Beaucoup serait
À dire là-dessus. Et pourquoi s’accroche-t-il
Aux montagnes justement ? L’autre,
Le Rhin, de côté
S’est éloigné. Ce n’est pas en vain que
Dans l’aride vont les fleuves. Mais comment ?
Il faut un signe,
Rien d’autre, tant bien que mal, afin que soleil
Et lune, il les porte intimement, inséparables,
Et continue aussi jour et nuit, et
Que les Célestes se tiennent chaud les uns les autres.
C’est pourquoi ceux-là sont aussi
La joie du Très-Haut. Car, comment viendrait-il
En bas ? Et verdoyants comme Herta [17]
Sont les enfants du ciel. Mais bien trop patients
Me semblent-ils, non
Libres, et presque à moquer. En effet, quand

Doit s’allumer le jour
Dans la jeunesse, là où il commence
À croître, en pousse un autre comme
Déjà haute est la splendeur, et tel un poulain
Qui écume dans la bride, et au loin entendant
La poussée des vents,
Est-il chagriné ;
Mais il faut des morsures à la roche
Et des sillons à la terre,
Inhospitalière serait-elle, sans séjour ;
Mais ce que fait celui-ci, le fleuve,
Nul ne sait.

(Traduction Patrick Guillot. Op. cité.) [18]

« The Ister est un film documentaire australien sur le philosophe allemand Martin Heidegger, réalisé par David Barison et Daniel Ross, sorti en 2004.
Ister est l’ancien nom du Danube, celui qu’emploie Hölderlin pour titrer l’un des poèmes sur lequel Heidegger s’appuiera pour un cours en 1942. Le film remonte le cours de ce fleuve de la Roumanie à la Forêt noire allemande. Autre que pittoresque, cette remontée est avant tout l’occasion d’une ample aventure didactique au sujet de la question de la technique.
Trois philosophes, Jean-Luc Nancy, Philippe Lacoue-Labarthe et Bernard Stiegler, ainsi qu’un cinéaste, Hans-Jürgen Syberberg, accompagnent ce voyage au long cours. »
Vous pouvez voir le film ici. [19].

L’épilogue reprend la lecture du poème de Hölderlin par Heidegger.

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6. Was ist Gott... (Dieu, qu’est-il...)
Ce poème, comme le suivant, fait partie des poèmes dits de "la Tour" (1807-1843)

« Was ist Gott ? unbekannt, dennoch
Voll Eigenschaften ist das Angesicht
Des Himmels von ihm. Die Blize nemlich
Der Zorn sind eines Gottes. Jemehr ist eins
Unsichtbar,....... schiket es sich in Fremdes. Aber der Donner
Der Ruhm ist Gottes. Die Liebe zur Unsterblichkeit
Das Eigentum auch, wie das unsere,
Ist eines Gottes. »
« Dieu, qu’est-il ? inconnu, et pourtant
Riche en propriétés se montre la face
Du Ciel qui est à lui. Les foudres en vérité
Sont la colère d’un Dieu. Plus un être est
Invisible,....... il s’adapte à l’étranger. Mais le Tonnerre
Est la gloire de Dieu. L’amour de l’immortalité
Est aussi la propriété, comme la nôtre,
D’un Dieu. »

(Traduction François Garrigue, Oeuvre poétique complète, Edition de la Différence, 2005, p. 886)

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7. Was ist Der Menschen leben... (Qu’est la vie des hommes...)

« Was ist der Menschen Leben ein Bild der Gottheit.
Wie unter dem Himmel wandeln die Irrdischen alle, sehen
Sie diesen, Lesen aber gleichsam, wie
In einer Schrift, die Unendlichkeit nachahmen und den Reichtum
Menschen. Ist der einfältige Himmel
Denn reich ? Wie Blüthen sind ja
Siberne Wolken. Es regnet aber von daher
Der Thau und das Feuchtere. Wenn aber
Das Blau ist ausgelöschet, das Einfältige, scheint
Das Matte, das dem Marmelstein gleichet, wie Erz,
Anzeige des Reischtums. »


« Qu’est la vie des hommes une image de la divinité.
Tels qu’ils errent sous le Ciel, tous les terrestres l’ont
Sous les yeux. Mais en lisant, tout comme on lit
Dans un écrit, l’infinité copient, et la richesse
Les hommes. Le ciel tout simple est-il
Donc riche ? Comme des fleurs, oui, sont
Les nuages d’argent. Mais il pleut de par là
La rosée et la bruine. Mais quand
Le bleu s’est effacé, le simple bleu, paraît
Le mat, pareil au marbre, comme bronze,
Enseigne de richesse. »

(Traduction François Garrigue, Oeuvre poétique complète, Edition de la Différence, 2005, p. 886)

oOo


8. Aber in Hütten Wohnet
Le titre du poème est En forêt. Il se trouve dans les in-folio de Stuttgart et date sans doute de 1800.

Im Walde


Aber in Hütten wohnet der Mensch,
und hüllet sich ein ins verschämte Gewand,
denn inniger ist’s, achtsamer auch
und dass er bewahre den Geist,
wie die Priesterin die himmlische Flamme,
dies ist sein Verstand.
Und darum ist die Willkür ihm und höhere Macht
Zu fehlen und zu vollbringen dem Götter ähnlichen,
Der Güter gefährlichtes, die Sprache dem Menschen
Gegeben, damit er schaffend, zerstörend, und
Untergehend, und wiederkehrend zur ewiglebenden,
Zur Meisterin und Mutter, damit er zeuge, was
Er sei geerbet zu haben, gelernt von ihr, ihr
Göttlichstes, die allerhaltende Liebe.

En forêt


Mais l’homme habite en des cabanes, cache
Sa pudeur sous un vêtement, car plus intime
Est aussi plus prudent et veiller sur l’Esprit,
Comme la prêtresse sur le feu du Ciel,
C’est là sa raison.
Et s’il a libre arbitre et plus grand pouvoir
De faillir et parfaire, lui, semblable aux Dieux,
S’il a le plus dangereux des bien reçu, l’homme,
La langue, c’est pour qu’à créer, détruire, et se perdre et revenir à l’éternelle vivante,
A la maîtresse et mère, il témoigne que ce
Qu’il possède par héritage, il l’a appris d’elle, son
Plus divin bien, l’amour tuteur de toute chose.

(Traduction François Garrigue, Oeuvre poétique complète, Edition de la Différence, 2005, p. 507)

oOo


9. Wie Meeresküsten (Comme rives de mer)

« Wie Meeresküsten, wenn zu baun
Anfangen die Himmlischen und herein
Schifft unaufhaltsam, eine Pracht, das Werk
Der Woogen, eins ums andere, und die Erde
Sich rüstet aus, darauf vom Freudigsten eines
Mit guter Stimmung, zu recht es legend also schlägt es
Dem Gesang, mit dem Weingott, vielverheissend dem bedeutenden
Und der Lieblingin
Des Griechenlandes
Der meergeborenen, schiklich blikenden
Das gewaltige Gut ans Ufer. »
« Comme rives de mer, quand à bâtir
Commencent les Célestes, qu’en dedans
Inlassable débarque, une splendeur, l’oeuvre
Des flots, vague sur vague, et que la Terre
Se cuirasse, sur quoi, envoi du Tout Joyeux,
Bien accordé, le plaçant juste, attaque alors
Le chant, avec le dieu du vin [20], très prometteur augure,
Et la bien-aimée
Du pays grec
La fille de la mer au pudique regard
Le bien qui déferle au rivage. »

(Traduction François Garrigue, Oeuvre poétique complète, Edition de la Différence, 2005, p.772)

oOo


10. Heimat (Pays)

Und niemand weiss
Indessen lass mich wandeln
Und wilde Beeren pflüken
Zu löschen die Liebe zu dir
An deinen Pfaden, o Erd’
Hier wo Rosendornen
Und süsse Linden duften neben
Den Buchen, des Mittags, wenn im falben Kornfeld
Das Wachstum rauscht, an gearadem Halm,
Und den Naken die Ähre seitwärts beugt
Dem Herbste gleich, jetz aber unter hohem
Gewölbe der Eichen, da ich sinn
Und aufwärts frage, der Glockenschlag
Mit Wohlbekannt
Fernher tönt, goldenklingend, um die Stunde, wenn
Der Vogel wieder wacht. So gehet es wohl. »
« Et nul ne sait
Entre temps laisse moi flâner
Et cueillir des baies sauvages
Pour étancher l’amour de toi
Sur tes sentiers, ô Terre
Ici, où rose-épine
Et doux tilleuls embaument près
Des hêtres, à midi, quand au champ de blé fauve
La croissance frémit, dans la chaume raide,
Et l’épi couche sa nuque de travers
Comme à l’automne, or voici sous la haute
Voûte des chênes, quand je médite
Et questionne là-haut, la cloche
A moi familière
Au loin sonner, tintement d’or, vers l’heure
Où l’oiseau se réveille. Et c’est bien ainsi. »

(Traduction François Garrigue, Oeuvre poétique complète, Edition de la Différence, 2005, p. 740)

oOo



[3C’est moi qui souligne. A.G.

[4Sous ce nom, Hölderlin oppose aux terrestres, tous les habitants du Ciel, ceux "d’en haut" : les Immortels, mais aussi les oiseaux. La plupart des Notes sont de François Garrigue.

[5Nom biblique de Dieu.

[6Fait couple et s’oppose à l’Ether.

[7Etoile solaire : traduction adoptée pour l’allemand Sonne dans les cas fréquents où H. joue sur le caractère féminin de cette "divinité".

[8Rivière de Souabe, la rivière de vie où H., en la remontant de Lauffen à Tübingen par Nürtingen, avec retours sur Stuttgart et Heidelberg.

[9Expression que l’on retrouvera chez Rimbaud.

[10Triade de divinités, Aglaé, Euphrosyne et Thalie, incarnat les attraits et la bienveillance du divin.

[11Les Grâces en grec.

[12

[13Le texte original :

Heimkunft
An die Verwandten

I

Drin in den Alpen ists noch helle Nacht und die Wolke,
Freudiges dichtend, sie deckt drinnen das gähnende Tal.
Dahin, dorthin toset und stürzt die scherzende Bergluft,
Schroff durch Tannen herab glänzet und schwindet ein Strahl.
Langsam eilt und kämpft das freudigschauernde Chaos,
Jung an Gestalt, doch stark, feiert es liebenden Streit
Unter den Felsen, es gärt und wankt in den ewigen Schranken,
Denn bacchantischer zieht drinnen der Morgen herauf
Denn es wächst unendlicher dort das Jahr und die heilgen
Stunden, die Tage, sie sind kühner geordnet, gemischt.
Dennoch merket die Zeit der Gewittervogel und zwischen
Bergen, hoch in der Luft weilt er und rufet den Tag.
Jetzt auch wachet und schaut in der Tiefe drinnen das Dörflein
Furchtlos, Hohem vertraut, unter den Gipfeln hinauf.
Wachstum ahnend, denn schon, wie Blitze, fallen die alten
Wasserquellen, der Grund unter den Stürzenden dampft,
Echo tönet umher, und die unermeßliche Werkstatt
Reget bei Tag und Nacht, Gaben versendend, den Arm.

II

Ruhig glänzen indes die silbernen Höhen darüber,
Voll mit Rosen ist schon droben der leuchtende Schnee.
Und noch höher hinauf wohnt über dem Lichte der reine
Selige Gott vom Spiel heiliger Strahlen erfreut.
Stille wohnt er allein und hell erscheinet sein Antlitz,
Der ätherische scheint Leben zu geben geneigt,
Freude zu schaffen, mit uns, wie oft, wenn, kundig des Maßes,
Kundig der Atmenden auch zögernd und schonend der Gott
Wohlgediegenes Glück den Städten und Häusern und milde
Regen, zu öffnen das Land, brütende Wolken, und euch,
Trauteste Lüfte dann, euch, sanfte Frühlinge, sendet,
Und mit langsamer Hand Traurige wieder erfreut,
Wenn er die Zeiten erneut, der Schöpferische, die stillen
Herzen der alternden Menschen erfrischt und ergreift,
Und hinab in die Tiefe wirkt, und öffnet und aufhellt,
Wie ers liebet, und jetzt wieder ein Leben beginnt,
Anmut blühet, wie einst, und gegenwärtiger Geist kömmt,
Und ein freudiger Mut wieder die Fittige schwellt.

III

Vieles sprach ich zu ihm, denn was auch Dichtende sinnen
Oder singen, es gilt meistens den Engeln und ihm ;
Vieles bat ich, zu lieb dem Vaterlande, damit nicht
Ungebeten uns einst plötzlich befiele der Geist ;
Vieles für euch auch, die im Vaterlande besorgt sind,
Denen der heilige Dank lächelnd die Flüchtlinge bringt,
Landesleute ! für euch, indessen wiegte der See mich,
Und der Ruderer saß ruhig und lobte die Fahrt.
Weit in des Sees Ebene wars Ein freudiges Wallen
Unter den Segeln und jetzt blühet und hellet die Stadt
Dort in der Frühe sich auf, wohl her von schattigen Alpen
Kommt geleitet und ruht nun in dem Hafen das Schiff.
Warm ist das Ufer hier und freundlich offene Tale,
Schön von Pfaden erhellt, grünen und schimmern mich an.
Gärten stehen gesellt und die glänzende Knospe beginnt schon,
Und des Vogels Gesang ladet den Wanderer ein.
Alles scheinet vertraut, der vorübereilende Gruß auch
Scheint von Freunden, es scheint jegliche Miene verwandt.

IV

Freilich wohl ! das Geburtsland ists, der Boden der Heimat,
Was du suchest, es ist nahe, begegnet dir schon.
Und umsonst nicht steht, wie ein Sohn, am wellenumrauschten
Tor und siehet und sucht liebende Namen für dich,
Mit Gesang, ein wandernder Mann, glückseliges Lindau !
Eine der gastlichen Pforten des Landes ist dies,
Reizend hinauszugehn in die vielversprechende Ferne,
Dort, wo die Wunder sind, dort, wo das göttliche Wild
Hoch in die Ebnen herab der Rhein die verwegene Bahn
Und aus Felsen hervor ziehet das jauchzende Tal,
Dort hinein, durchs helle Gebirg, nach Como zu wandern,
Oder hinab, wie der Tag wandelt, den offenen See ;
Aber reizender mir bist du, geweihete Pforte !
Heimzugehn, wo bekannt blühende Wege mir sind,
Dort zu besuchen das Land und die schönen Tale des Neckars,
Und die Wälder, das Grün heiliger Bäume, wo gern
Sich die Eiche gesellt mit stillen Birken und Buchen,
Und die Bergen ein Ort freundlich gefangen mich nimmt.

V

Dort empfangen sie mich. O Stimme der Stadt, der Mutter !
O du triffest, du regst Langegelerntes mir auf !
Dennoch sind sie es noch ! noch blühet die Sonn und die Freud euch,
O ihr Liebsten ! und fast heller im Auge, wie sonst.
Ja ! das Alte noch ists ! Es gedeihet und reifet, doch keines,
Was da lebet und liebt, lässet die Treue zurück.
Aber das Beste, der Fund, der unter des heiligen Frieden
s
Bogen lieget, er ist Jungen und Alten gespart.
Törig red ich. Es ist die Freude. Doch morgen und künftig,
Wenn wir gehen und schaun draußen das lebende Feld
Unter den Blüten des Baums, in den Feiertagen des Frühlings
Red und hoff ich mit euch vieles, ihr Lieben ! davon.
Vieles hab ich gehört vom großen Vater und habe
Lange geschwiegen von ihm, welcher die wandernde Zeit
Droben in Höhen erfrischt, und waltet über Gebirgen,
Der gewähret uns bald himmlische Gaben und ruft
Hellern Gesang und schickt viel gute Geister. O säumt nicht,
Kommt, Erhaltenden ihr ! Engel des Jahres ! und ihr,

VI

Engel des Hauses, kommt ! in die Adern alle des Lebens,
Alle freuend zugleich, teile das Himmlische sich !
Adle ! verjünge ! damit nichts Menschlichgutes, damit nicht
Eine Stunde des Tags ohne die Frohen und auch
Solche Freude, wie jetzt, wenn Liebende wieder sich finden,
Wie es gehört für sie, schicklich geheiliget sei.
Wenn wir segnen das Mahl, wen darf ich nennen, und wenn wir
Ruhn vom Leben des Tags, saget, wie bring ich den Dank ?
Nenn ich den Hohen dabei ? Unschickliches liebet ein Gott nicht,
Ihn zu fassen, ist fast unsere Freude zu klein.
Schweigen müssen wir oft ; es fehlen heilige Namen,
Herzen schlagen und doch bleibet die Rede zurück ?
Aber ein Saitenspiel leiht jeder Stunde die Töne,
Und erfreuet vielleicht Himmlische, welche sie nahn.
Das bereitet und so ist auch beinahe die Sorge
Schon befriediget, die unter das Freudige kam.
Sorgen, wie diese, muß, gern oder nicht, in der Seele
Tragen ein Sänger und oft, aber die anderen nicht.

La traduction proposée par Patrick Guillot ici

[14Le texte original :

Friedensfeier

Der himmlischen, still widerklingenden,
Der ruhigwandelnden Töne voll,
Und gelüftet ist der altgebaute,
Seliggewohnte Saal ; um grüne Teppiche duftet
Die Freudenwolk und weithinglänzend stehn,
Gereiftester Früchte voll und goldbekränzter Kelche,
Wohlangeordnet, eine prächtige Reihe,
Zur Seite da und dort aufsteigend über dem
Geebneten Boden die Tische.
Denn ferne kommend haben
Hieher, zur Abendstunde,
Sich liebende Gäste beschieden.

Und dämmernden Auges denk ich schon,
Vom ernsten Tagwerk lächelnd,
Ihn selbst zu sehn, den Fürsten des Fests.
Doch wenn du schon dein Ausland gern verleugnest,
Und als vom langen Heldenzuge müd,
Dein Auge senkst, vergessen, leichtbeschattet,
Und Freundesgestalt annimmst, du Allbekannter, doch,
Beugt fast die Knie das Hohe. Nichts vor dir,
Nur Eines weiß ich, Sterbliches bist du nicht.
Ein Weiser mag mir manches erhellen ; wo aber
Ein Gott noch auch erscheint,
Da ist doch andere Klarheit.

Von heute aber nicht, nicht unverkündet ist er ;
Und einer, der nicht Flut noch Flamme gescheuet,
Erstaunet, da es stille worden, umsonst nicht, jetzt,
Da Herrschaft nirgend ist zu sehn bei Geistern und Menschen.
Das ist, sie hören das Werk,
Längst vorbereitend, von Morgen nach Abend, jetzt erst,
Denn unermeßlich braust, in der Tiefe verhallend,
Des Donnerers Echo, das tausendjährige Wetter,
Zu schlafen, übertönt von Friedenslauten, hinunter.
Ihr aber, teuergewordne, o ihr Tage der Unschuld,
Ihr bringt auch heute das Fest, ihr Lieben ! und es blüht
Rings abendlich der Geist in dieser Stille ;
Und raten muß ich, und wäre silbergrau
Die Locke, o ihr Freunde !
Für Kränze zu sorgen und Mahl, jetzt ewigen Jünglingen ähnlich.

Und manchen möcht ich laden, aber o du,
Der freundlichernst den Menschen zugetan,
Dort unter syrischer Palme,
Wo nahe lag die Stadt, am Brunnen gerne war ;
Das Kornfeld rauschte rings, still atmete die Kühlung
Vom Schatten des geweiheten Gebirges,
Und die lieben Freunde, das treue Gewölk,
Umschatteten dich auch, damit der heiligkühne
Durch Wildnis mild dein Strahl zu Menschen kam, o Jüngling !
Ach ! aber dunkler umschattete, mitten im Wort, dich
Furchtbarentscheidend ein tödlich Verhängnis. So ist schnell
Vergänglich alles Himmlische ; aber umsonst nicht ;

Denn schonend rührt des Maßes allzeit kundig
Nur einen Augenblick die Wohnungen der Menschen
Ein Gott an, unversehn, und keiner weiß es, wenn ?
Auch darf alsdann das Freche drüber gehn,
Und kommen muß zum heilgen Ort das Wilde
Von Enden fern, übt rauhbetastend den Wahn,
Und trifft daran ein Schicksal, aber Dank,
Nie folgt der gleich hernach dem gottgegebnen Geschenke ;
Tiefprüfend ist es zu fassen.
Auch wär uns, sparte der Gebende nicht,
Schon längst vom Segen des Herds
Uns Gipfel und Boden entzündet.

Des Göttlichen aber empfingen wir
Doch viel. Es ward die Flamm uns
In die Hände gegeben, und Ufer und Meersflut.
Viel mehr, denn menschlicher Weise
Sind jene mit uns, die fremden Kräfte, vertrauet.
Und es lehret Gestirn dich, das
Vor Augen dir ist, doch nimmer kannst du ihm gleichen.
Vom Allebendigen aber, von dem
Viel Freuden sind und Gesänge,
Ist einer ein Sohn, ein Ruhigmächtiger ist er,
Und nun erkennen wir ihn,
Nun, da wir kennen der Vater
Und Feiertage zu halten
Der hohe, der Geist
Der Welt sich zu Menschen geneigt hat.

Denn längst war der zum Herrn der Zeit zu groß
Und weit aus reichte sein Feld, wann hats ihn aber erschöpfet ?
Einmal mag aber ein Gott auch Tagewerk erwählen,
Gleich Sterblichen und teilen alles Schicksal.
Schicksalgesetz ist dies, daß Alle sich erfahren,
Daß, wenn die Stille kehrt, auch eine Sprache sei.
Wo aber wirkt der Geist, sind wir auch mit, und streiten,
Was wohl das Beste sei. So dünkt mir jetzt das Beste,
Wenn nun vollendet sein Bild und fertig ist der Meister,
Und selbst verklärt davon aus seiner Werkstatt tritt,
Der stille Gott der Zeit und nur der Liebe Gesetz,
Das schönausgleichende gilt von hier an bis zum Himmel.

Viel hat von Morgen an,
Seit ein Gespräch wir sind und hören voneinander,
Erfahren der Mensch ; bald sind wir aber Gesang.
Und das Zeitbild, das der große Geist entfaltet,
Ein Zeichen liegt vor uns, daß zwischen ihm un andern
Ein Bündnis zwischen ihm und andern Mächten ist.
Nicht er allein, die Unerzeugten, Ewgen
Sind kennbar alle daran, gleichwie auch an den Pflanzen
Die Mutter Erde sich und Licht und Luft sich kennet.
Zuletzt ist aber doch, ihr heiligen Mächte, für euch
Das Liebeszeichen, das Zeugnis,
Daß ihrs noch seiet, der Festtag.

Der Allversammelnde, wo Himmlische nicht
Im Wunder offenbar, noch ungesehn im Wetter,
Wo aber bei Gesang gastfreundlich untereinander
In Chören gegenwärtig, eine heilige Zahl
Die Seligen in jeglicher Weise
Beisammen sind, und ihr Geliebtestes auch,
An dem sie hängen, nicht fehlt ; denn darum rief ich
Zum Gastmahl, das bereitet ist,
Dich, Unvergeßlicher, dich, zum Abend der Zeit,
O Jüngling, dich zum Fürsten des Festes ; und eher legt
Sich schlafen unser Geschlecht nicht,
Bis ihr Verheißenen all,
All ihr Unsterblichen, uns
Von euren Himmel zu sagen,
Da seid in unserem Hause.

Leichtatmende Lüfte
Verkünden euch schon,
Euch kündet das rauchende Tal
Und der Boden, der vom Wetter noch dröhnet,
Doch Hoffnung rötet die Wangen,
Und vor der Türe des Hauses
Sitzt Mutter und Kind,
Und schauet den Frieden
Und wenige scheinen zu sterben,
Es hält ein Ahnen die Seele,
Vom goldnen Lichte gesendet,
Hält ein Versprechen die Ältesten auf,

Wohl sind die Würze des Lebens,
Von oben bereitet und auch
Hinausgeführet, die Mühen,
Denn Alles gefällt jetzt,
Einfältiges aber
Am meisten, denn die langgesuchte,
Die goldne Frucht,
Uraltem Stamm
In schütternden Stürmen entfallen,
Dann aber, als liebstes Gut, vom heiligen Schicksal selbst,
Mit zärtlichen Waffen umschützt,
Die Gestalt der Himmlischen ist es.

Wie die Löwin, hast du geklagt,
O Mutter, da du sie,
Natur, die Kinder verloren.
Denn es stahl sie, Allzuliebende, dir
Dein Feind, da du ihn fast
Wie die eigenen Söhne genommen,
Und Satyren die Götter gesellt hast.
So hast du manches gebaut,
Und manches begraben,
Denn es haßt dich, was
Du, vor der Zeit
Allkräftige, zum Lichte gezogen.
Nun kennest, nun lässest du dies ;
Denn gerne fühllos ruht,
Bis daß es reift, furchtsamgeschäftiges drunten.

La traduction proposée par Patrick Guillot ici

[15Nom latin d’Héraklès. Un des plus constants héros de la poésie d’Hölderlin. Celui qui dès le berceau étouffa les serpents. Modèle d’audace dans sa jeunesse, il devient le premier membre (celui qui ouvre) de la triade médiatrice (trèfle) qu’il forme avec Dionysos et le Christ.

[16Siège des dieux d’en haut, montagne de Thessalie.

[17Déesse germanique de la fécondité et de la croissance.

[20Nom souvent donné à l’Evios, ou Bacchus, ou Dionysos.