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Diderot, Céline, Vailland, Beauvoir, Sollers
à la télévision : c’est possible ! (enfin : ça le fut)

Bernard Rapp, Caractères, automne 1991

D 16 juin 2023     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


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Sollers citant Flaubert en 1991 :
Est moral ce qui est beau.
Un point, c’est tout.


Médiatiquement vôtre !

Depuis la mort de Sollers, je suis frappé par l’accent mis dans de nombreux témoignages sur le Sollers « médiatique », tantôt pour réduire l’écrivain à ses interventions dans les médias afin d’éviter qu’on lise ses livres (« la tête de Jivaro » dont parlait Barthes), tantôt pour nous inviter à vite oublier ces mêmes interventions afin de pouvoir enfin le lire. Ces réactions aux objectifs opposés me semblent ignorer pourquoi Sollers est si souvent intervenu dans la presse, à la radio ou à la télévision, bref à quelle stratégie cela répondait pour l’écrivain que d’abord il était. Il faudra bien qu’un jour on en fasse l’analyse. Oserai-je l’avouer ? Je ne ratais pas une intervention de Sollers à la radio ou à la télé ! Et je peux témoigner que je ne suis pas le seul. Premièrement, parce que, ayant lu ses livres, j’y apprenais toujours quelques détails supplémentaires me permettant de relire tel ou tel passage sous un angle nouveau, parfois inattendu. Deuxièmement, parce que Sollers m’a souvent fait beaucoup rire ! Ce qui, on en conviendra, n’est pas rien. Il faudra faire une sorte de typologie des « rôles » que Sollers a joués et des « postures » qu’il a affectées à la télé (différents d’ailleurs de ses prises de position à la radio ou dans les journaux, ces dernières variant elle-mêmes selon le type de journal ou de rubrique : les chroniques du JDD (« Mon journal du mois ») sont très différentes de celles du Monde des livres ou du Nouvel Observateur (« la guerre du goût »), etc.). Quel acteur ! Quel acrobate ! Mais surtout quel lecteur !
Les interventions de Sollers varient aussi selon le type d’émissions télévisées. Elles ne sont jamais les mêmes si elles ont lieu à Tout le monde en parle d’Ardisson ou à Ce soir ou jamais de Taddei ou encore dans Apostrophes de Pivot. Il y a une capacité d’adaptation de l’écrivain assez extraordinaire ! Il y a le Sollers savant, précis, incisif, voire professoral, le Sollers imitateur (Mauriac, Mitterrand, Chirac), le Sollers clown, voire bouffon, le Sollers provocateur, le Sollers séducteur. Toujours à l’écoute. A l’aise. Sollers dandy ? Au sens où lui-même en parle : « Le dandy est donc habillé de son esprit, lequel se fait sentir même s’il ne dit rien. Le costume peut être un peu bizarre, mais Baudelaire a raison : "Simplicité absolue, meilleure manière de se distinguer." Baudelaire, encore : "Le mot "dandy" implique une quintessence de caractère et une intelligence subtile de tout le mécanisme moral de ce monde" [1]. » Au fil du temps, le style lui aussi change. La parole, longtemps rapide (vitesse de Sollers, à l’écrit comme à l’oral !), se fait plus posée tandis que le corps s’épaissit et, tout simplement, vieillit. Dans ses dernières apparitions, il arrivait même à Sollers d’agiter sa canne comme Chaplin, un Charlot connaissant parfaitement le monde du spectacle et ne le craignant pas. Devant toutes ces images (les « images sociales » : toujours Barthes), un vrai kaléidoscope, on comprend que certains, irrités ou fascinés, aient un peu le tournis ! Pourtant Sollers a souvent précisé ses positions, par exemple dans Un vrai roman, ses « Mémoires » (2007, Folio, p. 197-198) :

« Le Système enregistre bien que vous lui cachez quelque chose, mais quoi ? Un détail le frappe : vous parlez aux appareils, jamais (ou à peine) à ceux qui les dirigent, comme si vous vous exprimiez toujours pour quelqu’un de solitaire, présent ailleurs, plus tard. Vous venez de très tôt, vous visez le plus tard. Paradoxalement, vous êtes en complicité immédiate avec les techniciens et les techniciennes, cameramen, camerawomen, preneurs de son, maquilleuses, monteurs et monteuses. L’animateur ne comprend pas grand-chose à ce que vous dites, eux non plus, ne parlons pas du public endormi des plateaux sommé d’applaudir par secousses, mais les micros, eux, sont très réveillés, ce sont vos alliés. Rien de plus humain qu’un micro, à l’heure de la surdité et de l’absurdité générales. Bref, ayez confiance : la technique vous veut du bien. »

Tous les « animateurs », certes, ne sont pas à mettre sur le même plan, « mais [c’est ça que "quelqu’un de solitaire" doit aussi retenir] les micros, eux, sont très réveillés, ce sont vos alliés ».
Démonstration. Prenons les émissions littéraires. Quand on voit ce qu’elles sont devenues (comme la critique littéraire ou ce qu’il en reste), on peut avoir quelque nostalgie. C’est ce que je me suis dit en voyant la dernière émission d’Auguste Traquenard La Grande Librairie dont Haenel a fait récemment une verte critique (cf. Un lynchage à la télé) à propos de la manière dont fut traité le Franz Kafka de La métamorphose par de piètres écrivaillons (j’avais tapé « pitre » au lieu de « piètre »). Haenel a d’ailleurs été bien aimable de ne pas relever les propos affligeants de tel autre écrivain (mais était-il sérieux ?) sur Stendhal et Le Rouge et le Noir, roman « horrible, interminable, qu’on ose encore enseigner au lycée » (le même écrivain, en hommage sincère à Sollers, bafouillant récemment quelques passages de Paradis sur France Culture). De quoi décourager le lecteur bénévole...
Nostalgie. Où est le temps d’Apostrophes, de Bouillon de culture ?, me disais-je.
Mais Pivot, s’il dura plus longtemps au point d’éclipser tous les autres, ne fut pas le seul. Fouillant dans mes archives, je me suis souvenu d’une autre émission, animée par Bernard Rapp : Caractères. Elle se tint sur Antenne 2, puis sur France 3 au début des années 90 et, hélas, ne dura que deux ans. A l’automne 1991, Bernard Rapp, journaliste cultivé, vif, subtil, élégant, avec son côté british, avait invité le critique littéraire Pierre Lepape pour une biographie de Diderot, Philippe Sollers pour sa préface aux Lettres à la NRF de Céline, le journaliste Yves Courrière pour Roger Vailland, un libertin au regard frois et une biographe américaine, Deirdre Bair (auteure d’un Samuel Beckett), pour une biographie pleine de révélations de Simone de Beauvoir.
Diderot, Céline, Vailland, Beauvoir dans la même émission !

Denis Diderot par Pierre Lepape

LIRE : Diderot bouge encore, Sollers le ressuscite

Louis-Ferdinand Céline par Philippe Sollers

LIRE : Philippe Sollers : Préface aux Lettres à la NRF
Philippe Sollers : Contre-attaque

Roger Vailland par Yves Courrière

Simone de Beauvoir par Deirdre Bair

LIRE : Simone de Beauvoir

« Dans la carrière de Bernard Rapp, Caractères succède à My télé is rich. Cette émission littéraire a été installée le vendredi en deuxième partie de soirée, soit la case qu’occupait Apostrophes (Bernard Pivot) jusqu’en juin 1990, sur Antenne 2. Dans les pages de Télé 7 jours, le journaliste expliquait au moment du lancement : « En prenant la relève, à sa demande, de Bernard Pivot, je me trouve en charge d’une des émissions emblématiques d’Antenne 2. Il faut donc qu’il y ait une vraie continuité ». – Le décor de Caractères a été construit sur le studio 40, le même qu’Apostrophes. La musique du générique a été signée par Jean-Philippe Goude (Un siècle d’écrivains, Permission de minuit, France Europe Express, Complément d’enquête…).
– Après une saison sur Antenne 2, le rendez-vous présenté par Bernard Rapp a basculé sur FR3 à la rentrée de septembre 1991. Depuis plusieurs mois, Bouillon de culture (encore Pivot) avait été lancé sur la chaîne publique, dans un même registre. Lorsque Caractères a été stoppée en décembre 1992, l’émission de Bernard Pivot a changé de case, pour s’installer le vendredi soir.
– La dernière du 18 décembre 1992 a été consacrée aux meilleurs moments depuis le lancement de l’émission.
– A la suite de l’arrêt de Caractères, Bernard Rapp a enchaîné avec Jamais sans mon livre, une autre hebdomadaire consacrée à la littérature. Entouré par plusieurs chroniqueurs, le journaliste donnait alors rendez-vous chaque dimanche à 17h55 sur France 3. »

Bernard Rapp, né le 17 février 1945, est décédé le 17 août 2006. VK lui avait rendu hommage sur Pileface.


[1Ph. Sollers, Métaphysique du dandysme, 2011.