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L’INFINI 148 (Printemps 2022) en avant-première

Eric Marty Sur un autoportrait d’Andy Warhol

D 1er mai 2022     A par Viktor Kirtov - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Voici le sommaire de L’Infini 148 dont la disponibilité en librairie est annoncée pour le 26 mai

L‘Infini 148 succède à L’Infini 147 (Printemps 2021), il y a un an. La revue trimestrielle est devenue de facto une revue annuelle. Les inédits se font plus rares.
Consolons nous en nous disant que ce qui est rare est cher, et profitons des éclairs furtifs qu’elle projette encore :


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A découvrir dans le numéro 148

Quelques nouveautés :

- Roberto Calasso, le divin avant les dieux (un extrait de son dernier livre Le chasseur céleste)

- Philippe Sollers, Graal (si vous ne l’avez pas encore lu)

- Marc Pautrel, L’enterrement de Poquelin Molière (intégrale du roman, à lire dans ce numéro de la revue)

- Arnaud Jamin, La parole de François Fédier
A propos de François Fédier, voir aussi sur pileface :
- Mort de François Fédier, spécialiste et traducteur de Martin Heidegger

Les autres entrées ne sont pas vraiment des nouveautés :

- Marcelin Pleynet : L’instant romain
sur pileface ICI

- Yannick Haenel, le Trésorier-payeur était déjà au sommaire du numéro précédent de L’Infini et objet d’un article de la revue AOC de 2018, et sur pileface ICI. Livre annoncé pour parution chez Gallimard en août 2022.

- Julia Kristeva, Prélude à une éthique du féminin.
Il s’agit d’une présentation à Londres, au Central Hall Westminster lors du Congrès international de l’Association psychanalytique internationale – API le 24 juillet 2019 et de la 25e Conférence de l’IPSO (International Psychoanalytical Studies Organization) les 24-27 juillet) et disponible sur le site de l’auteure (Voir ICI)

- Eric Marty, Sur un autoportrait d’Andy Warhol , aussi disponible sur le site de l’auteur et repris ci-après :


Eric Marty Sur un autoportrait d’Andy Warhol :

Le 17 septembre 2021 au Centre Pompidou


Andy Warhol, Self-Portrait in Drag
(couverture du livre d’Eric Marty, Le Sexe des modernes © éditions du Seuil)
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Thomas Clerc dans le cadre du Festival de la littérature vivante, EXTRA !-du Centre Pompidou, a donné chaque soir du 9 au 19 septembre un « toast » à un livre et un auteur qu’il aimait. Le vendredi 17 septembre, c’était mon tour pour mon Sexe des Modernes, Pensée du Neutre et théorie du genre. Un toast appelle une réponse, voici qu’elle fut la mienne après l’avoir entendu.

L’image qui figure sur la couverture d’un livre peut être son ombilic. C’est ce rôle que j’ai voulu pour le mien, une œuvre d’Andy Warhol intitulée Self-Portrait in Drag : autoportrait en travesti. J’ai eu le désir d’en parler d’autant plus qu’elle est présente dans les collections du Musée d’art Moderne du Centre. Elle a été acquise par Bernard Blistène en 1993. Il s’agit d’un polaroid de 1981 qui appartient à une série d’autoportraits, et dans cet ensemble fascinant, celui que j’ai choisi est à mon avis le plus beau, ou en tout cas celui qui correspond le mieux à mon propos, à ma propre sensibilité.

L’idée de le placer en couverture du livre m’est venue assez tôt quand j’en écrivais la deuxième partie, précisément consacrée au travesti, qui est la partie la plus esthétique de l’essai où je tente de mettre en évidence que le trouble dans le genre, s’il a lieu, ne peut avoir lieu que par le trouble dans le regard, le trouble du regard, que par un trouble de la représentation du sujet sexué, que par les artifices du simulacre et de la simulation : photographie, cinéma, tableau, maquillage, lumière… quand émerge de l’image l’inattendu et l’incertitude sexuelles. S’il y a trouble dans le genre c’est parce que le genre, avant toute chose, est une image, est image – figée ou trouble selon les cas – et cela dans une déclinaison infinie de possibles, une déclinaison réversible puisqu’il arrive qu’une image fixe d’un genre – qu’on pense aux Marilyn de Warhol – peut être plus trouble qu’une image trop intentionnellement trouble.


Jenny Livingston Paris is burning
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J’étais en train de travailler à sorte de confrontation entre plusieurs images du travesti : celle que propose Butler avec son exemple standard du drag queen censé être une expérience, selon elle, presque fondatrice du trouble dans le genre, celle que propose Barthes dans L’Empire des signes, le travesti oriental du théâtre kabuki, puis encore avec Butler lorsqu’elle quitte le stéréotype du drag queen pour accéder avec le film Jenny Livingston, Paris is Burning, à un véritable du trouble du genre et de la représentation optique en projetant de manière quasi-hallucinatoire ce qu’elle appelle le phallus lesbien sur corps travesti d’un jeune afro-américain (Le Sexe des Modernes, p. 205-236) : trouble auquel elle renonce finalement parce qu’au fond la question du visible n’est pas pour elle pertinente : risque de la fascination , risque de ce qu’elle appelle une logique de fétichisation « a logic of fetichization » (p. 231-232). Cette logique du fétiche si essentielle peut-être.

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Avec Barthes on a une expérience esthétique sophistiquée grâce au dispositif photographique proposé par son livre : expérience je dirais – pardon pour le mot – sémiologique.

C’est-à-dire une expérience de la déconstruction du genre qui passe par un axiome moderne : les essences, les substances, la psychologie, le concept, l’idée même de femme, tout cela est balayé par l’empire des signes, par celui des simulacres. S’il n’y a ni essence, ni concept de la femme, c’est parce que la femme, ou plutôt le féminin, n’est ni un concept, ni une idée, c’est une configuration de signes. C’est-à-dire un jeu propice à toutes les manipulations sans pour autant que, dans ces manipulations, l’idée de la femme puisse y être compromise, c’est-à-dire puisse y faire retour sous quelle que forme que ce soit, y compris par un retour du refoulé. Ce retour du refoulé auquel on assiste aujourd’hui avec le phénomène Trans : « Je suis une femme dans un corps de garçon ».

C’est alors que j’ai pensé à Warhol, et à ses fameux autoportraits. Et que je me suis dit qu’il fallait absolument que l’un d’eux figure sur la couverture, et parmi eux donc celui que j’ai choisi où Warhol, visage blanchi, parfaitement dessiné par un maquillage d’une grande netteté, d’une grande évidence sémiotique, nous regarde. Visage tourné vers nous tandis que le corps presque absent est, lui, on le devine, de profil. Tête dévissée en quelque sorte. Je voulais (et j’étais presque certain d’y parvenir) donner à éprouver au lecteur la sensation que toute sexualisation ou toute sexuation est fiction, et cela résumé en une seule image, par une seule image. Tout le livre dans cette fabuleuse miniature warholienne. Que je voudrais déplier maintenant en quelques fragments, en 12 fragments.

Fragment 1. Pourquoi Warhol – et pas seulement cette œuvre totalement queer – est-il absent dans la démarche de Butler ? qu’est-ce qui ne coïncide pas dans l’histoire culturelle et intellectuelle des LGBT ? Pourquoi cette ellipse et cet effacement de Warhol ? On pourrait penser que le Pop’, le Pop’ art, dont Warhol est l’un des fondateurs, obéit à un geste pourtant politiquement juste, et même socialement juste, qui dénonce les illusions « patriarcales » de l’artiste – par le refus de la création –, qui dénonce les illusions idéologiques de l’art lui-même, et pourrait s’inscrire dans la sociologisation du monde que promeut Butler : car les œuvres de Warhol, depuis la série des boîte de soupe Campbells jusqu’aux sérigraphies de Marilyn ou de Mao, sont sociologiques autant qu’un roman de Balzac. Et pourtant ça ne marche pas avec Butler. La Factory de Warhol, c’est encore l’atelier de Leonard de Vinci, et Warhol, parce qu’il est un artiste, utilise la critique de l’art à nulle autre fin que de faire encore de l’art. Sa sociologie à lui, bien réelle pourtant, demeure formaliste.

Warhol – et par exemple ces fameux self-portrait in drag qui précèdent de presque dix ans Trouble dans le genre – n’envisage pas la reproductibilité de l’objet Pop’ comme le sociologue envisage une enquête sociale dont les résultats doivent être reproductibles. La série warholienne envisage la reproductibilité dans un tout autre sens. Un sens qui précisément passe par une logique de fétichisation. La logique du fétiche.

Fétiche au sens fameux de Marx dans le livre I du Capital, le fétichisme de la marchandise : la série est une mise en scène fantasmagorique de l’objet marchand : processus d’effacement du travail, de la force de travail qui s’y dissimule. Fétiche alors du côté de la sublimation de l’objet. De la Chose.

Fragment 2. La reproductibilité du Pop’ warholien, et de la photographie n’est pas celle de l’expérience sociale dont Butler attend qu’elle se répète toujours sous la même forme, qui est celle du langage ordinaire. Par exemple : on éclate de rire en voyant le drag queen, dit-elle, car on prend conscience que le modèle féminin est un cliché, un stéréotype.

Le drag warholien ne fait pas rire, on n’éclate pas de rire : la série dans laquelle le drag s’inscrit fascine. Sa sérialité n’est pas celle des échantillons que le sociologue accumule pour fonder le mécanisme social en artefact reproductible.

Bref, le drag warholien – pourtant crucial dans l’histoire queer – ne parvient pas à intégrer les nouvelles références que le queer butlérien propose. Déjà du drag queen américain, Butler ne retenait nullement la composante camp [1].
à laquelle Esther Newton, à qui pourtant elle emprunte tant, associe le travesti dans son œuvre fondatrice sur la question Mother Camp (1972) : trop dandy, trop snob, trop kitsch, trop baudelairien, trop aristocratique. Mais peut-être n’y a-t-il jamais eu de véritables troubles dans le genre qu’à partir de positions aristocratiques, élitistes, esthétiques, voire snob.

Fragment 3. À propos de son film Women in revolt (1971), conçu avec Paul Morrissey, où jouent les travestis de la Factory (Jackie Curtis, Candy Darling, Holly Woodlawn) Warhol écrit : « Je suis fasciné par les garçons qui passent leur vie à essayer de devenir totalement filles, car cela représente un travail énorme, double, pour se débarrasser de tous les signes révélateurs de masculinité et acquérir tous les signes féminins ». Il s’agit bien de signes chez Warhol et rien d’autre, il s’agit aussi de travail, un « travail énorme » Énormité devenant norme », pour reprendre la formule de Rimbaud dans la lettre du Voyant.

Il s’agit bien de fascination : « Je suis fasciné… » dit-il.

C’est cette fascination que Warhol investit dans son propre autoportrait : car il se regarde dans un état d’auto-fascination non pour lui-même mais pour là où il n’est pas : un dispositif qui configurent les signes du féminin en dehors de toute identité, un dispositif qu’il ne peut que constater, hébété… Mais sans aucun doute pour le formalisme, la fascination – permise par la série, le trucage, le travail de la forme – n’est nullement incompatible avec une position « critique », contrairement à ce que Butler peut croire et qui l’a faite reculer devant l’image fascinante des jeunes travestis latinos ou afro-américains de Paris is Burning. Fascination et critique sociale peuvent appartenir au même univers, c’est l’une des leçons de Warhol, et c’est aussi celle qu’on peut tirer de L’Empire des signes, qui est un livre de fascination mais tout entier tourné aussi vers une critique du régime des signes de l’Occident.

Fragment 4 C’est cette fascination que Warhol exprime encore plus littéralement à propos de Silva Thins [2], autre travesti dont il a fait une photo très célèbre dans un polaroid 1975, et qu’il voulait faire jouer dans son film Vicious. Un interviewer [3] demande à Silva Thins « Donc pour écarter tout malentendu, vous êtes une femme ? », Silva Thins répond « non », et Warhol intervient : Elle est une mosaïque (« She’s a mosaic… a collage of the sexes… ») l’interviewer demande alors s’il/elle est bisexuel.le ? et Warhol répond à sa place, à la place de Silva Thins (qui est donc devenu la sienne) : « Non pas bi-sexuel. Il ne porte pas des vêtements de filles mais il porte du rouge à lèvres. » (« No not AC-DC. He doesn’t wear girl’s clothes, but he wears lipstick »)

Tout est vu formellement, en termes de pratique esthétique : « a collage of the sexes » mais ce qui me frappe le plus c’est qu’ici Warhol renonce à l’idée du travesti comme totalité : « il ne porte pas des vêtements de filles mais il porte du rouge à lèvres » : to wear… Le rouge à lèvres suffit : nous sommes dans l’empire d’un seul signe, un seul signe suffit : le rouge à lèvres

Voilà le trouble dans le genre : le genre est un maquillage. Une forme. Ce que les Allemands appellent une Gestalt. Mais sous la forme du fragment.

Fragment 5. Le self-portrait in drag de 1981 pourrait être lu comme le reflet du polaroid qu’il a fait de Silva Thin en 1975. Il n’y a pas de corps, pas de simulation du féminin par les vêtements, par des seins postiches, pas d’hyperbolisation de la matière féminine, rien d’hormonal comme avec le drag queen, pas de chair : la chevelure qui pourrait jouer ce rôle d’une opulence obscène et envahissante du féminin, propose au contraire, une coupe très retenue, admirablement dessinée, pétrifiée, boisée, qui aurait la dureté de l’ébène. Le féminin est dessin, écriture sur la page blanche du visage, dessin des sourcils devenus simple trait de crayon, des cils dont l’allongement est artifice.

Ce qu’évite soigneusement Warhol dans son self-portrait comme dans le portrait de Silva Thin, c’est le sexe : il l’évite doublement : il l’évite sous la forme des prothèses habituelles du drag queen (énormes seins, perruque choucroute, dentelles froufroutantes), il l’évite également sous la forme elle aussi habituelle du drag queen : la présence fantôme et burlesque du phallus qui se ballade sous la robe.

La « femme », telle que Warhol joue à la réécrire, est un sujet dé-génitalisé : qui ne fait revenir à aucun moment ni par aucun interstice, l’idée de la femme. Le signe sans l’idée, le signifiant sans le signifié. Sans le référent génital. Là est le vrai trouble.

Fragment 6. Si la génitalité du modèle – celle de Warhol in drag – est ainsi absente, c’est peut-être aussi en raison du Polaroid qu’il emploie et dont je vais bientôt dire quelques mots. La focale, la lumière, la mise au point, la vitesse sur l’appareil que Warhol utilise sont si rudimentaires et standards qu’il obtient alors – chose rare – des photos sans presque de profondeur, où la tridimensionnalité est comme suspendue, ou réduite au minimum, où la photo est la plus plate possible. C’est peut-être pour cela que le génital, même virtuel, n’émerge d’aucun endroit, d’aucun point de perspective, dans aucun aspect, même fantasmatique, du travestissement de Warhol.

Peut-être parce que le génital est toujours associé à une troisième dimension de l’image corporelle : que ce soit la cavité du vagin ou le relief phallique.

L’être féminin incarné de Warhol n’aspire pas à usurper le sexe génital de la femme. Il n’aspire même pas à être une femme.

Fragment 7. Les self-portraits comme la plupart des portraits de Warhol obéissent à deux mécanismes : celui du Polaroid donc et celui de la longue séance de maquillage préalable. Ce qu’il appelle la « make-up session » : the white make-up est au cœur du dispositif. Il ne s’agit pas seulement d’effacer les irrégularités du visage qu’accrocherait la lumière et notamment le flash du Polaroïd. Tout le monde a remarqué la proximité que Warhol obtient chez son modèle avec l’acteur du théâtre japonais, le Kabuki [4] : celui-là même que Barthes choisit pour L’Empire des signes, pour son travesti à lui.

Warhol obtient ainsi pour son autoportrait un étrange noir et blanc fragmentairement colorisé, par les lèvres notamment : le comble d’artifice photographique.

Quel photographe maquille ses modèles ?

Il s’agit enfin pour Warhol en appliquant ce maquillage blanc sur la totalité du visage d’effacer la personne qu’il est, de s’impersonnaliser tout en se féminisant : comble du trouble dans cette fixité soudaine de tout : lèvres, regard, cheveux…

Il y a là alors une simplification extraordinaire de toute la personne et de tout le genre qu’il porte. Simplification au sein même de cette simulation que constitue le travestissement.

Fragment 8. Le Polaroid que Warhol utilise est donc l’un des plus rudimentaire. C’est le modèle baptisé « Polaroid Big Shot », fabriqué seulement de 1971 à 1973, impliquant pour le photographe de se placer à une distance standardisée du modèle, permettant essentiellement de prendre le modèle « head and shoulder », « tête et épaules », avec un flash intégré au boitier, produisant une lumière identique pour toutes les photos. Une lumière égale et plate.

Cette simplification appartient à l’art de Warhol et à sa technique, notamment au choix de la simplicité pure du Polaroid, et de ce Polaroid-là : automaticité, focale fixe, vitesse et lumière entièrement déterminée par le flash. Maigre qualité de la définition de l’image qui perd en précision, image presque sans grain. Le visage féminin de Warhol est réduit à sa forme possible la plus primitive, représentation schématique de la face. Le format de l’image est lui-même réduit, sans extension, format stéréotypé et pour cela véritablement iconique.

Fragment 9. Pourtant Warhol déclare à propos de son Polaroid, le fameux Big Shot : « il y a quelque chose dans l’appareil photo qui rend la personne parfaite. » « There is something about the camera that makes the person look just right. » (Cité par Cheyenne Morrison, « The Big Shot Polaroid – Andy Warhol’s Pen Pencil », April 29, 2019, in Casualphotophile.com)

Quelque chose : c’est l’aura de la mécanicité même de l’appareil, c’est l’aura du rudimentaire. Sans le côté farce du photomaton surréaliste. Le Photomaton qui a été en quelque sorte un pré-polaroid.

Fragment 10. Le Polaroid – comme le photomaton – nous éloigne du geste créateur, de tout geste créateur, pas seulement par les limites imposées à la prise de vue mais aussi par l’automaticité et l’instantanéité du développement. Nous sommes alors vraiment dans l’icône pure. Ce qu’en termes savants on appelle acheiropoïète, c’est-à-dire littéralement, non fait de main d’homme.

Mais ces autoportraits sont d’autant plus « non-fait-de-main-de-Warhol » qu’on suppose que le seul acte manuel que le Polaroid réclame, appuyer sur le déclencheur, a dû être effectué par un autre, sans doute par son ami Christopher Makos.

Fragment 11. Vous le savez sans doute, Warhol a fait une extraordinaire sérigraphie en 1962 intitulée Marilyn Monroe lips, les lèvres de Marilyn Monroe. Où l’on ne voit que la bouche de Marilyn reproduite 168 fois (12 x14) : Nous sommes alors dans l’œuvre-fétiche. Non plus cette fois-ci au sens de Marx mais de Freud. L’œuvre-fétiche où peut-être alors quelque chose du sexe sacrifié de l’artiste – de Warhol – se projette dans cette reproduction fascinante : et où dans ces lèvres de Marilyn quelque chose de la turgescence du pénis : brillance, gonflement, pulsation, apparaît. Les lèvres de Marilyn bandent. Girl is phallus pour reprendre la formule de Lacan.

Par contraste, il y a tout autre chose dans le petit visage blême et apeuré de Warhol dans l’autoportrait, nullement glamour comme il est parfois présenté par conformisme : quelque chose du fétiche de l’œuvre est encore là, par exemple dans cette perruque dure, sombre, pétrifié, vernie : mais le fétiche alors a pris une autre dimension, proche de l’angoisse.

Fragment 12. En 1982, un an après ses self portraits in drag, Warhol photographie – toujours au Polaroid – et avec le même Polaroid, le Big shot, Sonja alors la princesse de Norvège, actuelle reine du pays. Il y a une quarantaine de photos de la presque reine. Ce qu’il appelle lui-même les « royal Polaroid » … Les Polaroid royaux.

Le portrait de la future reine, the queen, imite l’autoportrait de Warhol en travesti, il la fait poser tel qu’il a été, tel qu’il a posé lui-même, il la maquille tel qu’il a été maquillé, il la coiffe tel qu’il a été coiffé, même pose, même cadre, même blancheur, même éclairage, même absence de décor, même fond neutre. Au sourire près.

The queen imitates the transvestite ; she is the only drag queen. La reine imite le travesti : elle est l’unique drag queen.

La réel imite le simulacre. Le trouble alors est là, littéralement et dans tous les sens.


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Crédit : www.eric-marty.fr


[1Le “camp” est une sorte d’esthétique née dans le milieu homosexuel américain des années 1960-1970 caractérisé par le second degré.Voir sur ce point Susan Sontag, Notes on « Camp » (1964) et aussi le film d’Andy Warhol intitulé Camp (1965)

[2Silva Thins est le pseudonyme de Jeremy (Jerry) Ayers ( mort en 2016) qui fut l’un de ses modèles, très actif à la Factory dans les années 1970, devenu par la suite lui-même photographe

[3So for all intents and purpose you are a girl ? I’ll be your mirror the selected Andy Warhol interview. Kenneth Goldsmith, Da Capo Press, 2009.

[4Clément Chéroux, “The Age of the mechanical Aura” in Warhol’s queen, Hatje Cantz, 2013, p. 17 ou encore Vincent Frémont Andy Warhol Polaroids 1971-1986, Pace/MacGilll Gallery, New-York, 1992, p. 6.

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1 Messages

  • Thelonious | 29 juin 2022 - 09:53 1

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    Sur une photo extraite du n° 148 : Philippe Sollers, légende(s) possible(s)

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    "Le métier de dormir"

    Ou : "Ne travaillez jamais"

    Ou :" Portrait du dormeur, portrait du penseur"

    Ou :" Ne me réveillez pas, je travaille"

    Ou : "Penser, c’est écrire (dormir) sans accessoires"

    Ou : "Le droit à la paresse"

    Ou : "Une apologie des oisifs"

    Ou :" Une vie divine"