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Surprenant Confucius

Les Entretiens de Confucius, 论语 Lúnyǔ -

D 5 novembre 2009     A par Albert Gauvin - C 12 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Mise à jour le 10 mai 2011

Confucius et ses élèves. Peinture sur soie (dynastie Song ?)

« Si nous ignorons [les Entretiens de Confucius], nous nous interdisons le principal accès à l’univers chinois, et quiconque ignore la Chine se condamne à n’atteindre jamais qu’une compréhension très limitée de l’expérience humaine. »

Simon Leys, Le Magazine littéraire, novembre 2009.

Tout le monde se souvient de la grandiose cérémonie d’ouverture des J.O. de Pékin : Confucius y était mis à l’honneur dans un mélange de propagande nationaliste et olympique — certaines sentences extraites des Entretiens transformées en slogans. C’est que, après plusieurs décennies de critique du confucianisme — du Mouvement du 4 mai 1919 à la fin de la Révolution culturelle [1] —, Confucius, par un curieux mouvement de balancier, semble, depuis une vingtaine d’années, réhabilité par les autorités et certains idéologues chinois, au point que, en 2006, le Lun yu a été réédité massivement, dans une version passablement édulcorée et conservatrice, dans le format même du Petit livre rouge [2] ! Volonté de refonder sur une très ancienne tradition une idéologie et une morale "communistes" malmenées à l’heure de l’avenir harmonieux du "socialisme de marché" ?
Dans l’excellent dossier consacré à « Confucius » par Le Magazine littéraire du mois de novembre [3], Simon Leys écrit : « Lu Xun a observé (dans un autre contexte) que, chaque fois qu’un génie original se manifeste en ce monde, les gens s’efforcent aussitôt de s’en débarrasser. À cette fin, ils usent généralement de deux méthodes : la première c’est la suppression pure et simple — on isole le personnage en question, on l’entoure d’un mur de silence, on l’enterre vivant. Si ces manoeuvres restent sans effet, on passe à la seconde méthode, bien plus radicale et redoutable, la glorification : on hisse la victime sur un piédestal, on l’encense, et on en fait un dieu. De son vivant, Confucius subit le premier traitement ; une fois mort, le second. » Il s’ensuit deux mille ans de « confucianisme au service du prince », une « religion d’État » qui empêche la compréhension de la pensée véritable du Maître. Simon Leys ne craint pas de faire le rapprochement entre les Entretiens de Confucius et les Évangiles d’un nommé Jésus [4]. Il y aurait donc deux mille ans de confucianisme à passer au crible pour retrouver le sens originel des paroles de Confucius comme il faudrait « faire le tri » dans deux mille ans de christianisme pour relire d’un oeil neuf les Évangiles [5] ? Le travail est en cours. Il est passionnant.
Concernant Confucius, écrit encore Simon Leys, l’étranger a, sur les Chinois, un avantage : « sa candide ignorance. Nulle orthodoxie traditionnelle [...], nul dogme progressiste ne lui ont d’avance gâté ses pages, et il va pouvoir les lire sans préjugés, dans toute leur vie et leur fraîcheur originelle. » [6]
Charles Le Blanc et Rémi Mathieu viennent de présenter en Pléiade les célèbres Entretiens de Maître Kong ainsi qu’un certain nombre d’écrits de philosophes confucianistes. Philippe Sollers les a relus et en parle dans le dernier numéro du Nouvel Observateur (5-11-09).

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Confucius au septième ciel !


The Art Archive
Bouddha, Confucius et Lao-Tseu
(peinture du XVIIIe siècle)

par Philippe Sollers

Au fond, en 1974, dans son grand délire final de Révolution culturelle, Mao voyait juste : son adversaire principal n’était pas la marionnette militaire qui voulait l’assassiner, Lin Piao, mais bel et bien un spectre du Ve siècle avant notre ère, Confucius. D’où l’effarante campagne de masse « pi Lin, pi Kong » ( « critiquer Lin, critiquer Kong ») agitant brusquement la Chine entière sous les yeux de l’Occidental ahuri (j’étais là [7]). A ma droite, donc, l’ultra-réactionnaire Confucius-Kong, dévot de l’ordre millénaire patriarcal, de la piété filiale, du juste milieu, un vilain et vieux conformiste misogyne et mangeur de femmes ; à ma gauche, le radieux et sanglant totalitaire Mao pourfendant le Sage des sages, le Maître des maîtres, le vrai Fils du Ciel, le souverain trop respecté en secret des esprits et des rites. Lutte titanesque et cocasse, digne de la Terreur de la Révolution française voulant à tout prix éradiquer le culte de Jésus-Christ.

Trente-cinq ans plus tard, en Chine, Confucius est de retour, les études sur lui se multiplient, le capitalisme se porte à merveille, faisant peu à peu de l’Empire du Milieu la première puissance mondiale, et Mao, dans son mausolée, a tout le temps de méditer, comme une surprise dialectique, cette formule de « la Pratique équilibrée », un des classiques du confucianisme : « Dépasser la mesure ne vaut pas mieux que de ne pas l’atteindre. » Dès 1987, dans sa présentation de sa traduction des « Entretiens » de Confucius, Pierre Ryckmans (alias Simon Leys) disait que « nul écrit n’a exercé une influence plus durable sur une plus grande partie de l’humanité », et que, «  sans cette clé fondamentale, on ne saurait avoir accès à la civilisation chinoise. » [8].
Cette clé multiple, là voici désormais en Pléiade grâce au patient travail de Charles Le Blanc et Rémi Mathieu. Travail difficile, puisque les paroles du Maître ont été recueillies, compilées, ruminées et développées par ses disciples, notamment Meng zi et Xun zi. C’est toute l’école confucianiste qui est ici représentée, parfois contradictoire, mais toujours irradiée par la personnalité hors norme de son fondateur. C’est parfois long et fastidieux, loin des fulgurations taoïstes anarchisantes, mais profondément révélateur de ce qui n’est ni une religion (on est aux antipodes du bouddhisme, fût-il tibétain) ni une morale simpliste. L’essentiel est une pratique en situation : quelqu’un pose une question, le Sage y répond de façon elliptique ou anecdotique, on est sans cesse dans le concret en fonction de la Voie (dao) assimilée à une Grande Etude. On sait que Confucius, mort en 479 avant notre ère, avait des ambitions politiques et qu’il a échoué. Il s’est rabattu sur l’enseignement « ouvert indifféremment à tous » (grande révolution), et tant mieux puisque nous le voyons vivre et parler comme s’il se promenait parmi nous.

Surprenant Confucius : je doute qu’un officiel politique chinois d’aujourd’hui ou un milliardaire affairé comprenne vraiment ce que ce curieux philosophe entend par « humanité » (ren) ou par « homme de bien » (junzi), termes qui renvoient à des réalités beaucoup plus profondes que « droits de l’homme » ou « honnête homme ». Ce bizarre enseignant itinérant qui n’ouvre sa porte qu’à ceux qui « trépignent d’apprendre » et ont quelque chose à dire (le premier venu peut entrer, mais il faut qu’il fonctionne, sans quoi on le laisse tomber) passe son temps à s’enseigner lui-même et se perfectionne en perfectionnant les autres. On le voit mal en France, dans une université dévastée, et encore plus mal dans la compagnie de ceux qui se prétendent « philosophes ». Mais quel est donc son but ultime ? La joie. «  Celui qui sait une chose ne vaut pas celui qui l’aime. Celui qui l’aime ne vaut pas celui qui en fait sa joie. » Confucius en bonze poussiéreux ? Mais non, « c’est un homme qui, dans son enthousiasme, oublie de manger et, dans sa joie, oublie les soucis ; il ne sent pas l’approche de la vieillesse ». Voyons maintenant son autoportrait : « A 15 ans, je me suis consacré à l’élude ; à 30 ans, j’en avais acquis les fondements ; à 40 ans, je n’avais plus de doutes ; à 50 ans, je comprenais les dispositions du Ciel ; à 60 ans, je pénétrais le sens profond de ce que j’entendais ; à 70 ans, je suivais ce que mon coeur désirait sons excéder la juste mesure. » Ce perpétuel étudiant est mort à 73 ans, et on peut deviner que cela ne lui a fait ni chaud ni froid de mourir. Autre confidence d’une existence soumise à une détestation particulière de la part du mensonge « Si à 40 ans vous êtes encore un objet de haine, vous le serez toute votre vie. »

C’est un exilé de l’intérieur qui parle, un exclu du gouvernement des choses par les animaux de pouvoir. Il sait qu’après sa disparition il sera plus ou moins sanctifié, c’est-à-dire momifié par la routine, à l’opposé de sa vision extatique du Ciel. Personne ne le connaît donc ? Mais pourquoi ? « Je ne murmure pas contre le Ciel, je ne m’en prends pas aux hommes. J’étudie les choses les plus simples pour pénétrer les choses les plus élevées. N’est-ce pas le Ciel qui me connaît ? » A la limite, il pourrait ne plus parler, puisque ce fameux Ciel, sans rien dire, laisse s’accomplir toutes choses. Aux agités des systèmes et du calcul, aux énervés de l’action, il préfère, de façon très taoïste, le wuwei, le non-agir, qui rejoint l’activité céleste inlassable. On plonge là dans le passé millénaire et mythique de la Chine, avec ses héros emblématiques, Shun, par exemple, qui pour toute manifestation de souveraineté, s’asseyait face tournée vers le sud, et c’est tout. Vision lucide et sans illusion : « Seules la sagesse suprême et l’ignorance crasse sont immuables. » Tout s’écoule et change sans cesse, sauf ces deux pôles. Au milieu, si on peut dire, il y a le tourbillon des savoirs, des opinions, des affaires. On doit quand même s’inquiéter que l’ignorance crasse l’emporte sur la sagesse suprême, et que ne puisse plus briller la « Vertu lumineuse ». Mais, là encore, Confucius étonne : nulle plainte, nulle posture de supériorité, nulle arrogance, nulle vanité, nul orgueil. « L’homme de bien s’afflige de son manque de talent, il ne s’afflige pas d’être inconnu des autres. » Il parle avec retenue, il aime la musique et les arts, il trouve que l’humanité, cet océan, est « difficile ».

« C’est une force, écrit Leys, qui informe tout, mais que nul ne possède vraiment : on ne l’appréhende que partiellement ; on ne peut la saisir que dans ses manifestations et ses effets. » Sagesse insubmersible de la Chine, nullement religieuse, comme le prouve l’hostilité du confucianisme au bouddhisme et à ses vies dans des couvents. « J’ai déjà passé, à réfléchir, une journée entière sans manger, et une nuit entière sans dormir, mais sans résultat. Mieux aurait valu étudier. » On dit à Confucius qu’un dignitaire agit seulement après avoir réfléchi trois fois, et il réplique : « Deux fois suffiraient. » Enfin ceci, d’une urgente réalité : « Celui qui sait réchauffer l’ancien pour comprendre le nouveau mérite d’être considéré comme un maître. »

Philippe Sollers, Le Nouvel Observateur, 4 novembre 2009.

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Fan Changguo/AP/Sipa

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Philosophes confucianistes

Présentation de l’éditeur

Au milieu d’un monde qu’il pensait finissant, à l’orée d’un siècle qu’il croyait plus que d’autres troublé, un sage proposa des idées neuves qui permirent de redéfinir les relations entre les hommes, de fonder une morale stricte et de conduire les États vers le bien. L’écho de sa pensée fut si large et durable que, quoiqu’on l’eût dit « sans couronne », Confucius ( 551- 479) régna, par sa doctrine, sur un monde qui passa en gloire et en durée celles de bien des empires. Ses idées se répandirent au-delà de la Chine, imprégnant les esprits comme les institutions. Confrontées à des obstacles redoutables, elles ne cessèrent pourtant d’avancer, vague après vague, comme une marée montante, et finirent par atteindre les bords de l’Occident. Il y eut aussi des reflux, dus à l’émergence de croyances plus neuves ou plus puissantes, mais le confucianisme sut reprendre ensuite ses prérogatives, dans la société comme dans l’État.

Ce volume envisage un état des lieux de la pensée confucianiste ancienne, telle qu’elle fut conçue puis se cristallisa au seuil de l’Empire, avant de connaître une véritable transmutation en réaction à la montée du bouddhisme et du taoïsme. On s’est donc attaché à regrouper les principaux auteurs qui ont prolongé la pensée de ce Maître (formulée dans le Lunyu, « Les Entretiens ») et se sont disputé l’interprétation de ses dialogues et de ses aphorismes pour constituer un système à deux branches : celle de Meng zi (ou Mencius, 385 - 301) et celle de Xun zi ( 310 - 235). On propose, de surcroît, trois grands textes presque aussi fondateurs — La Grande Étude, La Pratique équilibrée (autrefois traduit sous le titre L’Invariable Milieu) et Le Classique de la Piété filiale —, pour rendre compte des idées en présence dans la Chine d’avant l’Empire. En tout six ouvrages — certains traduits en français pour la première fois —, qui forment le socle sur lequel s’est bâtie, au long des siècles, l’école de Confucius, marquée, de ses débuts à nos jours, par un humanisme de fond, et n’excluant pas, loin s’en faut, les contradictions et les querelles.
Au moment où la Chine croit pertinent, voire urgent, de redécouvrir l’oeuvre du « vénéré Maître Kong », Kong Fuzi, l’Occident lui-même éprouve à nouveau de l’intérêt pour le père de la philosophie chinoise et pour certains de ses héritiers. L’enracinement de ce mouvement de pensée dans l’histoire et la société chinoises ne fait pas simplement de lui un « produit » intellectuel nécessaire à la compréhension de ce monde-là. Le confucianisme est un système potentiellement universel et, pour partie, intemporel. Et c’est sans doute parce qu’il fut une sagesse avant d’être une philosophie qu’il s’adresse non seulement à chaque Chinois, mais à chaque homme.

Textes traduits, présentés et annotés par Charles Le Blanc et Rémi Mathieu.

Ce volume contient : préface, chronologie, note sur la présente édition ; « Les Entretiens » de Confucius (Lunyu) ; Meng zi ; La Grande Étude (Daxue) ; La Pratique équilibrée (Zhongyong) ; Le Classique de la Piété filiale (Xiaojing) ; Xun zi ; introductions, bibliographies, notices et notes, bibliographie générale, cartes, index [9].

Crédit Gallimard.

Écouter l’entretien entre Rémi Mathieu et Tewfik Hakem du 26 novembre 2009

et l’entretien entre Rémi Mathieu et Raphaël Enthoven du 3 mai 2011

Crédit : Les Nouveaux Chemins.

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ARCHIVES

Photo Julia Kristeva. IMEC. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

En avril 1974, une délégation de la revue Tel Quel se rend en Chine. Le voyage dure trois semaines. C’est la fin de la Révolution Culturelle — la GRCPC [10] — ; depuis plusieurs années, l’accent est mis en Chine sur la critique du « retour aux rites » attribués à la tradition confucéenne ; c’est la campagne « Pi Lin Pi Kong » — « 批林批孔运动 » —, campagne de critique contre Confucius et Lin Piao, le dauphin présumé de Mao [11]. Au retour, Philippe Sollers publie deux articles : La Chine sans Confucius dans Libération (juin 1974) et Mao contre Confucius dans Le Monde du... 14 juillet. Ces deux articles seront repris, avec d’autres, dans le numéro 59 de Tel QuelEn Chine — qui sortira à l’automne 1974 [12].
Il serait vain de chercher, dans ces articles, une approche de la "philosophie" (le terme est impropre) de Confucius en tant que tel (l’heure, en Chine ou en Occident, n’était pas à la réévaluation d’une pensée, mais à la critique d’une tradition jugée oppressive), mais il est intéressant de les relire pour comprendre un épisode connu (mal connu ?) de la Révolution Culturelle et ce que pouvait y chercher Philippe Sollers à la lumière des préoccupations qui animaient alors des intellectuels — des écrivains — d’avant-garde : « la conjonction d’une culture millénaire vivante et d’une théorie et d’une pratique révolutionnaires ». « Conjonction qui fait jouer des milliers d’années d’une autre façon  ».
Ce qui n’interdisait pas de chercher à comprendre « l’appréciation, la fonction de la campagne autour de Confucius aujourd’hui [=1974] » et « le problème de Confucius en général », comme en témoignent les questions posées par Tel Quel au grand sinologue Joseph Needham publiées dans le même numéro de la revue [13].
On conviendra que cette préoccupation ne date pas d’aujourd’hui et est restée bien vivante.
Ces articles n’ont jamais été republiés. On n’oubliera pas, en les lisant ou les relisant, « l’esprit de secousse » nécessaire à leur compréhension.

Pour se remémorer la situation en 1974 :
1. en Chine, on peut regarder les :
photos de la campagne de critique de Lin Piao et Confucius
et les affiches de la campagne.
2. en France, il n’est pas inutile de relire les conditions — subjectives et objectives — dans lesquelles s’est effectué le voyage en Chine du groupe Tel Quel.

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La Chine sans Confucius

Toute la question de ce qui se passe désormais en Chine est celle de l’approfondissement dans les masses de la campagne contre Lin Piao et Confucius. Quand j’étais à Pékin, en Mai, je m’étais étonné de ne pas voir dans les rues la campagne d’affiches que l’on pouvait voir très largement à Nankin, par exemple. Résistances du comité municipal ? Tactique consistant à roder le mouvement en province ? De toute façon, il était à peu près évident que l’on était arrivé à un palier, un tournant. Soit la campagne piétinait de manière quelque peu « théoriciste », soit elle se concrétisait ouvertement dans une lutte entre les deux lignes, attaquant directement, et à tous les échelons, les responsables de la « temporisation » par rapport à la révolution culturelle.
Il ne faut pas oublier en effet, que la campagne contre Lin Piao et Confucius se donne avant tout comme un approfondissement de la révolution culturelle qui aurait été déviée de ses véritables objectifs par Lin Piao, et plus encore, peut-être, que par Lin Piao (c’est à mon avis le sens de la référence à Confucius), par tout le poids culturel de la métaphysique chinoise.  Au fond, Mao et le parti chinois sont en train de donner à la révolution culturelle une ampleur beaucoup plus ambitieuse que l’on n’a cru . Et, alors que la révolution culturelle a été une rupture « à chaud », si l’on peut dire, où Mao a précipité l’attaque pour la reprise du pouvoir par le prolétariat, on assiste maintenant à la mise en place d’un procès semble-t-il soigneusement préparé. J’en relèverai quelques points qui me semblent fondamentaux :

1) La campagne actuelle a été annoncée par une offensive théorique, dès 1971, insistant sur la nécessité d’étudier l’histoire, la dialectique, et de critiquer l’idéalisme sous toutes ses formes, notamment sous celle de la théorie du « génie » : rectification de la tendance à faire des dirigeants prolétariens des « super-puissances » intellectuelles, et à couper, par exemple, la pensée-maotsétoung de son contexte historique et théorique, c’est-à-dire du mouvement révolutionnaire international et, tout simplement, du marxisme. Autrement dit : réfutation de l’absurdité comme quoi on pourrait être « maoïste » et non-marxiste.

2) Le point central du débat actuel est celui de la dictature du prolétariat : bien évidemment, c’est le point qui touche  au plus près les révisionnistes. Partout sont lus, étudiés, commentés la Critique du Programme de Gotha, et l’État et la Révolution. Et, là, on comprend mieux l’enjeu du problème : ou bien, l’État se renforce pour devenir un pouvoir « personnel » (Lin Piao) et aboutir un jour à un « État de tout le peuple » qui, en fait, ne cache que l’accession d’une nouvelle bourgeoisie au pouvoir ; ou bien ce qui est renforcé, c’est la dictature du prolétariat mais (et ce  mais a une immense portée)  dans la perspective de l’extinction de l’État , à ne jamais oublier une seconde (sans quoi la lutte de classes est privée de son contenu le plus profond).

3) Il s’agit d’une rupture  accentuée avec le révisionnisme : pas de « réconciliation » qui « suivrait » la révolution culturelle. Les Chinois disent : la révolution culturelle a balayé  une couche révisionniste (Liu Shao-shi et Cie), mais une autre couche (une autre vague) est montée à la rescousse du révisionnisme (en emphatisant, en idéalisant, en « utopisant » la révolution chinoise). Cette seconde couche (puissante probablement dans l’armée et ayant tendance à « militariser » l’idéologie, à la catéchiser, à la transformer en culte) est en fait elle  aussi révisionniste. Les « linpiaoistes » se sont donnés comme « d’extrême-gauche » mais en réalité ils étaient de droite, voire d’extrême-droite, à cause de leur conception métaphysique (ici, nous dirions : religieuse) du marxisme. Cet aspect de la question me paraît important : d’abord parce que pour la première fois le parti chinois reconnaît qu’un danger  fasciste peut se développer sur le terrain même de la révolution, ensuite parce que ce danger est lié à la fusion qui peut s’opérer entre une certaine vision idéaliste du marxisme et l’archaïsme religieux. Pensons simplement ici, par exemple, ce qui se produirait si on substituait à la conception  matérialiste  et révolutionnaire du marxisme, une sorte de méli-mélo chrétien sur le terrain même des masses. Qui peut dire que nous ne courons pas ce danger ? Peut-on être « maoïste » et chrétien par exemple ? Bien sûr que non. Voilà pourquoi,  précisément , la campagne actuelle des Chinois contre Confucius ne peut, ici même, que rencontrer de violentes résistances.

4) La campagne actuelle développe ce que j’appellerai une critique sur deux « longueurs d’ondes ».  D’une part , l’histoire de la Chine depuis qu’il y a une histoire en Chine (pour combattre l’idéalisme historique et permettre au peuple d’étudier sa propre histoire au niveau spécifique du fait qu’il est  chinois ) ;  d’autre part , l’histoire du parti communiste chinois et de la révolution chinoise réévaluée maintenant depuis le début. A Shanghai, au siège de la fondation du parti communiste chinois, j’ai pu entendre ainsi un responsable faire un exposé extrêmement complet sur les « dix grandes luttes » à l’intérieur du parti. Le fond de cet exposé était d’une part les difficultés de la révolution chinoise avec Staline et la IIIe Internationale, d’autre part la lutte contre le révisionnisme. On ne peut rien dire de fondé sur la révolution chinoise si l’on ne considère pas que les Chinois eux-mêmes se considèrent comme ayant une position singulière depuis cinquante ans et qu’ils sont bien décidés à le développer jusqu’au bout dans l’avenir, et cela dans l’intérêt  général des peuples.

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C’est toujours le printemps dans la commune, vers 1970

5) La concrétisation sociale de ce projet consiste bien entendu à empêcher les rapports de production de se « capitaliser » surtout à travers la séparation entre travailleurs et cadres (travail manuel et travail intellectuel). Il semble bien qu’un assez fort courant « économiste » s’est manifesté dans les dernières années et c’est lui, sans doute, qui va être combattu en premier, de plus en plus nettement. Mais le mouvement touche aussi deux secteurs fondamentaux : les  femmes qui apparaissent désormais comme une force déterminante de la révolution (impossible de ne pas être frappé en Chine par leur présence, l’énergie encore à libérer qu’elles représentent) et  l’enseignement (les universités sont de nouveau appelées à fonctionner « à portes ouvertes », c’est-à-dire non coupées de la société : d’où enquêtes, fluidité de la sélection, etc.). Les Chinois, cependant, ne cessent d’insister sur le fait que tout ceci ne peut se faire qu’en formant de plus en plus des « contingents de théoriciens marxistes ». C’est un trait fondamental de l’approfondissement de la révolution culturelle qui reste, bien entendu, incompréhensible et opaque pour les révisionnistes.

6) Enfin, il s’agit d’une offensive sur le terrain des « images » que l’on se fait, dans le monde et en Chine, de la Chine elle-même. Sur ce point, je pense que les conséquences du mouvement actuel seront très profondes. Elles désorientent déjà tous ceux qui avaient gardé l’habitude de considérer la Chine comme une sorte de « colonie culturelle », se sentant en droit de lui donner des conseils sur la manière de traiter son propre passé (au nom de la culture « universelle ») et son présent (au nom du marxisme « sérieux », « responsable »). Ce courant idéologique quant à la Chine, d’essence  bourgeoise  (idéaliste et métaphysique), est en fait représenté maintenant par l’URSS. Beaucoup d’intellectuels occidentaux, même sans le savoir, adoptent la même attitude. En gros, elle consiste à savoir ce que les Chinois devraient dire ou faire, et à le savoir à leur place. Prétention légèrement comique par rapport à une expérience et à un pays dont seules les années à venir diront les transformations qu’ils apportent pour l’humanité entière. Pour ma part, je dirai que la vision du monde religieuse et idéaliste qui a toujours été celle de  tous les exploiteurs a un seul ennemi sérieux actuellement : la Chine. Si les exploiteurs ne s’y trompent pas, c’est normal. Mais que les révolutionnaires s’en rendent compte, là est la question essentielle.

Philippe Sollers, Libération, juin 1974.

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A la fin de la Révolution culturelle à Baotou (Mongolie intérieure), vers 1973 :
campagne contre l’enseignement de Confucius,
considéré comme partie prenante des " Quatre Vieilleries " à bannir.
ZOOM : cliquer sur l’image

Mao contre Confucius

« Le matin de bonne heure et le soir, je travaillais à la ferme. Dans la journée, je lisais les Entretiens de Confucius et les Quatre Classiques. Mon maître de chinois appartenait à l’école du traitement rigide. Il était dur et sévère, et battait souvent ses élèves. A cause de cela, je m’enfuis de l’école quand j’avais dix ans. »
Voilà ce que racontait Mao Tsé-toung à Edgar Snow, il y a de cela presque quarante ans. A un autre endroit d’Etoile rouge sur la Chine, Snow note : « Mao est un grand amateur de philosophie. Une fois, pendant que j’avais avec lui des entretiens nocturnes sur l’histoire du communisme, un visiteur lui apporta plusieurs ouvrages nouveaux de philosophie et Mao me pria d’ajourner nos rendez-vous. Il dévora ces livres en trois ou quatre nuits de lecture intensive au cours desquelles il sembla oublier tout le reste. Il n’avait pas limité ses lectures aux philosophes marxistes, mais était au courant des Grecs anciens, de Spinoza, de Kant, de Goethe, de Hegel, de Rousseau et d’autres. »

Je me demande souvent si de tels propos ont été lus en Occident. Un des moments émouvants de mon voyage en Chine populaire a été celui, dans le parc de l’Université de Pékin, où les Chinois m’ont conduit devant un petit tertre planté d’une stèle : « Edgar Snow, un ami du peuple chinois. » Une partie des restes de cet Américain qui choisit un jour de s’intéresser à l’autre côté de la planète est déposée là. Snow, cela veut dire neige. Et l’un des poèmes de Mao les plus reproduits partout s’appelle ainsi. Rapprochement gratuit ? Peut-être. Mais je voudrais dire tout de suite que proposer d’aborder la Chine sans sa dimension « poétique » me paraît d’une gratuité plus grande encore. La dimension de la révolution et de la culture chinoise n’est pas celle de la technocratie. Quand Mao trace rapidement au pinceau les vers suivants :

danse des montagnes : serpents d’argent
galop des plateaux : éléphants de cire

et quand, ces vers, on les trouve reproduits à des milliers et des milliers d’exemplaires, de même qu’ici une publicité, il vaut mieux tout simplement accepter de les voir. Ces poèmes ne sont pas une décoration, comme trop d’Occidentaux ont tendance à le penser. Ils ont une triple portée : émotive-historique, graphique, politique. Des poèmes, d’ailleurs, et de  n’importe qui , il y en a partout. Dans les écoles, les communes populaires, les usines, les bateaux en construction. A l’encre et au pinceau sur papier, au stylo sur des feuilles de cahier, à la craie blanche, jaune, rouge, violette sur des tableaux noirs. Art direct, souvent naïf, et impermanent. Demain, il y en aura d’autres. La Chine est aussi un immense atelier d’expression que les visiteurs occidentaux, ne sachant pas la langue, manquant de curiosité pour son fonctionnement écrit, auront tendance à trouver opaque. On dirait que les Chinois communiquent de biais, au-dessous d’une ligne de flottaison invisible. Le lyrisme chinois n’est pas notre romantisme oral, éloquent, subjectif, narcissique, mais un dynamisme du geste, de la transformation. Cela ne comporte-t-il pas un accent utopique ? Voilà justement ce qui n’arrête pas de préoccuper les Soviétiques comme les partis communistes occidentaux pour lesquels le marxisme doit être avant tout « scientifique » au sens d’un scientisme sans conséquences subversives. Et, bizarrement, les mêmes qui trouveront sublimes les interprétations « spirituelles » de Mai 68 ou de la grève ouvrière de Lip exigeront qu’on refuse toute couleur à la Chine. Il est vrai que les Chinois ne sont pas, n’ont jamais été, chrétiens.

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Les fils et les filles de Yanan à la rencontre de Mao, 1974

J’y insiste parce qu’au fond, j’ai pu souvent le vérifier, la plupart des difficultés à aborder la Chine de l’intérieur viennent de là. De l’universalisme conscient ou inconscient que nous croyons en nous, que nous transportons avec nous comme un écran qui détermine d’avance notre perception, nos analyses. C’est d’ailleurs pourquoi les Occidentaux peuvent avoir deux attitudes à l’égard de la Chine : soit se « projeter » sur elle, penser que les Chinois sont engagés dans une révolution mystique ; soit, quand le réel leur donne un démenti, la rejeter. Le démenti, en ce moment, s’appelle Confucius. La lutte contre Confucius est un appel à renverser toutes les interprétations idéalistes de la révolution chinoise. Mais loin d’être, en conséquence, un encouragement à une attitude « économiste » (du genre : « revenons aux choses sérieuses, la révolution culturelle est finie, occupons-nous de la production »), c’est au contraire une incitation à aller plus loin, plus profond, à la fois dans le passé et dans l’avenir. Les communistes chinois reprochent à Lin Piao (outre sa tentative de coup d’État militaire s’appuyant sur l’URSS) d’avoir simplifié, durci, exagéré, caricaturé, et finalement détourné la révolution culturelle de son but. Ce but : lier dialectiquement la Chine nouvelle et la connaissance de la vieille Chine, la Chine et le monde. Ne pas critiquer Confucius, ce serait continuer (fût-ce inconsciemment) Confucius. Mais critiquer Confucius, ce n’est pas mettre à la place un rationalisme mieux adapté aux conditions d’un pays en voie de développement : c’est proposer, encore et toujours, l’esprit de critique, de révolte. Le conflit et le mouvement contre le " juste milieu ", la " bienveillance ", la " modération " ritualiste, bref contre une certaine économie hypocrite du discours. Confucius, ou l’anti-poète.

Lin Piao, en un sens, proposait une « confucianisation » de Mao. Ce dernier se serait retrouvé à l’origine d’un culte dont il aurait suffi, par la suite, de nommer périodiquement les prêtres. Un des arguments qui revient le plus souvent contre Lin est qu’il pensait la prise du pouvoir comme une affaire de famille : lui, sa femme, son fils... Le mao-confucianisme de Lin aurait signifié alors une mort institutionalisée du marxisme. Il y aurait eu les temples (les appareils d’État) et le clergé (les mandarins du parti et de l’armée). Et, une fois de plus, le peuple et l’esprit de secousse (par où le nouveau surgit), après avoir été enterrés dans la routine révisionniste (Liu Shao-shi), l’auraient été dans le mythe.
Que le marxisme puisse fonctionner comme un dogme vidé de son contenu, comme une nouvelle forme de conformisme faisant le contraire de qu’il dit, c’est désormais l’expérience historique. Mao tente de l’empêcher. Les Chinois réussiront-ils ? Critiquez Confucius, disent-ils. C’est-à-dire, bel et bien : critiquez ce qui reste en vous de vos pères, de vos mères, et des pères de vos pères, et des mères de vos mères. Critiquez le fait que vous soyez, que vous le vouliez ou non, en état d’héritage inconscient sur ce point. « Le poids des générations passées pèse très lourd sur le cerveau des vivants » : c’est aussi cela, l’injonction de Marx. Les Chinois doivent à la fois se libérer d’une idéologie hégémonique depuis plus de deux mille ans (le confucianisme), du patriarcat qu’elle suppose (le fils doit obéir au père, la femme au mari), et de la « paternité » soviétique qui a vu l’immense « enfant » du socialisme non seulement lui échapper, grandir, se redéfinir mais encore, sur des points fondamentaux, mieux comprendre et réinventer le marxisme. Certains disent, ou pensent : non, on ne peut pas échapper au « père ». Les Chinois n’y arriveront pas. Au fond, ils ne font qu’exprimer un désir : celui que leur croyance fondamentale ne soit pas mise en cause, qu’elle ne soit pas, comme tout ce que l’humanité a pensé (et pensera), « relativisée ». Mais alors, il ne faut plus parler de révolution : la révolution doit tout mettre en cause, et l’obstination de Mao, depuis les grottes de Yenan, jusqu’au défi lancé à Confucius, c’est l’histoire de cette capacité mobile, étrange, de remise en question.

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Dessin de Roland Barthes, Luo-Yang, 24 avril 1974
Carnets du voyage en Chine, 2009

Les communistes chinois proposent au peuple de réévaluer l’ensemble de la culture chinoise. Un Chinois m’a dit : « La campagne actuelle est passionnante. Elle m’apprend quelque chose tous les jours. Sans elle, je n’aurais jamais appris en aussi peu de temps autant de choses sur l’histoire de la Chine. » La controverse sur la fonction idéologique et politique des écoles confucéenne et légaliste fait surgir un continent enfoui, elle repose le problème (si important pour les marxistes et tellement discuté) du « mode de production asiatique », du passage de l’esclavagisme au féodalisme. Il ne faut pas oublier que les Chinois n’ont connu qu’une révolution bourgeoise superficielle, passagère, et que les vieilles idées et les vieilles coutumes viennent de ce fond féodal exploité par l’impérialisme et le colonialisme, avant d’avoir essayé de l’être par le social-impérialisme. Le souci constant des Chinois est bien celui-là : ne pas redevenir une « semi-colonie », pas plus du monde capitaliste que des Soviétiques.
Ne pas régresser vers l’état colonial, donc développer une interprétation propre, spécifique, à la fois du passé et de l’avenir. Mais ne pas devenir non plus une « superpuissance ». Quand j’étais en Chine, la déclaration qui retenait le plus l’attention était celle de Teng Hsiao-ping à l’ONU. A-t-on jamais vu un pays, un gouvernement faire la déclaration suivante : si nous nous écartons de notre ligne et de nos principes, alors il faudra nous attaquer, il faudra que les peuples du monde et le peuple chinois s’unissent pour renverser une Chine qui serait redevenue capitaliste, qui ne poursuivrait pas la révolution ? A-t-on jamais fait preuve d’une telle audace (et d’un tel manque de nationalisme) ? Là, précisément, est toute la  dialectique chinoise. Le culte d’un soi-disant « génie » de Mao pourrait faire oublier qu’il s’agit de relire De la pratique, De la contradiction [14], De la juste solution des contradictions au sein du peuple, c’est-à-dire la mise en forme la plus dialectique, jamais connue d’une expérience historique. Quand on dit que les Chinois étudient le marxisme, il ne faut pas effacer le fait qu’ils le font depuis Mao, à savoir depuis une pensée dont les souplesses, les subtilités n’ont sans doute pas même fini de nous étonner.

Pour aborder la Chine, nous sommes nous-mêmes pris dans une contradiction : soit les spécialistes de la Chine « éternelle » (les sinologues) qui ont décidé une fois pour toutes qu’il s’agissait d’une culture morte (comme l’Égypte ancienne) alors que, vivante, elle irrigue tous les actes, toutes les pensées des Chinois ; soit les marxistes qui n’ont jamais entendu parler de la culture chinoise et, d’ailleurs, ne s’y intéressent pas : « marxisme » idéaliste. Or c’est la conjonction d’une culture millénaire vivante et d’une théorie et d’une pratique révolutionnaire qui est justement passionnante. Conjonction qui fait jouer des milliers d’années  d’une autre façon . Je pense à cet atelier de calligraphie de Nankin où un Chinois a tracé devant moi les idéogrammes d’un poème. Une autre façon d’être dans l’espace, dans le geste, la langue, le sens. Jamais un universitaire occidental ne comprendra facilement cette manière de  s’impliquer immédiatement dans les signes, de s’y  faire , comme la conscience révolutionnaire  se fait , peu à peu, par la montée à la surface des affiches de discussion, de contestation. Contre la rhétorique, il y a cette action sous-jacente, faisant levier. Une  autre politique. Mai 68 en France, les luttes ouvrières, retrouvent spontanément ce type de protestation  écrite . Est-ce tout à fait un hasard ?
Que le peuple écrive : on sent la force de cette arme. Un atelier constellé d’écriture. c’est déjà autre chose qu’un atelier. Sans cesse, j’ai été frappé par cela en Chine : la capacité d’ agir le présent et de  réinterpréter le passé. Les femmes qui parlaient dans les musées (là encore, est-ce un hasard si les opéras ont pour personnages principaux des femmes, si ce sont des femmes qui sont le plus souvent chargées de s’occuper de la mémoire culturelle ?) le faisaient avec une précision et une profondeur très supérieures à ce que nous pouvons entendre ici. Je pense surtout à cette femme travaillant sur un site préhistorique, exposant le travail des fouilles, la disposition des tombes, les enseignements que l’on peut en tirer sur l’existence de la commune primitive et du matriarcat. Car la Chine, c’est aussi cela : une ampleur, déposée partout, sur l’ensemble de l’évolution. Quelle surprise de pouvoir parler en détail de l’Origine de la propriété privée, de la famille et de l’État avec un révolutionnaire devant des objets funéraires vieux de six mille ans, dans un pays socialiste, à l’air libre. Le vieil Engels, à la fin du XIXe siècle, aurait-il pu imaginer ça ?

Philippe Sollers, Le Monde du 14 juillet 1974.

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Le mythe d’une Chine confucianisée

par Anne Cheng

Longtemps perçu comme un obstacle à la modernisation, le confucianisme est apparu, dans les années 80, comme le moteur d’un développement propre à l’Asie. En réalité, il sert surtout les fins des dirigeants autoritaires de Singapour, de Pékin ou de Séoul.

Dans le cadre de l’Université de tous les savoirs organisée par la Mission 2000, Anne Cheng, professeur à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco), a présenté, le lundi 30 octobre 2000, une conférence sur le thème « Confucianisme, postmodernisme et valeurs asiatiques » [15]. Cette communication, dont nous publions de larges extraits, prenait place dans un cycle consacré aux « perspectives sur un monde global et éclaté ».

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Anne Cheng

La Chine a-t-elle quelque chose à dire dans ce monde d’aujourd’hui, qui est déjà celui de demain, à la fois « global et éclaté » ? Les opinions varient d’un extrême à l’autre, entre ceux qui voient en elle l’interlocuteur par excellence - quand ce n’est pas le seul possible - de l’Occident, et ceux qui, à l’inverse, comme Jean-François Billeter (Chine trois fois muette, Allia, 2000), formulent le constat d’une Chine « muette ». La question de ce qu’elle a à dire est en effet étroitement liée à celle de savoir si elle est en mesure de parler.
Qu’avons-nous entendu d’elle au cours de ce XXe siècle ? Incontestablement, la voix de la révolution communiste, si elle n’a pas été la seule à se faire entendre, a couvert quelque peu les autres de son bruit et de sa fureur, et a, notamment dans sa version maoïste, enflammé toute une génération en Occident. Maintenant que le réveil s’est fait dans les matins qui déchantent, d’autres voix en profitent pour tenter d’occuper le devant de la scène. Nous assistons, depuis ces vingt dernières années, au surprenant retour d’une orchestration confucéenne qui, à défaut de dire grand-chose, en dit tout de même très long sur la situation de la Chine en cette fin de siècle et de millénaire.
Le terme de « confucianisme » est chargé de recouvrir toutes les complexités d’une réalité historique, intellectuelle, mais aussi sociale et institutionnelle, sur quelque 2 500 ans. Qu’il suffise pour l’instant de rappeler qu’il se réfère à l’enseignement originel dispensé par Confucius fin VIe, début Ve siècle avant Jésus-Christ, que cet enseignement a inspiré et nourri des développements philosophiques d’une grande richesse pendant plus de deux millénaires, mais que le corpus textuel sur lequel il se fonde est devenu le soubassement idéologique de l’empire centralisé dès le IIe siècle avant Jésus-Christ, notamment en devenant matière obligatoire pour les futurs serviteurs de l’Etat.
Le dernier avatar en date de cette longue histoire, et l’un des plus spectaculaires, est le revival confucéen des années 80, qui apparaît comme la combinaison de deux facteurs essentiels opérant sur des échelles historiques différentes : d’une part, un facteur de longue durée, culturaliste et identitaire, qui remonte au début du siècle ; d’autre part, un facteur conjoncturel, qui traduit une volonté d’intégration dans le nouvel ordre mondial [...].

Après l’établissement par les communistes, en 1949, de la République populaire et la fuite du gouvernement nationaliste à Taïwan, suivi par nombre d’intellectuels hostiles au marxisme, l’île apparaît comme un conservatoire vivant de la culture chinoise traditionnelle. Certains « nouveaux confucéens » se regroupent également à Hongkong pour fonder le New Asia College. En 1958, quatre d’entre eux, qui figurent parmi les intellectuels les plus en vue hors de Chine communiste, signent, à la « une » du journal de Hongkong, La Tribune démocratique, un « manifeste adressé au monde », dans lequel ils « supplient » leurs semblables de bien vouloir croire que la culture chinoise n’est pas morte et que la philosophie confucéenne est encore source vivante de valeurs.
Le ton pathétique de l’appel de 1958 traduit bien l’esprit de cette génération de l’exil, qui a pourtant formé les futures têtes pensantes du revival confucéen des vingt dernières années, à commencer par Tu Wei-ming (né en 1940), qui, avant de faire une brillante carrière universitaire aux Etats-Unis, à Berkeley et Harvard, fut d’abord disciple du philosophe Mou Zongsan à Taïwan. Alors que la course à la modernisation (d’abord sur le modèle soviétique, puis sur le modèle occidental) dans laquelle était lancée la Chine continentale communiste reléguait nos « nouveaux confucéens » à une position périphérique et marginale, il s’opère, à partir des années 80, un renversement spectaculaire. Du statut d’obstacle irréductible, le confucianisme passe, du jour au lendemain, à celui de moteur central de la modernisation.
Ce qui est à l’origine de ce renversement a peu à voir avec le confucianisme lui-même, mais bien plutôt avec une situation historique et économique inédite : après les dix années de délire utopiste de la révolution culturelle et la mort de Mao, en 1976, le modèle communiste révolutionnaire est abandonné de facto en Chine même, pendant qu’à la périphérie on assiste à l’essor économique sans précédent, dans le sillage du Japon, des « quatre petits dragons » (Taïwan, Hongkong, Singapour, Corée du Sud). Du coup, ces « marges de l’empire », en même temps que les valeurs « asiatiques », notamment confucéennes, qu’elles revendiquent, se trouvent projetées dans une centralité exemplaire, et deviennent l’objet de toutes les attentions et de toutes les émulations, en particulier de la part des Occidentaux.
En effet, au moment où le communisme en Chine, mais aussi en Europe de l’Est, connaît une crise majeure, les sociétés occidentales capitalistes croient percevoir des signes de déclin dans leur propre développement. Dans ce contexte, les valeurs confucéennes, censées expliquer l’essor d’un capitalisme spécifiquement « asiatique », arrivent à point nommé pour préconiser le dépassement du modèle occidental de la modernité. [...] Le facteur déclencheur du renversement des années 80 est à rechercher dans la situation mondiale et son épicentre à repérer, non pas dans les sociétés chinoises à proprement parler, mais dans des milieux de Chinois occidentalisés et anglophones, aux Etats-Unis et à Singapour. Dès la fin des années 70, on voit le gouvernement singapourien de Lee Kwan Yew projeter « l’injection accrue de valeurs asiatiques dans le cursus scolaire comme moyen de contrer l’emprise culturelle de l’Occident sur les jeunes ». Le programme est ensuite mis en place sur le conseil d’universitaires sino-américains de renom, jusqu’à culminer, en 1983, dans l’établissement de l’Institute of East Asian Philosophies, dont l’objectif avéré est de « promouvoir et réinterpréter le confucianisme ». En l’espace d’à peine cinq ans, l’enclave singapourienne se retrouve transformée de toutes pièces en un paradis confucéen — et cela grâce à la médiation de l’anglais !
Au milieu des années 80, la contagion, qui n’épargne évidemment pas Taïwan, Hongkong, ni la Corée du Sud (à l’exception, remarquable mais somme toute explicable, du Japon), gagne la Chine populaire, qui, depuis la fin des années 70, est occupée à liquider l’héritage maoïste et voudrait bien se raccrocher aux wagons de l’asiatisme pour, si possible, en prendre la tête. Le confucianisme, vilipendé depuis deux générations et attaqué, voire physiquement détruit, avec un comble de violence pendant la révolution culturelle qui vient tout juste de se terminer, fait l’objet en 1978 d’un premier colloque visant à sa réhabilitation. A partir de cette date, il ne se passera pas une seule année sans la tenue d’au moins plusieurs colloques internationaux sur le confucianisme [...].

Si le confucianisme n’a, en réalité, pas grand-chose à voir avec le développement économique, il sert les fins des dirigeants autoritaires de Singapour, de Pékin ou de Séoul, qui, confrontés à une accélération soudaine du développement économique que les structures sociopolitiques n’arrivent pas à suivre, trouvent commode de reprendre à leur compte des valeurs confucéennes garantes de stabilité, de discipline et d’ordre social, par opposition à un Occident-repoussoir dont le déclin s’expliquerait par son parti pris d’individualisme et d’hédonisme. A noter que dans ce néoautoritarisme se rejoignent les ex-idéologues marxistes et antimarxistes sur un point crucial : aux représentations utopiques d’un socialisme sans l’Occident, on substitue une aspiration à une modernité industrielle, toujours sans l’Occident, qui passe pour une « postmodernité » ou une « post-occidentalité » [...].

Cela nous amène au mythe, central dans le dispositif « postconfucéen », d’une Chine confucianisée. Il faut décidément prendre un parti résolument anhistorique pour faire croire à l’existence, à un moment quelconque, et a fortiori à la restauration possible d’une société chinoise unifiée sous la bannière de valeurs confucéennes communes, qui feraient primer le communautarisme, les comportements ritualisés garants de la cohésion et de l’ordre hiérarchique, et l’harmonie censée se propager dans le corps social à partir du noyau central qu’est la famille.
Or, dans sa réalité historique et institutionnelle, le confucianisme apparaît avant tout, comme l’écrit Yves Chevrier dans L’Asie retrouvée (sous la direction de Jean-Luc Domenach et David Camroux, Seuil, 1997) comme « une mise en forme des relations sociales venue d’en haut et transmise par une élite organisée dans un Etat ». Dans cette perspective, le revival confucianiste est sans doute en grande partie la revanche d’une élite lettrée qui a pendant deux millénaires assuré une fonction médiatrice indispensable et qui, durant tout le XXe siècle, a eu le sentiment de perdre tout contrôle sur le destin de la Chine.
Cependant, le rêve post-confucéen ne se limite pas à la « reconfucianisation » de la société chinoise, il pense pouvoir restaurer et élargir l’ancien processus de confucianisation qui avait porté sur des pays considérés comme satellites de l’empire chinois, et, à ce titre, « sinisés » (comme la Corée, le Vietnam ou le Japon).
C’est ainsi qu’est lancé le concept d’une « Chine culturelle » que Tu Wei-ming se représente, exactement comme il le fait pour la société confucianisée, en cercles concentriques : le noyau central (autrement dit : la famille) est composé de la Chine continentale (Hongkong compris), Taïwan et Singapour ; ensuite vient le cercle élargi des communautés chinoises de la diaspora mondiale ; et enfin le cercle virtuel des individus de par le monde (intellectuels, journalistes, hommes d’affaires, etc.), qui s’efforcent de comprendre la Chine et qui sont chargés de répandre la bonne parole dans leurs propres communautés linguistiques.
Nous pouvons donc espérer avoir à terme une « Chine culturelle » qui donnera effectivement au confucianisme la dimension d’un système de valeurs « éthico-spirituel » universel, lequel pourra très bien se comparer et entrer en dialogue avec les autres grandes religions du monde (le christianisme, l’islam ou le bouddhisme). On trouve ici une trace encore vivace de la vision de Kang Youwei qui, à la fin du XIXe siècle, persistait à envisager la Chine, non pas comme le centre du monde, mais tout simplement comme le monde. Le rêve d’une « Chine culturelle » est le signe qu’une certaine élite ne s’est toujours pas résignée à renoncer définitivement à cette image de l’universalité à la chinoise, mais c’est aussi un aveu d’impuissance : faute de pouvoir exister autrement, la Chine sera culturelle, ou ne sera pas.
Il est clair aussi que ce rêve d’un pan-confucianisme vient en doubler un autre, beaucoup plus explicitement hégémonique : celui de la Chine populaire qui prend en marche le train du discours « asiatiste » en essayant d’en prendre la tête, à la fois à travers le rêve de la « Grande Chine » et la prétention au leadership dans la région. Mais elle ne peut faire valoir sa prétention à une universalité autre que celle de l’Occident qu’en termes culturalistes, en brandissant la bannière des « valeurs asiatiques » (comprenez « confucéennes ») face aux droits de l’homme, dont les Occidentaux se font si volontiers les champions.)

Anne Cheng, Le Monde du 07 novembre 2000.

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Confucius ou l’éternel retour

Que ce soit par les Occidentaux ou par les Chinois, au XVIIe siècle en Europe ou aujourd’hui en Chine, Confucius a souvent été instrumentalisé, tour à tour combattu et encensé. Actuellement, c’est surtout une lecture conservatrice de ses « Entretiens » qui est privilégiée.

par Anne Cheng

Pourquoi Confucius revient-il si souvent dans le contexte de la Chine actuelle ? Comment expliquer que cet antique maître de sagesse, qui a vécu aux VIe et Ve siècles avant l’ère chrétienne, prenne une valeur emblématique deux mille cinq cents ans plus tard, dans la Chine du XXIe siècle, en pleine montée en puissance économique et géopolitique au sein d’un monde globalisé ?

Le nom de Confucius, faut-il le rappeler, est la latinisation du chinois Kongfuzi (« Maître Kong »), effectuée au XVIIe siècle par les missionnaires jésuites, qui furent les premiers à le faire connaître auprès des élites européennes. D’après les sources de l’Antiquité chinoise, le maître aurait consacré sa vie à former un groupe de disciples à l’art de gouverner un pays et de se gouverner soi-même, dans l’esprit des rites et du sens de l’humain. C’est à la suite de l’unification de l’espace chinois par le premier empereur, en - 221, que son enseignement ainsi qu’un corpus de textes qui lui sont associés sont mobilisés pour constituer le soubassement idéologique du nouvel ordre impérial. Depuis lors, et jusqu’au début du XXe siècle, la figure de Confucius a fini par se confondre avec le destin de la Chine impériale, tant et si bien qu’elle peut apparaître aujourd’hui comme l’emblème par excellence de l’identité chinoise. C’est du moins ainsi qu’elle est perçue dans le monde occidental et qu’elle est présentée, exaltée, voire instrumentalisée en Chine continentale.

On en oublierait presque toutes les vicissitudes que cette figure a connues dans la modernité chinoise, et qui l’ont d’abord fait passer par un siècle de destruction, entre les années 1860 et 1970. Un tournant historique se dessine, en effet, à partir de la seconde guerre de l’opium (1856-1860), qui provoque une prise de conscience par les élites chinoises de la suprématie des puissances occidentales et aboutit en 1898 à une première tentative (avortée) de réforme politique, sur le modèle du Japon de l’ère Meiji [16]. Il s’ensuit, au début du XXe siècle, une série de crises dramatiques : en 1905, l’abolition du fameux système des examens dits mandarinaux [17], séculaire et capital soubassement du régime impérial, marque le début d’un processus de « laïcisation » moderne à la chinoise. De fait, la dynastie mandchoue des Qing et, avec elle, tout le régime impérial s’écroulent définitivement quelques années plus tard, pour laisser place, en 1912, à la toute première République chinoise, proclamée par Sun Yat-sen.

Sur le plan symbolique, la crise qui a marqué le plus profondément et durablement les esprits est celle du mouvement du 4 mai 1919, qui reflète les frustrations des intellectuels aux prises avec une réalité chinoise humiliante. Pour eux, la modernité ne peut se définir qu’en termes résolument occidentaux de science et de démocratie, et nécessite de « mettre à bas Confucius », tenu pour responsable de tous les maux dont souffre la Chine, de son arriération matérielle et morale. En se mettant en quête d’un modernisme à l’occidentale, les iconoclastes du 4-Mai poussent dans le même sens que l’analyse marxiste, et relèguent le confucianisme au « musée de l’histoire ».

De Max Weber à Mao Zedong, le vieux maître a été accusé de conservatisme

Au tournant des années 1920, un autre diagnostic, également occidental, condamne encore plus radicalement le confucianisme : celui du sociologue allemand Max Weber, dont la préoccupation est de montrer les dimensions idéologiques (selon lui, l’éthique protestante) des origines du capitalisme en Europe. Pensant avoir identifié les conditions matérielles qui auraient pu rendre possible l’avènement du capitalisme en Chine, Weber en conclut que, si ce dernier ne s’est pas produit, c’est en raison de facteurs idéologiques, au premier rang desquels le confucianisme. Du coup, se débarrasser une fois pour toutes de ce poids mort apparaît comme une condition sine qua non de l’accès à la modernité occidentale.

Une génération après 1919, la date bien connue de 1949 marque, à l’issue du conflit sino-japonais et de la guerre civile, l’établissement par les communistes de la République populaire et la fuite à Taïwan du gouvernement nationaliste, suivi par nombre d’intellectuels hostiles au marxisme, qui observent avec inquiétude, depuis leur exil, la tournure prise par la Chine maoïste. Celle-ci connaîtra un paroxysme destructeur avec la « grande révolution culturelle prolétarienne », qui, lancée par Mao Zedong en 1966 et retombée avec sa mort dix ans plus tard, en 1976, apparaît comme une radicalisation à outrance du mouvement du 4 mai 1919, notamment dans sa volonté d’éradiquer les vestiges de la société traditionnelle.

Or, après un siècle de destruction de l’héritage confucéen, les trente dernières années ont vu s’inverser le processus. C’est à partir des années 1980 que s’observe un renversement spectaculaire, dont les premiers signes se font sentir à la périphérie de la Chine continentale. Du statut d’obstacle irréductible, le confucianisme passe, quasiment du jour au lendemain, à celui de moteur central de la modernisation. L’origine de ce retournement a peu à voir avec le confucianisme lui-même, mais plutôt avec une situation historique et économique inédite : après les dix années de la Révolution culturelle, le modèle communiste révolutionnaire est abandonné de facto en Chine même, pendant qu’à la périphérie on assiste à l’essor économique sans précédent, dans le sillage du Japon, des quatre « dragons » (Taïwan, Hongkong, Singapour, Corée du Sud). Ces « marges de l’empire », en même temps que les « valeurs asiatiques » qu’elles revendiquent, se trouvent ainsi projetées dans une centralité exemplaire et deviennent l’objet de toutes les attentions, en particulier de la part des Occidentaux.

En effet, au moment où le communisme en Chine, mais aussi en Europe de l’Est, connaît une crise majeure, les sociétés occidentales capitalistes croient percevoir des signes de déclin dans leur propre développement. Dans ce contexte, les « valeurs confucéennes » (importance de la famille, respect de la hiérarchie, aspiration à l’éducation, goût du travail acharné, sens de l’épargne, etc.), censées expliquer l’essor d’un capitalisme spécifiquement asiatique, arrivent à point nommé pour remédier à la défaillance du modèle occidental de modernité par son dépassement.

L’occasion d’une éclatante revanche sur la suprématie occidentale

Le facteur déclencheur du retournement des années 1980 est à rechercher dans la situation mondiale ; et son épicentre, à repérer non pas dans les sociétés chinoises à proprement parler, mais dans des milieux chinois occidentalisés et anglophones, aux Etats-Unis et à Singapour. Au milieu de cette décennie, la contagion gagne la Chine populaire, qui, occupée à liquider l’héritage maoïste, voudrait bien se raccrocher aux wagons de l’asiatisme pour, à terme, en prendre la tête. Le confucianisme, vilipendé depuis des générations, voire physiquement détruit, avec un paroxysme de violence pendant la Révolution culturelle qui vient tout juste de se terminer, fait l’objet en 1978 d’un premier colloque visant à sa réhabilitation. A partir de cette date, il ne se passera pas une seule année sans la tenue de plusieurs colloques internationaux sur le sujet. En 1984, une Fondation Confucius est créée à Pékin sous l’égide des plus hautes autorités du Parti communiste. En 1992, Deng Xiaoping, lors de sa tournée des provinces du Sud, cite le Singapour de M. Lee Kuan Yew [18] comme un modèle pour la Chine, au moment où il lance l’« économie socialiste de marché ». De manière ironique, les facteurs qui apparaissaient chez Weber comme des obstacles rédhibitoires au développement capitaliste sont précisément ceux qui promettent désormais d’épargner aux sociétés est-asiatiques les problèmes affectant les sociétés occidentales modernes. Il y a là l’occasion d’une éclatante revanche, attendue depuis au moins un siècle par la Chine et par certains pays de la région, sur la suprématie occidentale.

Si le renouveau confucéen n’a, en réalité, pas grand-chose à voir avec le marché, il sert les fins politiques des dirigeants autoritaires de Singapour, de Pékin ou de Séoul, qui, confrontés à une accélération soudaine du développement économique que les structures sociopolitiques n’arrivent pas à suivre, trouvent commode de reprendre à leur compte les « valeurs confucéennes », gages de stabilité, de discipline et d’ordre social, par opposition à un Occident repoussoir dont le déclin s’expliquerait par son parti pris d’individualisme et d’hédonisme. Dans ce néo-autoritarisme, les idéologues marxistes et antimarxistes se rejoignent sur un point crucial : aux représentations d’un socialisme sans l’Occident martelées par l’utopie maoïste, on substitue l’aspiration à une modernité industrielle, toujours sans l’Occident, sous couvert de « postmodernité ».

La crise financière de 1997 a quelque peu calmé la fièvre du Confucius economicus, mais le retour du vieux maître ne s’en est pas trouvé pour autant stoppé, bien au contraire. Depuis une dizaine d’années (symboliquement, depuis l’entrée dans le XXIe siècle et le troisième millénaire), le processus prend la forme d’un faisceau complexe de phénomènes qui touchent toute la Chine continentale et tous les niveaux de la société. Dans la sphère politique, la priorité des dirigeants actuels est de maintenir la stabilité sociale afin de favoriser une croissance économique à long terme. En 2005, le président Hu Jintao lance son nouveau mot d’ordre de « société d’harmonie socialiste », qui fait suite à d’autres, aux connotations déjà distinctement confucéennes, même si elles ne sont pas explicitées : l’idéal de « société de prospérité relative » de Deng Xiaoping ou la « gouvernance par la vertu » de M. Jiang Zemin. En puisant dans les ressources de la gestion confucéenne du corps social, il s’agit aussi de proposer une solution de rechange à la démocratie libérale de modèle occidental. Aujourd’hui, le seul nom de Confucius, implicitement associé à l’harmonie, est « porteur » sur le marché économique, mais aussi en termes de capital symbolique : outre les fameux Instituts Confucius qui essaiment de par le monde, on assiste en Chine même à une prolifération galopante de Fondations ou de Centres Confucius.

Corollairement, les Entretiens font également l’objet de diverses formes d’instrumentalisation. Pour ce qui est de la propagande politique, un seul exemple suffira : lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Pékin, en août 2008, orchestrée par le cinéaste mondialement connu Zhang Yimou, on a vu un tableau dans lequel certains aphorismes tirés des Entretiens étaient scandés à la manière de slogans par des soldats de l’Armée populaire de libération déguisés en lettrés confucéens. Mais c’est principalement dans le domaine éducatif que les Entretiens retrouvent le rôle central qu’ils ont joué durant toute l’ère impériale. Il s’agit là aussi de se prévaloir de pratiques éducatives « à spécificité chinoise », en puisant dans les ressources confucéennes pour remoraliser la société, à commencer par les enfants et les jeunes. A partir des années 1990 sont promues, dans un cadre souvent para- ou extrascolaire, des méthodes « traditionnelles », appliquées dès la petite enfance, de répétition mécanique et de récitation par cœur des classiques (à commencer par les Entretiens). Cet engouement touche également les adultes, à qui sont destinés des cours, séminaires ou stages consacrés aux « études nationales ». Il existe aussi des initiatives privées, prises par des militants du « confucianisme populaire » en milieu urbain ou même rural, qui trouvent avec Internet un vecteur de communication et de diffusion d’une ampleur et d’une efficacité sans précédent.

Un « bouillon de poulet pour l’âme » à la fois simple et conforme à la doctrine officielle

Une autre manifestation du regain d’intérêt massif pour les Entretiens est le livre de Yu Dan, traduit en français sous le titre lénifiant Le Bonheur selon Confucius [19]. L’auteure, qui n’a rien d’une spécialiste de Confucius ni même de la culture chinoise traditionnelle, est une experte en communication qui a fait des Entretiens l’un des plus gros succès de librairie de ces dernières années. Ce phénomène médiatique touche un large public, au moyen d’émissions télévisées et de livres comme celui-ci, qui s’est déjà vendu à plus de dix millions d’exemplaires. Sous les dehors attrayants de la brièveté et de la simplicité, il s’agit en fait d’une lecture consensuelle et conservatrice qui, selon ses détracteurs, passe sous silence la critique du pouvoir politique contenue dans les Entretiens et en réduit le message humaniste à du « bouillon de poulet pour l’âme », parfaitement conforme au mot d’ordre officiel de stabilisation sociale. C’est ainsi que dans l’effigie de Confucius, omniprésente dans la Chine d’aujourd’hui, se rejoignent les intérêts de l’« économie socialiste de marché » et les impératifs idéologiques de la « société d’harmonie socialiste ».

Anne Cheng, Le Monde diplomatique, septembre 2012.

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Tombe de Confucius à Qufu

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Confucius, l’instituteur de l’empire du milieu

Par Antoine Perraud et Isabelle Yhuel.
Émission diffusée sur France Culture le 17.08.1994.

Cette émission propose de découvrir la pensée de Confucius, notamment à travers la lecture et le commentaire de nombreux passages tirés du livre des entretiens rédigé par des disciples lointains du philosophe. Anne Cheng, chargée de recherche au CNRS, René Etiemble, Professeur de la Sorbonne et Charles Leblanc, Professeur à l’université de Montréal, sont les invités de l’émission. Ceux-ci se penchent notamment sur la notion d’idéal d’humanité et sur le regard qu’a porté Confucius sur le pouvoir en place ainsi que sur les moyens à mettre en oeuvre pour garantir un équilibre social.

***

Quelques traductions des Entretiens en français

Daniel Leslie, Seghers Ligugé, impr. Aubin, 1962.
Anne Cheng, Paris, Editions du Seuil, 1981, 2e édition révisée 1985, 180 p.
Réédition dans la collection "Les grands textes sacrés de l’humanité" en 7 vols., Seuil, 1992.
Pierre Ryckmans (Simon Leys), Éditions Gallimard, 1987 (Traduction du chinois, introduction et notes. Cette édition a été établie à partir du volume Les Entretiens de Confucius, paru dans la collection Connaissance de l’Orient, qui contient également une préface d’Étiemble et de nombreuses notes qui ne figurent pas dans la présente édition).
André Lévy, Editions Flammarion, 1993.

Autre traduction — sur le net — celle de Séraphin Couvreur (père jésuite, 1835-1919) : Entretiens de Confucius.

La présentation de ces traductions et de quelques classiques chinois sur ce site.

***

[1La grande révolution culturelle prolétarienne 无产阶级文化大革命 (wúchǎn jiējí wénhuà dàgémìng), plus couramment La Grande Révolution culturelle 文化大革命 (wénhuà dàgémìng), ou simplement La Révolution culturelle 文革 (wéngé).

[2A cette différence près que ce dernier était distribué gratuitement alors que le Lun yu est payant.

[3 Au sommaire :
Tours et détours d’une pensée, par Simon Leys
L’art de ne "jamais toucher au but", par Rémi Mathieu
De la pensée comme chorégraphie, par Jean Lévi
Chronologie du confucianisme, par Rémi Mathieu
Sélection bibliographique
Aseptisé par ses disciples ? par Romain Graziani
Mencius, en ligue de vertu, par Stéphane Feuillas
Le néoconfucianisme, par Ivan Kamenarovic
Confucianisme et autoritarisme, par Nicolas Zufferey
Entretien avec François Jullien.

[4On notera que Jésus n’est pas l’"auteur" des Evangiles ; de même Confucius n’a pas écrit le Lunyu. Les Entretiens sont le fait de disciples de première, deuxième ou troisième génération.

[5Sur ce point, voir notre dossier sur La " Lettre volée " des Évangiles.

[7Voir plus loin : La Chine sans Confucius.

[8La traduction des Entretiens de Confucius par Pierre Ryckmans-Simon Leys avait été saluée dans Le Monde du 27 novembre 1987 par Claude Roy :

Confucius rajeuni

Pierre Ryckmans, alias Simon Leys, a fait subir une cure salutaire au vieux maitre chinois.

Quel est le dénominateur commun des incarnations de ce personnage en apparence multiple qui s’appelle tour à tour Pierre Ryckmans et Simon Leys ? La première vertu que partagent ces gémeaux surdoués saute aux yeux et à l’oreille : c’est d’abord le style, une écriture serrée, vive, élégante sans être guindée, fine à l’extrême dans l’analyse et précise dans l’érudition, claquant comme un fouet de dompteur dans le combat contre les faussaires. Le romancier Simon Leys (la Mort de Napoléon) ourdit un brillant conte philosophique et historique, qui s’ouvre sur un " et d’ailleurs " merveilleusement ironique : " Comme il ressemblait vaguement à l’Empereur, les matelots l’avaient surnommé Napoléon. Aussi, pour la commodité du récit, ne l’appellerons-nous pas autrement. Et d’ailleurs, c’était Napoléon ".

Faux nez et faux témoins
Le sinologue Pierre Ryckmans, qui a magistralement traduit et édité les Propos sur la peinture, de Shitao, et qui vient de donner une traduction décisive des Entretiens de Confucius, est un savant austère et calme, d’une culture universelle et d’une patience tout orientale, dont le vaste savoir unit harmonieusement l’Occident à l’Asie. Le courageux Simon Leys des Habits neufs du président Mao et d’Ombres chinoises est ce cavalier indigné parti au pas de charge qui a toujours gardé des années d’avance sur une pauvre " vérité " fourbue sous le poids des mensonges. Simon Leys dit tout haut, avec une colère froide, nette et claire, ce que tout le monde avouera dix ans plus tard : par exemple que le vieux Mao n’est qu’un cruel empereur rouge et que la révolution culturelle n’est simplement qu’un massacre et un atroce saccage.
Mais le romancier, l’historien des arts de la Chine, le traducteur magistral, l’érudit perspicace, le pourfendeur de billevesées, le polémiste et l’écrivain ont en commun, avec le talent et le style, le goût, l’exactitude, la passion de la vérité, l’amour de la liberté, la haine des tyrans, le mépris des imposteurs. Si le romancier et le spécialiste de la Chine, sinologue de science pure et sinologue de terrain, ont criblé de flèches Napoléon et Mao, c’est que les despotes d’Europe ou de Chine leur semblent également redoutables.
Si le sinologue a ridiculisé définitivement les piètres pantalonnades chinoises d’une Macciocchi, d’une Michèle Loi ou d’un Bernard-Henri Lévy, c’est que Leys et Ryckmans détestent les faux semblants, les faux nez et les faux témoins. Et si Pierre Ryckmans a travaillé six ans afin de nous donner une version française des Entretiens de Confucius, dont Etiemble peut dire qu’elle " sera aussi perdurable que la pensée de Maitre K’ong ", c’est parce que le lecteur se dit à chaque pas : mais cette phrase, c’est le portrait tout craché de Ryckmans Leys ! " Le maître rejetait absolument quatre choses : les idées en l’air, les dogmes, l’obstination, le moi. "
Pour vérifier la qualité du texte français de Ryckmans, prenons tout de suite le propos de Confucius que je viens de citer et comparons-le dans sa version française avec les deux plus accessibles et plus récentes traductions. Daniel Leslie : " Le sage se gardait de quatre choses ; il ne laissait jamais la conclusion prendre le pas sur la réflexion ; il n’agissait pas arbitrairement ; il ne décidait jamais a priori ; il n’était ni opiniâtre ni égoïste. " [Seghers, 1962.]. Anne Cheng (dont le travail était jusqu’à présent le plus remarquable et le plus "serré") : " Il y a quatre choses dont le maître était exempt : les idées sans fondement, les affirmations catégoriques, l’entêtement et l’égocentrisme. " [Points/Sagesses/Poche, 1981.] On voit tout de suite que le texte de Ryckmans restitue la concision du chinois, le côté " pierre lancée par une fronde " des propos de Confucius, la couleur, le ton familier sans être artificiellement "parlé", et le rythme sec de la phrase originale, sa brièveté heureuse. Quand Ryckmans écrit dans une note de la préface qu’on rêve de ce qu’aurait été une traduction des Entretiens par Henri Michaux, on se dit, à le lire, que Michaux aurait été content de son travail.

Un malheureux fantôme
Confucius aussi, probablement. Le Confucius qu’on traine, malgré lui, depuis quelques siècles, dans la politique "politicienne", les traditions sclérosées, les soubresauts sanglants, les conflits d’intérêts et les querelles de la Chine, le sage mis à la sauce douteuse du néo-confucianisme, mobilisé par les pires tyrans, enrôlé tour à tour par les conservateurs les plus butés et les réformateurs les plus aventureux, encensé par les tièdes, célébré par les mous, invectivé par les gardes rouges à qui Mao, pour abattre Lin Biao, avait soufflé de conspuer en même temps que lui Maitre K’ong (Pi Lin ! Pi Kong !), ce malheureux fantôme n’avait plus grand rapport avec le personnage réel et historique dont les Entretiens nous font entendre la voix.
Confucius avait fini par ressembler à ces statues que des hordes de pigeons ont couvertes de leurs fiente et dont on ne distingue plus les formes. De temps en temps, un restaurateur audacieux, comme Ezra Pound dans sa traduction ou Etiemble dans son essai classique, décrassait et décapait le pauvre vieux sage, ravagé par l’impéritie et les malices du temps. Le renfort que leur apportent les Entretiens, enfin publiés par Connaissance de l’Orient, est capital. Confucius, dans la version presque originale de Ryckmans, n’est plus du tout le radoteur formaliste, réactionnaire et tatillon qui ressemblait à Maitre K’ong à peu près comme l’imagerie sulpicienne ressemble au Jésus des Evangiles, comme un marxiste-léniniste albanais ressemble à Marx ou comme le " libéral " français Léotard, ministre de l’esbroufe et de l’inculture, ressemble au libéral Tocqueville.

L’irrespect premier
On découvre en lisant Confucius traduit par Ryckmans qu’il n’a pas du tout les traits du vieux sage confucéen qui promène, dans les films de Hongkong et de Taiwan, sa longue barbiche, ses petits pas, son crâne poli et son respect des puissants. Confucius n’est pas toujours en avance sur son temps, même s’il est souvent en avance sur l’histoire.
Il ne se formalise pas que les femmes soient à son époque (et souvent encore à la nôtre) des êtres inférieurs. Mais, dans l’ensemble, si le maître enseigne quelque chose, c’est avant tout l’irrespect premier, le courage de la pensée, la gaieté hardie, l’humour critique, la saine incrédulité et une bonhomie qui retrouve son sens originel : la générosité de l’homme bon.
Débarbouillé de toutes les couches de vernis qui l’avaient assombri, on retrouve Confucius beaucoup plus proche de Montaigne que du professeur de piété filiale, du maitre de cérémonie des rites ou du soutien de l’Etat que décrit la légende confucéenne. Pas plus que Montaigne, Confucius n’est parfait. Il est imparfait parce qu’il est humain — si parfaitement humain.

[945€ jusqu’au 31/01/10 (52,50€ après). A noter que, pour l’achat de deux Pléiade, vous sont offerts par votre libraire un Agenda 2010 et un Album du Graal avec une iconographie choisie et commentée par Philippe Walter. Pour des raisons évidentes, je n’ai pu y résister. A. Gauvin.

[10GRCPC : Grande Révolution Culturelle Prolétarienne Chinoise.

[111966-1971 : Mao et Lin Piao, son plus proche compagnon d’armes

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Mao et Lin Piao pendant la Révolution culturelle

[12Voir notre article La Chine toujours.

[13Entretien avec Joseph Needham réalisé en mars 1974, soit un mois avant le voyage en Chine. Tel Quel 59, p. 40-48.

Sur cette période de la Révolution culturelle, écouter le cours de Anne Cheng du 21 janvier 2009 au Collège de France.

On trouvera par ailleurs dans La Dernière Révolution de Mao. Histoire de la Révolution culturelle de Roderick MacFarquhar et Michael Schoenhals (Gallimard, NRF Essais) une étude sur les liens entre une certaine interprétation du confucianisme et le "maoïsme".
Note du 12-11-09 : Aude Lancelin vient de consacrer un article à cet essai dans le N.O. du 12 novembre 2009 : Mao le dernier empereur.

[15Anne Cheng est la fille de l’écrivain et académicien François Cheng, auteur des idéogrammes du roman de Sollers Nombres (avril 1968).

[16L’ère Meiji (1868-1912) marque la volonté du Japon de se moderniser à marche forcée.

[17Examens imposés pour entrer dans l’administration impériale et formalisés dès le VIIe siècle.

[18Dirigeant de Singapour qui fut successivement premier ministre, ministre senior et ministre-mentor du premier ministre (son fils) entre 1959 et 2011.

[19Yu Dan, Le Bonheur selon Confucius. Petit manuel de sagesse universelle, Belfond, Paris, 2009.

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12 Messages

  • Albert Gauvin | 8 juillet 2021 - 14:18 1

    Les Instituts Confucius en France, de si discrets relais chinois

    Outils d’influence du Parti communiste chinois, les IC multiplient les projets dans les villes moyennes, en vivant dans l’évitement des sujets qui fâchent Pékin. LIRE ICI.


  • Albert Gauvin | 16 avril 2018 - 10:51 2

    Rediffusion cette semaine de 4 émissions consacrées à Confucius. Avec Anne Cheng (lundi), Rémi Mathieu (mardi), Alexis Lavis (mercredi et jeudi). A réécouter sur France Culture.


  • A.G. | 2 janvier 2017 - 13:32 3

    Qui était Confucius ? C’est la question à laquelle Les chemins de la philosophie (nouveau nom des Nouveaux chemins de la connaissance) essaie de répondre.
    Comment les réflexions d’un homme vivant en Chine à l’époque des présocratiques (6è siècle avant JC) peuvent-elles encore nous être utiles aujourd’hui ? Pour commencer l’année 2017, partons à la recherche de la "voie"dont l’unique but est de nous conduire à "mieux connaitre les hommes".
    Première invitée : Anne Cheng : sinologue, titulaire de la chaire « Histoire intellectuelle de la Chine » au Collège de France.
    ECOUTER ICI.


  • A.G. | 5 mai 2012 - 19:41 4

    Les penseurs chinois ont quelque chose à nous dire.

    Professeur au Collège de France, Anne Cheng combat les idées reçues sur la civilisation chinoise. Rencontre avec une pensée exigeante. Entretien.


  • A.G. | 3 mai 2011 - 13:12 5

    Confucius. Avec Rémi Mathieu : Les Nouveaux chemins de la connaissance.


  • A.G. | 2 juillet 2010 - 18:34 6

    Lire : Le ressac de l’histoire

    réflexions sur les amnésies chinoises

    entretien avec Anne Cheng, publié dans la revue Vacarme (n° 52, été 2010).


  • A.G. | 14 novembre 2009 - 11:47 7

    Merci pour le lien vers la thèse sur " Le nationalisme chinois aujourd’hui " de M. Ye Ming que j’ai d’ores et déjà téléchargée et qui, après en avoir parcouru certains chapitres, me paraît effectivement fort intéressante.

    Bien à vous.


  • Nicolas | 14 novembre 2009 - 07:41 8

    Juste pour signaler qu’un étudiant chinois a fait une thèse de 650 pages sur le nationalisme chinois : http://www.bu.univ-paris8.fr/web/collections/theses/YeThese.pdf . Le point de vue est intéressant, c’est une étude objective, on sort du schéma nationalisme = propagande, fascisme, etc.

    En tout cas, merci pour vos dossiers, ils sont exceptionnels.


  • A.G. | 14 novembre 2009 - 00:01 9

    Dussé-je vous surprendre je partage beaucoup de points de votre analyse. Votre passion de comprendre la Chine devrait sans doute trouver quelques motifs de satisfaction à la lecture de l’ensemble des articles ou dossiers que nous lui avons consacrés — dans le cadre, bien sûr, de ce qui fait la spécificité de ce site.


  • Nicolas | 13 novembre 2009 - 21:40 10

    Une citation hors contexte peut tout prouver, absolument tout et son contraire. Simon Leys a écrit sur le totalitarisme chinois dans les années 1980. Aujourd’hui, les choses ont changé et je suis surpris qu’on utilise encore le vocabulaire de la guerre froide.

    Vous avez cité Jean-Pierre Cabestan, mais pour prouver quoi ? Ce que je vous reproche, c’est d’écrire des expressions qui sont plus fondées sur des idées reçues que sur des faits. Moi aussi, je pourrais vous citer des livres sur le nationalisme français, par exemple "La France entre nationalisme et fascisme" de Zeev Sternhell (il n’est pas français car aucun français n’aurait pu écrire un livre sur ce sujet). Mais pourquoi faire ? Est-ce que cela suffit à montrer qu’il y a propagande nationaliste quand la France organise la coupe du monde de foot ?

    Vous demandez de ne pas confondre le système chinois avec la civilisation, la culture ou le peuple chinois. Et bien moi, je vous demand de vous mettre dans la peau du peuple chinois. Que ressent le peuple chinois quand il voit les campagnes de dénigrement de la presse occidentale contre la Chine pendant les jeux olympiques ? Ce qui est accablant, c’est cette prurit à parler de propagande nationaliste chinois et de boycott, alors que tout le monde s’en fiche des horreurs bien réelles que les Etats-Unis commettent au même moment en Irak ou en Afganistan, et personne n’exige pour eux aucun chatiment, aucun boycott. Ne trouvez-vous pas qu’il y a là un bug, non ?

    Ce que les journalistes français appellent Nationalisme en Chine n’est que le Patiotisme d’un Pays qui n’accepte pas les leçons de l’Occident qui a peur d’une Chine prospére et forte qui ne s’en laissera pas compter. Il y a aussi malentendu entre deux pays qui possèdent des psychologies différentes. Ce qui se passe entre la Chine et la France, c’est exactement ce qui se passe entre les USA et la France, pendant la période du début de la seconde guerre d’Irak. Comme les Américains, les Chinois possèdent une psychologie différente de celle des Français. C’est une évidence, mais les Français semblent faire fi de ce détail. Il faut comprendre que pendant des siècles, les Chinois Han ont été dominés plus ou moins par des ethnies non Han (Tibétains, Mongols, Mandchou). Et durant les dernières années avant la Révolution de Mao, ce sont les Occidentaux qui avaient le pouvoir en Chine ! Regardez comment nous, en France, ressassons sans arrêt nos quatre ans d’occupation... QUATRE ANS ! Pendant quatre ans, les Allemands avaient le pouvoir en France, et nous ne cessons de nous référer à cette époque. Ensuite, grâce au tour de magie de De Gaulle, nous avons réécrit l’histoire et complètement fantasmé “La Résistance”. Nous avons idéalisé notre propre réaction à ces quatre années... mais alors... qu’en serait-il si au lieu de quatre ans, les allemands, puis les anglais, puis les australiens, puis les Belges, avaient successivement dirigé la France pendant 500 ans, pendant 1000 ans ? C’est exactement ce qu’ont vécu les Chinois... Les Allemands, eux, n’ont pas détruit Versailles... Connaissez-vous l’histoire de l’ancien Palais d’Eté des empereurs chinois ? Une merveille mise à sac et brûlée en 1860 par les Français et les Anglais... Qu’imaginez-vous qu’il se passerait, en France, si les Allemands, en 2008, se mettaient à nous offenser, même à raison ? Alors qu’imaginez-vous qu’il se passe dans l’esprit d’un chinois qui voit ses amis de France manquer de respect à son drapeau et à ce qu’il estime être l’intégrité territoriale de son pays ? Regardez comment l’Etat français a réagi sur les sifflements contre la Marseillaise. Le nationalisme est une maladie, une pathologie. Mais... on connaît son terreau : l’humiliation nationale, collective, sur laquelle les populistes peuvent surfer avec tant d’aise. On sait quelle réaction a engendré la défaite allemande en 1918... on sait aussi que Mao a construit sa popularité sur une Chine unie, rassemblée. La Chine aux Chinois ! Il n’y a bien qu’en France qu’on trouve ça nationaliste ! Ce qui s’est passé à Paris a profondément vexé les Chinois. Puisque le chinois se vexe, il veut aussi vexer. Alors il brule le drapeau français, pensant que notre psychologie est identique à la sienne. Mais les Français n’ont pas compris ce geste et l’interprète de nationaliste.


  • A.G. | 12 novembre 2009 - 10:44 11

    Il est quand même arrivé à Simon Leys d’écrire du « système » bureaucratique-totalitaire chinois — qu’on ne confondra pas avec la civilisation, la culture ou le peuple chinois — qu’il « opère une sélection à rebours : il pénalise la décence, l’intelligence et la sincérité, en même temps qu’il récompense et promeut toutes les inclinations les plus basses : flagornerie, duplicité, paresse intellectuelle, opportunisme, lâcheté morale, délation, trahison. » (Essais sur la Chine). Honnêtement, est-ce moins accablant ?

    Lire par ailleurs Les multiples facettes du nationalisme chinois dans perspectives chinoises.


  • Nicolas | 11 novembre 2009 - 12:28 12

    L’expression "propagande nationaliste" me gêne beaucoup. S.Leys n’aurait pas utilisé cette formule. Que sait-on de la Chine pour avancer des expressions tout faites ? Je crois que c’est une question d’honnêté intellectuelle.