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En quoi consiste la magie du sonnet shakespearien ?

suivi de "SI LE GRAND WILL NOUS ETAIT CONTE" par Anthony BURGESS

D 12 mai 2024     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


12/05/2024 : Deux ajouts :

1. Le film de la lecture vint d’être publié et nous l’avons ajouté en fin d’article, en particulier la lecture en français de Claire-Emmanuelle Nardone. VOIR ICI.

2. Outre les "Sonnets", objet de et article, nous avons ajouté un article que nous avons intitulé « Si le grand Will nous était conté » et écrit par l’écrivain anglais Anthony Burgess (1917-1993). Ce texte permet de découvrir la prodigieuse variété des œuvres de Shakespeare dans le contexte historico-littéraire de l’époque, en même temps qu’il révèle un peu de l’homme derrière l’écrivain-poète : ses motivations, ses influences et ses emprunts, Un texte que nous avons apprécié et partageons ICI.-
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Suite à l’article « L’Evénement Shakespeare / L’amour selon Shakespeare ; Lectures en 19 langues ». Conception et coordination de Gabriella Bosco et Luana Doni de l’université de Turin et nous vous présentons, ici, les deux sonnets 98 et 104 lus en français par Claire-Emmanuelle Nardone, aussi de l’Université de Turin.

Nous vous en présentons, en regard, l’original anglais, tant il est vrai, comme le souligne Sollers, que c’est dans sa langue native, l’anglais, que le sonnet shakespearien révèle toute sa magie et son génie.

C’est pourquoi nous incluons dans cet article une tentative d’analyse du sonnet shakespearien et de son mystérieux constituant le « pentamètre iambique » qui lui confère ses lettres de noblesse.

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PARTIE 1. EN QUOI CONSISTE LA MAGIE DU SONNET SHAKESPEARIEN

Shakespeare a écrit 154 sonnets publiés dans son ’quarto’ en 1609, couvrant des thèmes tels que le passage du temps, la mortalité, l’amour, la beauté, l’infidélité et la jalousie. Les 126 premiers sonnets de Shakespeare sont adressés à un jeune homme à qui il exprime son amour, et les 28 derniers sont adressés à une femme, la mystérieuse « Dark Lady » qui enflamme son désir.’.

Jeune éphèbe et dame brune

La subversion tient aux épanchements équivoques du poète à la fois pour le jeune éphèbe et .pour la sulfureuse « Dark Lady ». Le chassé-croisé vire au trio amoureux quand le poète jaloux reproche à la dame de vouloir séduire son amant. S’il semble ne pas vouloir passer à l’acte avec le jeune homme (il le voue au lit des femmes et l’incite à se reproduire), il brûle apparemment de désir pour l’intrigante dame brune. Cette bisexualité affichée n’est pas si surprenante à l’époque élisabéthaine où l’adolescent était volontiers considéré comme un être androgyne. Mais en faire le fil rouge de ses poèmes est osé.
Difficile de faire le lien avec la vie intime de Shakespeare. On ignore en effet l’identité de ce duo d’amant et maîtresse.

Qu’est-ce qu’un sonnet shakespearien ?

Dans son introduction au tome de La Pléiade, l’universitaire Anne-Marie Miller-Blaise explique que le dramaturge s’est emparé du modèle de Pétrarque - ode très codifiée à l’amour sublimé - pour mieux le subvertir. La structure, trois quatrains suivis d’un distique, sert son dessein : exposer des pensées, pour mieux les questionner, voire les contredire :

« Il retourne les choses, les mots, fait éclater tous leurs sens multiples ».
Et quant à leur structure, les sonnets de Shakespeare ont toujours deux choses en commun :
Tous les sonnets ont quatorze vers.
Tous les sonnets sont écrits en pentamètre iambique.

Apprenez-en davantage sur cet intrigant pentamètre iambique qui n’est pas pratiqué par nos poètes nationaux..

Le pentamètre iambique en question. De quoi s’agit-il ?

Dans une ligne de poésie, un "iambe" est un pied ou un rythme composé d’une syllabe non accentuée suivie d’une syllabe accentuée.

Ou une autre façon de le penser est une syllabe courte suivie d’une syllabe longue. Par exemple, de-LIGHT, le SUN, for-LORN, one DAY, re-LEASE. L’anglais est la langue parfaite pour l’iambe en raison de la manière dont les syllabes accentuées et non accentuées fonctionnent. (De manière intéressante, l’iambe ressemble un peu à un battement de cœur)

Pentamètre : « Penta » signifie cinq, donc le pentamètre signifie simplement cinq mètres. Une ligne de poésie écrite en pentamètre iambique comporte cinq pieds = cinq ensembles de syllabes accentuées et non accentuées. Au total dix syllabes par ligne.

Exemple de pentamètre iambique :

Le sonnet 18 de Shakespeare commence par "Shall I compare thee to a summer’s day ?". Cette ligne de poésie comporte cinq pieds, donc elle est écrite en pentamètre. Et le rythme est iambique (une syllabe non accentuée suivie d’une syllabe accentuée) :
Shall I | compARE | thee TO | a SUM | mersDAY ?

A rapprocher des battements d’u cœur :
da DUM | da DUM | da DUM | da DUM | da DUM

Crédit : https://nosweatshakespeare.com/sonnets/

Plongez plutôt dans l’animation vidéo ci-dessous pour aborder ces notions de façon beaucoup plus ludique :

Pourquoi Shakespeare aimait le pentamètre iambique (animation vidéo
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Les sonnets 98 et 104 lus en français par Claire-Emmanuelle Nardone

Sonnet 98

ZOOM : cliquer l’image

Que dit ce sonnet en français moderne, (sans considération poétique)

J’ai été loin de toi durant le printemps, lorsque l’impressionnant avril, dans toute sa splendeur, insufflait un tel sentiment de jeunesse à tout que même le grave Saturne en riait et en sautillait. Pourtant, ni le chant des oiseaux ni la douce odeur d’une multitude de fleurs de différentes couleurs et parfums ne pouvaient me mettre dans une ambiance estivale ou me donner envie de cueillir des fleurs. Je ne pouvais pas non plus susciter d’enthousiasme pour la merveilleuse blancheur des lys ni louer le rouge profond des roses. Ils n’étaient que de douces images de délice dessinées en imitation de toi, le modèle pour eux tous.

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Sonnet 104

ZOOM : cliquer l’image

Que dit ce sonnet en français moderne, (sans considération poétique)

Pour moi, cher ami, tu ne peux jamais vieillir Ici, Shakespeare exprime l’amour qu’une personne éprouve pour une autre en montrant comment la beauté du bien-aimé ne change pas aux yeux de l’amant. Il montre le passage du temps à travers les saisons et les années, tout changeant. Sauf la beauté du bien-aimé. Il va plus loin en affirmant que peu importe combien de temps le monde perdurera, même si le bien-aimé est depuis longtemps décédé, il n’y en aura jamais un autre aussi beau.

A propos de Claire-Emmanuelle Nardone

Agrégée de Lettres classiques (2012) - Ancienne élève de l’ENS de Lyon - Docteure en Langues et littératures anciennes (2020)
Enseigne à l’Université de Turin, Département de Langues et Littératures Étrangères et Cultures Modernes,

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Lire et traduire les Sonnets de Shakespeare (extrait)

Université Bordeaux Montaigne
13 avr. 2021
À l’occasion de la parution du dernier opus des œuvres complètes de Shakespeare dans la Bibliothèque de la Pléiade (Gallimard, mars 2021), consacré à la poésie du dramaturge, Jean-Michel Déprats (traducteur) et Anne-Marie Miller-Blaise (commentatrice) reviennent avec Antoine Ertlé sur ce « monument d’écriture subversive » et sur les questions que soulèvent ses traductions, hier et aujourd’hui avec, dans cet extrait, une lecture bilingue anglais-français du sonnet 144 : « 

Sonnet 144 : Two Loves I Have Of Comfort And Despair

Two loves I have of comfort and despair,
Which like two spirits do suggest me still :
The better angel is a man right fair,
The worser spirit a woman coloured ill.
To win me soon to hell, my female evil,
Tempteth my better angel from my side,
And would corrupt my saint to be a devil,
Wooing his purity with her foul pride.
And whether that my angel be turned fiend,
Suspect I may, yet not directly tell ;
But being both from me, both to each friend,
I guess one angel in another’s hell :
Yet this shall I ne’er know, but live in doubt,
Till my bad angel fire my good one out.

Transcription en français moderne, (sans considération poétique)

J’aime deux personnes : l’une me réconforte, l’autre me désespère. Comme deux anges, elles me suggèrent toujours des choses. L’ange bon est un homme aux cheveux blonds ; le mauvais est une femme à la peau sombre. Pour m’emmener rapidement en enfer, ma diabolique compagne détourne mon bon ange de moi, essayant de le transformer en démon, le corrompant de son assurance diabolique. Et que cet ange se soit effectivement métamorphosé en démon est quelque chose que je soupçonne mais dont je ne suis pas sûr. Mais puisqu’ils sont tous deux loin de moi et amis l’un de l’autre, je suppose qu’un ange est à l’intérieur de l’enfer de l’autre. Je ne le saurai jamais, cependant, et je vivrai dans le doute jusqu’à ce que mon mauvais ange expulse mon bon ange de l’enfer.

La vie de William Shakespeare en 5 minutes - Les arTpenteurs

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Le film de la lecture

Vient d’être publié :

Extrait : La lecture en français par Claire-Emmanuelle Nardone

L’intégrale


ICI : https://media.unito.it/?content=11160

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PARTIE 2. "SI LE GRAND WILL NOUS ETAIT CONTE"
PAR ANTHONY BURGESS

« Il voulait cogner,
enchanter, courtiser les oreilles
des spectateurs »
ANTHONY BURGESS

En introduction : Si l’histoire de ce texte m’était contée :

En 1957, Anthony Burgess, futur auteur de L’Orange mécanique, dirigeait le département d’études anglaises d’un collège du nord-est de la Malaisie. Confronté à des étudiants de cultures très diverses, il vit la nécessité de disposer d’un manuel simple, fournissant le contexte historique des œuvres littéraires inscrites au programme ; n’en trouvant pas de satisfaisant, il entreprit d’en écrire un lui-même. English Literature (Longmans, 1958), inédit en France, dont le texte fut mis à jour en 1974, est donc un manuel pédagogique, un livre de classe.
En 2000, Le Magazine littéraire, sous la conduite de Robert Louit (1944-2009), traducteur notamment de Philip K. Dick et de J. G. Ballard, reprenait l’excellent chapitre intitulé « Shakespeare », que nous republions ici.


L’écrivain britannique Anthony Burgess (1917-1993)

Ce chapitre devrait se limiter à son titre, « Shakespeare ». Que puis-je dire en effet de plus sur Shakespeare qui n’ait été dit ? On peut concevoir qu’il ait eu pour but principal de devenir gentilhomme et non pas artiste, que son théâtre ait été le moyen de parvenir à cette fin. Shakespeare voulait acquérir du bien - de la terre et des maisons-, ce qui signifiait gagner de l’argent ; écrire des pièces fut d’abord un moyen de gagner de l’argent. Il n’a-jamais visé la postérité (sauf peut-être dans ses poèmes) ; il ne voyait que le présent.

LE GLOBE

Le fameux théâtre de Shakespeare construit en 1599 sur la rive gauche de la tamise, face à la cathédrale Saint-Paul. C’est ici que la plupart des pllus belles pièces de Shakespeare furent jouées pour la première fois. Il fut détruit en 1613, par un incendie, provoqué par une étincelle venant d’un canon tiré pendant une représentation de Henri VIII. Reconstruit immédiatement sur mêmes fondations, i resta ouvert jusqu’en 1642, quand tous les théâtres furent fermés par les puritains, qui les considéraient comme immoraux et fut démoli en 1644.
Trois siècles plus tard, en 1949, l’acteur et metteur en scène américain Sam Wanamaker qui découvrit Londres, fut étonné de ne pas trouver un Globe Theatre sur la South Bank (la rive droite de la Tamise. En 1970, il fonda le Globe Playhouse Trust dont l’objectif a été de reconstruire le théâtre de Shakespeare. Les travaux du Globe furent commencés en 1989, Sam Wanamaker s’éteindra en 1993, sans voir l’achèvement de son œuvre, incertain que tout ce qu’il avait envisagé serait réallisé. Le budget total de 30 millions de livres sterling ne fut bouclé qu’en octobre 1995, quand le Trust reçut 12,4 millions de livres sterlinng de laloterie britannique et son inauguration eut lieu le 20 septembre 1999, pour le 400e anniversaire de la nnaissance de la première représentation au Globe Playhouse original. (Le nouveau International Shakespeare Globe Centre comprend six bâtiments : des salles d’exposition et une médiathèque jouxtent le Skakespeare Globe…)

La salle de théâtre, voilà ce qui a passionné Shakespeare le dramaturge, et malheur à nous si nous l’oublions. Chaque fois que nous nous apprêtons à lire une de ses pièces, nous devrions avoir en tête une salle semblable au Globe et imaginer la représentation qui s’y donne. Cela nous évitera de penser Hamlet ou Macbeth - comme l’ont fait les érudits du XIXe siècle - en termes de « personnes réelles » et de poser des questions du genre : « Que faisait Hamlet avant que l’action ne commence ? », ou : « Macbeth a-t-il eu une enfance malheureuse ? » (Il s’est publié naguère un livre, très populaire, intitulé :
L’Enfance des héroïnes de Shakespeare.) Voir dans ces personnages des « personnes réelles », que l’on pourrait séparer des pièces dans lesquelles ils apparaissent, serait commettre une grossière bévue. Shakespeare a conçu Hamlet comme un rôle pour Dick Burbage, et Touchstone comme un rôle pour Armin. Que faisait Hamlet avant le début de la pièce ? Il était probablement en train de boire une bière, de se coiffer et de brosser son pourpoint. Hamlet ne commence à exister que lorsqu’on le découvre sur les planches, acte premier, scène ; avant cela, il n’est qu’un acteur en proie au trac.


Au Shakespeare Globe Playhouse, construit en 1599, public et acteurs se mêlaient devant la scène.

DE VRAIES PLANCHES ET UNE FORÊT

Pourquoi tant d’héroïnes de Shakespeare s’habillent-elles soudain en garçon ? Parce que ces héroïnes étaient des garçons et se sentaient plus à l’aise (jouaient mieux aussi, probablement) vêtues en garçon. Pourquoi la reine dit-elle que Hamlet est « gros et poussif » ? Parce que Bur¬bage était probablement gros, poussif et mauvais escrimeur. Pourquoi tenter de le dissimuler aux yeux du public ? Le théâtre shakespearien a très peu recours au « faire semblant ». Pas de décors, de costumes, rien qui tente de convaincre le public qu’il vit dans les anciennes Rome, Grèce ou Grande-Bretagne. Jules César et Coriolan proclamaient par leurs costumes qu’ils étaient des personnages de pièces parlant de l’Angleterre élisabéthaine, ou - subtilité trop grande pour notre époque moderne – à la fois de l ’Angleterre élisabéthaine et de la Rome ancienne.

HAMLET NE COMMENCE À EXISTER
QUE LORSQU’ON LE DÉCOUVRE
SUR LES PLANCHES ;
AVANT CELA, IL N’EST
QU’UN ACTEUR EN PROIE AU TRAC

1. De même que les planches pouvaient être à la fois de vraies planches et une forêt, de vraies planches et un bateau en mer. La rapidité de l’action, les brusques changements de scène exigent - si l’on veut du naturalisme - autant de souplesse que le cinéma, et c’est par les films que nombre de gens aujourd’hui accèdent à Shakespeare. Ce qui n’est pas cinématographique en revanche, c’est sa façon de traiter la langue. Dans un film, ce que nous voyons est plus important que ce que nous entendons- les choses n’ont pas tellement changé depuis l’époque du cinéma muet. Pour Shakespeare, les mots sont tout- pas seulement ni d’abord leur sens, mais leur son. Il voulait cogner, courtiser, enchanter les oreilles des spectateurs, et, pour chacune de ses pièces - celles du début comme les dernières -, il ouvre son inépuisable coffret à mots et répand l’or à profusion. Dans les pièces du début, Roméo et Juliette ou Richard II par exemple, le génie verbal est d’ordre lyrique, musical. De longues tirades, qui souvent bloquent l’action, tissent de superbes images, jouent avec les mots et les sons. Dans les pièces plus tardives - Antoine et Cléopâtre ou Le Roi Lear -,la langue devient abrupte, compressée, parfois discordante, et souvent difficile à comprendre. Mais les mots continuent à jaillir - ne donnant jamais l’impression d’une composition lente et précautionneuse, d’une recherche tranquille du mot juste. Nous savons par les témoignages de Heming et Condell [1] et Ben Jonson, que Shakespeare écrivait avec grande rapidité et facilité, raturait peu. Ce qui explique cette fièvre de l’expression : n’ayant pas le temps d’attendre que lui vienne le mot juste, il l’invente

LE GÉNIE VERBAL
EST D’ORDRE LYRIQUE, MUSICAL.
DE LONGUES TIRADES, QUI SOUVENT
BLOQUENT L’ACTION,
TISSENT DE SUPERBES IMAGES,
JOUENT AVEC LES MOTS ET LES SONS.

Se soucier du son des mots signifie se soucier des oreilles de celui qui l’entend. Shakespeare connaît bien le public élisabéthain auquel il s’adresse, ce méli-mélo d’aristocrates, de beaux esprits, de galants, de malandrins, de marins et soldats en permission, de collégiens et d’apprentis, qui ressemble plus à celui de nos cinémas que de nos théâtres (en Europe, en tout cas). Il essaie de créer une intimité avvec ces gens, de les faire entrer dans la pièce, et les longues tirades ne sont pas des discours que l’acteur se tient à lui-même, plutôt une façon de communiquer avec le public. Comment d’ailleurs ne pas tenir compte de ce public ? Baignant dans la lumière du jour, les spectateurs entouraient la scène sur trois côtés, certains même s’asseyaient dessus. L’acteur moderne, coupé des gens par les projecteurs et l’obscurité, peut faire mine de les prendre pour des rangées de choux. L’acteur élisabéthain, lui, se devait d’établir le contact avec des spectateurs critiques, parfois tapageurs, en tout cas des êtres de chair et de sang, non des abstractions cachées dans le noir. À ce public il fallait donner ce qu’il voulait, et parce qu’il était de tout un peu, il voulait une variété de choses - action et sang pour les illettrés, belles phrases et mots d’esprit pour les galants, matière à apprendre, penser et débattre pour les collégiens, humour subtil pour les raffinés, bouffonneries pour les non-raffinés, histoires d’amour pour les dames, chant et danse pour tout le monde. Shakespeare donne tout cela, comme nul autre auteur dramatique ne l’a jamais fait.

UN TOUCHE—TOUT OPPORTUNISTE

Avant de survoler l’ensemble de l’euvre, souvenons-nous qu’il n’est pas toujours facile ni même possible de dire du théâtre élisabéthain : « Cette pièce est l’œuvre d’untel. » La collaboration était pratique courante, Shakespeare a travaillé avec Francis Beaumont et John Fletcher, et d’autres écrivains notoires. Surtout, il lui arrivait de prendre une pièce existante (comme le Hamlet originel probablement écrit par Thomas Kyd) et de la refaçonner, à coup sûr en l’améliorant. Une façon de procéder qui correspondait mieux à son talent que l’invention d’intrigues nouvelles ; il préfère s’emparer de l’intrigue d’un autre, en extraire une d’un récit historique ou d’une brochure populaire - il s’intéresse davantage au récit qu’à l’intrigue. Quoi qu’il en ait été, Shakespeare est certainement l’auteur, en totalité ou en grande partie, des pièces que je vais évoquer maintenant.

La renommée du poète (par opposition à celle de l’auteur dramatique) a commencé avec deux longs poèmes - Vénus et Adonis et Le Viol de Lucrèce - et le premier de ces Sonnets qu’il a continué d’écrire en même temps que ses pièces. Dès les débuts de sa vie londonienne, la protection et l’amitié du comte de Southampton lui permirent d’approcher les grands, dont des assoiffés de pouvoir comme le comte d’Essex, et de connaître ainsi, par lui-même, le monde affairé de la cour, les intrigues et la politique. Au nombre de ses premières pièces figurent les trois parties de Henry VI-grand spec¬tacle historique assaisonné de patriotisme, un argument que Shakespeare savait propre à unifier les éléments disparates de son public. En ces années-là, l’orgueil national était au plus haut - l’Armada défaite, la plus forte marine d’Europe, le pays rassemblé sous un puissant monarque. L’accueil fait à Henry VI fut tel qu’il valut à Shakespeare l’animosité de l’un au moins de ses collègues dramaturges - Robert Greene, qui, dans son œuvre posthume Deux liards d’esprit au prix d’un million de repentirs, parodie le nom de Shakespeare : Shake-scene (« ébranleur de scène »).


Henry Wriothesley, comte de Southampton, par Daniel Mytens (v. 1618). Vénus et Adonis et Le Viol de Lucrèce lui sont dédiés.

C’est que, pour les nouvelles pièces, les théâtres londoniens dépendaient d’une coterie d’universitaires d’Oxford et de Cambridge - les University Wits (les « Beaux Esprits de l’Université »), poètes savants comme Greene, Peele, ou Marlowe. Or voilà que ce nouveau venu, tout juste sorti de sa province, avec la fréquentation d’un collège pour tout bagage, battait ces messieurs à leur propre jeu. Greene voyait en Shakespeare un « Johannes Factotum », un touche-à-tout, opportuniste intelligent et brutal qui donnait au public ce que celui-ci voulait et non pas ce qu’il aurait dû se contenter de prendre. Réclamait-il la pornographie de la violence, et Shake¬speare le satisfaisait avec Titus Andronicus, mélange étonnant de viol, de torture, de massacre, et même de cannibalisme. Aimait-on les farces sur les usurpations d’identité, La Comédie des erreurs dépassait en matière de complications insensées les pièces de Plaute et de Térence. Les auteurs romains s’étaient contentés, pour faire rire, de broder sur le thème de jumeaux qui, séparés à la naissance, débarquent soudain au même endroit, chacun ignorant l’existence de l’autre. Mais un seul couple de jumeaux ne suffisait pas à Shakespeare : il en créa un deuxième, en la personne des serviteurs. Combattant dans l’âme, il aimait l’emporter sur ses prédécesseurs, les surpasser dans l’intrigue, la violence ou la pure beauté lyrique.

2. Ce lyrisme se manifeste d’abord dans une série de comédies romanesques, dont la toute première, Peines d’amour perdues, fut écrite, on le croit sans peine, pour un auditoire aristocratique, le cercle du comte de Southampton. Usant d’une langue ampoulée, à la manière de John Lyly, pleine de subtiles allusions à la cour d’Henri IV, le roi de France, la pièce se veut surtout - et sans aucun doute pour faire plaisir à Southampton - une attaque contre sir Walter Raleigh, cet homme si porté à se créer des ennemis [2]. Ce n’était certainement pas un spectacle destiné aux mangeurs de saucisses des théâtres publics. En contraste à ces exquises mignardises, Shakespeare écrivit La Mégère apprivoisée, qu’il présente, afin d’en tempérer les relatives crudités, comme une pièce à l’intérieur de la pièce. Le spectacle de La Mégère apprivoisée se donne devant Christopher Sly, étameur ivre, à qui l’on fait croire qu’il est un gentilhomme ayant perdu la mémoire. Difficile de ne pas penser que Shakespeare a mis quelque chose de lui-même dans le personnage de Sly (le « malin ») - étameur du Warwickshire (ou rétameur de pièces), humble provincial de¬venu l’ami et le protégé d’un noble seigneur, petit malin qui, dans le monde du spectacle, prend la place du défunt Christopher Marlowe. La pièce que regarde Sly se passe à Padoue - Shakespeare commence à étaler cette connaissance indirecte qu’il a de l’Italie du Nord-Est, et qu’il tient peut-être de l’Italien John Florio, secrétaire du comte de Southampton. Le soleil italien inonde Les Deux Gentilshommes de Vérone.Un spectacle où se glisse la première de ces exquises chansons qui parsèment l’œuvre shakespearienne : « Qui est Sylvia ? » On se croirait à une mise en bouteilles de chianti à Londres. Cette ambiance italienne - vénitienne en fait - hantera les productions suivantes.

SHAKESPEARE CONNAÎT BIEN LE PUBLIC
ELISABETHAIN AUQUEL IL S’ADRESSE,
CE MELI-MELO D’ARISTOCRATES,
DE BEAUX ESPRITS,
DE GALANTS, DE MALANDRINS,
DE MARINS ET SOLDATS EN PERMISSION,
DE COLLÉGIENS ET D’APPRENTIS,
QUI RESSEMBLE PLUS À CELUI DE NOS CINÉMAS
QUE DE NOS THÉÂTRES.

Avec Roméo et Juliette, remarquable tragédie lyrique qui se déroule également à Vérone, Shakespeare tente, en bon opportuniste qu’il est, de réaliser un spectacle capable de plaire à toutes les couches de son auditoire - combats, comique de bas niveau, truismes philosophiques (à l’intention des étudiants des écoles de droit qui peuvent les noter dans leurs carnets), jeunes amours infortunées, mort prématurée. Sans oublier, sous-jacente à l’intrigue qu’il a tirée d’un poème populaire, cette touche d’actualité qui figure même dans ses drames apparemment les plus éloignés de l’actualité- en l’occurrence une querelle célèbre et meurtrière entre deux familles anglaises, les frères Long et les frères Danvers, ceux-ci amis de Southampton qui, malgré le mandat d’arrêt lancé contre eux, organisa leur fuite vers la France. Actualité toujours dans Le Marchand de Venise, où l’antisémitisme, bien que calqué sur l’antisémitisme conventionnel de la pièce de Marlowe, Le Juif de Malte, exploite les sentiments que suscita le comte d ’Essex (ami et modèle de Southampton) en affirmant que le médecin juif de la reine, Lapez, était un espion espagnol. Lapez fut pendu et écartelé ; Shylock, qui n’a commis que le crime d’usure, est un personnage trop complexe pour une condamnation aussi facile.


Le Marchand de Venise, par John Gilbert (XIXe s.). Acte Ill, scène 1 : « Un juif n’a-t-il pas des yeux ? Un juif n’a-t-il pas des mains, des organes [...] ? », plaide Shylock face aux chrétiens.

INCONSTANCE FRANÇAISE ET INTRANSIGEANCE ANGLAISE

Sous le soleil fou, ou plutôt la lune folle qui le baigne, le pays où se déroule Le Songe d’une nuit d’été combine une Athènes mythique et le Warwickshire de Shakespeare. Féerie écrite, croit-on, pour les noces de lady Elizabeth Vere (sommé de l’épouser par son parrain, lord Burleigh, Southampton avait préféré payer un dédit de 5 000 livres sterling plutôt que de s’exécuter) et du comte de Derby, elle étire aux dimensions d’une pièce la tirade musicale de Mercutio sur la reine Mab dans Roméo et Juliette. On y attribue aussi aux querelles du roi et de la reine des fées la responsabilité de l’été et de la moisson pourris de 1594, cependant qu’avec les rodomontades de Bottom le tisserand on ridiculise la technique déclamatoire d’Edward Alleyn, premier tragédien dans la troupe de l’Amiral (les Lord Admiral’s Men). Shakespeare était devenu, entretemps, actionnaire de la compagnie du Lord-Chambellan (les Lord Chamberlain’s Men) et dramaturge attitré du théâtre de Shoreditch. Il commençait à bien gagner sa vie.

Richard II marque le retour de Shakespeare à des sujets tirés de l’histoire anglaise¬et le début d’une série de drames épiques concernant la période troublée qui s’était glorieusement terminée par l’instauration de la dynastie Tudor. Richard III, né, semble-t-il, dans la foulée de la trilogie de Henry VI, doit, malgré sa puissance mélodramatique, être considéré comme le produit d’une phase d’apprentissage ; Richard II est une pièce lyrique, subtile et, de nouveau, ancrée dans l’actualité. Shakespeare avait, sans nul doute, appris de Marlowe et de son Edward II comment construire une pièce historique qui fût plus qu’un cortège de violences, mais, dans le thème du monarque faible et du noble usurpateur (Henry Bolingbroke dépose Richard et devient Henry IV), les partisans du comte d’Essex virent un rappel des temps qu’ils vivaient. Élisabeth devenait sénile, pensaient-ils ; en l’absence d’un dauphin déclaré, le pouvoir ne devait-il pas aller au grand héros populaire - soldat et fleur de la chevalerie - Robert Devereux, comte d’Essex ? Shakespeare eut-il l’intention délibérée de faire de Richard II une œuvre de propagande, nous l’ignorons, mais ce que nous savons c’est que la pièce ne tarda pas à passer pour un brûlot et joua effectivement un rôle incendiaire à l’occasion de la représentation qui précéda la rébellion d’Essex en 1601.

Le Roi Jean, qui date de 1596, interlude dans la grande série de pièces sur les
Plantagenêts, se voulait peut-être avant tout un commentaire sur la dureté des temps. Les Espagnols s’agitaient de nouveau, les Français les avaient laissés s’emparer de Calais, et il est beaucoup question dans la pièce de l’inconstance française et de l’intransigeance anglaise. On y trouve aussi d’évidentes références à la mort du fils de Shakespeare, Hamnet, survenue cette année-là. Ce fut une année pénible pour Shakespeare, et une certaine panne d’inspiration fait de cette pièce la pire, probablement, de sa maturité, mais une année aussi au cours de laquelle il fut fait gentilhomme, avec armoiries, et conclut l’achat de New Place, la plus belle demeure de Stratford. Dès lors, son œuvre allait refléter maturité et confiance en soi.


Falstaff fait le récit de l’attaque qu’il a subie, se vantant devant Hal et Poins, eux-mêmes responsables de l’attaque (Henry IV, Il, artiste inconnu, v. 1840).

FORMIDABLEMENT PATRIOTIQUE

Les deux Henry IV, suites directes de Richard II, sont plus que de simples pièces historiques. Le personnage de sir John Falstaff, qui soutient glorieusement l’action, est, selon l’expression de Charles Knight, la viande qu’entoure le pain sec de l’histoire. Sa popularité fut telle qu’il devait réappa¬raitre - à la demande même de la reine, croit-on - dans Les Joyeuses Commères de Windsor, mais considérablement amoin¬dri parce que ridiculisé en fat amoureux, ou libidineux. La lubricité ne sied pas à Falstaff, dont l’esprit a trouvé à s’exprimer dans des situations convenant mieux à son caractère. Quant à Henry V, la plus formidablement patriotique de toutes les pièces shakespeariennes, il se peut qu’elle ait marqué l’inauguration du nouveau Globe en 1599.

L’ACTEUR ÉLISABÉTHAIN
SE DEVAIT D’ÉTABLIR LE CONTACT
AVEC DES SPECTATEURS CRITIQUES,
PARFOIS TAPAGEURS,
EN TOUT CAS DES ÊTRES DE CHAIR ET DE SANG,
NON DES ABSTRACTIONS
CACHÉES DANS LE NOIR.

Bien que le thème en soit la conquête de la France, Shakespeare, à n’en pas douter, avait en tête la campagne en cours pour la conquête de l’Irlande - campagne perdue, hélas ! par le comte d’Essex. On y trouve, exprimée par le chœur, qui nous rappelle que le nouveau théâtre est un « O de bois », une référence directe à Essex. Mais, avec le retour honteux d’un Essex vaincu, ces en¬volées patriotiques prirent un goût amer ; l’histoire anglaise devint un sujet dangereux à présenter sur scène : le passé permettait trop facilement de dresser des parallèles séditieux avec le présent. Désormais, l’his¬toire devrait être étrangère et très éloignée dans le temps - Jules César, Coriolan et tous autres sujets que Shakespeare chiperait à Suétone et à Plutarque.

Avant, toutefois, il allait exploiter une nouvelle veine, la comédie, ainsi qu’une nouvelle façon de traiter ce personnage essentiel de la comédie élisabéthaine : le bouffon. Dans la troupe des « Hommes du Lord-Chambellan », le comique de loin le plus populaire était Will Kemp, avec ses œillades, ses culbutes et ses improvisations égrillardes. Shakespeare conçut un personnage de clown beaucoup plus complexe et raffiné, qui chantait des chansons tristes et s’en tenait à son texte. Kemp quitta la compagnie, remplacé par Robin Armin. C’est pour lui que Shakespeare écrivit les rôles de Touchstone dans Comme il vous plaira et de Feste dans La Nuit des rois. Charmante comédie pastorale, Comme il vous plaira met en scène un personnage mélancolique nommé Jacques - Shakespeare tente de faire oublier Chapman, inventeur d’un remarquable personnage mélancolique en costume noir du nom de Dowceser - qui récite une tirade faisant référence directe à la devise, tissée sur la bannière du Globe, sous l’image d’Hercule portant le monde sur ses épaules : Totus mondus agit histrionem, traduit approximativement par : « Le monde entier est un théâtre ». La Nuit des rois, tapisserie étrangement mélancolique malgré sir Toby Belch, le joyeux ivrogne et sir Andrew Aguecheek, l’imbécile, contient des allusions oubliées de tous (sauf de l’universitaire spécialiste de la vie de cour) à une honteuse mistress Mary Fitton, dite Mali, et à la passion que lui voue le vieux, et marié, sir William Knollys, contrôleur de la maison de la reine. Mali voglio - Je veux Mail ; le personnage de Malvoglio renvoie à la cour pour laquelle la pièce fut écrite, divertissement destiné à la douzième nuit de Noël.

Jules César et Troilus et Cressida - respectivement tragédie noire tirée de l’histoire romaine et comédie noire tirée d’un mythe grec - semblent refléter les propres tourments de Shakespeare confronté à la situation créée par la rébellion du comte d’Essex, chassé de la cour mais encore tenu par beaucoup pour la fleur de la chevalerie. C’est le maintien de l’ordre dans le pays qui préoccupe avant tout Shakespeare : « Écartez-vous d’un ton, désaccordez cette corde, écoutez ! la discorde s’ensuit... » Si Troilus et Cressida fut un échec (nous avons la preuve qu’il n’y eut qu’une représentation), c’est que l’on y prêchait trop l’ordre et la nécessité de maintenir le ton. Quand le comte d’Essex se révolta et tenta de casser l’ordre public, Shakespeare abandonna ses sermons poli¬tiques. Il garda le silence pendant une année ou presque, avant de résumer toute l’ère élisabéthaine qui s’achevait- le conflit entre la pensée médiévale qu’elle avait héritée et le nouveau scepticisme, l’inhérence du mal à l’univers - dans Hamlet. C’est peut-être de cette pièce, parmi toutes celles qui ont jamais été écrites, que le monde se passerait le moins volontiers, produit de la désillusion et du désespoir qui ont marqué la maturité de Shakespeare.

Macbeth apercevant le spectre du noble Banquo, qu’il fit assassiner par ses sbires (Théodore Chassériau, v. 1854).

EXCELLENCE DANS TOUS LES GENRES

Cette longue phase de sa vie appartient à l’ère jacobéenne. La reine Elisabeth morte en 1603, Jacques VI d’Écosse réunit les deux royaumes et devint Jacques Ier d’Angleterre. À la troupe du Lord-Chambellan succédèrent les Comédiens du Roi, et Shakespeare fut nommé gentilhomme de la Chambre du roi. Pourtant, rien de l’euphorie qu’auraient dû lui causer cette promotion et sa consécration de plus grand poète de son temps ne transparaît dans son œuvre, pas même dans les comédies. Tout est bien qui finit bien et Mesure pour mesure ne cherchent pas, a priori, à faire rire. Macbeth, qui se déroule en Écosse pour honorer un roi écossais, abrégé en quelque sorte de ce qui intéressait Jacques Ier - sa lignée et la sorcellerie -, reflète aussi une vision très amère de la vie : « Éteins-toi, éteins-toi, chandelle éphémère. » Le Roi Lear et Timon d’Athènes sont des dénonciations quasi hystériques de l’ingratitude (de quelle ingratitude le poète avait-il souffert récemment ?). Coriolan, le héros de la pièce qui porte son nom, méprise la foule, comme peut-être Shakespeare apprenait à la mépriser. Dans Antoine et Cléopâtre, la réalité historique s’efface devant celle d’un amour humain- que brise d’ailleurs un monde plein d’aigreur - bâti sur la corruption et l’irresponsabilité.

En 1610, Shakespeare se retire en partie dans sa grande maison de Stratford, où la présence de ses filles Judith et Susanna lui apporte le réconfort. Les dernières grandes comédies s’en ressentent, qui donnent une image du pouvoir rédempteur d’une âme féminine innocente. Il y a dans Le Conte d’hiver, Périclès (ni si grande que cela, ni peut-être écrite par le seul Shakespeare) et La Tempête un lyrisme neuf et délicieux ; disparue l’amertume tragique, le magicien enterre son bâton et attend une mort sereine. En 1613, un incendie détruit de fond en comble le théâtre du Globe pendant la première représentation de Henry VIII, que Shakespeare semble avoir écrit en collabo-ration avec John Fletcher, jeune homme prometteur. On reconstruira un autre Globe, mais pas du vivant de Shakespeare. Il avait tant investi de lui-même dans l’existence de ce « O de bois » qu’il a dû en ressentir la destruction comme la perte de l’une de ses facultés ou de l’un de ses membres. Il lui restait encore trois ans à vivre, mais la fin du Globe marque celle de sa carrière.

Disons, pour rester sobre, l’une des plus stupéfiantes carrières de l’histoire littéraire

En quoi consiste avant tout la grandeur de Shakespeare ? 11 semble que ce soit dans la constance de son génie. À son époque même, ils furent nombreux à produire des œuvres de grande qualité, mais aucun ne fournit cette régularité dans l’excellence que reflètent les pièces de Shakespeare à partir de 1593. Il réussissait dans la tragédie aussi bien que les spécialistes du genre, voire, dans des œuvres aussi stupéfiantes que Hamlet, beaucoup mieux. Non seulement il n’avait rien à envier aux auteurs comiques patentés, mais il produisait d’étranges et grandes choses dans des domaines que personne d’autre n’abordait - une comédie « noire » avec Mesure pour mesure, une fantasmagorie échevelée avec La Tempête. Cette excellence dans tous les genres est servie par une langue inouïe. D’autres auteurs dramatiques nous ont légué quelques très beaux personnages - la duchesse d’Amalfi, Tamerlan, De Flores ou Volpone -, aucun n’en a créé une telle galerie. En Shakespeare se trouvent réunis tous les dramaturges de son temps ; il est vingt hommes en un, et aussi lui-même, énigma¬tique mais étrangement sympathique. Une grandeur qu’a résumée Alexandre Dumas : « Le plus grand créateur après Dieu ». Nous en resterons là. ♦

Traduit de l’anglais par Françoise Adelstain © Longmans, et Le Magazine littéraire pour la traduction

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[1John Heming ( 1556-1630) et Henry Condel\ (y. 1576- 1627), tous deux comédiens, ont publié en 1623 la première édition in-folio des pièces de Shakespeare.

[2Explorateur, fondateur de la Virginie d’où il rapporta le tabac, grand rival du comte d’Essex, il participa à la victoire sur la « terrible » Armada. Il finit décapité sur l’ordre de Jacques •Ier

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