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L’événement Shakespeare

L’amour selon Shakespeare : Lecture en 19 langues

D 22 mars 2024     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


L’événement vient d’avoir lieu à l’université de Turin le 21 mars :
une lecture en 19 langues de "L’amour selon Shakespeare" :

L’amour selon Shakespeare : Lecture en 19 langues


ZOOM : cliquer l’image

Conception et coordination de Gabriella Bosco et Luana Doni

« 16 sonnets et 12 monologues tirés des principales pièces de Shakespeare, 19 langues, qui dit mieux ? Ne vaut-il pas mieux penser à l’amour qu’à autre chose ? G.B. »
G. Bosco et L. Doni renouvellent ainsi chaque année, une nouvelle lecture d’un texte important, décliné en 16 langues ou plus, pour témoigner de la communauté culturelle.

A l’occasion du 700ème anniversaire de la mort de Dante, le duo Bosco-Doni, depuis leur université de Turin, avait déjà organisé une lecture en 16 langues du Ve Chant de l’Enfer, ainsi qu’un colloque sur les traductions des œuvres de Dante.
Puis, il y eut la lecture plurilingue dédiée aux Fleurs du Mal de Baudelaire.

Dans la continuité de nos lectures précédentes, nous poursuivons le projet de LECTURES CHORALES conçues par notre Département de Langues et Littératures Étrangères et de Cultures Modernes.
Il s’agit de lectures dont les protagonistes sont les professeurs, les étudiants et les élèves du département, à travers lesquelles nous utilisons toutes les langues que nous enseignons pour orchestrer des présentations de grands textes de la littérature du monde entier.

À cette occasion, nous avons souhaité placer au centre de la lecture du groupe des Lecteurs « stravaganti », déjà expérimentés lors des lectures précédentes et baptisés ainsi parce qu’ils sont des étrangers capables d’aller d’une littérature à l’autre, d’une langue à l’autre, d’une culture à l’autre, des textes de l’un des plus grands poètes et écrivains qui aient jamais existé : William Shakespeare. Le professeur Bertinetti, spécialiste incontesté de l’auteur, a choisi une série de monologues tirés des principales pièces de Shakespeare, tandis que le professeur Lucia Folena, grande traductrice des Sonnets de Shakespeare pour Einaudi, en a choisi 16 pour nous. Les lecteurs se avons souhaité au micro pour interpréter les textes choisis, tandis que la musique était jouée en direct à la guitare classique par Emanuele Ciccarella

Le projet s’est concrétisé le 21 mars, avec un événement organisé en présentiel et en même temps enregistré pour réaliser une vidéo, comme ce fut le cas pour les lectures précédentes, qui sera utilisée ultérieurement comme matériel pédagogique et diffusée dans les écoles.
Langues et Lecteurs/Lectrices :

Arabo Natasha Maanna
Bielorusso Alina Masla
Catalano Aina Cendra i Senent
Cinese Li Jing
Coreano Giuseppina de Nicola
Giapponese Asako Watanabe
Inglese Chris Owen
Italiano Luana Doni
Francese Claire-Emmanuelle Nardone
Portoghese europeo Marisa Valente
Romeno Irina Paduret
Russo Iryna Yesman
Serbo-croato Katarina Mitic
Spagnolo Americano Federico Oscar Bovo
Spagnolo Alba Vizcarro
Tedesco Meike Adams
Ucraino Anastasiia Bychkova

Responsable :
Gabriella Bosco, Dipartimento di Lingue e Letterature straniere e Culture moderne, Università di Torino (gabriella.bosco@unito.it)

Url de référence :
https://www.dipartimentolingue.unito.it/do/home.pl

Gabriella Bosco sur pileface

Shakespeare par Philippe Sollers

Occasion de rappeler à travers quelques textes de Sollers que Shakespeare fait partie de son panthéon :

Féerie de Shakespeare

Merveilleuse Pléiade : à gauche, le texte anglais de Shakespeare, à droite la traduction française. Vous entendez la musique d’une oreille, vous la déchiffrez de l’autre. Vous êtes au Théâtre du Globe, sur une autre planète. Les tragédies vous empoignent, les comédies vous tournent la tête. Shakespeare est comme Dieu : il fait ce qu’il veut.

Reste le problème des traductions, même si la plupart sont excellentes. Shakespeare accumule les répétitions, les allusions, les jeux de mots sexuels, les roulements de rythmes, les travestissements, les troubles d’identité, les équivoques. Fallait-il transformer La Mégère apprivoisée en Le Dressage de la rebelle  ? « Mégère » est très péjoratif pour une jeune fille à marier, d’accord, mais « dressage » est trop animal. Cette Katherina, au caractère insupportable, deviendra moins mégère que les autres, douces et sensibles, et c’est la surprise de la pièce. Nous sommes en Italie (comme souvent chez Shakespeare), et cette « chatte sauvage » est une furie. Elle contredit tout le monde, à commencer par son père. C’est l’esprit de vengeance personnifié. Elle déteste les hommes, mais en voici un qui, par intérêt, relève le défi, et se montre plus fort qu’elle pour la réduire et la séduire. Il va dire le contraire de tout ce qu’elle dit. Elle voit le soleil, il voit la lune. Elle trouve qu’il fait chaud, il répond qu’il gèle, et ainsi de suite, négation de la négation. Inutile de préciser que cette démonstration délirante et drôle est d’une misogynie scandaleuse. Ailleurs, dans Peines d’amour perdues, les femmes prennent leur revanche : « Les langues des filles moqueuses sont aussi effilées que le tranchant invisible du rasoir. » Ecoutez cette princesse : « Il n’est de meilleur jeu que de se jouer du jeu des autres, en retournant leurs tours contre eux. » La guerre des sexes et la comédie des erreurs ne connaissent pas de trêve.


Rubens, Vénus et Adonis, 1635

Shakespeare n’est pas comique comme le sera Molière (insurpassable sur ce point), mais divinement fou. Féerie noire (Macbeth). Féerie blanche (Le Songe d’une nuit d’été). Un homme qui tient le coup face à l’acrimonie féminine, ça ne se rencontre pas tous les jours, mais c’est encore plus impressionnant s’il s’agit de la reine des fées, Titania, elle « dont l’été est l’empire ». Obéron, le roi, pour se venger d’elle, lui fait administrer une drogue qui va perturber sa vue au point de la rendre éperdument amoureuse d’un homme transformé en âne, Bottom (on retrouve étrangement ce « Bottom » chez Rimbaud). Samuel Pepys écrit bêtement, en 1662 : « C’est la pièce la plus insipide et ridicule qu’il m’a été donné de voir dans ma vie. » Pauvre Pepys, débordé par la fantaisie des fées qui traversent les collines, les vallons, les ronces, les buissons, les parcs, les enclos, les flammes, les flots et dont les noms sont Fleur de Pois, Toile d’Araignée, Phalène, Grain de Moutarde ! Pauvre spectateur, ahuri par Puck, qui peut « enrouler une ceinture autour de la Terre en quarante minutes » ! Comment résister à la sublime musique de Purcell, The Fairy Queen ? Une reine amoureuse d’un âne ! Quel tableau ! Mais la musique est là pour « ensorceler le sommeil ».

Tout est musique chez Shakespeare, et c’est d’ailleurs la conclusion du Marchand de Venise, pièce qui n’en finit pas d’alimenter les commentaires et les controverses. Shakespeare était-il antisémite ? Son Shylock n’est-il pas l’incarnation du culte de l’argent, cruel et buté ? Ecoutons son intervention célèbre : « Un Juif n’a-t-il pas des yeux ? Un Juif n’a-t-il pas des mains, des organes, un corps, des sens, des désirs, des émotions ? N’est-il pas nourri par la même nourriture, blessé par les mêmes armes, sujet aux mêmes maladies, guéri par les mêmes moyens, réchauffé et refroidi par le même hiver et le même été qu’un chrétien ? Si vous nous piquez, est-ce que nous ne saignons pas ? Si vous nous chatouillez, est-ce que nous ne rions pas ? Si vous nous empoisonnez, est-ce que nous ne mourrons pas ? Et si vous nous outragez, ne nous vengerons-nous pas ? »... En réalité, ce Shylock a été insulté sans arrêt par ces patriciens vénitiens qui sont bien obligés de recourir à lui lorsqu’ils ont des dettes. Le mélancolique Antonio a besoin de lui ? Qu’il signe donc ce billet pour trois mille ducats : Shylock, s’il n’est pas remboursé, pourra prélever sur lui « une livre de chair blanche, à découper et à prendre dans la partie du corps qui lui plaira ». Personne n’a osé le dire, mais il est évident que Shylock est amoureux d’Antonio (beaucoup trop), de même, toujours à Venise, qu’Othello est trop sensible au charme du vénéneux Iago. Il veut de la chair, pas de l’argent, Shylock, erreur fatale, que sa propre fille, Jessica, éprouve comme un « enfer », au point de le trahir en lui volant ses bijoux, et en s’enfuyant avec un Vénitien de charme. Shylock sera condamné, mais sa légende traverse les siècles (on le retrouve dans Opération Shylock, le plus beau roman de Philip Roth). Son problème est simple : il est sourd, il n’entend pas la musique. Il persiste, contre toute raison, à réclamer sa livre de chair à découper sur le bel Antonio, mais, dit le tribunal, sans verser une goutte de sang, exploit impossible.

Bien entendu, Freud rôde dans les parages, car la pièce, extrêmement subtile, met en scène le thème des « trois coffrets », déjà repérable dans Le Roi Lear. Voyons ça : la belle Portia épousera le prétendant qui saura choisir le bon coffret. Le premier est d’or, et porte l’inscription « ce que beaucoup désirent ». Le deuxième est d’argent, et ce sera « selon son mérite ». Le troisième est de plomb, et prévient celui « qui risque tout ce qu’il a ». Les prétendants, y compris « le roi du Maroc », sont idiots. L’un choisit l’or, l’ouvre, et découvre à l’intérieur une tête de mort. Celui qui choisit l’argent tombe sur une tête d’idiot grimaçant. Mais voici Bassanio, aimé en secret de Portia, l’homme pour lequel Antonio a demandé trois mille ducats à Shylock. Il prend le coffret de plomb, bien joué, il gagne le portrait de la belle. Moralité : l’argent n’est rien, l’amour est tout.

Philippe Sollers

William Shakespeare, Comédies (tome I), édition publiée sous la direction de Jean-Michel Déprats et Gisèle Venet, Gallimard, 2013

LE NOUVEL OBSERVATEUR 24 OCTOBRE 2013 - N° 2555

Crédit : philippesollers.net
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« Shakespeare en direct » par Ph. Sollers


Il faut lire Shakespeare dans sa langue, l’anglais courant n’en étant qu’une ombre endormie.
Les traductions, elles, comme pour tous les textes qui vivent à la source même du verbe, font ce qu’elles peuvent, et vieillissent vite comme pour mieux assurer la jeunesse perpétuelle de l’original. Une bonne édition française de ce monument ne peut donc être que bilingue. La voici, enfin.

La suite ICI

La Nuit des Rois : "Shakespeare, la folie en tête"

Ajoutons ce texte de Jean-Hugues Larché, un texte riche et dense qui ne s’épuise pas en une seule lecture, pas plus que l’oeuvre du grand Will. Plongeons dans cette langue du XVIe siècle qui nous parle d’aujourd’hui, et dans cette oeuvre qui est la plus adaptée et la plus jouée dans le monde ! Et Shakespeare est aussi l’auteur le plus adapté à l’écran.

« Chez Shakespeare chaque vers est un atome qui,
Si on sait le faire éclater, libère une énergie infinie. »
Peter Brook

« Je ne suis pas à proprement parler son fou,
Mais son corrupteur de mots. »
Feste dans La Nuit des Rois

Reprendre Shakespeare

Même si l’on considère les célèbres tragédies aux déroulements dramatiques et aux résolutions fatales, on voit vite que Shakespeare opère une fête continue. Une fête où l’on entend beaucoup de bruit pour rien, où l’on peut faire comme il nous plaira, où l’on gagne des peines d’amour perdues et où l’on perd des peines d’amour gagnées. Il est nécessaire de garder mesure pour mesure si l’on croise les joyeuses commères de Windsor, les deux gentilshommes de Vérone ou le personnage de Falstaff. Les comédies du grand Will seraient, comme le disent la plupart de ses commentateurs, douces amères ou tragi-comiques. Je vois ces comédies comme des réflexions de haut vol sur le relationnel humain ; notamment sur la gravité des intrigues amoureuses et le questionnement existentiel de chacun. Souverains, suivants, ivrognes, bouffons, vagabonds et autres borderline partagent les circonvolutions de cette fête.
La Nuit des Rois célèbre l’esprit de fête par l’intermédiaire du bouffon Feste aux paroles nourries de dérision et de libre délire. Il est aussi nommé le clown et possède l’irrespect ludique de sa fonction. Dans le fameux dialogue de la fin du premier acte, avec la comtesse Olivia, Feste, le fou, tente par jeu de lui faire croire que c’est elle qui est folle. Et elle, Olivia, lui demande d’en apporter les preuves. La plaisanterie au sujet de la folie se joue entre le fou et sa maitresse et donne le ton de la pièce. Un ton de dérision, de bonne humeur et de pensée ludique.

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Extrait de dialogue entre le Fou et Viola

Ordre du monde. Ordre des désirs et des sexes. Ordre du sens des mots. Le mal absolu, en effet, c’est la corruption du langage. Or, quand tout n’est plus qu’apparence, le langage aussi risque de tourner - comme en témoigne ce dialogue extraordinaire entre Viola et le fou :

Le fou : - (...) Une phrase n’est qu’un gant de chevreau pour un bel esprit : comme on l’a vite retournée sens dessus dessous.
Viola : - Oui, c’est certain. Ceux qui jouent trop subtilement sur les mots peuvent facilement les corrompre.
Le fou : - (...) Mais effectivement les paroles sont de vraies coquines, depuis que les obligations les ont déshonorées. (...) Les paroles sont devenues tellement fausses que je répugne à les employer pour raisonner._
Viola : - (...) N’es-tu pas le fou de madame Olivia ?
Le fou : - (...) Je ne suis pas proprement son fou, mais son corrupteur de mots." (III-1)

Corrupteur de mots moins que révélateur de cette corruption. Car le fou est celui qui parle le langage du chaos de telle sorte que l’on se rende compte du chaos - et de la folie. Le fou, comme le poète, n’explore le désordre que pour tendre à l’ordre souverain.

William Shakespeare sur pileface

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