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Napoléon en Pologne : histoire d’amour, Histoire tout court

Périple polonais Episode III

D 18 décembre 2023     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Après les Episodes I et II d’un périple polonais :

I – Sur les traces de Nicolas Copernic à Cracovie
II – Le capitaine Charles de Gaulle en Pologne

Voici, une autre rencontre, celle de Napoléon à Varsovie, figure militaire française vénérée des Polonais. C’est l’objet du présent épisode III.


Statue de Napoléon sur la place des Insurgés, à Varsovie.
Une copie de la statue précédente en cet endroit, dévoilée le 5 mai 2011, à l’occasion du 190e de la mort de Napoléon Bonaparte

Napoléon et la Pologne ont une histoire riche en espoirs, amour et désillusions. La Pologne est le seul pays au monde à chanter Napoléon dans son hymne national. Napoléon Bonaparte a joué un rôle important au début du 19ème siècle en Pologne, comme en témoignent les plaques commémoratives et peintures réalisées en son honneur. Le 3ème partage de la Pologne, le Duché de Varsovie, la Constitution élaborée pour ce Duché de Varsovie et le Code Napoléon, le Prince Jozef Poniatowsk qui devint maréchal de France, les Polonais dans la Grande Armée et les noms polonais sur l’Arc de triomphe, Maria Waleska, « l’épouse polonaise » de Napoléon, autant de sujets liés à Napoléon et la Pologne. . [1]

Pour comprendre, l’espoir et la vénération qu’’a fait naître Napoléon, il faut évoquer le traumatisme national lié aux partages successifs de la Pologne aboutissant à la disparition du pays pendant 123 ans.

Le traumatisme national des partitions de la Pologne - quand le pays a disparu !

par Marie-Line Naves
Publié le 14 septembre 2022,
Lepetitjournal.com édition Varsovie

Le traumatisme national d’avoir été rayé de la carte pendant 123 ans, est encore vif dans les mémoires de la Pologne et dans le coeur des Polonais. L’actualité récente russo-ukrainiennne nous montre qu’il est encore possible de vouloir faire disparaître un pays de la carte... La création du duché de Varsovie en 1807 par Napoléon a ravivé la flamme des espoirs de restauration du pays et les Polonais n’ont pas oublié son action , pour leur pays. De là, des liens particuliers avec la France dont la mission de de Gaulle en Pologne, évoquée plus avant, pour contribuer à refonder l’armée polonaise après 1918, témoigne aussi.., Éclairages historiques afin de mieux comprendre la Pologne d’aujourd’hui !

Contexte historique

Le XVIIe siècle marque le début de la fin de la Pologne. À l’époque, elle est à la fois une république nobiliaire et un royaume électif. La majorité du royaume est envahi une première fois par la Suède en 1655 à l’occasion de la révolte des Cosaques de Bohdan Chmielnicki. Ceux-ci envahissent la Lituanie et la Biélorussie, c’est le début de la période du déluge (potop). C’est seulement grâce à la résistance civile (par exemple celle, victorieuse, du monastère de Czestochowa) et à l’intervention de puissances extérieures que la Pologne parvient à retrouver sa liberté. Elle doit céder une partie de son territoire à la Suède et une autre à la Russie : la Pologne est affaiblie et réduite.

1er partage

Parallèlement, elle connaît une dépression économique unique en Europe, quand ses voisins gagnent en puissance. Le dernier roi polonais, Stanislas Auguste Poniatowski (1764-1795) tente de redresser son pays. C’est son plan de réformes et les dissensions dans l’est de la Pologne qui donnent à Catherine II de Russie un prétexte pour intervenir. Elle met en place un plan de partage partiel à trois en 1772. Une partie de la Lituanie et de la Biélorussie lui reviennent, pour l’Autriche c’est une partie de la Podolie et de la Galicie quand la Prusse bénéficie de la Prusse occidentale et de la basse Vistule (moins Gdańsk).

2e et 3e partages

Quatre ans après l’acclamation de la Constitution polonaise du 3 mai 1791, celle-ci n’existe plus. En 1793, un deuxième partage de la Pologne est en effet négocié, entre la Russie et la Prusse. La Russie prend une large bande de la Pologne allant de la Dvina au nord jusqu’à Dniestr au sud. La Prusse acquiert la Grande Pologne. Le silence de la Diète est marquant. Tadeusz Kościuszko, héros de la guerre d’indépendance américaine, entreprend de mener une insurrection, avec le soutien de nobles, citadins et paysans. Pourtant, le mouvement patriotique polonais est divisé et ne fait pas le poids. Le troisième plan de partage (24 octobre 1795) ne prévoit plus d’existence pour la Pologne. Il est interdit de mentionner son nom. Varsovie devient Prussienne, Cracovie Autrichienne et Vilnius ainsi que Brest-Litovsk Russes.

Suites…

Pendant vingt ans, les Polonais se sont raccrochés à l’espoir que la France les aide à retrouver leur indépendance. La création du duché de Varsovie en 1807 par Napoléon a ravivé la flamme de ces espoirs, mais sa chute et le congrès de Vienne n’ont fait que confirmer la carte géopolitique de l’Europe. Seule Cracovie constituait une République indépendante, jusqu’à sa réannexion par l’Autriche en 1846. Il faudra attendre 1918 pour que la Pologne ne renaisse de ses cendres.

Crédit : lepetitjournal.com, édition Varsovie/

Les Walewski, un destin franco-polonais

Écrit par Lepetitjournal.com, édition Varsovie
Publié le 9 juin 2022, mis à jour le 27 juin 2023

A l’automne 1806, Napoléon Bonaparte, attendu comme le « Messie » par les Polonais, se rend à Varsovie. Il rencontre Maria Walewska quelques mois plus tard lors d’un bal, et n’a d’yeux que pour elle. On le sait peu, mais 216 ans après, on compte encore de nombreux descendants issus de la liaison de Napoléon et de Maria Walewska...


"Napoléon abdiquant à Fontainebleau" de Delaroche, 1845 et Maria Walewska

Si, au regard des plaques, peintures réalisées en son honneur, il est de notoriété publique que Napoléon Bonaparte a joué un rôle important dans le début du XIXe siècle en Pologne, sa liaison avec une polonaise, et le fils, né de cette idylle, sont moins connus, surtout des Français.

Maria Łączyńska, née en 1786 à Bródno, prend le nom de Walewska en épousant le Comte Anastazy Walewski en 1804, dont elle aura son premier fils, Antoine, l’année suivante.

A l’automne 1806, Napoléon Bonaparte, attendu comme le « Messie » par les Polonais, est à Varsovie. Il rencontre Maria Walewska quelques mois plus tard lors d’un bal, et n’a d’yeux que pour elle.

« Je n’ai vu que vous, je n’ai admiré que vous, je ne désire que vous », lui aurait-il écrit.

Poussée par sa famille, et avec l’accord de son époux, elle devient la maîtresse de l’Empereur français, et part quelques mois avec lui au Château de Finckenstein (au sud de Gdansk).

La légende veut que cette ravissante femme, épouse du comte Walewski, soit devenue la maîtresse de l’Empereur par patriotisme, afin d’attacher Napoléon à la cause polonaise. Mais c’est une authentique passion amoureuse qui va la lier à l’Empereur, à qui elle donne un fils, Alexandre. On le sait peu, mais on compte encore de nombreux descendants issus de la liaison de Napoléon et de Maria Walewska...

Cette grossesse est la preuve que Napoléon peut avoir un héritier légitime et ce constat pèse dans sa décision de divorcer de Joséphine afin d’épouser Marie-Louise d’Autriche. Marie Walewska rend visite à Napoléon pendant son exil à l’Ile d’Elbe. Veuve en 1814, elle épouse en 1816 le comte Philippe Antoine d’Ornano. Elle meurt en 1817.

Bien que reconnu par l’époux de Maria Walewska, Napoléon tient tout de même à assurer l’avenir de l’enfant. Il signe un document juridique garantissant un revenu annuel, des dotations mobilières, ainsi que le titre de Comte de l’Empire. Toute sa vie, Alexandre, Comte Walewski, s’est illustré dans les corps militaire et diplomatique, polonais comme français

. Il quitte la Pologne pour l’Angleterre, puis la France, après avoir refusé de servir l’armée russe. Lors de l’Insurrection de Varsovie de 1830, il est envoyé par le gouvernement insurrectionnel pour solliciter l’appui de Londres.

Après avoir perdu son épouse, il s’engage comme capitaine dans la Légion étrangère et part en Afrique. Il démissionne en 1837, et tente une carrière d’auteur dramatique, sans grand succès. C’est en tant que diplomate qu’il va désormais se faire connaître. Ambassadeur de Louis-Napoléon Bonaparte à partir de 1850, il aura pour mission de faire reconnaître le Second Empire, après le coup d’État du 2 décembre 1852. Il devient ensuite son ministre des Affaires Étrangères en 1855. C’est en cette qualité qu’il préside la Conférence de Paris (1856), mettant fin à la Guerre de Crimée, qui opposait l’Empire français, le Royaume-Uni, l’Empire ottoman et le Royaume de Sardaigne. Alexandre Walewski aura 7 enfants.

Alexandre Walewski, fils de Napoléon et de Maria Walewska

Maria Walewska est décédée à l’âge de 31 ans, d’une maladie des reins.
Quelques mois avant, elle avait écrit dans ce qui est aujourd’hui considéré comme ses mémoires, que sa liaison avec l’empereur était « un sacrifice fait à son pays ».
Dans son testament, elle avait souhaité que son corps soit enterré en Pologne, mais que son coeur reste en France. Il est aujourd’hui dans une urne au cimetière du Père-Lachaise.

Les amours de Napoléon et Maria Walewska au cinéma...

Marie Walewska ou Conquest est un film américain en noir et blanc de Clarence Brown avec Greta Garbo dans le rôle de la comtesse, sorti en 1937 et tourné au fameux château de Finckenstein, lieu-même des amours de Napoléon et de Maria Walewska. Même si le scénario prend ses aises avec la vérité historique, la performance de Greta Garbo vaut à elle seule le détour !

Crédit BnF et lepetitjournal.com (édition Varsovie)

La légende napoléonienne en Pologne

Les Polonais ont accompagné Napoléon tout au long de sa destinée et le souvenir de l’Empereur restera très vivant en Pologne durant le 19ème siècle et jusqu’à nos jours. La légende napoléonienne a inspiré la littérature et l’art polonais. L’on peut citer à ce titre l’épopée nationale Messire Thadée d’Adam Mickiewicz, le grand roman historique Les Cendres de Stefan Żeromski, ainsi que de nombreux tableaux dont ceux des peintres January Suchodolski et Piotr Michałowski.

Les Polonais dans la Grande Armée

A l’époque de Maria Walewska, la Pologne, qui vient de subir son Troisième Partage, voit partir de nombreux jeunes, à l’instar du frère aîné de Maria, souhaitant rejoindre les armées napoléoniennes, en particulier les Légions polonaises.

Les Polonais croient que Napoléon Bonaparte va délivrer la Pologne car la France est l’ennemie des Russes, des Prussiens et des Autrichiens

. Jan Henryk Dabrowski crée les premières unités de Polonais en 1796, qui se battent aux côtés des Italiens contre l’Autriche, et participent à la Prise de Rome en 1798. C’est lors de cette campagne qu’a été écrite la « Mazurka de Dombrowski » par le poète Jozef Wybicki. Intitulée à l’époque « Chants des légions polonaises en Italie », elle est devenue l’hymne polonais en 1927. Preuve du soutien quasi indéfectible des Polonais à Napoléon, les paroles de la « Mazurka » évoquent celui qui deviendra empereur quelques années après :

« Bonaparte nous a donné l’exemple, Comment nous devons vaincre »

Armée polonaise en exil sous autorité française, les Légions polonaises sont envoyées en Haïti en 1802 pour écraser la révolution. Cette expérience porte un coup aux espoirs polonais de retrouver un jour leur indépendance, ils doutent dans les bonnes intentions de la France à leur égard.

Quand, en 1807, Napoléon Ier obtient, lors des négociations de Tilsit, la création du Duché de Varsovie, les espérances renaissent. Ce sont plus de 100.000 Polonais, sous les ordres du Ministre de la Guerre et généralissime Jozef Antoni Poniatowski, qui s’engagent dans la Grande Armée (1/6 des effectifs) pour envahir la Russie en 1812.
Bien que l’Empereur français n’ait rien promis, ils espèrent que les futurs territoires libérés seront incorporés au Duché, pour restaurer la République des Deux Nations. En tant que plus grand contingent étranger, ils jouent un rôle primordial dans la Bataille de la Moskova, entrent les premiers dans Moscou et couvrent la retraite française. Le prince Poniatowski a d’ailleurs personnellement sauvé la vie de Napoléon Bonaparte lors de cette campagne.

Le Duché de Varsovie

Constitué sous ce nom par Napoléon Ier, avec l’ensemble des provinces polonaises annexées par la Prusse en 1772, 1793 et 1795, à l’exception de Dantzig (Gdańsk), érigée en ville libre, et du cercle de Białystok, attribué à la Russie (traités de Tilsit, 7 et 9 juillet 1807).

Confié à l’Électeur de Saxe Frédéric-Auguste Ier, doté d’un statut constitutionnel, du Code Napoléon, le grand-duché entretenait une armée qui participa, sous la conduite de Dąbrowski et de Poniatowski, aux campagnes napoléoniennes jusqu’en 1813-1814. Il fut agrandi, par la paix de Vienne (14 octobre 1809), des départements de Cracovie, de Radom, de Lublin et de Siedlce. Le congrès de Vienne (1815) stipula sa transformation en royaume de Pologne au profit de la Russie (à l’exception des régions de Toruń et de Poznań, qui revinrent à la Prusse, et de Cracovie, érigée en ville libre).

Crédit : Larousse

La Constitution et le code Napoléon

En 1807, Napoléon donne au Duché de Varsovie une constitution inspirée des institutions de l’Empire français. Cette constitution garantit l’égalité de tous les citoyens devant la loi, abolit les privilèges de la noblesse ainsi que le servage. Par ailleurs en 1808, le code civil français ou Code Napoléon est introduit au Duché de Varsovie. Pour Napoléon, ce code, fondé sur le droit romain, l’ancien droit français et les dispositions juridiques au temps de la Révolution, est un outil unificateur pour les nations de l’Europe.

La Mazurka de Dąbrowski – hymne national polonais


Crédit :BnF

Trace tangible de la marque qu’a laissée l’empereur des Français dans la mémoire des Polonais, l’hymne national polonais l’ évoque nommément :

« Bonaparte nous donna l’exemple / Comment nous devons remporter des victoires » (Dał nam przykład Bonaparte jak zwyciężać mamy ).

Le texte de l’hymne est l’œuvre du patriote et poète émigré polonais Józef Wybicki lors de son séjour à Reggio en Italie où Il réside à l’invitation du général Jan Henryk Dąbrowski, un des commandants des légions polonaises de la Grande Armée napoléonienne. Comme tous ses compatriotes, Józef Wybicki espère combattre un jour sous les ordres de Napoléon pour libérer la Pologne. On comprend donc pourquoi cette « Marseillaise polonaise » évoque l’empereur des Français :

Cette Mazurka dite de Dąbrowski est l’hymne national polonais depuis 1927.

Le prince Jozef Poniatowski, maréchal de France

Le prince Jozef Poniatowski (1763-1813), neveu du dernier roi de Pologne Stanislas Auguste Poniatowski est l’unique maréchal « étranger » de Napoléon. Soldat courageux, chef d’armée talentueux, homme charmant, il est considéré comme un héros national par les Polonais.

Militaire de formation et d’esprit, il débute sa brillante carrière en Pologne pendant les dernières années du règne de son oncle. Plus tard, comme nombre de ses compatriotes, il sert fidèlement Napoléon qui le nomme commandant en chef de l’armée polonaise pendant la guerre contre l’Autriche en 1809 puis contre la Russie en 1812. Napoléon élève le prince Poniatowski au rang de maréchal de France le 15 octobre 1813, à la veille de la bataille de Leipzig, au cours de laquelle il périt dans des circonstances héroïques.

Les noms polonais sur l’Arc de triomphe de l’Étoile à Paris

Parmi les noms affichés sur l’Arc de triomphe de Paris figurent les noms de six Polonais de l’État- major de la Grande Armée : Józef Sułkowski, Józef Poniatowski, Karol Kniaziewicz, Józef Klopisky (Chłopicki), Józef Zayontcheck (Zajączek) et Jan Henryk Dąbrowski. On y trouve également les noms des batailles napoléoniennes qui ont eu lieu sur la terre polonaise : Pultusk (1806), Gdańsk (1807), Ostrołęka (1807)

Crédit lepetitjournal.com édition Varsovie et BnF/Gallica

Napoléon vu de Varsovie : « Il nous a fait rêver »

Plongez dans ce récit vivant et historique de Catherine Golliau, (envoyée spéciale du Point à Varsovie pour préparer un numéro spécial marquant le bicentenaire de la mort de l’Empereur à Sainte-Hélène le 5 mai 1821), vous suivrez Napoléon, au cœur même de son armée lors de sa campagne en Pologne.

par , Catherine Golliau, envoyée spéciale du Point à Varsovie

Publié le 17/12/2020

1. La nuit tombe vite l’hiver sur Hoff, devenue Dworzno. Le 6 février 1807, c’est là, dans ce coin perdu de Mazurie, qu’un contingent de l’armée française a rattrapé les Russes qui battent en retraite vers Königsberg. Depuis novembre 1806, Napoléon combat le tsar de toutes les Russies dans les immenses plaines polonaises. Les Russes ont laissé là un fort contingent d’infanterie légère pour protéger leurs arrières. Installées contre une petite colline entre le village et la forêt, leurs troupes se sont laissé surprendre par les Français, qui les ont taillées en pièces. Benningsen, le général en chef de l’armée russe, a alors pris la décision d’une marche forcée jusqu’à Eylau, à quarante kilomètres de Königsberg. C’est là, entre l’église et le moulin, que le 8 février, avec 70 000 hommes, il surprend l’armée impériale, qui en compte alors près de 40 000 de moins, avant l’arrivée du reste des forces. C’est un carnage. Le corps d’armée d’Augereau est presque anéanti. La charge extraordinaire des 80 escadrons, où s’illustrent les dragons et les cuirassiers de Grouchy, d’Hautpoul et de Milhaud sauve la mise in extremis. Eylau, devenue Bagrationovsk, se situe aujourd’hui en Russie, à quelques encablures de la frontière polonaise. Régulièrement, des amateurs de reconstitutions historiques viennent battre le tambour et faire tonner le canon sur le côté polonais.

La bataille de Hoff, elle, est oubliée. Reste pourtant un tableau, La Charge des dragons et des cuirassiers à la bataille de Hoff, de Jean-Charles Langlois, aujourd’hui à Versailles, mais qu’on ignore ici. Sous le ciel bas annonciateur de pluie, deux femmes papotent, indifférentes à ces étrangers venus voir leur bout du monde. Beaucoup de maisons sont vides, ruinées. Mais sur le mur de la maison communale, une grande fresque aux couleurs pétantes représente Napoléon en majesté, bicorne planté sur la tête et main dans le gilet. La gloire du village, c’est lui. À une trentaine de kilomètres, Gorowo-Ilaweckie aussi se souvient du Français. Dans cette ville moribonde qui a été jolie, une plaque rappelle qu’après Eylau l’Empereur a passé la nuit dans le presbytère jaune et blanc à perron qui jouxte la vieille église gothique. Au sommet de la colline, sous les arbres dorés par l’automne, le site est bucolique. Pour l’atteindre, l’Empereur déprimé est-il passé comme nous par cette route romantique bordée de hauts arbres qui se rejoignent comme un dais ? Les vastes prairies qu’elle traverse invitent au galop. Au loin, de sombres forêts. Le bétail est rare, les villages isolés, modestes. On croise parfois un vieux tracteur. Il paraît qu’en février 1807 l’humidité avait transformé la neige en gadoue, que les troupes s’enfonçaient dans la boue jusqu’à la ceinture. « Dieu, outre l’eau, l’air, la terre et le feu, a créé un cinquième élément, la boue », écrit Napoléon.


Façade de la maison communale de Dworzno, lieu de la bataille de Hoff, en février 1807.© Catherine Golliau pour « Le Point »
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Il n’avait pas prévu cela. Cette campagne devait être une promenade de santé. Il était venu en Pologne pour vaincre les Russes, qui l’avaient attaqué après sa victoire sur la Prusse. Il croyait les battre en quelques semaines. Tout lui souriait. L’accueil des Polonais avait été enthousiaste. Ce peuple voulait si ardemment qu’il vienne le délivrer du joug de ces Russes, de ces Autrichiens, de ces Prussiens, qui en 1795 s’étaient encore une fois partagé leur pays. Déjà, des troupes polonaises dirigées par le général Dombrowski l’avaient r

ejoint à Berlin. Ce n’était pas la première fois que les Polonais soutenaient l’effort de guerre français. Fuyant la répression après le partage, beaucoup de jeunes aristocrates étaient venus combattre avec les Français en Italie, laissant derrière eux le souvenir de guerriers exceptionnels. Mais quand il avait fait la paix – un temps – avec ses ennemis, Napoléon s’en était débarrassé sans états d’âme, envoyant certains d’entre eux à Saint-Domingue combattre les esclaves révoltés (où il les avait oubliés). Cinq ans plus tard, pourtant, loin de ses bases arrière, sur cette plaine grasse qui court vers l’est, il a besoin des Polonais, de leurs provisions, de leur fourrage, de leurs chevaux et de leur connaissance du terrain. Il s’est donc bien gardé de décourager ses nouveaux alliés. De Berlin, il a gagné Posen (aujourd’hui Poznan), où le 27 novembre, son arrivée s’est faite sous les applaudissements. Puis il s’est dirigé vers Varsovie, l’ancienne capitale de la Pologne, que les Russes avaient évacuée et où Murat s’était déjà installé. À Lowicz, à soixante-quatorze kilomètres à l’ouest de la grande ville, une plaque sur la façade de l’auberge où il s’est reposé témoigne encore fièrement de son passage. C’est là qu’a eu lieu le premier affrontement entre les Russes et les Français, dirigés par le général Beaumont. La plaque ne dit pas grand-chose du combat ; elle retient surtout le passage de l’Empereur.

Les draps de Stanislas Auguste

C’est le 19 décembre, précédé du maréchal Davout, qu’il est entré au petit matin dans Varsovie, noyée dans la brume. Il a pris ses quartiers au château royal du Zamek, austères murs de briques rouges et toit de cuivre vert d’un côté, façade baroque surplombant la Vistule de l’autre. Rasé par les Allemands à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le palais a été reconstruit à l’identique, si exactement que s’y promener suscite un sentiment troublant. C’est un lieu de mémoire sans passé. Tout est trop neuf, trop doré, comme si l’on était dans les années 1790, quand les Varsoviens s’affairaient à décorer les appartements du nouveau roi, Stanislas Auguste Poniatowski. La partition de 1795 l’obligeant à l’exil, Napoléon s’est couché dans les draps du souverain déchu tandis que Varsovie se laissait prendre au charme français.

Si l’on en croit les Mémoires de Constant, valet de l’Empereur, la noblesse polonaise, « empressée à lui faire la cour, donnait des fêtes magnifiques, des bals très brillants, auxquels assistait tout ce que Varsovie renfermait de riche et de distingué ». Tandis que les maréchaux des logis réquisitionnent, les généraux époussettent leur uniforme. Murat le flamboyant fréquente alors assidûment le ravissant palais de Pod Blacha, à l’entrée du Zamek, où vit le gouverneur de Varsovie, le prince Joseph Poniatowski, neveu chéri de Stanislas Auguste et futur maréchal de France. Le ministre des affaires extérieures, Talleyrand, intrigue pour tenter de stopper la guerre au palais Tepper, rue Miodowa (rue du Miel), immense demeure aujourd’hui disparue. Il a réussi à s’y faire installer un lit à la française, douillet, bien plus confortable que les canapés de cuir dont se contentent souvent les Polonais. Déjà, il a conquis la sœur aînée du prince Joseph, qui l’aimera, dit-on, jusqu’à sa mort. La séduction à la française lasse pourtant très vite époux et pères de famille : trop de viols, trop d’adultères, trop de vertus souillées accompagnent le passage des soldats et des officiers dont les manières sentent le bivouac. Napoléon n’est pas en reste. Il a repéré une charmante comtesse de 22 ans, Marie Walewska, « mariée à un vieux noble d’humeur sévère (…) plus amoureux de ses titres que de sa femme », assure Constant. Talleyrand se vantera d’être à l’origine de cette rencontre, lors d’un bal.

La rencontre de Blonie

Mais l’Empereur et la dame s’étaient déjà vus à quelques kilomètres de Varsovie, au relais de Blonie, le 1er janvier 1807. La comtesse s’était jointe à la foule pour lui remettre un mémoire le suppliant de restaurer la Pologne. Le maréchal Duroc l’entendit crier, et remarquant cette beauté l’aurait prise par la main pour la rapprocher de la voiture de l’Empereur. Celui-ci lui envoie des fleurs, lui écrit et s’impatiente. Il la veut dans son lit. Elle pleure. Certains disent que ce sont ses frères, ardents patriotes, qui l’obligent à céder. Ils l’auraient séquestrée. Elle-même écrira que le Français l’a forcée. « C’est un volcan ! » dira-t-elle. Elle se donne pourtant, devenant pour ses concitoyens la « putain » de l’Empereur. Il lui fait un fils, Alexandre, que son époux reconnaît. Une plaque rappelle cette généalogie sur un mur du château palladien des Waleswski à Walewice, à une centaine de kilomètres à l’ouest de Varsovie, pas très loin de Zelazowa Wola, la maison où Frédéric Chopin a passé son enfance.


Château de la famille Walewska, à Wienawice.© Catherine Golliau pour « Le Point »

Sur place, dans l’une des ailes, il reste encore un superbe papier peint en grisaille que, dit-on, Marie la romantique a fait poser dans l’attente d’une visite de Napoléon, qui n’est jamais venu. Aujourd’hui, le palais est un hôtel de luxe et ses imposantes dépendances sont occupées par un haras. Marie est enterrée à une trentaine de kilomètres, à Kiernozia, dans une crypte modeste avec sa sœur. Parce que l’on s’étonnait que la famille ait accepté de recevoir dans son caveau le corps de la femme déshonorée, le cercueil a été ouvert et le corps examiné récemment. La réponse est incertaine. Ses proches ont de superbes sépultures sculptées. Elle, un vulgaire cercueil moderne en bois noir.

Finckenstein, le nid d’amour

Napoléon doit pourtant s’extraire des bras de la tendre jeune femme. Les Russes sont en Mazurie. Ils viennent d’attaquer l’aile gauche française pour tenter de rejoindre Dantzig, le grand port de la Baltique assiégé par les Français. Le 30 janvier, Napoléon avait quitté Varsovie à 6 heures du matin. Route vers le nord-est. Des heures de cavalcade dans la neige et la boue et au final, le drame d’Eylau : les armées doivent reprendre leur souffle. L’Empereur est épuisé, les nerfs à vif. Autour de la jolie ville d’Ilawa, la région n’est que lacs, plus somptueux les uns que les autres. On lui déniche à Kamieniec un superbe château baroque, celui des Fink von Finckenstein, des nobles prussiens. « Enfin un château », aurait-il dit si l’on en croit le gardien. Dans la cour, sous une énorme pierre, gît le chien que Hitler a offert à la famille lors de l’un de ses séjours. Göring adorait venir chasser là. Il aimait aussi aller à Szymbark, un autre des châteaux de la famille, une forteresse dressée sur un magnifique étang à une vingtaine de kilomètres de Finckenstein. Le site est grandiose. Napoléon l’a également testé pendant quelques nuits. Un chemin porte encore le nom prestigieux d’« allée de l’Empereur ». Mais elle n’est pas entretenue et l’on peine à s’y frayer un passage. De toute façon, l’Empereur n’a pas aimé ces orgueilleuses murailles. Trop froid, oui, vraiment trop froid. Ce pays le glace. Alors il se love dans les chambres rococo de Finckenstein, d’où il gère l’Empire. Il y reçoit même un envoyé du shah de Perse.


Ruines du château de Finckenstein, façade donnant sur le jardin arrière.
© Catherine Golliau pour « Le Point »

En mars, il appelle Marie. D’après Constant, le couple file le parfait amour, se séparant le moins possible. En l’absence de l’Empereur, la jeune femme vit recluse, lisant ou regardant les parades dans la cour à travers les jalousies de la chambre de l’Empereur. De cette romance impériale, il ne reste rien. Le beau bâtiment, le jardin à la française, les bassins, tout a disparu. Ne demeurent que des ruines grandioses qui se dressent solitaires sur la grande plaine et au loin, l’étang où l’Empereur tentait de tuer des canards. Tout comme Szymbark, le beau château n’a pas résisté aux destructions de l’Armée rouge en 1944. Des soldats qui se réchauffaient devant une cheminée n’auraient pas fait attention aux étincelles qui attaquaient les rideaux… Les fenêtres béantes regardent de leurs yeux vides les rares visiteurs, tandis que des chevaux en liberté attendent d’hypothétiques cavaliers. Le gardien nous dit que le fils de l’ancienne cuisinière des Finck von Finckenstein a racheté les ruines. Il attend des subventions pour en faire un centre de loisirs. C’est son oncle.

Le soldat inconnu

Juin 1807. Lannes a réussi à prendre Dantzig, le port de la Baltique dont il faisait le siège depuis des mois. Napoléon s’ennuie dans sa bonbonnière. Mais les affaires reprennent. Le 10 juin, à Heilsberg, aujourd’hui Lidzbark Warminski, a lieu le premier affrontement important depuis Eylau. Une journée entière de combats, des morts par milliers, et l’échec : les Russes quittent la ville mais les Français le savent, ce sont eux qui ont perdu. Le champ de bataille est à cinq ou six kilomètres du centre. Du monticule où nous sommes grimpés, l’historien Sławomir Skowronek m’indique, au loin sur la droite, la petite rivière autour de laquelle tout s’est joué. Il évoque la charge des cavaliers de Murat, les chevaux qui s’écroulent, les vagues de soldats qui s’avancent pour toujours reculer. À l’horizon, des fermes grises semblent s’écrouler de fatigue. Telle une fleur à la boutonnière, une énorme touffe de dahlias roses détonne dans ce paysage sans joie. Un paysan a trouvé dans son champ les restes d’un soldat. On l’a enterré à Ignalin, le village voisin, en grande pompe. Sur la plaque de marbre qui recouvre le corps, on a gravé « Au soldat inconnu du 4e régiment de dragons ». C’est ce qu’indiquait sa plaque. Sur sa tombe, des fleurs.


Tombe du dragon inconnu de la campagne de 1807 à Ignalin (Pologne), sur le site de la bataille de Heilsberg (Lidzbark Warminski)© Catherine Golliau pour « Le Point »
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Slawomir, qui participe à des reconstitutions de batailles – « personne ne veut être un Russe, alors je me dévoue » –, se souvient avec gourmandise de la dernière, ici, il y a deux ans. Ce n’est pourtant pas du 10 juin 1807 mais du 14 que les Français peuvent être fiers. Ce jour-là, ils ont gagné à Friedland, aujourd’hui Pravdinsk, à soixante-dix kilomètres de là. Ce n’est pas très loin, mais c’est en Russie. Impossible de passer. Nous retournons à Varsovie. Le 1er juillet 1807, Napoléon fonde officiellement le duché de Varsovie et met à sa tête le duc de Saxe, son allié. Il donne aussi aux Polonais une constitution et un Code civil. Puis il file vers d’autres aventures. En 1812, les Russes effacent le duché de Varsovie de la carte. Reste le souvenir.

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Statue de Napoléon sur la place des Insurgés, à Varsovie. © Catherine Golliau pour « Le Point

En 2011, une statue de Napoléon est inaugurée sur la place des Insurgés, en plein cœur de Varsovie. Alors que nous visitons les appartements de Joseph Poniatowski à Pod Blacha, où s’accumulent les souvenirs napoléoniens, j’interroge ma guide, Agnieszka Kus : « Mais Napoléon vous a trahis, non ? Et il vous a pillés ? » La réponse est cinglante : « Par rapport à ce que nous ont fait subir les Suédois, les Russes et les Allemands, il n’a rien fait ! » Dans un sourire, le conservateur Mariusz Klarecki nuance ce constat : « Si, il nous a fait rêver. »

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Sollers et Napoléon sur pileface (sélection)

Napoléon, la fin et le commencement de Philippe Forest

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Tout se corse EXTRAIT :

C’est là où le problème corse se corse, et où apparaît la figure du sauveur républicain suprême, Napoléon le Grand, oublions le petit. Notre identité est menacée, vive la France raidie.

Napoléon aimait-il les Français ? Rien de moins sûr. Les Français, d’ailleurs, s’aiment-ils eux-mêmes ? On peut parfois en douter. Chateaubriand, en rappelant comment Pascal Paoli (nom inconnu des Français) a choisi de livrer la Corse à l’Angleterre pour échapper à la Convention, écrit :
« Les crimes de nos premiers troubles refroidirent le vieux général [Paoli]. »
Mais qu’écrit Bonaparte lui-même au « vieux général » [Paoli] , en 1789 ?
[« Ce fut par le sang que les Français étaient parvenus à nous gouverner, ce fut par le sang qu’ils voulurent assurer leur conquête. Le militaire, l’homme de loi, le financier, se réunirent pour nous opprimer, nous mépriser et nous faire avaler à longs traits la coupe de l’ignominie. Nous avons assez longtemps souffert leurs vexations ; mais puisque nous n’avons pas eu le courage de nous en affranchir de nous-mêmes, oublions-les à jamais ; qu’ils redescendent dans le mépris qu’ils méritent, ou du moins qu’ils aillent briguer dans leur patrie la confiance des peuples ; certes, ils n’obtiendront jamais la nôtre. »
Que Bonaparte, devenu membre, à Ajaccio, d’un club jacobin, ait ensuite fait la carrière que l’on sait ne devrait pas nous faire oublier sa haine initiale.

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D’après une Chronique de Bernard Pivot dans le JDD su 8 janvier 2011 EXTRAIT :

Chronique dédiée au dernier livre de Sollers « Trésor d’amour. » Dont le principal personnage :est Stendhal.

Philippe Sollers est à Venise. Il vit avec la jolie et brune Minna, 33 ans, dans un appartement derrière la Salute. Minna Viscontini descend par son père de Matilde ou Métilde Viscontini, le grand amour malheureux de Stendhal. […] "malheureux, repoussé, trompé, écarté, à cause de sa “sensibilité folle, de son âme sensible jusqu’à l’anéantissement et à la folie”, mais il ne s’est jamais résigné".

Il est vrai que son physique n’était pas à la hauteur du séducteur. Et qu’il était meilleur dans la stratégie de salon que dans la bataille au lit.

De l’homme courageux qui avait fait la guerre avec Napoléon, Sollers écrit avec drôlerie et cruauté qu’"il était bon à la gâchette et embarrassé au sabre".

VOIR AUSSI :

Périple polonais, épisode I :"Sur les traces de Nicolas Copernic à Cracovie"
Périple polonais, épisode II :"Le capitaine Charles de Gaulle en Pologne"

oOo

[1d’après Wikipedia

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