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Le Mythe transhumaniste

Discussion philosophique sur les tenants et aboutissants de la ‘crise Covid’

D 15 août 2023     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


En France, en Europe, et, d’une manière plus générale, dans tous les pays occidentaux, tout fait débat. Ne vivons-nous pas dans des démocraties ? Tout ? Non. Un point doit échapper depuis maintenant plus de trois ans à toute discussion : la « crise covid » et la manière dont elle a été gérée. Le silence sur ce point fait symptôme. Rares, très rares, sont les intellectuels qui ont pris la parole pour essayer de comprendre ce qui nous était arrivé (ne parlons pas des journalistes). Mehdi Belhaj Kacem est de ceux-là. Après Colaricocovirus. D’un génocide non conventionnel, il tente à nouveau, avec la complicité de Marion Dapsance, de lever le voile dans un nouveau livre : Le Mythe transhumaniste, publié aux éditions Tinbad au printemps 2023. Trois écrivains ont rendu compte de ce livre (ils se trouvent, comme c’est curieux, que ce sont aussi des lecteurs fidèles de L’Infini et d’art press). Qu’est qui se cache derrière ce mot de transhumanisme ? Rien qui s’apparente au trasumanar de Dante, on s’en doute [1]. En fait, la notion et le projet ont une histoire dont il faut faire la description et la généalogie. La « crise covid » et la manière dont elle a été gérée (je le souligne à nouveau [2]) en ont été l’un des révélateurs, pas le seul.
Le transhumanisme, c’était déjà, en 2019, l’un des thèmes abordés par Yannick Haenel, François Meyronnis et Valentin Retz dans un livre dont les médias ont peu parlé qui portait un titre sans doute trop éloquent Tout est accompli, livre dont j’avais rendu compte à sa sortie. Les caprices d’internet ayant rendu provisoirement (?) inaccessible ma recension d’alors, j’en rappellerai dans la seconde partie de ce dossier les principales lignes (de risque), celles qui ont trait, précisément, au transhumanisme et à ses thuriféraires [3] .

En référence au classique philosophico-politique de Philippe Lacoue-Labarthe et Jean-Luc Nancy, Le mythe nazi, Le mythe transhumaniste entend sonder les présupposés métaphysiques de la “politique Covid” qui aura été menée pendant près de trois ans en Occident et ailleurs dans le monde. Or, ces présupposés renvoient tous sans exception à une idéologie bien précise, qui se tient à l’arrière-fond de toute la “psychose Covid” : le transhumaniste. Scientiste, hygiéniste, eugéniste et totalitaire, cette “pensée” des élites oligarchiques qui, derrière les gouvernements, les institutions et les grands médias, tirent les ficelles, est en effet encore pire que ce qu’aura été le délire hitlérien ; et risque de faire courir l’humanité à sa perte, le plus littéralement du monde. Il est donc non seulement urgent, mais vital, d’en déconstruire les origines et les articulations conceptuelles essentielles ; ce que Marion Dapsance et Mehdi Belhaj Kacem s’astreignent à faire, avec une belle énergie et abnégation.

FEUILLETER LE LIVRE

 

INTRODUCTION

Marion Dapsance

Au milieu de la panique générale, il est toujours bon de faire un pas de côté et de regarder les choses avec distance. En 2020- 2021, très peu d’intellectuels étaient capables de le faire et je me suis trouvée un peu désemparée face à la déferlante d’irrationalité qui submergeait alors le monde occidental. Je vivais à ce moment-là en Italie, l’un des pays les plus sévères en matière de « mesures sanitaires ». Parce qu ils ne souhaitaient s’injecter dans le corps aucun produit étrange (ni d’ailleurs aucun produit tout court), parce qu ils n’entendaient se soumettre à aucun chantage ni à aucune culpabilisation, parce qu’ils considéraient fermement que leur corps leur appartenaient et que personne n’avait le droit de les forcer à y introduire quoi que ce soit, de nombreux Italiens se sont vus soumis à une réduction purement biologique de leurs corps. Plus de travail pour certains, plus d’activités sportives ou artistiques, plus de musées, plus de bibliothèques, plus de rencontres possibles hors de chez soi avec des amis et, avec l’introduction du « Super Green Pass », encore plus « Green » que le précédent, plus même de bus ni de trains, plus de magasins non alimentaires ou pharmaceutiques, plus de poste ni aucun service public. Ils furent rejetés par certains amis et certains membres de leur famille, qui ne voulurent plus les voir, ou les voir uniquement munis d’un test négatif. Les non-vaccinés n’étaient plus que « des corps » assignés à résidence, ou peut-être plus exactement « des organismes », ces choses vivantes qui mangent et qui défèquent, qui ont à peine le droit de respirer et qui surtout risquent de « contaminer les autres ». Mais est-ce vraiment cela, un corps humain ? Un organisme purement biologique, réduit à ses fonctions digestives et respiratoires, défini avant tout comme un porteur potentiel de maladies ? L’être humain se réduit-il à cette définition mesquine du corps ? Ce traitement que l’on nous a infligé, sous prétexte de nous garder d’un virus, était-il encore humain, était-il encore bienveillant, était-il encore charitable ? Bien sûr que non. La réponse était évidente. Nous avons tous compris que nous avions basculé dans autre chose. Mais dans quoi ? Quel était ce nouveau rapport au corps – et donc à l’être humain tout entier – que l’on était en train de nous imposer ? J’ai cherché à répondre collectivement à cette question en proposant le sujet du « corps à l’ère du covid » à la revue Telos, dont l’Université dominicaine en ligne Domuni venait de me confier la responsabilité. En est issu le numéro d avril 2022, disponible en ligne. Mais ce n était pas suffisant, et certaines perspectives me semblaient mériter un plus ample développement. Parmi elles, l’approche du philosophe Mehdi Belhaj Kacem m’attirait particulièrement. J’avais découvert Mehdi grâce à ses prises de positions extrêmement critiques de la gestion de la crise dite « sanitaire » et je lui avais écrit, tout simplement. C’est tout aussi simplement, et très amicalement, qu’il m a répondu et que nous avons décidé d’écrire ensemble un livre d entretien.
La question, très simple, que nous nous posons ici est la suivante : que reste-t-il d’humain dans nos sociétés covidistes ? Nous entendons par là les sociétés qui ont été contraintes d’appliquer les mesures dites « sanitaires » consistant à séparer physiquement les personnes, à voiler partiellement leur visage, à restreindre considérablement leurs déplacements voire à les enfermer chez eux, à les discriminer selon leur degré d’obéissance aux injon/ections gouvernementales, à les exclure de la sphère publique en cas de désobéissance, à les « tracer » au moyen de technologies informatiques. Ces mesures, on le sait, ont une incidence souvent dramatique sur la vie des personnes. Elles posent aussi des problèmes philosophiques de fond, que l’on considère rarement. Nous voulons dans ce livre faire un état de la question en nous centrant sur quelques thèmes privilégiés, comme le corps, le Mal, le transhumanisme et le nouvel humanisme que l’on pourrait lui opposer.

Début de la DISCUSSION

Marion Dapsance — Avant d’aborder ces questions, il serait bon de faire le point sur ce que nous savons aujourd’hui (mars 2022) de la fameuse « pandémie » qui autorisa les gouvernants de la planète entière à imposer ces mesures aux populations. Que pensez-vous de cette pandémie ?

Mehdi Belhaj Kacem — Eh bien, c’est simple : il n’y a jamais eu de pandémie. Comme je l’ai dit dans une lettre ouverte au maire de mon village, qui a fait le tour du monde et des millions de vues, « il n’y a pas de pandémie, et ce sont les chiffres officiels qui le disent » (titre donné à ma lettre lors de sa publication dans l’excellent site Mondialisation.ca). A l’heure où nous parlons, cette maladie, si elle existe (la question est très disputée parmi les scientifiques, pour toutes sortes de raisons, notamment la non-fiabilité des fameux tests PCR), n’a fait que 0,06% de morts dans le monde, pour une moyenne d’âge de 84 ans, c’est-à-dire de gens ayant largement dépassé ce qui est leur espérance de vie dans la plupart des pays. Autrement dit, et pour le dire dans les termes de Debord, nous n’avons pas eu affaire à une pandémie, mais au spectacle d’une pandémie. Les deux années qui viennent de s écouler confirment avec éclat toutes les thèses de Debord, notamment le dernier, celui des Commentaires sur la société du spectacle. Jamais la civilisation dans son ensemble, mais surtout l’occidentale, n’avait à ce point vécu dans la mystification, le mensonge, la manipulation et la corruption.
Que dit Debord ? Que, dans la société du spectacle, tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation ; que le spectacle est le Capital parvenu à un tel degré d’accumulation qu’il devient image ; enfin que le spectacle n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social médiatisé par des images. Pendant deux ans, la vie de la société civile tout entière aura été structurée par une image diffusée H24, sept jours sur sept : l’hologramme d’un virus mortel, qui devait commander à l’ensemble de nos gestes, pensées, existences, sur la base d’une pure chimère sémantique : « il existe une pandémie dévastatrice qui tue une infime partie de l’humanité, celle qui était déjà mourante », « il existe un virus ravageur qui ne fait que porter, comme la grippe, l’estocade à des vieillards déjà très malades », « il existe une menace apocalyptique sur l’humanité tout entière : une forme nouvelle de grippe », etc. Et le moins ahurissant, dans l’affaire, ce n’est pas la crédulité somnambulique dont on fait preuve nos intellectuels, allant même pour certains jusqu’à surenchérir dans l’excès de zèle pour entériner toutes ces mesures démentielles. C’est pourquoi je n’appelle pas ça une « pandémie », mais un « test de Q.I. ». Fort heureusement, de très nombreuses franges de la population civile font preuve du bon sens, de la lucidité et du courage dont l’écrasante majorité de nos intellectuels, totalement phagocytée par la société du spectacle, est devenue incapable.

Mon corps m’appartient-il et si non, qui suis-je ?

M. D. — Quelle est la place du corps à l’ère du covid-19 ? Comment comprendre le fait que le corps fasse l’objet de toutes les attentions (on dit vouloir le protéger d’un virus) tout en lui imposant des mesures extrêmement restrictives, qui entravent sa libre circulation, le contact et la communication avec ses semblables et même son intégrité, dans le cas des vaccination imposées ?

M. B. K. — Foucault, inventeur du concept de « biopolitique », s’en retournerait dans sa tombe. Car c’est de cela qu’il s’agit : de biopolitique, c’est-à-dire d’une politique bien précise, dirigée au nom du Bien du corps. À ce titre, cette fausse « pandémie », planifiée de longue date par les plus puissantes familles oligarchiques du monde, constitue la plus gigantesque attaque sous faux drapeaux de toute l’Histoire de l’humanité. Ne serait-ce que du point de la santé mentale et physique des populations, comme vous le suggériez plus haut, le discours officiel est en porte-à-faux avec lui-même, puisque l’ensemble des mesures soi-disant prises pour le Bien de nos corps ont porté de très graves atteintes à ceux-ci, ainsi qu’à leurs psychisme : les confinements, les masques et enfin les soi-disant « vaccins » n’ont été d’aucun bénéfice pour qui que ce soit, mais au contraire ont gravement endommagé des milliards de vies. Toute cette aventure aura donc servi de test grandeur nature pour faire le départ des esprits lucides et des esprits engourdis dans la population : c est-à-dire que quand des gouvernements, des institutions supranationales, les plus grandes entreprises, des milliardaires qui se présentent comme « philanthropes » alors qu’ils sont responsables des plus grandes nuisances dans le monde, des médias de masses, des médecins perclus de conflits d’intérêt, etc., quand tous ces gens vous disent qu’ils savent mieux que vous ce qui est bon ou pas pour votre corps, tous vos voyants défensifs doivent être au rouge. Comme l’a dit le plus grand continuateur des thèses de Foucault, Giorgio Agamben, la biopolitique ne peut s’accomplir que comme « thanatopolitique », politique de la mort, comme avec le nazisme.


Pascal Boulanger, art press 512, juillet-août 2023.
ZOOM : cliquer sur l’image.

Pascal Boulanger

 

Dans le Mythe transhumaniste, essai sous forme d’entretien, Mehdi Belhaj Kacem et Marion Dapsance déconstruisent les origines et articulations du transhumanisme.

La pensée en acte, quand elle pense en dehors du prêt-à-penser, fait un pas de côté ; elle refuse d’être clouée sur place, assignée à résidence, sa propre résidence étant trop vaste et trop étendue pour le spectacle de la manipulation et de la corruption généralisées. D’un livre à l’autre (et notamment dans Mausolée des intellectuels), Mehdi Belhaj Kacem pense contre et pour : contre le présent et le devenir machine et pour ouvrir la dimension d’un à-venir dans laquelle la circulation (le lyrisme) des savoirs et des actes singuliers déjoueront « l’intelligence artificielle » (sacrificielle) et son programme ultime de modification du génome humain.
L’horlogerie de la pensée sensible et existentielle de cet entretien, mené avec brio par l’anthropologue chrétienne Marion Dapsance, actualise les notions de biopolitique (Foucault) et de thanatopolitique (politique de la mort) que la gestion de la « crise Covid » a tragiquement révélées. Qu’est-ce qu’un corps, une réserve à organes où tous les trafics sont permis ? Le corps est l’être humain lui-même, il signe à la fois son appartenance et son appropriation.
Oui, mais voilà, sous couvert de crise sanitaire s’est dévoilée la plus vaste tentative d’expropriation de l’humanité. Un régime politique unifié au niveau mondial a imposé des ordres officialisant la démence calculée des nouveaux maîtres — port du masque, confinement et vaccination forcés, traçage, autant d’impératifs qui signifient la fin de toute souveraineté de l’être humain sur son propre corps, sa propre pensée. Le mythe transhumaniste, et son arraisonnement par la techno-science, a mis en place une prison numérique ultra-contrôlée, avec son bétail lobotomisé et marqué au OR code. Mais cet entretien ne se fixe pas sur le monde-tombe dans lequel la condition de l’homme — et le temps lui-même — sont éprouvés comme séjour carcéral. Il s’agit, au contraire, de s’éveiller au gouffre recouvert par la religion de la technologie toute puissante et totalitaire. Il s’agit, comme le suggère aussi Dapsance, de s’opposer à la planification d’une vie déchue et de sortir du désespoir.

MAGIE MYTHOLOGIQUE

Tout cela remonte, comme le nihilisme, à fort loin. Kostas Axelos, dans son livre Vers la pensée planétaire, nous informait qu’un certain docteur Britton préconisait (nous sommes en 1950), lors d’un discours à l’Académie nationale des sciences aux États-Unis, l’insémination artificielle d’une race d’hommes-singes esclaves. Cette volonté de la toute-puissance fait mythe en voulant remédier aux maux par des moyens artificiels qui deviennent des fins. Le médecin biologiste, en effet, étend la puissance vitale en transformant le corps, il pense lutter contre la mort (à laquelle il a le tort de croire) par magie mythologique. Mais c’est ignorer qu’une implacable dialectique relie l’amour de la vie à la mort.
L’incessante rotation de la production­ consommation, à laquelle s’est ajoutée la privation de libertés, barre la route à la poéticité du monde. Le Prométhée ultramoderne et sa monstrueuse techno-science placent le monstrueux dans le cœur et le corps même de l’être humain. Au recouvrement du gouffre, par de fausses idoles et par la marchandisation globale, s’oppose le soulèvement sensible que Nietzsche revendiquait : « Il est vrai que nous aimons la vie, mais ce n’est pas parce que nous sommes habitués à la vie, mais à l’amour. »
L’État d’exception et ses effets punitifs brisent la dignité du refus, celle qui s’est récemment exprimée chez les « gilets jaunes ». À l’inverse, pour les décideurs de la Silicon Valley et pour leurs télégraphistes soumis, il s’agit de casser l’intériorité vibratoire des êtres parlants en entrant dans une planification biologisante du monde et dans la fabrication d’esclaves. Derrière la vitrine démocratique, nous sommes prisonniers du rêve de l’Empire : fabriquer un monde sans passion ni aventure ni risque. Et ce n’est plus seulement la plus-value du travail que s’approprient les maîtres, mais la plus­ value du temps lui-même, par production et gestion mécaniques de la non-vie. « Le capitalisme extrême pour une extrême minorité, le "communisme" concentrationnaire pour l’écrasante majorité de l’humanité. »
L’éthique positive à laquelle s’attelle Kacem a, par ailleurs, sa dimension pratique et factuelle, celle, par exemple, de se joindre aux réunions et aux luttes des « gilets jaunes », celle de ne pas céder à la jouissance nécrophile et à la terreur. « Nous devons d’ores et déjà aviser aux moyens de tout reconstruire, en prenant les devants sur l’effondrement civilisationnel en cours [...], créer des lieux semi-clandestins de reconstitutions des savoirs, si brutalement mis à mal depuis trois ans. »
Un monde d’experts peut mentir sur tout et encourager à l’effondrement, mais la beauté qui porte « l’huile là où est le feu » (Debord) sera toujours le nom esthétique de la vérité, elle s’oppose à la fabrication d’esclaves et à un présent en devenir de « substance mort ».

Pascal Boulanger, art press 512, p. 94.

Du délire transhumaniste, par Mehdi Belhaj Kacem, philosophe, et Marion Dapsance, anthropologue


« Les pauvres sauveront le monde. » (Jean-Luc Godard)
ZOOM : cliquer sur l’image.

Fabien Ribery

 

J’entends de plus en plus souvent dire qu’il faut en finir avec les polémiques concernant la période du confinement et la façon dont fut administrée la pandémie, que tout cela est loin.

Bien au contraire, qui pensa cet événement ? Qui s’offusqua de tout son être de la réduction des libertés publiques et du mépris général envers les opinions divergentes ? Qui s’éleva contre la médiatisation extrême de la jouissance de la mort, l’absurde des injonctions des autorités sanitaires et l’enrôlement totalitaire des médecins ?

Qui comprit vraiment qu’être considéré comme « sous-citoyen » était le prélude d’un lynchage programmé ?

On entend mieux peut-être aujourd’hui la fameuse formule de Lacan : « Hitler, au fond, était un précurseur. »

Les plus sensés le savent : la prochaine fois, ce sera pire.

On a sous-utilisé la surveillance numérique, on n’a pas encore assez dressé la population, il faut que chacun devienne le maton de son voisin, surtout s’il n’a pas les bons papiers, et qu’il le contamine par son délire hygiéniste.

On a rasé les murs, on les a sautés, on s’est embrassés dans les cimetières ou les églises, on a trouvé les chemins de la solidarité, on a bu et ri quand la ville dormait.

Les polices nous voyaient quelquefois, qui, plus lucides que leurs chefs, n’en avaient cure.

Sous ce vaste envoûtement, il y a une idéologie, ravageuse, que Mehdi Belhaj Kacem et Marion Dapsance appellent dans leur dialogue publié aux éditions Tinbad (Guillaume Basquin) Le mythe transhumaniste.

La gestion biopolitique de la période – un prélude à de plus vastes contrôles encore – fut une thanatopolitique.

Il nous aurait fallu entendre que notre corps ne nous appartenait pas, qu’on le devait à la société, qu’il n’était rien, un peu plus qu’un déchet, et que notre visage, condition de la politique comme de l’enseignement, n’était qu’une grimace.

Les donneurs de leçons ou les normopathes s’en fichent, la soumission est leur loi, elle les fait vivre, et même durer dans l’insignifiance.

A ne plus en connaître la saveur et l’énergétique uniques, la liberté se perd, devient une pauvre chose, n’existe plus.

Il faut relire Villon, Debord, et tous les grands irréguliers, ceux dont on a besoin quand on cherche à nous réduire – si vous manquez d’inspiration, voir les écrits complets de Philippe Sollers.

Aux portes du pouvoir, il y eut les Gilets jaunes.

Aux portes du pouvoir, il y eut les intouchables, les égarés, les saints, les plus savants, ainsi Giorgio Agamben très en avant.

Spectacle, falsification, le vrai comme moment du faux.

Prenant appui sur le classique Le mythe nazi, de Philippe Lacoue-Labarthe et Jean-Luc Nancy, Mehdi Bekhaj Kacem et Marion Dapsance voient dans le mythe transhumaniste, scientiste, hygiéniste, eugéniste et totalitaire, l’horizon de notre temps.

Il n’y a pas d’hominisation sans appropriation technologique — MBK en fait avec Bernard Stiegler toute son ontologie pléonectique —, et expansion de celle-ci, l’époque que nous vivons – fusion de l’État et de l’entreprise, régime mondialisé capitalo-communiste, projet d’un vaste camp de concentration numérique — tentant, dominée par les oligarques réunis, d’accomplir le pas ultime d’une expropriation terminale en transformant chaque être humain en QR code.

Marion Dapsance se souvient avec justesse de Georges Bernanos, qui écrivait dans La France contre le robots (1947) : « On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. »

MBK : « C’est ça le projet de Davos : le capitalisme extrême pour une extrême minorité, le « communisme » concentrationnaire pour l’écrasante majorité de l’humanité. »

Il y a les bons citoyens, et les autres, fliqués, harcelés, inquiétés.

Il y a les insurgés – la langue de feu se voit, s’entend, se prouve —, et les autres, les pitoyables entrepreneurs de leur propre vie.

« Au plan théorique, avance MBK, il faut moins que jamais céder sur ce qui est la tâche moderne de la philosophie depuis Kant [et Bach] : la déconstruction de la métaphysique. Savoir : le démantèlement des grands édifices normatifs créés par la pensée occidentale pour orienter les consciences, les vies et les actions dans une direction homogène. Pulvériser ces grandes entités a permis, depuis deux siècles, la pluralisation des modes de vie, de penser et d’agir. »

Opposant « cerveau collectif » reprenant les meilleures intuitions anarchistes et « intelligence artificielle », le philosophe prophétise à propos de l’illuminisme transhumaniste (expression qu’aurait sûrement approuvée le regretté Paul Virilio) : « Il ne fait à mes yeux aucun dote que la tentative de coup d’État planétaire des oligarques transhumanistes est destinée à échouer ; la seule question qu’il faut se poser est : à quel prix ? (…) Le danger suprême du transhumanisme, qui l’apparente de si près aux pires totalitarismes du siècle dernier, c’est la croyance en un « dépassement dernier » (la « solution finale »), au titre de « l’homme (entièrement) nouveau », thématique choyée aussi bien par Lénine et Mao que par Hitler et Mussolini. Aujourd’hui, Gates et Schwab. »

Croire alors que les désœuvrés, ceux sur qui la société a peu de prise, sont aujourd’hui les vrais révolutionnaires, porteurs de la beauté du projet de l’absence de projet.

« Les gens plus ou moins marginaux, sans travail, vivant au ban de la société, ont toutes les chances, poursuit-il en se souvenant d’un texte écrit pour la revue Tiqqun, d’avoir un regard plus lucide sur celle-ci, que quelqu’un qui y est vitalement lié (par exemple un universitaire…). Mais surtout, les personnes désœuvrées ont le temps de faire leurs propres enquêtes, de s’informer autrement, d’essayer de déchirer le rideau (…) Il est donc loin à exclure que le désœuvré, par le temps qui viennent, soit appelé à louer le rôle dialectique « moteur » que Hegel prêtait au valet ou à l’esclave dans son système, ou Marx au prolétariat dans le sien. »

On peut donc lire Le mythe transhumaniste comme un texte d’éveil, dont les propositions feront quelquefois hurler au conspirationnisme ou au complotisme, mais qui n’en demeure pas moins une chance pour penser ce qui vient dans ce qui est advenu.

Fabien Ribery, 23 juillet 2023.

La fin d’un monde


Le village des damnés (John Carpenter)
ZOOM : cliquer sur l’image.

Olivier Rachet

 

« Nous n’avons pas eu affaire à une pandémie, mais au spectacle d’une pandémie », tranche d’entrée de jeu Mehdi Belhaj Kacem dans Le Mythe transhumaniste, une discussion philosophique menée tambour battant avec l’anthropologue chrétienne Marion Dapsance sur « les tenants et aboutissants de la ‘crise Covid’ ». Crise dont on comprend à lire ce réquisitoire implacable qu’elle fut moins sanitaire qu’anthropologique. Un basculement a eu lieu dont on tarde à mesurer les effets tant les dénégations sont nombreuses de la part de tous ceux qui ont accepté sans broncher un ensemble de mesures liberticides et de régressions civilisationnelles impensables, il y a encore quelques années. « Plus de travail pour certains, plus d’activités sportives ou artistiques, plus de musées, plus de bibliothèques, plus de rencontres possibles hors de chez soi ou avec des amis, et avec l’introduction du ‘Super Green Pass’, encore plus ‘Green’ que le précédent, plus même de bus ni de trains, plus de magasins non alimentaires ou pharmaceutiques, plus de poste ni aucun service public ». Ni de possibilité d’accompagner les siens dans leurs derniers jours. Antigone a dû se retourner plus d’une fois dans sa tombe ! Un double mouvement d’appropriation et d’expropriation des corps a eu lieu dont on peine à mesurer les conséquences. Réduit à ses fonctions purement biologiques, le corps humain a subi l’une des tentatives de contrôle – qui rappelons-le fut planétaire comme en témoigne le Grand Enfermement que l’on dut subir à coups de tracasseries administratives quotidiennes –, les plus nocives peut-être de l’Histoire. S’il faut se garder de tout discours emphatique qui n’a pour effet que d’activer chez les plus incrédules le reproche si risible de « complotisme », essayons de regarder, la tête froide, ce qui est arrivé au corps humain. « On pourrait à cette lumière, explique Belhaj Kacem, dire que le corps, c’est ‘l’évènement originaire’, l’évènement des évènements, et qu’en effet, à partir du moment où vous ôtez au corps la possibilité animale la plus innée, celle à point nommé de s’auto-appartenir, vous commettez le premier des crimes ». Regardez autour de vous : combien sont encombrés par leur corps, aspirent à une humanité augmentée tant leur vie est rabougrie ! Combien sont nombreux ceux qui restent toujours écrasés par un sentiment de culpabilité dont on rend responsable autrui en le harcelant ou en le martyrisant ! « Qui a renoncé à dépenser sa vie, écrivait Debord, ne doit plus s’avouer sa mort » : nous y sommes ; ainsi peut prospérer le règne d’une technoscience dont le philosophe a montré dans d’autres ouvrages (Dieu : la technoscience, la mémoire et le Mal, aux éditions Les liens qui libèrent) qu’elle était devenue le nom même de dieu dans la volonté de puissance qui est la sienne. Pourquoi s’étonner encore de ces appareillages technologiques qui asservissent les esprits et entravent les corps, rendant caduque toute possibilité de rencontre et de bifurcation ? Une tyrannie est en marche, Belhaj Kacem en est convaincu, et nous ne voulons pas la voir.

Ce basculement anthropologique, il suffit de le nommer : le mythe transhumaniste qui donne son titre à l’ouvrage. Revenant sur ce qu’il juge avoir été des erreurs de perception antérieures, le philosophe soutient que « l’homme a toujours été transhumain ». Rien de nouveau sous le soleil donc : « Or, explique-t-il, c’est la définition que je donne de l’homme lui-même, depuis l’avènement de Cro-Magnon, dans mon travail : la chasse, l’agriculture, la sexualité différée, l’art rupestre, l’habillage, etc., sont des phénomènes en effet d’augmentation exponentielle des puissances physiques simplement animales par l’astuce technologique ». L’homme n’est donc pas fait, comme le pensait Nietzsche, pour se dépasser : « L’homme est l’animal qui par excellence se dépasse soi-même, depuis qu’il est ce qu’il est ; il a rompu les lois de la simple évolution pour se précipiter dans ‘une fuite en avant quantique’ où la technologie, en effet, n’a cessé de ‘l’augmenter’ ». Le programme de « Grande Réinitialisation » lancé en 2020 par le président du Forum économique mondial, Klaus Schwab, en serait la preuve irréfutable, sauf qu’il joint à cette aspiration transhumaniste le pire des programmes eugénistes. Et la répétition générale qui fut celle de la crise du covid ne dit pas autre chose : seul s’en sortira un petit nombre d’élus jugé apte à accepter les nouvelles modalités de contrôle de l’existence. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, renchérit Belhaj Kacem, « c’est l’homme qui doit être au service de la technologie, pas l’inverse ».

Pour autant, le livre n’a rien d’apocalyptique. L’échange entre les deux interlocuteurs fait apparaître les conditions d’émergence d’un nouvel humanisme qui repose déjà sur des solidarités locales, des nouvelles modalités du savoir et des formes renouvelées de résistance ; il est vrai sévèrement punies. C’est fort de la connaissance que nous saurons avoir des rapports de force à l’œuvre dans cette digitalisation de nos vies, qu’il serait vain de chercher à anéantir, qu’il sera possible de déjouer les formes inédites de conflictualités qui n’attendent que de nous asservir. La résistance ne fait que commencer.

Mehdi Belhaj Kacem, Marion Dapsance : Le Mythe transhumaniste, Discussion philosophique sur les tenants et aboutissants de la ‘crise Covid’, éditions Tinbad

Olivier Rachet, 25 juillet 2023.

RAPPELS

Ligne de risque

Ligne de risque a été créé en 1997. La revue était alors animée par Frédéric Badré, Yannick Haenel et François Meyronnis. 27 numéros en 18 ans. Depuis 2015, la revue a fait l’objet d’une nouvelle série. Valentin Retz a remplacé Frédéric Badré (décédé). Le premier numéro de cette nouvelle série portait le titre du roman de Leïb Rochman « A pas aveugles de par le monde » (cf. Ligne de risque n° 1), écrit en 1968 et traduit du yiddish pour la première et unique fois en français en 2012 (chez Denoël, réédité dans la Collection Folio (n° 5679) [4] ; le second numéro, publié en 2017, s’intitulait « Dévoilement du Messie » (cf. Ligne de risque n° 2). De numéro en numéro, de livre en livre, d’essai en essai et de roman en roman, Haenel, Meyronnis et Retz poursuivent leur chemin singulier — vers le Royaume [5]. La critique surmenée en parlent peu, à l’exception notoire des livres de Haenel, souvent salués et même parfois couronnés [6]. Pour la première fois, nos auteurs signent un livre écrit en commun : Tout est accompli. Le titre reprend, bien sûr, les mots de l’évangile de Jean (19/30) : « Quand Jésus eut pris le vinaigre, il dit : Tout est accompli. Et, baissant la tête, il rendit l’esprit. » Tout est accompli est un livre eschatologique qui relit les derniers siècles, notamment français — ce qu’il est convenu d’appeler les Temps modernes — dans une perspective messianique qui, n’en doutons pas, suscitera autant de résistances que d’interrogations [7].
Je rappelle enfin que le n°3 de la revue Ligne de risque, en mars 2022, est revenu longuement sur la « crise du covid » et la manière dont elle a été gérée dans Aperçus sur l’Immonde ou la route de la servitude, numéro dont ont rendu compte, pour Pileface, Guillaume Basquin dans une note de lecture (mai 2022) et, sur le site « Kairos », Mehdi Belaj Kacem dans Notre rentrée littéraire (septembre 2022).

« Dans quelle époque vivons-nous ? Tout indique que nous entrons dans l’âge de la fin : quand l’humanité vit entièrement sous la menace de sa disparition. De toutes parts, on sent croître l’emprise des réseaux numériques, l’intelligence artificielle décide pour nous et les transhumanistes promettent déjà les noces de la biologie et des algorithmes. La terreur nous saisit, de même que l’impossibilité d’agir.
Si ce livre nous fait voir la catastrophe qui vient, il ne nous laisse pas pour autant dans le désespoir. Devant cette nouvelle situation mondiale, il enseigne l’art de n’être ni sourd ni aveugle. Il ouvre une brèche où la plénitude devient accessible, car le sauf n’est pas hors d’atteinte. Et par là, surmonte le nihilisme de notre temps. »
Portant un regard neuf sur les trois derniers siècles qui ont accouché du nôtre, Yannick Haenel, François Meyronnis et Valentin Retz dégagent les forces à l’œuvre dans l’Histoire. Une Histoire qui, sous son aspect strictement profane, laisse entrevoir une trajectoire cachée, une certaine « courbure du temps » qui trouve son origine dans les deux maisons d’Israël, l’Église et la Synagogue.

Grasset, paru le 2 mai 2019.

LIRE : Le ravage, le Royaume pdf , entretien des auteurs avec Fabien Ribéry (juillet 2019)

 

EXTRAITS

Le transhumanisme

Les romans de Michel Houellebecq ne sont pas seulement des extrapolations littéraires produites par un individu isolé. Ils annoncent ce qui vient vers nous. Un autre auteur, Yuval Noah Harari, a entrepris en 2015 de livrer au public « une brève histoire de l’avenir », dont les contours recoupent assez largement les prophéties de l’écrivain français. Là aussi, on a assisté à un triomphe commercial, sur fond d’aveuglement et de somnambulisme. Son essai, Homo deus, se présente comme un chant du cygne à l’aube du IIIe millénaire. Ce dont on prévient les êtres parlants, c’est que l’histoire humaine touche à sa fin, et que le règne d’Homo sapiens se traduira par un retournement fatal dont l’Intelligence Artificielle sera la seule bénéficiaire. Au moment où les êtres humains s’imaginent « acquérir des pouvoirs divins de création et de destruction » ; au moment où ils croient échapper à la misère, à la vieillesse et à la mort, un nouvel ordre du jour les renvoie soudain à leur statut de déchet.

Harari commence par énoncer une position de principe, reçue comme un dogme à la Silicon Valley : il n’y a de problème que technique, et tout problème a une solution technique. La mort, pour les transhumanistes, n’est déjà plus du ressort des prêtres ; elle appartient désormais au domaine de compétence des ingénieurs. Un homme comme Peter Thiel, cofondateur de PayPal, professe qu’un milliardaire comme lui doit vivre éternellement. Qu’un pauvre meure, rien que de très normal ; mais qu’un riche subisse le même destin, quel scandale ! À partir de là, il affirme qu’on ne doit plus « accepter » la mort, ni d’ailleurs la « dénier », mais la « combattre » avec la dernière énergie. Comme le remarque sentencieusement Harari, Thiel est une personne à « prendre très au sérieux », car il est « à la tête d’une fortune privée estimée à 2,2 milliards de dollars ».

La firme Google, de son côté, annonce qu’elle prend les choses en main. Elle veut « résoudre le problème de la mort ». À cet effet, le chef de file des transhumanistes, Ray Kurzweil, est nommé directeur de l’ingénierie. Sa mission : réagencer le corps humain pour augmenter notre durée de vie. C’est lui qui mène la guerre contre la mort – selon Harari, le « projet phare » du XXIe siècle.

Telle est l’entreprise prométhéenne par excellence : celle qui permettra de transformer Homo sapiens en Homo deus. Aussi Harari examine‑t‑il le credo humaniste selon lequel l’univers tourne autour de l’« Homme », source de tout sens et de toute autorité. Mais ce projet n’a de validité que si le petit démiurge parvient à usurper la place de son créateur. Celui‑ci étant défini par la métaphysique comme « éternel », comment la science ne se donnerait‑elle pas comme objectif la poursuite de l’immortalité pour l’être humain ? Comme dit Harari : « Homo sapiens fait tout pour l’oublier, mais c’est un animal. » Or justement c’est cette limite qu’il s’agit de remettre en question. Cet animal, il faut donc le recréer ; ou, du moins, le recalibrer. C’est ainsi qu’on dépassera le vieillissement par la technique, mais ce dépassement expose lui‑même à un danger. En allant jusqu’au bout des idéaux humanistes, on a la surprise de les mettre à bas. Comme le souligne l’auteur d’Homo deus, accomplir le « rêve humaniste est susceptible de provoquer sa désintégration ».

Harari insiste sur ce point : selon les sciences de la vie, l’humain, comme n’importe quel animal, porcs, poulets ou chimpanzés, se résume à des « algorithmes de traitement biochimique des données ». Au XIXe siècle, on pensait cerveau et psychisme humain sur le modèle de la machine à vapeur. Au XXIe, plus personne ne compare la psyché humaine à une soupape qui libérerait de l’énergie. Le parallèle se fait plus volontiers avec un ordinateur, c’est‑à‑dire avec une machine à calculer. Partant de cet axiome, la thèse centrale de l’essayiste consiste à démontrer que nous sommes à la veille d’une révolution, devant laquelle toutes les autres apparaîtront comme de simples vaguelettes à la surface de l’océan. Puisque « les calculs algorithmiques ne sont pas affectés par les matériaux avec lesquels le calculateur est construit », le remplacement des algorithmes biochimiques par des algorithmes électroniques devient inévitable. Autrement dit, ce que le hasard et la sélection naturelle avaient produit laissera place nette aux fabrications du Dispositif, la biologie de Charles Darwin cédant le pas à la cybernétique de Norbert Wiener. En guise de conclusion, Harari nous assène cette prophétie glaçante : « Il n’y a donc aucune raison de penser que les algorithmes organiques peuvent faire des choses que les algorithmes non organiques ne seront jamais capables de reproduire ou de surpasser. Du moment que les calculs sont valables, qu’importe que les algorithmes se manifestent grâce au carbone ou au silicium ? »

Par une légère modification de notre ADN, les transhumanistes ambitionnent de produire des corps dotés de capacités neurologiques augmentées. De tels corps seraient en prise directe avec les réseaux électroniques. On repousserait donc les limites de la vie organique en recourant à une bio‑ingénierie qui récrirait le code génétique. On la repousserait aussi en fusionnant les corps avec des appareils, tels que des capteurs implantés dans nos cerveaux, susceptibles de contrôler nos futures prothèses bioniques. « Après quatre milliards d’années d’errance dans le royaume des composés organiques – affirme calmement Harari –, la vie fera irruption dans l’immensité du champ inorganique. » Autant dire que le passage au silicium risque d’entraîner une errance exponentielle. Ne s’agit‑il pas, sous le couvert d’une extension de la technique, de conduire l’inerte à émettre des informations, avant de se fabriquer lui‑même, et ainsi de rendre la mort vivante ? (p. 289-293)

L’avenir selon Harari

L’une des cibles contemporaines des auteurs de Tout est accompli — essai de Haenel, Meyronnis et Retz dont on attend en vain qu’il soit philosophiquement discuté (ou simplement rendu compte) dans la presse informée — est Yuval Noah Harari, l’auteur de Home deus. François Busnel avait invité Harari dans sa petite librairie en septembre 2017 (voir ici). Yannick Haenel revient sur son dernier best seller dans sa chronique de Charlie Hebdo (19 juin).


Charlie Hebdo, 19 juin 2019.
ZOOM : cliquer sur l’image.

RCJ, Un monde de livres, 25 avril 2019.
Valentin Retz, François Meyronnis et Yannick Haenel, auteur du récent La solitude Caravage, sont les invités de Josyane Savigneau.

 

L’effrayant silence métaphysique de l’espace médiatique

par Cécile Guilbert

Voici un livre important, passionnant, engagé, qui concerne toutes les questions ravageuses de notre actualité babillarde alimentant la sourde révolte des peuples : inégalités sociales, précariat généralisé, cynisme oligarchique, pollution atmosphérique, malbouffe, terrorisme, crise identitaire, etc. Mais qui les pense à la fois de plus loin, de plus haut et plus originellement en les articulant à l’histoire scientifique et politique des Temps modernes, à la philosophie, à l’exégèse biblique, à la pensée juive et à la littérature.

C’est un grand livre de métaphysique arc-bouté sur une pensée messianique puisant aux deux maisons d’Israël qui se veut aussi et surtout une parole de Vie, une parole indiquant la voie d’un saut et d’un salut, une issue spirituelle au nihilisme achevé par le croisement de la cybernétique et du marché qui ont complètement renversé l’ancien projet humaniste d’émancipation au profit du « Dispositif », cette infernalité qui, par la mise en réseaux planétaire, en est arrivée à absorber le temps, l’espace, la société, à aplatir le langage comme le réel ainsi que l’espèce humaine réduite à un bétail biologique algorithmé, constamment spolié par ce qu’on appelle aujourd’hui « l’économie de l’attention » et dont le destin «  transhumaniste » doit désormais s’achever par les noces de l’intelligence artificielle et des manipulations génétiques qui font tant fantasmer les milliardaires de la Silicon Valley.

Une étonnante digression sur la symbolique du nom de la marque Apple

Écrit d’une langue précise, claire, dans un souci ouvertement pédagogique, ce livre dense qui entend se situer au-delà de la politique jugée caduque et dont le titre reprend l’une des dernières paroles du Christ – « Tout est accompli » – comporte de nombreux développements propres à susciter des conversations passionnées, des débats enflammés et même des polémiques : critique du progressisme tant scientiste qu’économique, analyse des Temps modernes et des Lumières comme résultant d’une formidable « insurrection à l’encontre du christianisme », de la Révolution française comme «  gigantesque messe noire assortie d’innombrables et répétés sacrifices humains  » digne des imprécations de Joseph de Maistre, de la conquête de l’Algérie par Bugeaud comme répétition de la guerre de Vendée, de la République et de la laïcité comme «  sacré de substitution » ; dégagements passionnants sur la Shoah et les Gafa, examens critiques des best-sellers mondiaux de Yuval Noah Harari et Michel Houellebecq, relecture bluffante de Bel-Ami de Maupassant [8], etc.

Il faut évidemment ajouter que si une étonnante digression sur la symbolique du nom de la marque Apple couplée à une autre sur le changement de nom de Google en Alphabet justifieraient presque à elles seules l’achat de ce livre, ce dernier, publié dans une grande maison d’édition – Grasset – n’est pas écrit par n’importe qui puisqu’il rassemble les plumes des trois écrivains animant l’excellente revue Ligne de risque  : François Meyronnis, auteur d’une demi-douzaine de romans et d’essais exigeants creusant la question du nihilisme et de la « délivrance »  ; Valentin Retz, qui a déjà publié trois fictions hantées par la problématique de l’initiation spirituelle  ; et Yannick Haenel qu’on ne présente plus puisqu’il est l’auteur de romans remarqués dont plusieurs ont été couronnés par de grands prix littéraires.

Surdités contemporaines

Et pourtant, vous n’avez nulle part entendu parler de Tout est accompli. Pas un papier dans la presse quotidienne, hebdomadaire, mensuelle ou même un articulet qui en signalerait l’existence. Pas une émission de télé, pas non plus de radio, ni France Inter, ni France Culture ou même Radio Notre-Dame  ! Rien. Nichts. Nada. Trou noir complet et total. Tout se passe comme si ce livre n’avait jamais été écrit, imprimé, distribué, mis en vente. Et j’avoue que le silence assourdissant accompagnant l’existence déréalisée de cet ouvrage brûlant qui devrait toucher l’intelligence, le cœur et l’esprit critique des lecteurs m’intéresse tout autant que son contenu.

Assiste-t-on à la démonstration performative de ce qu’il entend prouver sur le terrain de l’inanité générale et en particulier médiatique  ? À l’illustration d’une sorte de « samedi saint  » éditorial où la promesse du « Royaume » semble anéantie par l’économie spectaculaire qui en figure la ténèbre  ? «  Chez nous, tout se concentre sur le spirituel, nous sommes devenus pauvres pour devenir riches », écrivait Hölderlin. Puisse cette sentence, qui console des surdités contemporaines, rasséréner un peu les auteurs de Tout est accompli.

Cécile Guilbert, La Croix, le 19/06/2019.

Laurent Alexandre et François Meyronnis : « Covid, Gafas, transhumanisme »

Émission du 22/03/2021.

Aude Lancelin reçoit le docteur Laurent Alexandre, chirurgien et essayiste et François Meyronnis, fondateur de « Ligne de Risque », pour affronter leurs visions sur le monde de demain.

L’NTÉGRALE

Extrait.


[2Sur l’interprétation de « gérer » ou de « gestion », je renvoie à « la Gestion Génocidaire du Globe » de Zagdanski et à l’essai Heidegger et l’extermination, p. 29 et suivantes.

[3J’ai reconstitué l’intégralité du dossier. Cf. R. Calasso, L’innommable actuel / Y. Haenel, F. Meyronnis et V. Retz, Tout est accompli.

[4Le livre : A pas aveugles de par le monde fait figure d’exception dans la littérature yiddish, non tant par son sujet — l’anéantissement des Juifs d’Europe — que par sa conception et sa forme. De fait la Shoah n’y est pas directement abordée. Le roman s’ouvre une semaine après la fin de la guerre alors que les deux héros, S et " Je ", ainsi que plusieurs autres personnages, entament une véritable odyssée à travers l’Europe dévastée. Réchappés d’un espace de non-humanité, ils retournent vers l’humanité d’après le déluge. Le roman fonctionne sur une triple temporalité : le présent des protagonistes, leur passé immédiat et, pour certaines des villes traversées comme Amsterdam ou Rome, la résurgence d’un passé plus lointain. Le — les héros — car la focalisation oscille sans cesse de S à "Je" — vogue de lieu en lieu ; partout, pour mille et une raisons, il est retenu et comme happé par l’endroit qui l’accueille. Chaque ville fait naître des romans dans le roman où se croisent des dizaines de personnages — parmi eux ceux qui ont connu "les Plaines", comme l’auteur nomme les lieux d’extermination, et les autres, ceux qui ont été épargnés. Les premiers tentent de vivre, mais demeurent à tour jamais des êtres de souvenir portant partout avec eux leur tragédie personnelle et la tragédie de l’Histoire ; les seconds souhaitent juste oublier. Entre ces deux groupes d’hommes des liens se tissent, des drames anciens ou nouveaux éclatent. Mais si la quête d’Ulysse le ramenait à Ithaque, celle du (des) héros de Rochman les entraînera jusqu’aux monts de Judée, où le "Dénombrement" ou le "Livre des Nombres" pourra enfin commencer. La spécificité et la grande force du livre tiennent au talent avec lequel Leib Rochman mêle les épisodes extrêmement romanesques des récits de vie de cette sorte de tribu d’endeuillés à une méditation plus générale, exempte des contraintes de l’espace et du temps. C’est indéniablement cette capacité à rassembler en un tour cohérent différentes formes d’écriture qui transporte et éblouit le lecteur. Nous évoluons ainsi au côté de l’auteur de descriptions réalistes en évocations lyriques, de monologues intérieurs hallucinés en profondes réflexions sur l’histoire et sur la nature humaine. Une oeuvre majeure sur les thèmes de la quête et du souvenir.

[5C’est le titre du dernier chapitre de Tout est accompli. Hommage y est rendu à Sollers — qui donna un entretien au titre éponyme dans Ligne de risque. Cf. Le Royaume.

[6Succès de l’un, faillite des autres ? Meyronnis y fait allusion dans Tout autre : « La possibilité spirituelle de la littérature, souvent à leur insu, beaucoup la récusent. Ils ne se reconnaissent que dans ce qui virevolte comme de la paille autour des apparences. Ainsi ont-ils cru comprendre, au fil du temps, que Haenel marquait des points, à rebours de Meyronnis. Mettant en parallèle le succès de l’un et, selon leurs critères, la faillite de l’autre, ils s’étonnent qu’ils restent amis. Comment rendre compte d’une amitié ? — Nous sommes le masque l’un de l’autre, et pour chacun le geste de le retirer. — Deux duchés adjacents où se déplacent d’étranges peuplades, parfois tumultueuses. [...] ». LIRE ICI.

[7Pour comprendre d’où proviennent certaines thèses du livre sur le « capitalisme intégré », lire François Meyronnis, Proclamation sur la vraie crise mondiale.

[8Cf. Tout est accompli, p. 204-205. A.G.

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