19/04/2013 : Ajout de la section "Jubilé du Jubilant", 80 ans bientôt, un portrait de l’écrivain par Luc Le Vaillant, Libération
Philippe Sollers : « Navré, je n’ai pas mon visa d’origine modeste »
L’écrivain publie « Mouvement » (Gallimard). Houellebecq, Modiano, mais aussi la drogue, Bordeaux, l’Académie, la gauche, Jean-Paul Il… Pour « Le Point », cet éternel réfractaire poursuit sa « guerre de mouvement ».
Propos recueillis par Saïd MAHRANE
Le Point N° 2275, 14 avril 2016
Philippe Sollers est un fou fumant, preuve en est l’interview qui suit. Fou, car il n’est jamais là où on l’attend, sauf quand il s’agit de parler de lui. Le fou est touchant, mais d’abord libre, un pléonasme. Cette liberté, il la revendique, il la tousse même. Elle est partout, en vrac, dans ses mots écrits ou prononcés. Il faut donc bien suivre. Mais la grande hantise de l’auteur de « Femmes » est la mémoire, au, sens cérébral. Pas celle qui nourrit l’Histoire et exalte le roman national, mais celle qui aide à assimiler une lecture, à retenir une citation, pour mieux s’élever - et briller. Sollers en a, de la mémoire. Ille prouve dans« Mouvement », son dernier roman, où il accumule les souvenirs, les références philosophiques, les anecdotes... Et c’est follement plaisant.
S. M.
Le Point : On est venu vous voir afin de vérifier quelque chose...
Philippe Sollers : Quoi donc ?
La thèse de Bernard Frank, récemment reprise par Eric Zemmour, selon laquelle votre drame, Philippe Sollers, est que, dans le fond, vous ne dites jamais rien...
Dans le cas de Frank, l’oubli est immédiat, à peine votre livre refermé ... Est-ce un propos gratuit, juste méchant ?
Qu’est-ce qui vous atteint le plus dans la vie ?
Certaines attaques peuvent être belles, très fines, en rimes. On ne parle pas du « portier d’hôtel » dont vous a affublé Angelo Rinaldi...
Est-ce que vous vous vivez comme un réprouvé, un mal-aimé ? On a parfois l’impression que oui.
Vous évoquez souvent nos grands auteurs, mais jamais vous ne les inscrivez dans une histoire française, osons, une identité française. Pourquoi ?
Aucun attachement à la France, la nation ?
Bordeaux à Paris ?
Bordelais... Il n’y a pourtant pas plus parisien que vous !
Dès le départ, vous avez reçu l’aide de Mauriac, d’Aragon...
Il y eut une querelle, paraît-il, entre Aragon et Mauriac pour savoir lequel vous avait repéré le premier...
Pensez-vous encore au suicide ? Vous y avez songé au moins deux fois dans votre vie.
Il existait ; écrivez-vous, une comédie Mauriac et une comédie Aragon. Existe-t-il une comédie Sollers ?
La drogue, ça vous aide ?
Vous en avez pris beaucoup ?
« Bernard Frank ne retenait rien de mes écrits et, du coup, il ne disait rien, comme Zemmour aujourd’hui. »
Vous en prenez encore ?
Céline vous a téléphoné un jour. Racontez-nous.
Qu’est-ce qui fait que vous n’avez pas été un Hussard ?
Quelle est votre région justement ? De gauche, certes, mais avec de multiples variations...
Qu’étaient donc vos favoris politiques, car vous en avez eu ? De simples coups de cœur ?
Le grand homme de votre vie reste Jean-Paul Il...
Est-ce que, selon vous, « c’était mieux avant » ?
Vous avez été l’éditeur de Philippe Muray. Diriez-vous, comme certains, qu’il manque à notre époque ?
Une polémique a pas mal secoué votre maison, Gallimard, c’est l’affaire Richard Millet...
Avez-vous enfin compris votre éviction du« JDD » ?
Comment vous situez-vous dans le débat sur la vraie gauche et la fausse gauche ?
Attention, mépris de classe !
La « Pléiade », pour vous, c’est pour quand ?
Et l’Académie ?
Quels sont vos rapports avec Modiano ?
Houellebecq ?
Carrère ?
Le Clézio ?
PROPOS RECUEILLIS PAR SAïD MAHRANE
« Mouvement », de Philippe Sollers (Gallimard, 230 p., 19 €).
« Houellebecq fait du noir, je fais du bleu. C’est un très bon raconteur. Par provocation, il pourrait entrer à l’Académie. »
PHILIPPE SOLLERS, JUBILÉ DU JUBILANT
PORTRAIT Par [Luc Le Vaillant->http://www.liberation.fr/auteur/6488-luc-le-vaillant]
Libération, 17 avril 2016
- Philippe Sollers. Photo Frédéric Stucin
Avec un brio taquin, l’écrivain tutoie Hegel et autres penseurs à hauteur et confronte l’époque à ses peurs et à ses ridicules.
Il s’appuie sur une canne et prend l’ascenseur pour monter au premier étage. Mais Philippe Sollers, 80 ans bientôt, garde cet aplomb physique du footballeur joufflu qu’il n’a jamais été et qui avait séduit Julia Kristeva, voici quelques décennies transmuées en noces d’or. Sinon, le beau parleur est toujours joli cœur, qui badine avec les passantes le temps d’un intermède express. L’auteur aux 80 romans, essais et monographies, affiche une mine fleurie. Il a le verbe haut et l’esprit vif, la citation en bandoulière et la toux en quinte flush. Il est conforme à sa légende avec porte-cigarettes, et on ne sait trop que rajouter aux tombereaux de « papiers » sous lequel le monument national se trouve enseveli à défaut de s’être vu entrer vivant dans la Pléiade. On est bien trop couturé de rides pour la visite du jeune ambitieux au grand écrivain. On ne va pas se précipiter pour la descente aux flambeaux, sport pratiqué par les jaloux de sa vitalité heureuse ou les marlous ravis de se faire la main sur un homme de pouvoir littéraire. Quant à la mise au tombeau, il est encore un peu tôt pour celui qui se félicite de ne s’être jamais laissé « rien imposer » par la faculté de médecine. Et qui détaille ainsi le régime spécial d’une soirée idéale. Un whisky pour saluer la tombée de la nuit. Un sauternes glacé sur des huîtres d’Arcachon réchauffées par leurs crépinettes. Du margaux, un brane-cantenac, sur l’alose à l’oseille, suivie de l’entrecôte aux cèpes cueillis en forêt l’après-midi. Et pour le dessert, retour au château-d’yquem qui aura tiédi.
Juppé
Sollers ne tient plus chronique sur l’actualité comme il l’a longtemps fait pour le JDD. Niascèteni ermite, il se soucie toujours des affaires d’un monde qu’il regarde de haut, avec une ironie joueuse qui peut parfois virer à la morgue joyeuse, sans oublier des montées de paranoïa complotiste. En tout cas, au risque de la positive attitude chère à Lorie et à Raffarin, il ne se fait pas le relais éploré des plaintes perpétuelles. Ce qui repose… Sa vision des choses se pare souvent d’un brio aussi jubilatoire que scintillant. Ainsi Juppé, devenu starlette présidentiable, bénéficierait de la tentation de Bordeaux. Quand tout va mal, quand la confiance est perdue ou que l’ennemi est aux portes, Paris se replierait sur les bords de la Gironde. C’est comme si la ville, métamorphosée par Juppé le Landais, la cité de Montaigne et… de Sollers, valait cure de réassurance. Ce dernier a grandi en périphérie, dans une belle demeure bourgeoise transformée, depuis, en supermarché. Anti-identitaire, il ne surjoue le localisme que quand il s’agit de son berceau tonneau. D’ordinaire, il préfère cingler la France moisie, fermée au grand large, et se définit comme « Européen d’origine française qui aura son nom dans un dictionnaire chinois ». Sinon, ce fils de gaullistes de gauche catholiques est un maoïste redevenu papiste, et inversement, capable d’abjurer ses croyances transitoires afin de ne pas changer grand-chose aux invariants d’origine. S’il a pu fricoter à sa manière moqueuse avec Balladur comme avec Ségolène, ilprétend qu’il se dispense de voter depuis des siècles. Il est probable que ce soit vrai.
Vergniaud
Au-delà de la géographie, Sollers demeure girondin en politique comme en économie. Il évoque, avec flamme, le conventionnel Vergniaud. Cet avocat et tribun banquette toute la nuit à la veille d’être guillotiné. Les condamnés chantent uneMarseillaiseoù l’étendard qu’on lève devient « couteau sanglant ». Evidemment, Robespierre est le Jivaro à la manœuvre. Et Sollers, libertin de mœurs et jouisseur de facilités, ne peut que soutenir Vergniaud et se dresser sur le pavois contre le vertueux déiste, contre l’Incorruptible poudré, contre le Jacobin mesquin.
Lénine
Ces derniers temps, Sollers, qui a fait de Freud un beau-frère à gros cigare, laisse remonter les souvenirs d’une enfance éternelle comme il ravive des rêves où il côtoie du beau monde. Cette fois, Lénine le convoque pour évoquer Stendhal et comparer 17 à 89. Commentaire du transcourant : « On devrait me féliciter d’avoir trahi ma classe sociale. »
Hegel
Sollers aime être à tu et à toi avec les penseurs d’envergure. Il remet en perspective bribes de pensée, éléments biographiques et citations choisies. Et il truffe tout cela de considérations sur l’état des débats, les dernières avanies des rapports hommes-femmes ou le bonheur de vivre. On cosignerait volontiers l’appréciation du critique Jean-Paul Enthoven(1) :« Cet écrivain toujours plein de phrases, d’idées, de réflexes, vaut le détour. Et mérite qu’on passe l’éponge sur ses petites faiblesses (arrogance, habileté, sens du vent, allégeances alternatives,etc.). »On préférait Sollers amateur de Voltaire et de Nietzsche. Mais pourquoi pas Hegel ? Il fait valoir que l’admirateur de Napoléon est le théoricien de la Révolution de 1789. L’Allemand serait venu à la rescousse« de ces Français qui avaient fait quelque chose d’éblouissant mais qui étaient incapables de le penser ». Hegel serait utile à 2016 en ce qu’il dresse la vérité de l’esprit de raison face aux obscurantismes montants. On suspecte aussi Sollers, critique d’une société du spectacle dont il connaît les moindres recoins, d’être venu à Hegel via sa dilection pour Guy Debord et d’avoir trouvé, dans la dialectique, une manière de casser les briques de ses contradictions ondulantes.
Cléopâtre
On suit volontiers ce Casanova heureux de séduire quand il préfère Cléopâtre à Carmen. De là à penser que la reine d’Egypte surpasse Phèdre et la marquise de Merteuil, il ne faut pas exagérer. Au-delà des bonnes fortunes qu’il s’accorde généreusement dans la fiction et ailleurs, Sollers est l’un des chroniqueurs les plus décillés de la guerre des sexes. Avec un sourire en coin, il décrit la prise de pouvoir du féminin et le retrait hébété du masculin dégradé. Dans la vie réelle, il plaiderait plutôt pour la complicité des indépendances et l’autonomie financière, l’effervescence intellectuelle et le refus du contrôle sexuel. S’il ne voit pas bien l’intérêt du mariage gay ou hétéro, il a épousé Julia Kristeva, réfugiée bulgare qui était alors sans papiers. La psychanalyste, désormais fêtée de par le monde, la docteure d’université que son mari surnomme« Honoris causa », décrit leur compagnonnage comme« un ajustement permanent, amoureux et lucide, nourri de deux libertés réciproques et incomparables ».
Thévenoud
Le secrétaire d’Etat PS tombé pour phobie administrative est un fan de Sollers. Dans les années80, il enregistre sur cassetteParadis, roman expérimental des années80 écrêté de toute ponctuation par son héros moderniste. Jeune homme, il tente de lui dire son admiration dans un bistrot du Quartier latin. Il lui fait valoir qu’il a changé sa vie. Ce à quoi Sollers répond, tout en écalant son œuf dur, que c’est très bien de changer de vie.
(1) Saisons de papier (Grasset).
28 novembre 1936 : naissance à Talence (Gironde).
1961 : prix Médicis.
1967 : mariage avecJulia Kristeva.
1993 : Femmes(Gallimard).
2016 : Mouvement(Gallimard).
SOLLERS INSOLITE
pour twitteurs et twitteuses
par Julia Kristeva
A partir du cahier spécial consacré à Sollers par Art Press dans sa série « Grands entretiens », Julia Kristeva a réalisé une sélection pour composer un portrait intitulé « Sollers insolite » pour twitteurs et twitteuses. Ceux justement qui pourraient hésiter à entrer dans les
cinq « grands entretiens » d’ArtPress avec Philippes Sollers, réalisés de 1974 à 2006 par Jacques Henric, Guy Scarpetta et Catherine Francblin,
« A l’écoute de cette pulsation, il m’est apparu évident de proposer - à ceux qui ne lisent plus parce qu’ils twittent - un choix d’analyses, d’aveux, de fugues, de réveils, de saluts on ne peut pas plus personnels.J’adhère par un sous-titre, ou j’amorce une question, pour vous inviter à découvrir, à vous découvrir. Aurore du dialogue, de la lecture. »Julia Kristeva
Extraits ;
SOLLERS CONTRE SOLLERS
Dans Passion fixe apparaissait brusquement une charcutière ; et cette fois, c’est une poissonnière. Il y a bien d’autres femmes ; notamment le personnage principal qui s’appelle Maud, parce que ce prénom se prête à beaucoup de modulations.
Le nommé Sollers je n’en ai rien à faire ! Je laisse ça aux autres. Moi, je ne vis pas avec Sollers.
Il me faudrait, là, redéfinir l’érotisme, qui a peu à voir avec ce que j’ai appelé la sexinite, et avec ce qui, sauf exception, est un embarras de langage.
Dans la substance féminine elle-même, toujours plus réservée qu’on le croit, beaucoup plus en retrait qu’on ne l’imagine, et pour cette raison même poursuivie par laTechnique. Quelque chose est là pour humainement signifier le passage du langage à la chair, et de la matrice à la rose.–
- Mille fois d’accord ! Plus féministe que les prétendues féministes.
LE SALUT RADICAL : ÉCRIRE ET LIRE
Fous de Dieu ou athéisme totalitaire, au bout ce sont des massacres qui ont de quoi nous laisser méditatifs, comme Monsieur N. qui voit ainsi avancer la dévastation du 20e siècle et des suivants.
Lui, ce dieu philosophe, il écrit, il écrit, il n’arrête pas d’écrire. On les a tous ces écrits, mais y a-t-il encore quelqu’un pour les lire ? Les lire, c’est-à-dire voir et montrer quelle vie il fallait mener pour écrire ça ? Eh bien, je l’ai fait.
Philippe Sollers, entretien avec Jacques Henric, art press, n°320, février 2006 et portant sur « Une vie divine » de Sollers avec le personnage de « Monsieur N », autrement dit Nietzsche
Version intégrale de la sélection de Julia Kristeva, sur son site ICI…
3 Messages
Ce 28 novembre 2016..., Viktor Kirtov | 29 novembre 2016 - 13:36 1
En prolongement de la section « Jubilé du jubilant », ce message de vœux :
De : Michelle
Envoyé le :lundi 28 novembre 2016 17:11
À : pileface@wanadoo.fr
Objet : Ce 28 novembre 2016...
Monsieur Sollers,
Permettez-moi de vous souhaiter un anniversaire joyeux, enchanté, céleste ; un anniversaire de fête et de pensées toujours neuves, jeunes, multicolores.
Vous m’enchantez depuis longtemps et j’ai eu le bonheur de vous rencontrer à plusieurs reprises.
Gardez-vous bien, portez-vous bien, pour vous et pour nous, vos fidèles.
Merci pour votre oeuvre magistrale et libre.
Michelle Girard-Martin
Philippe Sollers : « Navré, je n’ai pas mon visa d’origine modeste », V. Kirtov | 19 avril 2016 - 10:26 2
Ajout de la section "Ph. Sollers. Jubilé du Jubilant", 80 ans bientôt, un portrait de l’écrivain par Luc Le Vaillant, Libération
Philippe Sollers : « Navré, je n’ai pas mon visa d’origine modeste », Basquin Guillaume | 15 avril 2016 - 09:50 3
Comme d’habitude, le Sollers est très bon avec les morts ; mais avec les vivants, il se trompe toujours ! (C’est Nabe le premier à l’avoir dit, dans son "Journal" ; et ce fut prophétique !) Il n’a pas du tout fait le tour des écrivains vivants, quelle blague ! Il n’a fait que le tour des people... les Hugo, quoi ! — au temps où officiaient, dans l’ombre, les plus profondes révolutions littéraires de tous les temps. Qu’il lise donc mon "(L)ivre de papier", que Julia Kristeva a reçu dédicacé, et on en reparle... Non mais...