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De l’important et de l’accessoire dans l’actualité du moment : des propositions qui font l’Histoire

D 20 mai 2020     C 0 messages Version imprimable de cette Brève Version imprimable   

Le grand virage d’Angela Merkel sur la dette européenne

L’information a fait la une des journaux télévisés allemands avec environ 1’30 contre à peine 15 secondes pour les journaux télévisés français plus focalisés sur l’ouverture des plages ou autres informations locales à courte vue.

Pourtant, l’accord Merkel-Macron sur un fonds de relance de 500 milliards d’euros financés par l’Europe (donc largement par l’Allemagne) pour aider les pays, régions et secteurs les plus touchés par la crise (c’est-à dire l’Europe du Sud), constitue un événement majeur pour l’Europe, un tournant historique de l’Allemagne à porter au crédit des deux protagonistes, mais surtout de Merkel qui a agi à contre-courant de son opinion publique.

En grande politique, visionnaire, elle a compris que l’Allemagne devait aider l’Europe du Sud à se relever pour assurer le propre avenir de son pays, comme le plan Marshall avait permis de reconstruire et relancer l’Europe après la deuxième guerre mondiale.

Reste à faire approuver ce plan par les autres membres de l’Union Européenne… ! Le résultat, si le plan était adopté par les Vingt-Sept, serait une révolution dit l’article. Et c’est pourquoi nous le relayons dans ces colonnes.

V.K.

ANALYSE. Le plan anti-crise que la chancelière a concocté avec Emmanuel Macron brise un tabou allemand, celui de l’endettement commun.

Par Luc de Barochez

Le Point, 19/05/2020


Angela Merkel, la chancelière d’Allemagne, lors de sa conférence de presse commune par vidéo avec le président français Emmanuel Macron lundi. © KAY NIETFELD / dpa-Pool / dpa Picture-Alliance via AFP
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À chaque crise, son avancée. La règle d’airain de l’Union européenne s’est une nouvelle fois vérifiée. C’est parce que l’Allemagne a pris conscience, à la faveur de la pandémie de Covid-19, de la fragilité de la construction européenne, que la chancelière Angela Merkel a effectué, lundi 18mai, un virage à180degrés sur la question clé de la dette européenne.

Effondrement des économies, fermeture des frontières, chacun pour soi des États membres, les menaces que le coronavirus a fait peser sur la cohésion de l’UE ont été jugées suffisamment graves et immédiates à Berlin pour conduire le gouvernement allemand à mettre entre parenthèses ses convictions sur la nocivité d’un endettement commun.

Le résultat, si la proposition formulée conjointement par Emmanuel Macron et Angela Merkel était adoptée par les Vingt-Sept, serait une révolution. Jamais encore les États membres de l’UE n’ont emprunté de l’argent en commun pour le reverser sous forme de dons – en pratique, de transferts Nord-Sud – à certains d’entre eux, sans augmenter les dettes souveraines nationales.

Lire aussi Coronavirus : accord Macron-Merkel sur un fonds de relance à 500 milliards d’euros

Au point que certains commentateurs allemands, tel l’économiste Henrik Enderlein ou l’ancien secrétaire général de la Commission européenne Martin Selmayr, ont parlé d’un « moment hamiltonien » que l’UE serait en train de vivre – par référence à la décision prise par le tout nouveau gouvernement fédéral américain, à la fin du XVIIIe siècle, d’emprunter pour éponger les dettes des États confédérés sortis ruinés de la guerre d’indépendance contre la Grande-Bretagne. L’emprunt lancé alors par le secrétaire au Trésor, Alexander Hamilton, dont le portrait orne encore aujourd’hui les billets de 10dollars, est considéré comme le véritable acte fondateur de la fédération américaine.

Ton dramatique

On ne sait pas si le plan anti-crise concocté par Merkel et Macron conduira aux États-Unis d’Europe et permettra de voir un jour leurs têtes sur les billets de 10euros. On sait en revanche que l’emprunt de 500milliards d’euros ainsi proposé a nécessité beaucoup de courage de la part de la chancelière.

En acceptant que la Commission européenne s’endette au nom des Vingt-Sept, elle a brisé un tabou absolu pour Berlin : celui qui veut que chaque État membre soit entièrement responsable de ses finances publiques et que l’Union européenne ne devienne pas une « Union de transferts ». Pour mettre le doigt dans l’engrenage de la dette, Angela Merkel a reconnu que l’Europe n’allait plus de soi. Elle a pris, lundi, un ton inhabituellement dramatique pour évoquer « la plus grave crise que l’UE ait eu à affronter au cours de son histoire ».

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La sortie du Royaume-Unide l’UE, la progression de l’euroscepticisme sur le Vieux Continent, l’éloignement américain qui a suivi l’élection de Donald Trump, et enfin la récession née du Covid-19, ont montré aux Allemands que la construction européenne, source de leur extraordinaire prospérité, était en péril. Il en va de la cohésion du marché intérieur européen, où les entreprises allemandes écoulent la majorité de leurs exportations.

Prestige

Angela Merkel devait en outre répondre au coup de tonnerre provoqué par le jugement de la Cour constitutionnelle allemande qui, le 5mai, a contesté de manière inédite la politique monétaire que mène la Banque centrale européenne (BCE). Si la BCE se voit imposer des limites à son programme anticrise, il devient urgent que les États membres prennent le relais et volent au secours des États méditerranéens dont les marges de manœuvre financières ont été quasiment réduites à néant par la crise du coronavirus.

Pour Berlin, il y allait également d’une question de prestige. Le 1erjuillet, l’Allemagne doit prendre la présidence tournante de l’Union européenne. Angela Merkel ne pouvait pas arriver à ce rendez-vous capital sans avoir repris la main sur le débat européen, fracturé depuis que9chefs d’État et de gouvernement dont ceux de France, Italie et Espagne, avaient signé en mars une lettre commune réclamant une solidarité financière européenne passant par une mutualisation de l’endettement.

Enfin, des motifs de politique intérieure sont discernables dans la volte-face d’Angela Merkel. La chancelière, qui est au pouvoir depuis près de 15ans, vit un moment de grâce depuis que sa réponse sereine et efficace à la pandémie a été plébiscitée par les Allemands. Ils sont, si l’on en croit les sondages, quelque 80% à lui faire confiance ces jours-ci. L’occasion était bonne pour elle d’engager fermement la CDU/CSU sur un cours proeuropéen afin de barrer la route de la chancellerie à l’un de ses ennemis de longue date, le conservateur eurosceptique Friedrich Merz, qui figure parmi les principaux prétendants à sa succession.

Opération séduction

Reste à convaincre les autres États membres de la pertinence du plan franco-allemand. L’affaire n’est pas gagnée. L’Autriche a signalé dès lundi ses réticences. D’autres pays sont hostiles à tout endettement commun, comme les Pays-Bas, la Suède ou le Danemark. Or, l’unanimité est requise et les parlements de chacun des27États membres devront approuver l’opération, même si aucune modification des traités n’est nécessaire.

L’argent ainsi récolté sur les marchés financiers par Bruxelles doit servir à des investissements d’avenir, en rapport avec la numérisation, l’intelligence artificielle, la protection du climat, les infrastructures et le renforcement de la « souveraineté économique » européenne… Il s’agira de dons, que les entreprises ou les collectivités locales qui les recevront n’auront pas besoin de rembourser. En revanche, les États membres devront, mais pas avant plusieurs années, rembourser la Commission. D’ici là, Angela Merkel et Emmanuel Macron auront, peut-être, laissé leur trace dans l’histoire européenne.