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Mon cerveau et moi par Philippe Sollers

D 19 janvier 2010     A par Viktor Kirtov - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


posséder la vérité dans une âme et un corps
Arthur Rimbaud,
Une saison en enfer

Cet article est né de la lecture de « Mon cerveau et moi », alors que je parcourais « Liberté du XVIIIème siècle », un recueil d’articles de Ph. Sollers, lequel aime rappeler la citation de Rimbaud en exergue. Il la martèle, une nouvelle fois, à la fin de Guerres secrètes. A propos de Michel-Ange, Bernin, Titien, il évoque le « surgissement catholique appelé baroque », « une poussée physique, où comme par hasard, nous retrouvons beaucoup de corps de femmes, et la négation de tout esprit de séparation entre la chair et l’esprit [1] . La vérité dans la chair et l’esprit, « dans une âme et un corps », c’est cela qu’il nous faut comprendre, avec la musique comme guerre secrète, contre ce qui ne veut pas que cela puisse s’incarner »

Corps et âme, corps et esprit, corps et pensée.., les philosophes, les théologiens, les écrivains, les poètes, les neurobiologistes ont dit leur vérité avec leurs mots, les idées, les connaissances de leur temps, tous plus experts que moi pour que je ne m’aventure sur leur terrain, sauf à rendre compte, ici, de quelques fragments de ces discours, notamment chez Sollers, en prolongement de l’article « Vous voyez bien que le corps gêne ».

20/01/2010 : ajout "Le corps chinois".

Mon cerveau et moi

De temps en temps, mon cerveau me reproche d’avoir tardé à lui obéir ; d’avoir sous-estimé ses possibilités, ses replis, sa mémoire ; de m’être laissé aller à l’obscurcir, à le freiner, à ne pas l’écouter. Il est patient, mon cerveau. Il a l’habitude des lourds corps humains qu’il dirige. Il accepte de faire semblant d’être moins important que le coeur ou le sexe (quelle idée). Sa délicatesse consiste à i cacher que tout revient à lui. Il évite de m’humilier en soulignant qu’il en sait beaucoup plus long que moi sur moi-même. Il m’accorde le bénéfice d’un mot d’esprit, et prend sur lui la responsabilité de mes erreurs et de mes oublis. Quel personnage. Quel partenaire. « Sais-tu que tu ne m’emploies que très superficiellement ? » me dit-il parfois, avec le léger soupir de quelqu’un qui aurait quelques millions d’années d’expérience. Je m’endors, et il veille. Je me tais, et il continue à parler. Mon cerveau a un livre préféré : l’Encyclopédie. De temps en temps, pour le détendre, je lui fais lire un roman, un poème. Il apprécie. Quand nous sortons, je lui fais mes excuses pour toutes les imbécillités que nous allons rencontrer. « Je sais, je sais, me répond-il, garde-moi en réserve. » J’ai un peu honte, mais c’est la vie. J’écrirai peut-être un jour un livre sur lui.

Philippe Sollers
In Liberté du XVIIIème

*

Le cerveau et les Encyclopédistes

Ph. Sollers n’a jamais concrétisé son « J’écrirai peut-être un jour un livre sur lui. ». Mais puisque son cerveau a un livre préféré L’Encyclopédie et que ce texte est inséré dans l’opus Liberté du XVIIIème, qu’en ont dit les encyclopédistes ?
_ Le Rêve de d’Alembert (1769) porte trace de l’intérêt de Diderot sur le sujet. La conscience et l’unité du moi y sont abordées : ce qu’on appelle l’âme serait une structure matérielle à l’oeuvre dans le cerveau qui superviserait le bon fonctionnement de l’organisme. Il utilise la métaphore de l’araignée et de sa toile, sensible et informée de tout mouvement en provenance des terminaisons de ses fils, image avant l’heure du réseau neuronal (les neurones ne seront découverts que dans les années 1880 par Golgi et Cajal.
Extrait du dialogue entre Bordeu et Mademoiselle de l’Espinasse au chevet de d’Alembertqui parle dans son rêve. Mademoiselle de l’Espinasse capte ses paroles et en discute avec le docteur Bordeu dans les pauses du discours du rêveur :

LE REVE DE D’ALEMBERT

« Mademoiselle de l’Espinasse. - Docteur, approchez-vous. Imaginez une araignée au centre de sa toile. Ebranlez un fil, et vous verrez l’animal alerté accourir. Eh bien ! si les fils que l’insecte tire de ses intestins et y rappelle quand il lui plaît, faisaient partie d’un ensemble de lui-même ?...
Bordeu. - Je vous entends. Vous imaginez en vous, quelque part, dans un recoin de votre tête, celui, par exemple qu’on appelle les méninges, un ou plusieurs points où se rapportent toutes les sensations excitées sur la longueur des fils.
Mademoiselle de l’Espinasse. - C’est cela.
Bordeu. - Votre idée est on ne peut plus juste ; mais ne voyez-vous pas que c’est à peu près la même qu’une certaine grappe d’abeilles.
[...]

(l’unité du moi à travers la multitude de ses composantes)

Mademoiselle de l’Espinasse. - Voila ma toile ; et le point originaire de tous ces fils, c’est mon araignée.
Bordeu. - A merveille.
Mademoiselle de l’Espinasse. -Où sont les fils ? où est placée l’araignée ?
Bordeu. - Les fils sont partout ; il n’y a pas un point à la surface de votre corps auquel ils n’aboutissent ; et l’araignée est nichée dans une partie de votre tête que le vous ai nommée, les méninges, à laquelle on ne saurait presque toucher sans frapper de torpeur toute la machine.
Mademoiselle de l’Espinasse. - Mais si un atome fait osciller un des fils de la toile de l’araignée, alors elle prend l’alarme, elle s’inquiète, elle fuit ou elle accourt. Au centre elle est instruite de tout ce qui se passe en quelque endroit de l’appartement immense qu’elle a tapissé. Pourquoi est-ce que je ne sais pas ce qui se passe dans le mien, ou le monde, puisque je suis un peloton de points sensibles, que tout presse sur moi et que je presse sur tout ?
Bordeu. - C’est que les impressions s’affaiblissent en raison de la distance d’où elles partent.

Mademoiselle de l’Espinasse tente cependant d’étendre l’analogie au cosmos.
Bordeu. - [...] Mais il y a si loin, l’impresion est si faible, si croisée sur sa route, vous êtes entourée et assoudie de bruits siviolents et si divers ; c’est qu’ente Saturne et vous il n’y a que des corps contigus, au lieu qu’il y faudrait de la continuité.
Mademoiselle de l’Espinasse. - C’est bien dommage.
Bordeu. - Il est vrai, car vous seriez Dieu. Par votre identité avec tous les êtres de la nature, vous sauriez tout ce qui se fait ; par votre mémoire, vous sauriez tout ce qu’y s’y fait.
Mademoiselle de l’Espinasse. - Et ce qui s’y fera ?
Bordeu. - Vous formeriez sur l’avenir des conjectures vraisemblables, mais sujettes à erreur. C’est précisément comme si vous cherchiez à deviner ce qui va se passer au-dedans de vous, à l’extrêmité de votre pied ou de votre main.
Mademoiselle de l’Espinasse. - Et qui est-ce qui vous a dit que ce monde n’avait pas aussi ses méninges, ou qu’il ne réside pas dans quelque recoin de l’espace une grosse ou une petite araignée dont les fils s’étendent à tout ?
Bordeu. - Personne, moins encore si elle n’a pas été ou si elle ne sera pas.
Mademoiselle de l’Espinasse. - Comment cette espèce de Dieu-là...
Bordeu. - La seule qui se conçoive...
Mademoiselle de l’Espinasse. - Pourrait avoir été, ou venir et passer ?
Bordeu. - Sans doute ; mais puisqu’il serait matière dans l’univers, portion de l’univers, sujet à vicissitudes, il vieillirait, il mourrait.
Mademoiselle de l’Espinasse. - Mais voici bien une autre extravagance qui me vient.
Bordeu. - Je vous dispense de la dire, je la sais.
Mademoiselle de l’Espinasse. - Voyons, quelle est-elle ?
Bordeu.
- Vous voyez l’intelligence unie à des portions de matière très énergiques et la possibilité de toutes sortes de prodiges imaginables. D’autres l’ont pensé comme vous.
Mademoiselle de l’Espinasse. -VOUS m’avez devinée, et je ne vous en estime pas davantage. Il faut que vous ayez un merveilleux penchant à la folie.
Bordeu. - D’accord. Mais que cette idée a-t-elle d’effrayant ? Ce serait une épidémie de bons et de mauvais génies ; les lois les plus constantes de la nature seraient interrompues par des agents naturels ; notre physique générale en deviendrait plus difficile, mais il n’y aurait point de miracles.
Bordeu est, bien sûr, la voix du Diderot matérialiste et athée.
Mademoiselle de l’Espinasse. - En vérité, il faut être bien circonspect sur ce qu’on assure et sur ce qu’on nie.
Bordeu. - Allez, celui qui vous raconterait un phénomène de ce genre aurait l’air d’un grand menteur. Mais laissons là tous ces êtres imaginaires, sans en excepter votre araignée à réseaux infinis.

Diderot, oeuvres, Pleiade
Le Rêve de d’Alembert
p. 900-903

Le Rêve de d’Alembert, un des textes de Diderot qui se déguste avec lenteur, synthèse visionnaire des connaissances de son temps et l’un des plus aboutisdu philosophe.

L’ENCYCLOPEDIE

L’entrée « Cerveau » de l’Encyclopédie n’a pas cette qualité. Naturellement Diderot, ne pouvait s’y exprimer avec la même liberté. Le résultat peut ressembler parfois à un galimatias si on le considère hors du contexte ambiant, où le cerveau entrait dans le paradigme corps et âme.

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Corail cerveau, Martinique sud

Extrait de l’Encyclopédie 1ère édition tome 9 djvu/465 :

« Je suppose, avec tous les Métaphysiciens,
1°. que l’âme pense suivant que le cerveau est disposé,
qu’à de certaines dispositions matérielles du cerveau,
à de certains mouvements qui s’y font,
répondent certaines pensées de l’âme.
2°. Que tous les objets même spirituels auxquels on pense, laissent des dispositions matérielles, c’est-à-dire des traces dans le cerveau.
3°. Je suppose encore un cerveau où soient en même temps deux sortes de dispositions matérielles contraires d’égale force ;
les unes qui portent l’âme à penser vertueusement sur un sujet, les autres qui la portent à penser vicieusement. Cette supposition ne peut être refusée ; les dispositions matérielles contraires se peuvent aisément rencontrer ensemble dans le cerveau au même degré, s’y rencontrent même nécessairement toutes les fois que l’âme délibère, ne sait quel parti prendre.
(Le vice et la vertu, autre exemple du vocabulaire ambiant dont on sait comment Sade en usa)
[...]

(suivent divers developpements sur la question de la liberté )

On dit que les pensées de ceux qui ont la fièvre chaude des fous ne sont pas libres, parce que les dispositions matérielles du cerveau sont atténuées élevées à un tel degré, que l’âme ne leur peut résister ; au lieu que dans ceux qui sont sains, les dispositions du cerveau sont modérées, n’entraînent pas nécessairement l’âme.
[...]

Cela posé, voyons quel argument on peut faire contre la liberté. Ou l’âme, nous dit-on, se peut absolument déterminer dans l’équilibre des dispositions du cerveau à choisir entre les pensées vertueuses les pensées vicieuses, ou elle ne peut absolument se déterminer dans cet équilibre.
Si elle peut se déterminer ; elle a en elle-même le pouvoir de se déterminer. Jusqu’ici il n’y a point de difficulté ; mais d’en conclure que le pouvoir qu’a l’âme de se déterminer est indépendant des dispositions du cerveau, c’est ce qui n’est pas exactement vrai. Si vous ne voulez dire par-là que ce qu’on entend ordinairement, savoir que la liberté ne réside pas dans le corps, mais seulement que l’âme en est le siège, la source l’origine, je n’aurai sur cela aucune dispute avec vous ; mais si vous voulez en inférer que, quelles que soient les dispositions matérielles du cerveau, l’âme aura toujours le pouvoir de se déterminer au choix qui lui plaira ; c’est ce que je vous nierai.

La raison en est, que l’âme pour se déterminer librement, doit nécessairement exercer toutes ses fonctions, que pour les exercer, elle a besoin d’un corps prêt à obéir à tous ses commandements, de même qu’un joueur de luth, doit avoir un luth dont toutes les cordes soient tendues accordées, pour jouer les airs avec justesse : or il peut fort bien se faire que les dispositions matérielles du cerveau soient telles que l’âme ne puisse exercer toutes ses fonctions, ni par conséquent sa liberté : car la liberté consiste dans le pouvoir qu’on a de fixer ses idées, d’en rappeler d’autres pour les comparer ensemble, de diriger le mouvement de ses esprits, de les arrêter dans l’état où ils doivent être pour empêcher qu’une idée ne s’échappe, de s’opposer au torrent des autres esprits qui viendraient à la traverse imprimer à l’âme malgré elle d’autres idées.
Or le cerveau est quelquefois tellement disposé, que ce pouvoir manque absolument à l’âme, comme cela se voit dans les enfants, dans ceux qui rêvent, etc.. Posons un vaisseau mal fabriqué, un gouvernail mal-fait, le pilote avec tout son art, ne pourra point le conduire comme il souhaite : de même aussi un corps mal formé, un tempérament dépravé produira des actions déréglées. L’esprit humain ne pourra pas plus apporter de remède à ce dérèglement pour le corriger, qu’un pilote au désordre du mouvement de son vaisseau. »

*

Chirico, Le Cerveau de l’enfant

Philippe Sollers :

Je me revois, très jeune, un matin, chez André Breton, au 42 rue Fontaine, à Paris. Je lui ai écrit, il m’a répondu, j’ai franchi son filtrage téléphonique, j’ai un rendez-vous auquel j’arrive avec une heure d’avance, tournant dans le quartier avant de sonner à sa porte. L’intérieur, aujourd’hui dispersé, a été photographié et se retrouve dans le bel album de la Pléiade qui vient de paraître. C’était donc là, dans cette grotte ou cette cabine de cosmonaute que respirait cet homme extraordinaire, entouré de sculptures, de masques, de poupées, de tableaux, ce citoyen du monde nouveau dont je lisais avec passion chaque ligne. L’effet de présence aimantée de Breton était colossal. Courtois pourtant, affable, attentif, généreux, merveilleusement disponible. Je ressens encore, à l’aveugle, la charge du « Cerveau de l’enfant » de Chirico accroché au mur. Quelle accumulation de voyages, de combats, de trouvailles, de charmes ; quelle navigation de phrases et d’esprit. De quoi a-t-il parlé, ce jour-là, avec sa diction impeccable ? A ma grande surprise, uniquement d’alchimie.

Philippe Sollers
(in Magique Breton)

Julien Gracq :

"Rien n’a changé ici depuis sa mort : dix ans déjà ! Quand je venais le voir, j’entrais par la porte de l’autre palier, qui donnait de plain-pied sur la pièce haute. Il s’asseyait, la pipe à la bouche, derrière la lourde table en forme de comptoir sur laquelle le fouillis des objets déjà débordait - à sa droite, alors au mur, le Cerveau de l’enfant de Chirico -,peu vivant lui-même, peu mobile, presque ligneux, avec ses larges yeux pesants et éteints de lion fatigué, dans le jour brun et comme obscurci par des branchages d’hiver ..."

Julien Gracq
In "Un refuge contre tout le machinal du monde"


>Giorgio de Chirico (1888-1978), « Le Cerveau de l’enfant », 1914 ,
82 x 64,7 cm, Moderna museet, Stockholm
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Anecdote à propos du tableau

André Breton découvre ce tableau dans la galerie de Paul Guillaume qui ne souhaite pas s’en séparer À force d’insistance, Breton réussit à acheter ce tableau qui restera chez lui jusqu’en 1964 (deux ans avant sa mort. Vendu 250.000 francs pour compléter ses revenus de droits d’auteurs qui ne suffisaient plus à régler ses dépenses ). Ce tableau serait aussi à la naissance de la vocation de peintre de Tanguy et une reproduction aurait mis Magritte et Prévert sur les sentiers du surréalisme

Mais qu’a donc ce tableau de spécial ?
Qu’y voir ? Qu’y a-t-il à y voir pour déclencher la vocation de Tanguy, intéresser Magritte et Prévert ? Y-a-t-il autre chose à voir qu’un monsieur à moustache, torse nu, devant un livre posé (avec un ruban rouge qui marque une page) sur une table ?

ANALYSE DU TABLEAU PAR BRETON LUI-MEME

Une des pièces vendues le samedi, 12 avril 2003 (Adjugé 600 euros.) fut un tapuscrit sur papier à en-tête de Médium, avec ratures et corrections à l’encre de Breton d’un texte titré : « L’épreuve par Robert Melville » et relatif à ce tableau de Chirico Le Cerveau de l’enfant .

... « Dans le Cerveau de l’enfant, la furie de l’enfant[que l’on ne voit pas] nous met en présence du plus grand de ces ennemis. C’est une image maligne et jalouse du père, représenté tel que Cham [2] vit son père Noé « dévêtu sous sa tente [3]. »

Un rideau soulevé sur le côté dévoile un homme d’un certain âge, dépouillé de tout emblème autoritaire, à l’exception de ses moustaches comiques et d’une ridicule barbiche. Rien de plus grotesque que ce père flasque et nu, et ici le sentiment que l’enfant est à côté de moi quand je le contemple est renforcée par la puissance singulière de l’image. Les yeux du père sont fermés ; et ceci pour la simple raison que l’enfant n’oserait le regarder s’ils étaient ouverts. Ce portait, conçu dans un esprit de moquerie téméraire et impardonnable est une violation délibérée de la retraite paternelle ; si les yeux étaient ouverts ils s’empliraient de la connaissance du méfait. Ils sont scellés par l’instinct de conservation de l’enfant. Le père disposant d’un pouvoir criminel de représailles, doit rester ignorant de sa honte.

Il n’est pas difficile de trouver la raison de cette visualisation rancunière du père. Le corps est coupé juste au-dessus des cuisses par une table vert foncé, au centre de laquelle repose au premier plan de la toile un livre à couverture dorée. Ainsi nous sommes en présence d’une situation qui n’est pas sans rapports avec celle qu’exprime les faux d’ Ami lointain ; mais ici c’est parce que le père ne délègue pas son autorité mais qu’il apparaît en personne que la signification du livre désiré mais inaccessible devient évidente : il représente la mère de l’enfant. Le mépris porté au père est à la mesure de la frustration de l’enfant. [...]. Les relations du père et de la mère sont figurées par un fragile ruban de couleur vermillon, qui marque une page du livre. Mais en haut et à droite du tableau, par la fenêtre ouverte, on peut observer une autre forme de même couleur. Elle s’apparente aux fûts de cheminées qu’on trouve dans d’autres toiles, mais la vigilance du peintre semble ici partiellement réduite et ce que cette forme gagne en puissance elle le perd en dissimulation : elle s’élève triomphalement au-dessus du père, et longe un immense édifice de couleur neutre, qui est encore une des constructions féminines de Chirico.

Qu’on ne se méprenne pas sur ce que j’entends par la féminité des constructions de Chirico : son érotisme est aussi subtil et innocent que celui de Watteau. Les déesses de marbre de Watteau palpitent, sont toujours sur le point de s’abandonner à la métamorphose, car il ne se sentait libre de peindre le nu qu’en statuaire : et pourtant avec quel art merveilleux ses déesses suggèrent le dénouement actuel, induisent les élégantes conversations.

(Crédit : J.C. Bourdais Wikipedia )

*

Mon corps et moi

La langue est le corps et l’âme de l’écrivain

Julia. Kristeva
 [4]

Après tout, on passe sa vie à rejoindre son corps.
Philippe Sollers

Entretien avec
Jean_Michel Olivier

Merci au corps d’être là, en tout cas, silencieux, à l’oeuvre. Il me dit que c’est lui, rien d’autre, qui a toujours pris les décisions, choisi les orientations, les situations. Les maladies, les douleurs ? C’est lui. Les dépressions, les crises, les pertes, les oublis ? Lui encore. Les détentes, les joies, les plaisirs ? Toujours lui. Je ne suis pas à toi, dit mon corps, mais à moi. Comment as-tu pu me faire ça ? Et çà ? Et puis ça ?
Il me parle sèchement, mon corps. Ta main, insiste-t-il, est la mienne. Si tu respires à fond, tu me trouveras tout au fond. Tu ne contrôles quand même pas tes poumons, ton coeur, ta circulation, tes os, tes cellules ? Laisse-moi faire comme j’ai toujours fait, ne me trouble pas, ne me gêne pas.

Nous ne sommes pas toujours d’accord, mon corps et moi, exemple l’histoire Lila autrefois. D’emblée, je ne l’aime pas, il l’aime. Je la trouve fermée, butée, coincée dans son ennuyeux roman familial-social, mais lui, mon corps, bande pour elle. Elle m’assomme au bout de dix minutes, elle me vole du temps, alors que lui peut l’écouter pendant deux heures, les yeux dans les yeux, en admirant son cou, ses épaules, ses gestes, sa voix. Je suis plutôt raffiné, mon corps est vulgaire. Elle me casse les oreilles, il adore ses répétitions. Je la trouve jolie, sans plus, mais pour lui c’est une beauté d’enfer. Il va la baiser une fois de plus, c’est sûr. Je le suis, mon corps, tout en regardant discrètement ma montre, trois quarts d’heure pour une séance, ça ira comme ça. Une fois qu’il a joui, mon corps s’éclipse, et me laisse seul avec le bavardage de Lila, les soucis de Lila, les intrigues de Lila, les jalousies de Lila, la mauvaise humeur de Lila.
J’ai envie de m’amuser, mon corps me freine. Je veux écrire, il veut sortir. Une femme m’attire, mon corps me murmure « à quoi bon ? », et il n’a pas tort, on connaît le disque, appartement, enfant, argent, triste salade. C’est amusant un moment, mais c’est crevant.

Comme, une fois de plus, je suis merveilleusement seul et qu’une grande étrangeté me gouverne, je vais faire un tour dans le jardin d’à côté. Je me branche sur ondes mentales ultra-courtes, j’ai besoin de visions, de sons. Ces giroflées, par exemple, je les vois pour la première fois dans leur note aiguë jaune et brune, et c’est comme si je pénétrais mes rétines. Je préfère qu’elles ne se décollent pas, bien que je puisse marcher très bien, au nez, dans le noir. Tiens, elles sont tout à coup géantes, ces giroflées, elles viennent du fond des temps, gaies, imposantes, menaçantes, rafraîchissantes. Le mot giroflée me plaît, il entraîne avec lui le clou de girofle, et, du coup, j’ai l’impression de manger ces fleurs, je les bois.

Même surprise, dans la rue, avec les bruits, les voix, les phrases entendues, et, la nuit, dans les rêves. Mon cerveau a son propre orchestre, il improvise, il compose, il enchaîne, il va dans tous les sens, et c’est souvent le bordel. Il a tendance à n’en faire qu’à sa tête, mais moi, j’ai besoin de ma tête. Je la récupère, c’est entendu, mais parfois de justesse, avec sa lumière qui ne faiblit pas. Lumière cardiaque, on dirait, lumière de tout le corps à la fois. Ici, mon corps proteste : il ne veut pas être englobé, compris, analysé, défini, réengendré dans une autre forme. Il tient à son mouvement incompréhensible, l’animal.

Je regarde les passants : aucun doute, ils se croient eux-mêmes, mais eux aussi sont incompréhensibles. L’étonnant est qu’ils se prennent tous pour des corps, ou plutôt pour de simples images. Mon corps, lui, est malin : il sait qu’il n’est pas une image, et il a du mérite dans cette époque terminale de projection. Cela dit, il veut rester maître à bord, être lavé, nourri, soigné, habillé, reconnu, flatté, désiré, caressé, aimé. Il aime parler, et tente, sans arrêt, de parler à ma place. Il a ses souvenirs, dont je préférerais parfois me passer. Et puis les rêves, presque toujours les mêmes : il a perdu sa voiture, son téléphone portable, ses papiers d’identité. Il se retrouve loin, dans des quartiers impossibles, des parkings inconnus où il n’a que faire, des hôtels où il n’a jamais mis les pieds, des soirées où il n’est pas le bienvenu, comme l’indiquent ces silences quand il apparaît, cette hostilité sournoise et les fausses informations qu’on lui donne, ces visages tendus ou réprobateurs, cette lourdeur de l’air qu’il apporte.

Je suis obligé de l’interrompre, mon corps, je l’étire, je le retourne, je décide de programmer moi-même mes nuits et mes traversées. Ce n’est pas toujours évident, je suis repris par le cauchemar de l’existence, mais j’ai quand même mes clairières, mes plages, mes bois, mes lévitations contrôlées, mes apparitions bienveillantes. C’est comme ça, après les grimaces, que j’arrive à dormir, ou plutôt à me reposer dans les foules. Je vois distinctement les milliards d’humains en circulation, des embouteillages monstres dans la pollution, et puis ça se dégage, ça coule, ça roule. Mon corps, de temps en temps, aimerait dire « nous », mais je m’y oppose. Il doute souvent d’être seul au monde, et ses raisons, il faut en convenir, sont solides. Enfin, je ne cède pas, et il est bien forcé de me suivre.

(...)

Philippe Sollers, Les Voyageurs du Temps, Gallimard 2009, p.11-14

*

Le corps chinois

Extrait de « Shangaï : Corps et Silence »

Entretien Nicolas Idier, Philippe Sollers
L’Infini
N° 109, Hiver 2010.

Pour commencer, je voudrais vous dire où s’est présenté à moi, de la façon la plus étrange, ce que j’appellerais « le corps chinois », La première chose qui m’a frappé en Chine est le silence. Le jour même de notre arrivée à Shanghai - nous avions dû arriver de nuit, or je me lève toujours assez tôt et, en me penchant par la fenêtre de l’hôtel où j’étais, j’ai vu, sur une terrasse d’un toit très haut, un corps qui faisait du Taichi. Cette image, je la vois toujours. Dans une ville énorme appelée à un gigantisme ultérieur à présent très présent, cette silhouette, solitaire, sur un toit, en train de faire ces exercices lents qui sont comme une danse interne, réglant à la fois le souffle et la respiration : cela m’a énormément frappé. J’ai regardé, longtemps. C’était la première fois que je voyais accomplir ce genre d’exercice.

De là, je descends sur le Bund. Un millier de corps étaient là, faisant exactement la même chose dans un silence absolu. Pas de transistor, rien. Ce silence, je l’entends encore, et je ne l’ai retrouvé nulle part ailleurs qu’à cette date-là, dans ce lieu-là. L’eau du Huangpu ; les corps absolument pas ensemble. La solitude du corps chinois, son autonomie, sa pulsation, à terme, se montrait à mes yeux stupéfaits. J’insiste là-dessus parce que je suis en général « foulophobe » : il n’y a qu’en Chine que j’ai vu des foules énormes, se déplacer très rapidement, toujours dans un très grand silence, sauf s’il y avait des manifestations mais que je n’ai pas vues, donc à ce moment-là, c’est l’absolu contraire : le plus grand silence règne. J’émets l’hypothèse que le corps chinois, que ce soit homme ou femme ou déjà enfant, jouit d’une autonomie tout à fait spécifique, d’une solitude encore une fois dont le spectacle que j’ai vu à de nombreuses reprises, non seulement à New York mais aussi à Paris aussi, le jogging, est le contraire total. Muni d’un walkman, avec cette façon de courir si lourde, de haleter et de faire ça par petits groupes souvent, mais même seul c’est pareil, vous avez là l’exemple même d’un manque de liberté, d’autonomie. Vous avez là quelque chose de tout à fait frappant et d’exécrable. C’est je crois ce qui m’a résolu, ce qui m’a confirmé dans l’intuition que j’avais de ce qui se passe avec la Chine et je crois que c’est ça qui fait la spécificité étrange des habitants de cette partie de la planète. L’impression admirable du silence de Shanghai.

« Merci au corps d’être là, en tout cas, silencieux, à l’oeuvre. » (Les Voyageurs du Temps)

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Le corps Entretien avec Sophie Rostain et E. Picault La Porte, 1993.

*

la pensée humaine ne pense pas en binaire

J.-F. Lyotard, (dans un texte critique sur l’ « intelligence artificielle » [5] - cette tentative (en forme d’utopie) d’imiter la pensée humaine à l’aide des ordinateurs -, reprend la formule de Hubert-L. Dreyfus : « la pensée humaine ne pense pas en binaire. »

Elle ne travaille pas sur des unités d’informations (les bits), mais sur des configurations intuitives et hypothétiques. Elle accepte des données imprécises, ambiguës, qui ne semblent pas sélectionnées selon un code ou une capacité de lecture préétablis. Elle ne néglige pas les à-côtés, les marges d’une situation. Elle n’est pas seulement focalisée, mais aussi latérale. Elle peut discerner ce qui est important de ce qui ne l’est pas sans faire le recensement exhaustif des données et sans tester leur importance quant à la fin poursuivie par des séries d’essais et erreurs. Comme Husserl l’a montré, la pensée ausculte un « horizon », elle vise un « noème », un type d’objet, une sorte de monogramme non conceptuel, qui lui fournit des configurations intuitives, et qui ouvre « devant ell e » un champ d’orientation et d’attente, qui est plus qu’un « frame » (Minsky). Et dans ce hors-cadre, qui serait plutôt comme un schème, elle s’avance vers ce qu’elle cherche en « choisissant », c’est-à-dire en écartant et en rassemblant les données qu’il lui faut, mais sans disposer pourtant de critères préétablis qui détermineraient d’avance ce qu’il convient de choisir. On ne manquera pas d’associer à ce tableau la description que Kant faisait de la procédure de pensée qu’il nommait jugement réfléchissant : un mode de pensée qui n’est pas guidé par des règles de détermination des données, mais qui se montre éventuellement capable d’élaborer après coup ces règles à partir des résultats obtenus « réflexivement ».

Cette description de la pensée réfléchissante opposée à la pensée déterminante ne cache pas, ni chez Husserl ni chez Dreyfus, ce qu’elle doit à l’expérience perceptive. Il y a un champ de pensée comme il y a un champ de vision (ou d’audition) ; l’esprit s’y oriente comme l’oeil dans l’étendue sensible. Cette analogie commandait déjà les travaux de Wallon en France, par exemple, et ceux de Merleau Ponry, Elle est « bien connue », Il faut pourtant souligner qu’elle n’est pas extrinsèque, mais intrinsèque. Elle ne décrit pas seulement une pensée analogique, dans ses procédures, avec une expérience perceptive. Elle décrit une pensée qui procède analogiquement, tout court, et non logiquement. Où donc les procédures de type : « de même que... , de même .. » ou : « comme si ... , alors », ou encore : « comme p à q, alors r à s  » sont privilégiées par rapport aux procédures digitales [6], de type « si ... , alors ... » et « p n’est pas non-p ». Or telles sont les opérations paradoxales qui constituent l’expérience du corps, du corps dit « propre », phénoménologique, dans son espace-temps de sensibilité et de perception. Et c’est pourquoi il conviendrait de le prendre en modèle pour la fabrication et la programmation des intelligences artificielles si l’on entend que cellesci ne se bornent pas à la faculté de raisonner logiquement.

On voit par cette objection que ce qui rend inséparables la pensée et le corps, ce n’est plus simplement que celui-ci soit l’indispensable hardware de celle-là, sa condition matérielle d’existence, c’est que chacun d’eux est analogue à l’autre dans son rapport avec son environnement respectif (sensible, symbolique), ce rapport étant lui-même de type analogique dans les deux cas. On trouve dans cette description une forte raison de ne pas soutenir l’hypothèse, naguère avancée par Putnarn, de la « séparabilité » de principe de l’intelligence [7] par laquelle il pensait légitimer l’entreprise de l’intelligence artificielle.

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Les neurosciences à la découverte du cerveau

Je ne pense pas que la vie se réduise à la mise en corps.

Philippe Sollers
Entretien radio, années 90, où il évoque la mort de sa mère

Sur le thème cité en titre, on peut visionner une conférence du professeur Michel Imbert, docteur es sciences, créateur à Toulouse, en 1993 du centre de recherche Cerveau et Cognitivité (Université Paul Sabatier)

Cette vidéo du 18/10/2001 (88 minutes) peut être accédée par chapitre et traite notamment de la notion de conscience, des différents type de consciences, des neurosciences cognitives

Cliquer sur l’image pour accéder au site

[1soulignement pileface, Ph. Sollers, saute au plafond quand la citation de Rimbaud est transcrite de façon erronée : « dans une âme et dans un corps »

[2Ham sur le tapuscrit, mais plus connu sous le nom de Cham

[3et ivre, note pileface

[4en conclusion de son discours de réception de la médaille d’Officier de la Légion d’honneur, le 28 mai 2008, adressé à Me Christine Albanel, ministre de la Culture

[5« Si l’on peut penser sans corps », in L’inhumain de Jean-F. Lyptard Paris, Galilée, 1988, p. 23-25.

[6celles des langages informatiques

[7cf. le dualisme chez Descartes, note pileface

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1 Messages

  • V. Kirtov | 2 mai 2015 - 08:14 1

    Tombé sur ce dessin de Roland Topor qui trouve assez naturellement sa place ici, même s’il n’illustre qu’une petite facette de cet artiste talentueux, génie connu et méconnu.

    Roland Topor
    le cerveau impérialiste, ca. 1992
    acrylique sur toile
    100 x 70 cm

    Nous avions évoqué brièvement Roland Topor à l’occasion d’un article sur Fernando Arrabal, ici.

    GIF

    La Galerie Anne Barrault lui a consacré une exposition du 18 octobre au 30 novembre 2014, proposée par l’historien d’art Alexandre Devaux :

    Il a été publié dans la presse en France et à l’étranger : Bizarre, Hara-Kiri, Elle, Le New York Times, Le Canard enchaîné, Libération, Le Monde, le Frankfurter Allgemeine Zeitung, et d’autres. Il a écrit des livres, il a illustré les œuvres de plus de cent écrivains parmi lesquels Boris Vian, Marcel Aymé, Félix Fénéon, Tolstoï, Georges Sand, Pierre Benoît… Il a réalisé les décors et costumes de plusieurs pièces de théâtre et opéras pour Ligeti, Penderecki, Savary et d’autres. Il a écrit des scénarios de films, des pièces de théâtre, des chansons, des contes, des romans, des nouvelles. Il a été acteur dans les films de William Klein, de Raoul Ruiz, de Volker Schlöndorff. Il a conçu plusieurs films d’animation dont La Planète Sauvage. Il a participé à de nombreuses créations radiophoniques et télévisuelles[…] Créateur du mouvement Panique avec Fernando Arrabal, Jacques Sternberg et Alejandro Jodorowsky, Topor a été lié à plusieurs mouvements et « familles » d’artistes, dont Cobra, l’International Situationniste et Fluxus. Ses dessins et peintures ont été exposés à de nombreuses reprises et sont rentrés dans plusieurs collections privées et institutionnelles parmi lesquelles : Le Centre Pompidou, Les musées de Strasbourg, le Stedelijk Museum, le musée des Beaux-Arts de Varsovie, le Stadt museum de Münich et d’autres en Italie, Suisse, Belgique, Suède, Etats-Unis… (Plus, ICI…)

    Dix ans après sa mort, une première biographie lui a été consacrée :

    « Il ne fut pas pris au sérieux de son vivant et, dix ans après sa mort, rien ne s’est amélioré. Roland Topor est décédé en 1997, et seule la biographie du journaliste Frantz Vaillant, « Roland Topor ou le rire étranglé », salue sa mémoire, parcourant la vie d’un homme qui refusa toujours d’entrer dans des cases. Peintre, dessinateur, écrivain, homme de théâtre et de télévision, Topor n’était pas un touche-à-tout mais un créateur, un humaniste pessimiste dont le rire tonitruant était une façade et le goût pour la scatologie une manière de dire merde à la bêtise. »
    Christine Ferniot
    Telerama n° 2996, 16/06/2007
    Roland Topor ou le rire étranglé, Ed. Buchet-Chastel, 420 p.