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Fernando Arrabal, la consécration

Viva la muerte

D 28 avril 2015     A par Viktor Kirtov - C 2 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Il a connu André Breton, Ionesco, Dali et Picasso. A écrit quatorze romans, une centaine de pièces, huit cents livres de poésie et sept longs-métrages [1]. Et aujourd’hui, le plus grand théâtre de Madrid, porte désormais son nom.

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29/04/2015 : Ajout section Roland Topor


Fernando Arrabal sur la scène du plus grand théâtre de Madrid, qui porte désormais son nom et dont l’inauguration a eu lieu le 23 avril 2015.
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Fernando Arrabal, l’éclectique

JAQUES PLESSIS
Le Figaro, 23/04/2015.,

[…] « Je vous attends chez moi à 14h16. Nous aurons jusqu’à 15h57 ». Quand il vous fixe rendez-vous, Fernando Arrabal affiche la précision du passionné d’échecs qu’il demeure plus que jamais. Son sens de l’exactitude est flagrant lorsqu’on découvre, devant la porte de son appartement parisien, une table débordant de réveils en parfait état de marche. Ils sonnent à des heures différentes, au désespoir des voisins, mais pour le bonheur d’un maître des lieux qui n’hésite jamais à remettre les pendules à l’heure.

Fernando Arrabal, né le 11 août 1932 à Melilla (Espagne).
Poète, romancier, essayiste, dramaturge et cinéaste espagnol, il vit en France depuis 1955.
Écrit aussi en français.

À l’inverse de ce qu’assure sa légende, il n’est pas un provocateur, et n’a jamais diffamé qui que ce soit. Il doit cette réputation à une séquence de télévision tournée en 1989 en Espagne. On lui en parle encore dans la rue et elle demeure aujourd’hui, assure-t-il, aussi regardée sur YouTube qu’une déclaration de Lady Gaga. Ce soir-là, il faisait très chaud sur le plateau et, en attendant son tour, il a avalé d’un trait ce qu’il croyait être de l’eau. Il s’agissait, en fait, d’une espèce d’anisette dont l’effet a été immédiat. Au lieu de répondre aux questions de l’animateur, il s’est lancé dans un délire verbal, avant de tomber de son fauteuil et d’aller embrasser les autres participants.


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Sa réputation d’auteur dramatique n’en a pas souffert pour autant. Quatorze romans, une centaine de pièces, huit cents livres de poésie, et septlongs-métrages lui ont valu de multiples récompenses parmi lesquelles un grand prix de l’Académie française, et, le 9 février dernier, la médaille d’or de la SACD. À ces trophées va s’ajouter la consécration de sa terre natale. Son nom va ainsi être donné, aujourd’hui, au plus grand théâtre de Madrid. La cérémonie officielle à laquelle assistera le roi Felipe VI, sera suivie de la création de sa nouvelle pièce,Pingüinas,qu’il présente comme un hommage à Cervantes. Don Quichotte et Rossinante, son cheval, seront évoqués à travers des comédiennes qui traverseront la scène à moto, plein gaz au rythme deHappy, le tube créé par Pharrell Williams.

Ce spectacle qui fera du bruit, dans tous les sens du terme, sera ensuite donné dans d’autres pays, où l’auteur a l’habitude de se rendre. Au Japon ou en Serbie, il a ainsi assisté à des adaptations dont il n’a pas compris le moindre mot. Il répond également présent à des projections exceptionnelles de Viva la Muerte, qu’il a réalisé en 1971. À sa grande surprise, les nouvelles générations le considèrent comme un film culte. Le plus souvent possible, il profite de son séjour pour donner des conférences sur d’innombrables sujets. Il est intarissable sur des auteurs donc il connaît les grands et petits secrets. L’origine de la fortune de Voltaire est l’un de ses thèmes favoris. Il rappelle aussi ses amis disparus, à commencer par André Breton. Il a été, pendant trois ans, l’un des membres les plus actifs de son groupe surréaliste. Il évoque avec émotion Salvador Dali et Pablo Picasso, avec qui il n’avait pas que l’accent en commun. Il ajoute se sentir bien seul depuis le départ de confrères dont il se sentait intellectuellement si proche, comme Beckett, Adamov et surtout Ionesco, membre, comme lui, du Collège de pataphysique. Il appartient toujours à cette société spécialisée dans les « recherches savantes et inutiles ». Il en est l’un des « satrapes », ce qui lui convient parfaitement, puisque ceux qui possèdent ce titre ne sont soumis à aucune obligation. Il intervient seulement lorsque le comité décide, en interne, de remettre les prix de l’ordre de la Grande Gidouille.


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Le nom est un hommage à Alfred Jarry, qui a ainsi baptisé le ventre du père Ubu. Il ne manque pas non plus de rappeler le bon temps de la création du mouvement Panique,en particulier avec Topor. Le dessinateur l’a représenté dans une toile qui figure au milieu de souvenirs, dont l’insolite tranche avec l’architecture haussmannienne d’un appartement parisien où il vit discrètement depuis plusieurs décennies. Arrivé dans la capitale voici soixante ans, il a alors décidé qu’il ne s’installerait jamais en Espagne et a tenu parole. Sur les murs, on découvre, entre autres, quelques-uns de ses tableaux et collages. Sur l’un d’entre eux, il a représenté Kafka, Beckett, Kundera et Staline, qui, à ses yeux, est à la fois un monstre et un génie.

C’est dans ce décor que, deux fois par mois, il reçoit des amis venus d’univers très différents, à commencer par Michel Houellebecq, à qui il a consacré un ouvrage. Les conversations, où se mêlent la philosophie et les mathématiques, sont entrecoupées de plaisirs plus terrestres. Arrabal s’accorde désormais son vin quotidien, qu’il choisit exclusivement parmi des grands crus classés. Il contribue à une santé qui demeure excellente.

À 82 ans, ce jeune homme au visage éternellement poupin termine une pièce où, à travers une rencontre entre Cervantes et Shakespeare, il va démontrer l’existence de Dieu. Ils sont morts le même jour, le 23avril 1616, soit 399 ans, jour pour jour, avant l’inauguration officielle, à Madrid, de la « Salle Arrabal ». Un hasard qu’il veut mettre sur le compte de son destin.

Par Jaques Plessis dans Le Figaro du 23/04/2015.

Viva la Muerte : le film d’Arrabal

Film réalisé par Fernando Arrabal et sorti en 1971 d’après son livre en partie autobiographique Baal Banylone. Il est aussi acteur dans le film, un document essentiel pour mieux comprendre les événements fondateurs de l’homme qu’est devenu Fernando Arrabal.

Synopsis

Pendant la guerre civile en Espagne, le jeune Fando découvre que sa mère a dénoncé son malheureux père. Cherchant ce qu’il est devenu, il se heurte à un monde sauvage, se réfugiant dans un univers de perversions et de folies.

Générique

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GIF Roland Topor

Est l’auteur des dessins de Viva la Muerte. Cofondateur du Mouvement Panique avec ses amis Jacques Sternberg, Fernando Arrabal et Alejandro Jodorowski, groupe provocateur dans une lignée proche du surréalisme.
Un temps pamphlétaire pour Le Canard Enchaîné en 1973, il poursuit sa carrière entre le théâtre, le cinéma (générique de Viva la Muerte d’Arrabal, illustrations pour Casanova de Fellini) et la télévision avec la série Téléchat.
En 1987, il participe à l’écriture de l’émission Palace de Jean-Michel Ribes aux côtés de Wolinski, Gébé, Willem et François Rollin.
Avec une activité hautement prolifique, livrant romans, disques, affiches et mises en scène, Topor aura marqué le milieu du spectacle, offert une œuvre provocatrice et poétique avant de nous quitter le 16 Avril 1997, emporté par une maladie cérébrale. [2]

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Témoignage
Aussi, ce témoignage de Lisa Santos Silva, peintre et lectrice de Pileface, qui a toute sa place, ici :

Roland Topor.
Son rire légendaire me manque.
Cet homme aux allures d’enfant terrible était un grand artiste, délicat et pudique. Son rire le protégeait.
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J’ai vu Viva la Muerte de Fernando Arrabal en Afrique, 1971, l’année même de sa sortie.
Un superbe cinéma en plein air à Luanda la cosmopolite, soleil et Coca-Cola....
J’étais très jeune, j’ai suivi ce générique, stupéfaite : Un travelling sur un dessin magistral. À la fin j’ai vu une toute petite signature : "Topor ". Jamais oublié.

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Ma première exposition à Paris était en 1980 à la Galerie Jean Briance, rue Guénégaud :
"Les Chapeaux", exposition collective où figuraient des noms très prestigieux parmi lesquels Alfred Courmes, Jean Hélion, Roland Topor, Eduardo Arroyo, etc. J’étais très impressionnée, j’étais la plus jeune.

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Nous y étions, évidemment, au vernissage et rencontrer Topor fut un événement !
Je lui ai annoncé que je l’avais connu en Afrique. Alors c’est lui qui était stupéfait !
Viva la Vita !

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Lisa Santos Silva

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Extrait

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FERNANDO ARRABAL


En 71, les gestations cinématographiques d’Arrabal n’ont évidemment pas plu du tout à la censure française : alors que l’Espagne est encore sous le régime Franquiste, il ira tourner son film en Tunisie ; même chose pourL’arbre de Guernicaquatre ans plus tard, continuation historique essentielle de son oeuvre qu’il ne pourra filmer qu’en Italie. Au risque de se délocaliser de son berceau (et bourreau), il conserve malgré tout cette âme méditerranéenne, ces campagnes lumineuses et arides où l’on rêve et meurt.

Dans Viva la Muerte, le petit Fando apprend que sa mère a fait arrêter son père – un “rouge”- pour ses idées politiques controversées : ouvertement auto-biographique, Arrabal dessine les contours d’une enfance meurtrie, malade (au sens propre comme au figuré), sans aucune concession. La figure maternelle (stupéfiante Nuria Espert) convoque douceur et sensualité d’une scène à l’autre, et se fait brutale lorsque le fanatisme latent reprend ses droits, celui-là même qui hante les rues d’un pays fascisant. Des notions qui redoublent avec un personnage de tantine illuminée, qui fait naître davantage les contradictions d’un univers étouffant et trouble, à l’érotisme moite et scabreux.


Dans le rapport au corps,Viva la Muerte ne s’embarrasse d’aucune horreur, d’aucune gêne, d’aucune barrière : cette mise à nu évoluant dans un contexte à l’authenticité parfaitement dérangeante est traversée de séquences expérimentales, comme autant d’illustrations de “l’immontrable” ; à savoir des fantasmes enfantins gangrénés de pulsions de vie et mort. Dans ces scénettes saturées de couleurs baveuses, Arrabal arrose son spectateur d’images infernales, allant de la scatophilie, en passant par la torture, l’inceste, la nécrophilie, la castration, poussant le symbolisme dans ses retranchements les plus scandaleux comme son ami Roland Topor, à qui l’ont doit les dessins du générique (illustrant moult corps violés, transpercés, écartelés, ou couverts d’excréments).

Arrabal ne connaît guère les limites, les explosant lors de l’ultime vision libératrice où la mère de Fando vit une transe sanguinolente près de la carcasse d’un boeuf égorgé et castré face caméra (et… sans trucages). Un spectacle hallucinatoire, qui fascine par les moyens radicaux avec lesquels il bouscule son auditoire : une délicatesse derrière l’outrage qu’on capte au détour d’Ekkoleg, chanson d’ouverture et comptine danoise obsédante…

Là où le plus farfeluJ’irai comme un cheval foutentera d’aller encore plus loin dans la furie surréaliste (et il le prouvera !),L’arbre de Guernicase fait plus rigoureux : on est cependant bien chez Arrabal vu le contenu sulfureux de certaines images (verge brûlée au fer rouge, statues souillées de sperme ou d’urine, corrida humaine, nains crucifiés : Arrabal n’est pas un amateur de la retenue !) mais l’histoire prend place sur la provocation.

On assiste au branlebas de combat d’une petite ville nommée Villa Ramiro (agitée par la révolte des villageois républicains), non loin de Guernica, dont elle subira l’effroi du bombardement.

On sent qu’Arrabal est possédé par le désir de retranscrire la terrible histoire de son pays, quitte à se placer dans une optique… en spontanéité. Tout aussi rageur, mais plus lyrique (l’idylle d’un surréaliste et d’une sorcière aux yeux verts au coeur de la bataille arrondit les angles) et très passionnant… : Arrabal nous fait voir aussi bien dans l’intime que dans le spectaculaire sa vision du franquisme, sans jamais se répéter… Une oeuvre folle.

Crédit : La Règle du Jeu, 7 juillet 2012

Fernando Arrabal avec Sollers au procès Houellebecq

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Michel Houellebecq et Fernando Arrabal

En 2002, l’auteur de "Plateforme", qui avait notamment qualifié l’Islam de "religion la plus con du monde" est poursuivi pour injure raciale et incitation à la haine religieuse, à la demande la Ligue islamique mondiale, les Grandes Mosquées de Paris et de Lyon, la Fédération nationale des musulmans,

Philippe Sollers, Fernando Arrabal et quelques autres sont venus plaider à la barre en faveur de Michel Houellebecq, et L’Infini N° 81, Hiver 2002 rend compte de la déposition de Fernando Arrabal. Un morceau d’anthologie :

GIF L’ INFINI N° 81 HIVER 2002

Fernando Arrabal

Un acte du procès de Houellebecq

Comme guidés par l’ange exterminateur, nous avons été sept à être enfermés dans la salle des témoins du Palais de Justice : Pierre Assouline, Michel Braudeau, Dominique Noguez, Josyane Savigneau, Didier Sénécal,

Philippe Sollers et moi-même. Avec Pierre Assouline j’ai parlé d’échecs (du jeu !) et de Zinoviev. Je venais de passer un transcendant (comme disent les pataphysiciens) après-midi chez lui. Et j’ai pu constater comment
depuis sa "hauteur béante" moscovite il jette un nouveau regard, et si inattendu, sur l’ "homo sovieticus".

L’envie m’a pris de demander au six claquemurés de créer avec moi un éphémère panique. J’ai préféré analyser l’une des victoires aux échecs de Ponomariov qu’une semaine auparavant je l’avais vu remporter à Moscou. Pour me concentrer, je me suis couché sur l’un des bancs, et caché les yeux sous mes lunettes grâce à deux kleenex ...mais je n’ai pas tardé à m’endormir au point de ronfler.J’ai été réveillé - deux heures plus tard ? - par un policier poli. Il m’a conduit face à un président talentueux et attentionné à la santé duquel je n’ai pu m’empêcher de porter un toast. J’ai eu l’impression d’assister à une scène dans le décor... de la 17e chambre (c’était d’ailleurs le 17 septembre) correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Paris :

"... Fernando Arrabal connaît parfaitement le délit de blasphème. C’est à cause de lui qu’il fut jugé par un tribunal franquiste. L’écrivain jovial et souriant a enthousiasmé l’auditoire" Pascale Robert-Diard, Le Monde).

Nicolas Bonnal, président du Tribunal.- Dites-nous quel est votre nom.

Fernando Arrabal.- Si je le savais moi-même !... Sur mes papiers on m’attribue le nom de Fernando Arrabal.

Le Président.- Quelle est votre profession ?

"Arrabal répond après quelques instants d’hésitation" (P.R-D., Le Monde) :

FA.- Piéton !

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Profession ? - Piéton

Le Président (se tournant vers ses assesseurs).- Notez : écrivain. Monsieur Arrabal, veuillez jurer que vous allez dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. Levez la main droite et dites "je le jure".

F.A.- Oh ! mais c’est très fort, "je le jure". Heureusement que je vais dire la vérité. Est-ce que je peux dire, "je promets" ?

Le Président.- Qu’avez-vous à nous déclarer, monsieur Arrabal ?

F.A.- Quel bonheur de pouvoir être un témoin de la défense pour un délit d’opinion, ou, si l’on préfère, dans un procès d’intention à l’encontre du poète et mathématicien Michel Houellebecq "en raison de la déraison que l’on fait à (notre) raison"... comme a dit Cervantès.

Maître Emmanuel Pierrat (avocat de la défense) .- Veuillez vous expliquer..

F.A. - Ceux qui assurent que ce procès est le plus important de ces dernières années en France et le plus décisif, si l’on veut mettre un frein à la recrudescence des nouveaux vetos contre la liberté d’expression en ce début de siècle, ne me semblent pas du tout exagérer. Après la chute des Titans !

"Il y avait une forme de jubilation dans l’air à la 17e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris." (P.R-D., Le Monde).

F.A.- On juge Houellebecq pour blasphème comme ce fut le cas pour moi en 1967. Socrate, qui parlait si divinement de Dieu à Platon, a aussi été jugé pour blasphème. Et condamné deux fois à mort. A boire la ciguë.

"Il joint alors le geste à la parole en extirpant de sa poche une fiole de calvados qu’il porte à ses lèvres." (P.RD., Le Monde).

F.A.- Mon père aussi a été jugé pour délit d’opinion le 17 juillet 1936. Les théocrates de l’Etat Nouveau l’ont envoyé dans le couloir de la mort à la forteresse del Hacho. Moi aussi, son fils, j’ai été enfermé dans les prisons franquistes pour blasphème. Mon père est né plaza del Potro (place du Poulain) à Cordoue. Huit siècles après la venue au monde, au même endroit, du philosophe juif Maimonide et du musulman Averroès, au début du 12e siècle. Dans son ‘Discours décisif’ le philosophe musulman défend la liberté "d’agir et de penser contre la foi de l’Islam".

"... c’est aussi le droit fondamental à l’humour qu’on plaidait ." (P.R-D., Le Monde).

F.A. - Au mois de mai 1968, lorsque les paniques, les surréalistes et les pataphysiciens ont appris qu’un leader totalitaire avait "accusé" l’un des leurs d’être un juif allemand, ils se sont précipités dans la rue pour revendiquer cette appellation : "Nous sommes tous des juifs allemands". Aujourd’hui nous sommes tous des "zindigns", c’est à-dire des poètes arabes épicuréens. Des poètes qui, dès les premiers temps de l’Islam, pensaient comme Houellebecq et comme moi. Et comme Omar Khhayyam lorsqu’il écrivait :" Ne lève pas tes mains vers cette tasse renversée qu’est le ciel, elle n’est pas plus importante que toi et moi."

"...On se pressait comme à un soir de première." (P.R-D., Le Monde).

F.A.- Aujourd’hui, on accuse Houellebecq de blasphème comme moi en 1967. Pour ce motif, j’ai dû passer dans les geôles de Murcie, de la Direction Générale de Sécurité, de las Salesas de Madrid et de la prison de Carabanchel. Et lors du procès l’accusation franquiste a requis à mon encontre 12 ans six mois et un jour de prison.

Maître Jean-Marc Varaut, partie civile .- Je ne saurais permettre...

F.A. ( tout sourire).- Ne m’interrompez pas, Maître. Vous êtes un grand avocat candidat à la Comédie ou à l’Académie Française, et moi candidat à n’être qu’un maudit. Et j’en suis fier ! Mais, je vous en prie, laissez s’exprimer la minorité silencieuse.

Maitre Varaud.- Ce que je veux dire, c’est que vous ne pouvez pas faire de moi un avocat fasciste.

F.A. - Bien sûr que non. Si vous en étiez un je ne serais pas ici. Je me serais fait représenter par mes assiettes.

Le Président (prévenant et souriant).- Pas d’interruption. Je vous en prie, poursuivez.

F.A.- En 1967, j’ ai eu l’honneur d’être soutenu , entre autres, par Camilo José Cela, Vicente Aleixandre, Elias Canetti, Octavio Paz et Samuel Beckett. Tous les cinq n’étaient que de simples soldats de la littérature , et quelques années plus tard, ils allaient être nobélisés.

Le Président. - Et qu’a dit Samuel Beckett ?

F.A. - La police de l’aéroport de Barajas l’a empêché de venir me défendre. Pour la première fois de sa vie il a dû exprimer publiquement son opinion par une lettre et non pas par une oeuvre littéraire. Et il a écrit à mon propos ce qu’il aurait dit aujourd’hui de Houellebecq :...

"Après avoir ravi son auditoire... Arrabal a conclu, avec Beckett." (P.R-D., Le Monde) :

F.A. - "...c’est beaucoup ce que le poète doit souffrir pour écrire, Messieurs les Juges, n’ajoutez rien à sa propre douleur."

Puis Philippe Sollers vint à la barre. Il a été le seul que j’aie pu entendre puisque j’ai été convoqué après les autres témoins. Brillantissime, il a plaidé la recherche spirituelle de Houellebecq, son désir de Dieu à travers son prétendu athéisme, ses doutes féconds. "Dieu n’est-il pas clément et miséricordieux et n’a-t-il pas un faible pour les écrivains qui lui sont en apparence les plus hostiles ?". "Dieu"- rappelle Sollers- "ne veut pas que j’écrive disait Kafka, mais moi, je dois".

Maître Pierrat a terminé sa plaidoirie en apothéose avec une fougue aussi juvénile que convaincante.

Auparavant le procureur, Béatrice Angeli, une jeune femme aux cheveux flottants, altruiste et intelligente, avait pris place dans son vaisseau sans voile. Elle semblait surgie d’une hagiographie de la femme selon "Michel" dans "Plateforme". Elle a fait observer
à ceux qui tremblaient d’épouvante face à la vague déferlante : "considérer que par une dérive sémantique parler d’une religion c’est parler de la communauté de ses croyants est un pas que nous ne pouvons franchir." Elle a requis la relaxe du poète. Après ce cauchemar de flèches... quel rêve ! "Acta est fabula".

*


Arrabal poète : La pierre de la folie

Ajoutons cet extrait de « La pierre de la folie », de cet être hyperdoué et hypersensible :

J’ai une bulle d’air . Je la
sens très bien. Quand je
suis triste, elle se fait plus
lourde et parfois, quand je
pleure, on dirait une
goutte de mercure.
La bulle d’air se promène
de mon cerveau à mon
coeur et de mon coeur à
mon cerveau.
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***

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" Mon enfant, mon enfant. "
Enfin, elle alluma une
lampe minuscule et je pus
voir son visage mais non
son corps plongé dans
l’obscurité.
Je lui dis : " Maman. "
Elle me demanda de la
prendre dans mes bras. Je
la pris dans mes bras et je
sentis ses ongles
s’enfoncer dans mes
épaules : bientôt le sang
jaillit, humide.
Elle me dit : " Mon enfant, mon enfant, embrasse-moi."
Je m’approchai et
l’embrassai et je sentis
ses dents s’enfoncer dans
mon cou et le sang couler.
Je m’aperçus qu’elle
portait, pendue à sa
ceinture, une petite cage
avec un moineau à
l’intérieur. Il était blessé
mais il chantait : son sang
était mon sang.

***

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Nous nous sommes
enlacés nus dans la
campagne, et bientôt nous
nous sommes écartés de
la terre, et nous avons
volé doucement. Sur la
tête, nous portions des
couronnes de fer.
La brise nous a emportés
de-ci de-là, et parfois
nous tournions sur nous-mêmes,
toujours unis,
vertigineusement. Mais
nos couronnes ne
tombaient pas.
Ainsi nous avons parcouru
en quelques instants
toutes sortes de régions,
mes cuisses entre les
siennes, ma joue contre la
sienne et nos deux
couronnes des touchant.
Après les ultimes
convulsions, nous sommes
revenus sur terre. Nous
avons remarqué que nos
couronnes nous avaient
blessés au front et que
notre sang glissait.

Elle me disait que je suis
le soleil et elle la lune, que
je suis le cube et elle la
sphère, que je suis l’or et
elle l’argent. Alors de tout
mon corps sortaient des
flammes et de tous les
pores de son corps, de la
pluie.
Nous nous étreignions et
mes flammes se mêlaient
à sa pluie et d’infinis arcs-en-
ciel se formaient
autour de nous. Ce fut
alors qu’elle m’apprit que
je suis le feu, et elle,
l’eau.

***

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Le curé est venu voir ma
mère et il lui a dit que
j’étais fou.
Alors ma mère m’a
attaché à ma chaise. Le
curé m’a fait un trou dans
la nuque avec un bistouri
et il m’a extrait la pierre
de la folie.
Puis ils m’ont porté, pieds
et poings liés, jusqu’à la
nef des fous.

***

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2 Messages

  • Viktor Kirtov | 13 mars 2020 - 11:21 1

    par Fernando Arrabal

    Le stratège Guy (Ernest) Debord…

    La Règle du Jeu, 12 mars 2020

    Le stratège Guy (Ernest) Debord est né à Paris huit mois avant moi à Melilla. Souffrant de polynévrite chronique (« …j’ai été continuellement ivre…. en périodes de plusieurs mois… et le reste du temps, j’ai beaucoup bu »), il a pris devitesse sa maladie incurable et s’est occulté euthanasiquement le 30 novembre 1994. Dans son sublime Panégyrique, il fait l’éloge de...

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    Le stratège Guy (Ernest) Debord est né à Paris huit mois avant moi à Melilla. Souffrant de polynévrite chronique (« …j’ai été continuellement ivre…. en périodes de plusieurs mois… et le reste du temps, j’ai beaucoup bu »), il a pris devitesse sa maladie incurable et s’est occulté euthanasiquement le 30 novembre 1994. Dans son sublime Panégyrique, il fait l’éloge de l’alcool et de ce que l’ivresse et son alcoolisme déclaré et assumé lui ont apporté dans sa vie et dans son travail. Quel dommage ! ni lui ni Topor n’ont réussi à me guérir de ma sobriété. En janvier 2009, l’État français a décidé de classer toutes ses archives ‘patrimoine national’ par un décret en interdisant la vente. Ce dernier précise que ces documents revêtent une grande importance pour l’histoire des idées de la seconde moitié du XXe siècle et pour la connaissance d’un de ses derniers grands intellectuels (Journal officiel de la République française du 12 février 2009.) La Bibliothèque nationale de France a signé l’achat des archives en mars 2010.

    Guy Debord bien que non accepté (très malheureusement) au café La promenade de Vénus, était un grand connaisseur du surréalisme et tout particulièrement de Cravan. Il a conceptualisé la notion sociopolitique de « spectacle » dans la société . En 1952, il avait prévu : Le champ de bataille n’a jamais été aussi vide ; il avait publié le synopsis de la première version (avec images) de son premier film Hurlements en faveur de Sade : avec une fin sans images alternant des séquences d’écran entièrement vides ou noires, et une bande-son avec des phrases poétiques détournées de leur contexte originel, saccadées, avec de longs silences.

    En 1953, il avait écrit sur un mur de Paris Ne travaille jamais, lorsque le bar Chez Moineau à Paris était devenu son quartier général. 1957 sera pour lui une année décisive grâce aux différents procédés de la dérive situationniste. Dans cette perspective, il considère que la construction des situations remplacera le théâtre dans le sens où la véritable construction de la vie a de plus en plus remplacé la religion.

    En 1959 il réalise Sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps. Il se déclaré héritier de la Commune de Paris dans la Société du spectacle (publié le 14 novembre 1967 : le spectacle n’est pas un recueil d’images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images. Cela signifie que chaque aspect précédemment vécu se manifeste maintenant dans une simple représentation qui engloberait toute la vie sociale : c’est l’aliénation de l’homme à la fois du monde qui l’entoure et de sa propre vie ; il ne vit plus vraiment, n’en étant qu’un spectateur. Pour Debord, le mois de mai 68 est l’aboutissement logique de sa stratégie : un mouvement prolétarien révolutionnaire qui refait surface après un demi-siècle d’écrasement et qui a cherché sa conscience théorique.
    A partir de 1970, GD vit, selon les saisons, entre Paris, l’Auvergne, Florence.Il est passionné d’Espagne. Il entretient une grande amitié avec le satrape pataphysicien Sanguinetti et à Paris avec le producteur Gérard Lebovici, qui finance trois de ses films. Nous montons, lui et moi, en même temps nos différents films dans le même laboratoire et nous nous promenons- Breton s’étant occulté- sur Vénus . Avec le film In girum imus nocte et consumimur igni (1978), un palindrome en latin qui signifie Nous nous promenons la nuit et nous sommes consumés par le feu, il réalise un inventaire mélancolique de son itinéraire esthétique et de ses exigences politiques.

    À partir de 1972, il exerce une influence de plus en plus importante dans la maison d’édition de Lebovici ; il publie des auteurs qu’il juge essentiels (bien sûr) comme Baltasar Gracián, Clausewitz, August von Cieszkowski. En 1979, il traduit en français des Coplaspour la mort de son père de Jorge Manrique. Il loue un appartement à Séville.

    Après le mystérieux meurtre, le 5 mars 1984, de son ami et éditeur Gérard Lebovici, il est accusé par des personnes de toutes tendances d’être responsable de sa mort. Il défend son honneur en dénonçant les calomniateurs devant la justice qui lui donne raison : il analyse les attaques et y répond dans son livre Réflexions sur le meurtre de Gérard Lebovici . Afin de démontrer par son propre exemple (comme il me l’a dit à plusieurs reprises) et montrer qu’une autre vie était possible, il a décidé d’écrire son expérience personnelle dans son chef-d’œuvre Panégyrique (dont le style est à juste titre comparé à celui du cardinal de Retz). Panégyrique était un bien meilleur titre qu’Éloge : je crois avec lui qu’il aurait été trop faible . (Le Littré précise : …panégyrique dit plus qu’éloge. L’éloge contient sans doute la louange du personnqge, mais n’exclut pas une certaine critique , un certain blâme . Le panégyrique ne comprend ni blâme, ni critique).

    Crédit : La Règle du Jeu


  • V. Kirtov | 30 avril 2015 - 16:08 2

    Ajout témoignage sur Roland Topor, l’auteur des illustrations du film Viva la Muerte. Cest ICI...