Méditerranée de Jean-Daniel Pollet, 1963, Film de 44’, couleur.
Visions furtives sur un texte de Philippe Sollers.
Pour Méditerranée, j’ai fait un voyage de trois mois et demi, parcouru quinze pays autour du bassin méditerranéen mais j’ai refusé d’emblée de faire un documentaire
Jean-Daniel Pollet.
Dans cette banale série d’images en 16mm., c’est à nous maintenant de savoir retrouver l’espace que seul le cinéma sait transformer en temps perdu...ou plutôt le contraire... car voici des plans lisses et ronds abandonnés sur l’écran comme un galet sur le rivage... puis, comme une vague, chaque “ collure ” vient y imprimer ou effacer le mot souvenir, le mot bonheur, le mot femme, le mot ciel...La mort aussi puisque Pollet, plus courageux qu’Orphée, s’est retourné plusieurs fois sur cette “ Angel Face ” dans l’hôpital de je ne sais quel “ Damas ”.
Jean-Luc Godard, Cahiers du cinéma, n° 187 / 1967
Le 3 octobre 2001, soirée d’ouverture du cycle Jean-Daniel Pollet à Beaubourg. Après la projection de Méditerranée, intervention de Philippe Sollers, à propos de sa collaboration avec Jean-Daniel Pollet :
Extraits :
Il s’agit d’une expérience, je pense, étrange pour des gens qui avaient à l’époque entre 25 et 30 ans. Une expérience qui m’amène à dire qu’au fond, on peut être assez content de sa jeunesse. À l’époque, on pouvait passer des nuits entières à étudier comment un plan par rapport à un autre, un mot par rapport à un plan, une couleur par rapport à une autre couleur, un mouvement de gauche à droite, de droite à gauche, pouvaient avoir autant d’importance que tout le reste.
[...]
Nous avions décidé de faire un film qui n’en soit pas un, tout en étant la radicalité même du cinéma. Et Pollet le paye très cher, parce qu’il a fait d’autres choses. Mais je crois que là est le message principal : c’est d’ailleurs, c’est d’un autre temps et d’un autre espace. Vous avez vu, ça a 38 ans, est-ce que ça a vraiment vieilli ? Non, je ne crois pas.
[...]
1963 voyons, la France c’est quoi à l’époque ? La guerre d’Algérie ? Le nouveau roman ? Tout ça...[...]
Prenons les films qui sont faits par un certain nombre d’écrivains à l’époque, les films désastreux de Robe-Grillet, ou ceux plus tard de Duras. Vous avez l’impression d’avoir affaire à des créateurs certes sympathiques, parce que comme la France est effondrée, il faut bien faire quelque chose, mais qui se situent dans une pauvreté, dans un minimalisme, dans une dépression, dans une mélancolie et même dans un délire. C’est-à-dire dans une crise d’identité fondamentale [...]
Pollet est un sensuel ahurissant. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui ait l’oeil, l’oreille, le nez, le toucher, le toucher de l’oeil, à ce point. C’est quelqu’un qui en face de n’importe quoi, va prendre le bon angle, la lumière qu’il faut, la couleur qu’il faut pour dire qu’il est en quelque sorte cette chose même. Ou du moins, qu’il l’enregistre en tant qu’elle est cette chose même et pas une autre. Vous avez vu dans ce film des images... Mais il n’y en a pas d’autre ! On ne peut pas faire mieux, par exemple, par rapport à une corrida. Jamais vous n’aviez vu, et vous ne reverrez, un taureau et un torero filmés comme ça. Je mets au défi quiconque de me montrer une corrida comme Pollet l’a montrée. Ce qui est dément, parce que ce n’est pas seulement le problème de la corrida, vous l’avez compris, avec Méditerranée nous sommes dans une espèce de montée d’un traitement de mythologie fondamentale. Et ça, c’est précisément le sujet
On voulait donc faire du cinéma qui n’en serait pas, qui serait de la métaphysique en somme. On voulait faire de la métaphysique avec quelque chose qui ressemble à du silence. Autrement dit, on se foutait complètement du marché, des bobines, de la nouvelle vague, tout ça.[...]

Crédit : www.fluctuat.net