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Benoît Monneret en compagnie du Titien, Véronèse, Vélasquez

Et Sollers à propos des mêmes

D 20 mars 2019     A par Viktor Kirtov - Benoît Monneret - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



--- PARTIE I ---

Manque

Mon Titien préféré est au Prado, c’est un Vénus et Adonis.

Mon Véronèse préféré est au Prado, c’est un Vénus et Adonis.

Et Velázquez m’impressionne chaque jour d’avantage.

Les chiens chez ces trois peintres, exceptionnels.

Je ne suis jamais allé au Prado. Je rêve avec les livres. Manque.

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Le Parc de la Tête d’Or entre dans sa période enchanteresse, les tendres verts me sourient. J’habite à deux pas. Consolation par les fleurs aussi. "Fleurs" de Sollers a eu un rôle important pour me déciller les yeux. Proximité du divin.

Benoît Monneret

Benoît Monneret est un pudique. Un seul mot « manque » pour laisser (à peine) entrevoir une vie entre ciel et enfer. Il préfère regarder vers le ciel, la Beauté dans la peinture, se consoler avec les fleurs du Parc de la Tête d’Or à Lyon [où il réside], ou dans la littérature avec Sollers et d’autres.

Benoît Monneret pourrait faire siens ces vers de Baudelaire :

Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ?
Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau !

Ces deux vers forment la conclusion du poème « Le Voyage » qui clôturait lui-même Les Fleurs du mal dans les deux éditions de 1861 et 1868.

Voyage dans les livres pour Benoît Monneret. …Manque !

Voyage aussi dans le dessin. Il a illustré de nombreux articles sur pileface

Voyage au cœur de la Beauté, dont Baudelaire encore, fait la valeur unique, à laquelle sont rapportées toutes les autres :

De Satan ou de Dieu, qu’importe ? Ange ou Sirène,
Qu’importe, si tu rends, - Fée aux yeux de velours,
Rythme, parfum, lueur, ô mon unique reine ! -
L’Univers moins hideux et les instants moins lourds.

Charles Baudelaire
Hymne à la Beauté
Les Fleurs du mal


Le poème illustré par Manuel ORAZI dans l’édition de 1934
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La Venus et Adonis du Titien (version du Prado)


Titien Vénus et Adonis, vers 1555
Huile sur toile, 186 x 207, Madrid, Musée du Prado
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Titien a peint cette Vénus et Adonis pour une série de huit sujets mythologiques, qu’il appelle des poèmes visuels, créée pour le roi Philippe II d’Espagne. Il avait déjà traité ce thème et le reprendra de nombreuses fois : plus de trente versions peintes ou gravées sont conservées dans les différents musées du monde. Certaines toiles, comme celle-ci, ont été peintes par Titien lui-même. D’autres ont été produites par les membres de son atelier, et d’autres encore furent l’œuvre de copistes ultérieurs.

L’histoire de Vénus et Adonis provient des Métamorphoses d’Ovide. Vénus, éprise du bel Adonis ne veut pas le laisser partir à la chasse et pressent peut-être que sa passion causera sa mort. Mars, averti de la passion de Venus pour Adonis depêchera contre lui un sanglier. La déesse impuissante s’accroche à son amant mortel dans une vaine tentative pour le retenir. Adonis, se détache d’elle pour une chasse où il rencontra sa mort tragique.

La composition avec Vénus vue de dos est originale. Titien s’en est expliqué dans une lettre, espérant offrir à Philippe II de la variété parmi sa nombreuse collection de nus. C’est ainsi au spectateur de recomposer le corps de Vénus en fonction de son propre idéal de beauté.

Les vénus et Adonis du Titien peuvent être divisées en deux grands groupes, connus sous les noms de type Farnèse et de type du Prado. Le type Farnèse suit probablement l’exemplaire peint par Titien à Rome pour le cardinal Alessandro Farnese autour de 1545 à 1546 (aujourd’hui perdue, mais connue par une gravure de Sir Robert Strange d’environ 1769), qui rendrait compte de la connaissance de l’artiste des sources anciennes et du travail de Raphaël. Le tableau de la National Gallery de Washington appartient au même type.

Le type du Prado, ainsi nommé pour la version envoyée en 1554 à Philippe II d’Espagne diffère du type Farnèse par de nombreux détails : le format de la toile (plus grand), l’inclusion d’un troisième chien, le Cupidon désormais endormi, le soleil plus ardent et le vase remplaçant la source aux pieds de Vénus.

La version Prado se déroule à l’aube et montre le jeuneAdonisqui s’éloigne de Vénus, son amant.Il porte une lance à plumes ou "dart", une arme souvent utilisée pour la chasse au 16ème siècle.La laisse de ses trois chiens est enroulée autour de son bras à droite.Sous les arbres derrière eux, à gauche,Cupidonest endormi avec son arc et son carquois de flèches suspendues à un arbre ;Ce n’est pas un moment pour l’amour.Haut dans le ciel, une figure monte sur un char ;c’est soit Vénus à partir de plus tard dans l’histoire, ouApolloouSol, représentant l’aube.Vénus est assise sur un rocher recouvert d’une nappe riche avec des bords et des boutons en tresse dorée (pas une veste militaire, comme on le pense parfois).[3]Adonis a une corne suspendue à sa ceinture ;sa tenue est classique, extraite de sculptures romaines.

Ces compositions auront une influence considérable sur les artistes de Véronèse à Rubens

Crédit : www.cineclubdecaen.com/peinture/ et Wikipedia

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La Venus et Adonis endormi de Véronèse


Véronèse Vénus et Adonis endormi (vers 1585), Musée du Prado, Madrid.
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Cette toile, que Vélasquez avait acquise à Venise en1641 pour le compte de PhilippeIV, est passée des collections du roi d’Espagne à celles du musée du Prado. Elle aurait été peinte comme pendant à laMort de Procris. Celle-ci, tuée par mégarde à la chasse par son époux Céphale, jette une lueur tragique sur la paisible scène où Vénus évente Adonis. La torpeur du jeune homme et la douceur champêtre de l’instant sont ainsi minées par l’annonce de la proche mort d’Adonis, déchiré par un sanglier au cours d’une chasse : d’un côté le spectacle du bonheur et de la douceur de vivre, de l’autre l’image du bonheur perdu. Mais le sommeil d’Adonis n’est pas en soi exempt de menace. Il préfigure sa mort, et, comme le rappelle Pic de La Mirandole (dont Véronèse connaît l’œuvre), sommeil, mort et amour sont liés : « Mourir c’est être aimé d’un dieu, et, à travers lui, prendre part à la félicité éternelle. » Les chiens et l’Amour, images de la modération et de la fougue des sentiments, suggèrent l’harmonie du couple. Selon un code souvent suivi par Véronèse, l’amant mortel, vêtu de rouge, couleur de la passion, pose sa tête sur les genoux de la déesse, dont la semi-nudité parée de bijoux exprime la volupté.

Cette toile, tout comme son pendant, témoigne de l’intérêt nouveau que Véronèse porte au paysage. Les personnages s’intègrent dans une nature qui semble refléter les sentiments ou la tension psychologique qui sous-tend le sujet. À l’éclairage dramatique de laMort de Procriss’oppose la lumière solaire qui dore le corps de Vénus et fait miroiter les feuillages protecteurs sur un ciel tendre et changeant. Mêlant mythologie, érotisme et observation psychologique, Véronèse donne à cette toile une densité lumineuse où le dessin très appuyé est soutenu par une touche qui joue sur les effets d’empâtement.

Crédit : Encyclopédie Larousse

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Un chien aussi dans Les Menimes de Vélasquez


VélasquezLes Ménimes ( 1656-1657), Musée du Prado, Madrid.
Huile sur toile 318 × 276 cm - ZOOM : cliquer l’image
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En 1656, Diego Vélasquez, alors peintre pour la cour du roi Philippe IV réalise le tableau desMénines. L’infante Marguerite y est représentée, entourée de ses demoiselles d’honneur (les Ménines) Maria Augustina de Sarmiento et Isabel de Velasco, de la naine Marie Barbola et du bouffon Nicolasito Pertusato et d’un chien mâtin au premier plan. Le roi et la reine apparaissent dans le miroir au fond et, fait rare, le peintre se représente lui-même en train de peindre à gauche de la scène, , regardant au-delà la peinture,

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Le Parc de la Tête d’Or

Le Parc de la Tête d’Or, à Lyon, ouvert depuis 1857, est l’un des plus grands parcs urbains de France.

Œuvre des frères Denis et Eugène Bühler, il a été conçu sur le modèle du jardin anglais et intègre un lac de 16 hectares créé à partir d’un bras du Rhône. Géré par la Ville de Lyon, le parc est un véritable poumon de l’agglomération. Il offre sur 117 hectares une vaste étendue naturelle, un parc zoologique et un jardin botanique.


--- PARTIE II ---

Sollers sur Titien

Dans son Dictionnaire amoureux de Venise :

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Titien

V. 1488-1576

C’est, avec Véronèse, le plus célèbre des peintres vénitiens. La souveraineté lui appartient, comme elle appartient, à Rome, à Michel-Ange et à Raphaël. Il est présent à chaque instant entre les lignes de ce Dictionnaire où on consultera plus précisément Eglises et Arétin.

Giorgione lui transmet le secret de la nudité de Vénus. Titien la prolonge. Vénus et Venise associent la beauté du corps féminin et la musique. Le Concert champêtre, au Louvre, préfigure déjà Le Déjeuner sur l’herbe de Manet (qui, entre-temps, a fait tomber Vénus de l’Olympe pour dire ce qu’elle est devenue de son temps : L’Olympia).

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La Vénus d’Urbino (1537, à Florence), fixe à jamais la beauté harmonieuse du nu allongé avec main sur le sexe. Vénus avec Cupidon et un organiste (1548, au Prado de Madrid) est un chef-d’œuvre rouge, noir, jaune et blanc, où Titien dit que découvrir la vraie nature de Vénus consiste à savoir jouer de l’orgue et de ses tuyaux, tout en regardant où il faut (la tête du jeune homme est carrément tournée vers le sexe de la blonde charnelle). Jouer, voir, écouter, toucher. Tous les sens sont convoqués sur le théâtre d’amour, ouvrant sur une fontaine, un parc et un ciel lointain.

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Vénus et Adonis ou encore Danaë et Cupidon (apologie masquée de la prostitution). Bacchanales, Bacchus et Ariane, L’Amour sacré et l’Amour profane (ici, lequel choisir ? Les deux).

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Et Flore, la Vénitienne incomparable, cheveux d’or roux, déesse du printemps, tendre incarnat, poitrine :’i peine visible soulignée par la main gauche qui reticn t un brocart rose.

Et La Bella de 1536, que le duc d’Urbino appelle « la dame à la robe bleue », bleu de la robe, roug des manches, blond foncé des cheveux tressés, incarnat de rêve.

Et La Madeleine qui feint de cacher sa nudité pour mieux la révéler.

Et Vénus et Antiope, que Titien appelle « la femme nue au paysage et au satyre ».

Et L ’Éducation de l’Amour (Vénus bandant les yeux de l’Amour).

Et la sauvage Diane à l’arc, dans un paysage de bois en feu, le sein droit dénudé, de La Mort d’Actéon.

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Toutes ces femmes, donc, mais aussi toutes le Vierges, dont la plupart sont sûrement des modèle populaires locaux, la plus vibrante et rouge étant celle de Santa Maria dei Frari (L’Assomption).

On ne sait de quoi il faut le plus s’étonner chez Titien : sa longévité légendaire, sa maîtrise des évènements et des puissances, son sens stratégique des affaires ou, tout simplement (tout simplement !), son génie en peinture résumant celui de Venise et projetant sa lumière intérieure sur tous les tableaux après lui. Contre tous ceux qui ne peuvent voir de vraie réussite que dans l’échec, la réussite absolue de cette vie paraît invraisemblable, elle semble une insulte à nos valeurs religieuses de mort, d’empêchement sentimental, de pauvreté ou de malédiction suicidaire, Rien ne lui fait obstacle : sa croissance est celle du temps lui-même. Comme dans un mythe parfait, jusqu’à sa date de naissance prête à controverse et il est le premier à la dissimuler. Le mystère est pourtant simple : Titien était déjà plus qu’excellent étant jeune (il se vieillissait donc pour paraître sérieux et emporter les commandes), et comme il reste incomparable devenu très vieux, il en rajoute pour avoir la paix, stupéfier ses contemporains et poursuivre à l’écart ses toiles les plus secrètes. Il passera donc pour le. « grand vieillard » centenaire qui continue jusqu’au bout à peindre, alors qu’il meurt seulement, (seulement !) à quatre-vingt-huit ans, en pleine épidémie de peste, en 1576.

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Que fait Titien ? Il comprend, comme personne avant lui, la situation des pouvoirs. Les princes, les empereurs ? On fera leurs portraits à jet continu, on les convoquera sur la toile, on les tiendra par l’image en utilisant leur narcissisme, leur mégalomanie automatique, leurs rivalités. Des ducs de Ferrare, de Mantoue ou d’Urbino à Charles Quint ; des papes à Philippe II, rien de plus simple. Vous croyez exister vraiment ? Moi seul, Titien, peux vous en donner la garantie en volume, en couleur. L’Église ? Elle sera le lieu multiple du vote populaire. Quelles sont les peintures qui ont le plus de succès ? Celles qui sont les plus implorées par la dévotion des fidèles ? Les plus efficaces, donc ? Réponse : L’Assomption, tellement insolite, audacieuse, rouge, enlevée, ivre, qu’elle emporte aussitôt, si l’on peut dire, le morceau. D’un côté le pari aristocratique (les portraits sont immédiatement très célèbres), de l’autre le plébiscite démocratique. Les biographes, fascinés à juste titre, écrivent : « Aucun artiste avant lui n’a jamais osé s’adresser avec autant de clarté et d’insistance à un souverain pour réclamer de l’argent. » Titien sait que la domination par la peinture est une question technique qui prend l’être humain à sa racine. Il invente l’atelier de cette domination, aidé en cela par la plume mobile de l’Arétin, son ami et complice constant, plume acérée et caustique qui fait trembler les coulisses. Quel couple ! Rien ne leur résiste : ils s’activent, ils divisent, ils règnent, pour la plus grande gloire du pinceau.

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Les puissants renâclent bien un peu, mais s’inclinent. Titien sera exempté d’impôts. Ses toiles dictent les identités et l’espace, plus vrai que la réalité, des cours, des amours, des paysages et des caractères. Luther, ce « moine fatal » (Nietzsche), avait bien raison de s’inquiéter, comme ne manqueront pas de le faire, à travers les âges, les puritains ou les iconoclastes de tous bords. En effet : une révolution est en marche. Titien ne se soumet à rien : ni à la religion des masses ni au spiritualisme néo-platonicien des élites. Intraitable sur les affaires, il dispose de ces surimpositions que sont les croyances mythologiques ou philosophiques, il se joue des titres, des systèmes, des sacres, des conciles. Une Pentecôte, une Annonciation ? Mais bien sûr. Des Vénus nues comme on n’ose pas les penser si nues ? Avec plaisir. Des mises au tombeau ? Oui, et avec une sincérité frémissante, encore. Marié ? Père de famille ? Soucieux de la carrière de ses proches ? Aucun problème. Des dîners avec courtisanes ? Lettre de l’ Arétin à Titien, en 1547 : « Une paire de faisans et je ne sais quoi d’autre vous attendent à dîner, en même temps que la signora Angiola Zaffetta et moi ; alors, venez donc, car, en nous voyant prendre continuellement du bon temps, la vieillesse, espionne de la mort, ne rapportera jamais à sa maîtresse que nous sommes vieux. » En 1540, c’est l’historien Jacopo Nardi qui était chez Titien avec l’Arétin et le sculpteur Sansovino : « [...] dans le jardin, dans la partie la plus extrême de Venise, au-dessus de la mer ... Avec un millier de petites gondoles, ornées de ravissantes dames, où résonnaient diverses harmonies et musiques de voix et d’instruments qui, jusqu’à minuit, accompagnèrent notre joyeux dîner. »

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Titien travaille lentement, et parfois très vite. Ses femmes sont déjà les seules que tout le monde veut avoir, un certain roux diffus et sensuel les impose. Ses Dionysos, ses festins de dieux sont éclatants, ses « exquises obliques » finissent d’encercler ses contemporains qui ont l’impression (fondée) d’être les premiers humains à se découvrir et à découvrir la nature. L’Arétin : « Si j’étais peintre, je serais désespéré. » Goethe, plus tard : « Il plaît à tous parce qu’il sait tout dire. » Il n’y a rien de plus différent d’un tableau de Titien qu’un autre tableau de Titien, ce qui fait de lui le plus varié des peintres. « Je voudrais pouvoir, écrit-il un jour à Philippe II, mettre sur la toile l’image de mon cœur. » Il l’a fait. Le cœur est couleurs. Lettre de l’Arétin, 1548 : « Messire Titien me presse avec les plus vives instances et m’enjoint de vous écrire pour vous prier de bien vouloir sans tarder, par amitié, lui faire parvenir une demi-livre de cette laque si ardente et splendide dans sa véritable couleur écarlate qu’à côté d’elle le cramoisi du velours et du satin paraît moins beau. » Voici donc « l’alchimie chromatique » dont tous les grands peintres voudront retrouver la clé : Rubens, Van Dyck, Velasquez, Bernin, Caravage, Rembrandt, Watteau, Goya, Manet, Delacroix, Cézanne... « Il se consacre avec passion à l’amalgame des pigments, comme le montre son très célèbre aphorisme selon lequel il suffit de savoir manier le blanc, le rouge et le noir. » La clé ? Elle se trouve dans l’inscription que Titien a disposée dans sa plus forte Annonciation  : « Un feu qui brûle mais ne consume pas. » Le buisson ardent du désir lui-même, avec Dieu dedans. Dieu au bout des doigts, pulsation directe. Le dernier Titien, en effet, peint de plus en plus avec les mains : « D’une traînée des doigts il mettait une couleur sombre dans un angle, pour le renforcer, en plus d’une traînée rougeâtre, presque comme une goutte de sang. »

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Le sadisme, pourtant explicite, des tableaux de la fin semble échapper aux commentateurs. Ils y voient, bien entendu, plutôt de l’angoisse que de la jouissance (Diane et Actéon, Apollon et Marsyas, Tarquin et Lucrèce). La forêt du pinceau de Titien n’arrête pas de brûler, pendant que des incendies éclatent à Venise et détruisent certaines de ses œuvres les plus importantes. Feu contre feu. La République se bat à la fois contre les Turcs et contre l’hérésie protestante (Titien soutient bien entendu le catholicisme, c’est-à-dire le moindre mal pour sa palette). Le feu s’éteint ? Non, il est plus ardent sous la braise.

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Pour conclure donc, dans la ville ravagée une nouvelle fois par la peste, Titien, dont la maison sera pillée le soir même de sa disparition, obtient d’être inhumé dans la basilique des Frari, son ultime rideau inachevé étant l’incroyable Pietà, puissante, monumentale, fidélité à la Vierge, peut-être, mais surtout à lui-même, toujours.

Sollers sur Véronèse

Cette autre entrée dans son Dictionnaire amoureux de Venise :

Véronèse Paul

1528-1588

Comme Tiepolo, Titien et Tintoret, Paul Véronèse est un des princes de Venise. Il figure un peu partout dans ce Dictionnaire, et la Sérénissime ne peut pas se comprendre sans lui (voir Églises, surtout San Sebastiano).

Il est de Vérone, d’où son nom. Très vite, il est ressenti comme un miracle ou un envoyé de la Providence. Ses couleurs claires, brillantes, émaillées, froides, contrastées, voire acides, illuminent son temps. C’est le peintre le plus proche de Palladio, dont il décore souvent les villas. Titien le soutient. Il s’impose.

[…]

Véronèse est le joyau de Venise. Le Sérénissime, c’est lui.

Un commentateur : « ... une joyeuse sérénité, comme suspendue, dans un calme assouvi. »

Cette idée d’assouvissement est importante. Elle a droit à toute la réprobation moderne, sauf exception.

Par exemple Cézanne :

« Celui-là, il était heureux. Et tous ceux qui le comprennent, il les rend heureux. C’est un phénomène unique. Il peignait comme nous regardons, sans plus d’efforts. En dansant. Des torrents de nuances lui coulaient du cerveau. Il parlait en couleurs. Il me semble que je l’ai toujours connu. Je le vois marcher, aller, venir, aimer, dans Venise, devant ses toiles, avec ses amis... Tout lui rentrait dans l’âme avec le soleil, sans rien qui le sépare de la lumière. Sans dessin, sans abstractions, tout en couleurs... On a perdu cette vigueur fluide que donnent les dessous ... Regardez cette robe, cette femme contre cette nappe, où commence l’ombre sur son sourire, où la lumière caresse-t-elle, imbibe-t-elle cette ombre, on ne sait pas. Tous les tons se pénètrent, tous les volumes tournent en s’emboîtant. Il y a continuité... Le magnifique, c’est de baigner toute une composition infinie de la même clarté atténuée et chaude et de donner à l’œil l’impression vivante que toutes ces poitrines respirent véritablement, mais là, comme vous et moi, l’air doré qui les inonde. Au fond, j’en suis sûr, ce sont les dessous, l’âme secrète des dessous qui, tenant tout lié, donnent cette force et cette légèreté à l’ensemble... L’audacieux de tous les ramages, les étoffes qui se répondent, les arabesques qui s’enlacent, les gestes qui se continuent... Vous pouvez détailler : tout le reste du tableau vous suivra toujours, sera toujours là, présent, vous sentirez la rumeur autour de la tête, autour du morceau que vous étudierez. Vous ne pouvez rien arracher à l’ensemble. »

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Ces propos sont, de loin, les plus beaux et les plus exacts qu’on ait tenus sur Véronèse. À première vue, rien ne semble rapprocher Cézanne du grand Vénitien. Erreur : il s’agit de « la vigueur fluide des dessous ». On a perdu cette vigueur, dit Cézanne, cette « âme secrète des· dessous », bref le liant, la continuité, la sensualité permanente. « Vous ne pouvez rien arracher à l’ensemble. » Autrement dit : rien n’a été vécu et pensé comme séparé.

Véronèse peint une Cène explosive. On est chez Palladio, arcades et colonnes, trois parties somptueuses, tout cela pour le réfectoire de San Giovanni e Paolo (l’idée de peindre une Cène de faste pour surplomber les repas plutôt maigres des moines est aussi extraordinaire que juste : vous mangerez mieux dans l’au-delà, c’est-à-dire avec moi, Véronèse, maintenant, ici). L’Inquisition feint de s’inquiéter (à Venise, il faut vraiment insister pour qu’elle vous poursuive). Que fait ce Christ dans une telle atmosphère de luxe, de dépense, de richesse étalée ? N’y a-t-il pas là, pêle-mêle, des nains, des Noirs, des singes, des perroquets ? La Palestine connaissait-elle Palladio ? Que veut Véronèse avec ces pitreries blasphématoires ? Réponse de l’artiste : « Nous autres peintres, nous prenons les licences que prennent les poètes et les fous. »

L’affaire est vite réglée : il suffit de changer de titre. Et voilà pourquoi nous admirons cette énormité voluptueuse et agitée qui s’appelle Le Repas chez Lévi.

Les Noces de Cana sont aussi une histoire de réfectoire ( celui du monastère de San Giorgio). Comme on sait, ce tableau monumental a donné faim à Bonaparte qui l’a tout simplement volé. Il est au Louvre. Cent trente-deux personnages, dont des musiciens, pour représenter la fondation de l’Eucharistie, voilà qui s’appelle réécrire l’Histoire, à moins de penser que Dionysos et le Christ ne font qu’un, ce qui est proprement vénitien.

Tintoret a son temple : San Rocco. Véronèse a son église (où il est enterré) : San Sebastiano. Il s’est occupé de son monument de 1555 à 1581, ce qui correspond à la quasi-totalité de son actiyité vénitienne. Il a veillé à tout, et a souligné l’importance de la musique en peignant l’orgue. Une fois son chef-d’œuvre fini, il est allé s’allonger, et on peut voir sa dalle funéraire.

Il est dans les plafonds, Véronèse, avec les quatre évangélistes, Jean, Matthieu, Marc, Luc et leurs attributs (aigle, taureau, lion, livre ouvert par un ange). Il passe ensuite au récit qu’on lui a commandé : l’histoire d’Esther qui, bien entendu, doit préfigurer celle de la Vierge (trois grandes toiles, deux ovales une carrée). On est surtout dans le rouge, c’est dramatique et parfait.

Il continue par les murs (une Annonciation, deux épisodes de la vie de saint Sébastien, dont son martyre). Et voici l’orgue. Volets fermés : Présentation de Jésus au Temple. Volets ouverts : La Piscine probatique (sur ce sujet, voir Rimbaud, Proses évangéliques, la piscine de Beth-Saida). Garde-fou : Nativité, Deux vertus féminines. Côtés : Saint Jérôme, Saint François.

Des prophètes, des apôtres, des sibylles, une Vierge à l’enfant de toute beauté, une Crucifixion avec Marie et saint Jean.

Et ça continue : Véronèse dessine lui-même l’autel de l’église. Il en place le retable. Deux grandes toiles pour le presbytère sur la vie de saint Sébastien (beauté du martyre).

On peut difficilement aller plus loin dans l’autocélébration glissée dans une religion : mais c’est précisément (d’où sa mauvaise réputation) ce que permet le catholicisme.

À l’Accademia, l’audace : Allégorie de la bataille de Lépante (1571 environ). En bas, la bataille navale contre les Turcs. En haut, présentation par des saints et des saintes de la Foi, vêtue de blanc (Venise), à la Vierge (ce sont les mêmes).

Une Annonciation (toujours chez Palladio), dans une architecture royale. La Vierge est, depuis longtemps, une patricienne qu’un archange avec lis, suspendu en l’air, ne saurait surprendre démesurément.

Les peintures du Palais ducal sont souvent plus conventionnelles. On retiendra ici L’Enlèvement d’Europe (1580 environ), où une splendide Vénitienne au sein droit dénudé, entourée de ses femmes, exprime, avec une mélancolie déjà amoureuse, à quel point il est délicieux d’être prochainement enlevée par un faux taureau bien sage qui, d’ailleurs, a l’air endormi. A-t-on fait mieux en couleurs ? Impossible.

Sollers sur Vélasquez

VOIR ICI (Vélasquez vu à travers Sollers, Lacan, Foucault, Bacon, Picasso)

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