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Les 70 ans de la République Populaire de Chine

Sollers : La guerre chinoise ; François Jullien : L’Art de la guerre expliqué à l’Occident

D 1er octobre 2019     A par Albert Gauvin - C 8 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


70 ans République populaire.
La force et l’unité de la nation chinoise
au cœur du discours de Xi Jinping

RENMIN RIBAO HAIWAIBAN - PÉKIN

Le secrétaire général du Parti communiste s’est adressé aux Chinois à l’occasion des célébrations du 70e anniversaire de la République populaire. Dans son discours, il n’a pas manqué d’exalter la patrie et d’évoquer la question épineuse de Hong Kong.

Soirée de célébration du 70e anniversaire de la République populaire de Chine : Xi Jinping prononce un important discours.” Au matin du 1er octobre, ce titre en caractères rouges occupe toute la largeur de la une du Renmin Ribao, le “Quotidien du peuple”, organe de presse du Parti communiste chinois, suivi de larges extraits de l’allocution prononcée la veille du grand défilé. “L’unité est de fer, l’unité est d’acier, l’unité, c’est la force. L’unité est pour le peuple et la nation chinoise la garantie d’aller de victoire en victoire pour surmonter tous les défis et les dangers rencontrés sur sa route vers le succès”, a lancé le président chinois.

Il a répété le message usuel selon lequel “Hong Kong est gouverné par les Hongkongais” en application du principe “un pays, deux systèmes”. Il a réaffirmé son attachement à un “développement pacifique des relations entre les deux rives” du détroit de Taïwan ainsi qu’au but “de réaliser l’unité totale de la patrie” – ce qui signifie la réunification avec Taïwan. Cette marche vers l’unité nationale est “une évolution qui est dans la nature des choses et dans le cœur du peuple, et que personne ni aucune force ne saurait bloquer”, a-t-il dit. (Courrier International)

Rappel de principe. Les Honkongais apprécieront.


Ce char est celui de la province du Liaoning, qui a défilé à l’occasion du 70e anniversaire de la République populaire de Chine, le 1er octobre 2019.
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Vu d’Europe (Arte, ce midi).

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Vu d’Europe (Arte, ce soir)

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70 ans de la République populaire de Chine sur arte.tv

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Après avoir vu l’histoire de la révolution chinoise dans notre précédent dossier — Mao était-il fou ? — et le film de Philip Short Mao, une histoire chinoise qui s’achevait sur la Chine de 2006, retour sur la Chine de la période récente sous Xi Jinping.


70 ans de République populaire de Chine, Le Monde.
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Le Monde selon Xi Jinping et la guerre chinoise

Voilà l’image retenue par Philippe Sollers dans l’émission Interdit d’interdire pour qualifier la faute de goût des nouveaux capitalistes chinois (honkongais) qui s’approprient les vignobles bordelais.

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Sollers, comme toujours, manie l’ironie, la même ironie qu’il utilise dans une récente lettre ouverte à Alain Juppé (lettre qui restera sans doute sans réponse étant donné la promotion-surprise dont vient de bénéficier le maire de Bordeaux au Conseil constitutionnel [1]). Plus sérieusement, dans Une conversation infinie, Sollers fait ce constat : « Une chose m’apparaît clairement : plus les Chinois s’occidentalisent, plus les Occidentaux devraient se siniser, ce qui n’est pas le cas [2]. » L’OBS du 14 février vient de publier un dossier très documenté sur « la Chine à la conquête du monde » [3]. J’ai abordé cette question, plus complexe que pourrait le laisser penser une approche simplement économiciste, dans ce dossier que je vous invite à relire — jusqu’au bout — si vous voulez « devenir chinois ».

« Oubliez un moment les prédications morales, destinées, en général, à cacher vos mauvaises actions, et intéressez-vous de plus près à la guerre. Elle a lieu sans arrêt dans tous les domaines, le dernier, brûlant, étant celui des monnaies. Voici donc un nouveau géant qui n’en est qu’à ses débuts : la Chine. Ce n’est pas moral ? Eh non, c’est la guerre. »

Philippe Sollers, La Chine en guerre, 2010.

J’écrivais le 4 juin 2009 à l’occasion du 30e « anniversaire » des événements tragiques de la place Tian’anmen :

A l’heure où la Chine s’affirme comme une puissance économique incontournable, sa conception du développement et du "management" — capitalisme débridé + politique autoritaire — pourrait en séduire et en faire rêver plus d’un parmi les classes dirigeantes occidentales. La Chine contemporaine n’est-elle pas, finalement, une des meilleures illustrations de cette fusion entre le spectaculaire diffus et le spectaculaire concentré que Guy Debord décrit dans ses Commentaires sur la société du spectacle sous le nom de « spectaculaire intégré » — et dont « l’américanisation du monde », contrairement à ce que pensait Debord, ne serait peut-être pas le dernier mot ?
Quand Debord écrit en 1988 : « La société modernisée jusqu’au stade du spectaculaire intégré se caractérise par l’effet combiné de cinq traits principaux, qui sont : le renouvellement technologique incessant ; la fusion économico-étatique ; le secret généralisé ; le faux sans réplique ; un présent perpétuel. », n’annonce-t-il pas autant l’avenir possible d’un modèle chinois de globalisation qu’il décrit le présent des sociétés capitalistes occidentales ? Voilà une hypothèse que certains hérauts de la "démocratie" planétaire — nouveaux candides — n’ont peut-être pas suffisamment pesée. Laissons la question ouverte.
En 1998, Sollers écrivait à propos «  du grand jeu de masques du communisme chinois » : «  Ce dernier est toujours là, mais dans quel état : celui du cynisme policier technique, conforté par des démocraties affairistes malgré le massacre à ciel ouvert de Tiananmen en 1989.
La Chine sera-t-elle, un jour, vraiment démocratique ? Sans doute, mais quand ? Leys écrit : "Il ne fait aucun doute qu’à long terme les Chinois sauront finalement avaler, digérer et totalement transformer le communisme peut-être en conserveront-ils le nom par une sorte de conservatisme purement formel et quelque peu ironique." Le processus est en cours, mais il faut sans cesse y revenir, insister...
 »

Les régimes passent... Les Chinois demeurent [4].

Hu Jintao était alors président de la République Populaire de Chine (élu pour cinq ans en 2003, il le sera à nouveau de 2008 à 2013). Où en sommes-nous aujourd’hui ? Xi Jinping, l’actuel président chinois, également secrétaire général du Comité central du Parti communiste et président de la Commission militaire centrale, a été élu en 2013. Main de fer dans un gant de velours, est-il le successeur du « Grand Timonier » Mao, comme se plaisent à le répéter les médias occidentaux, ou bien le fils spirituel du « Petit Timonier » Deng Xiaoping ? Ou une hypothétique synthèse des deux ? Il vient, semble-t-il, de donner sa réponse.

Lu dans la presse et les médias.
Le 18 décembre 1978, la troisième session plénière du 11e comité central du Parti communiste chinois donnait son feu vert à l’ouverture de la Chine. Quatre décennies plus tard, le chef de l’Etat chinois a décidé de marquer le coup.
Ce mardi 18 décembre 2018, à Pékin, Xi Jinping a salué les progrès réalisés par la nation dans sa course vers la première place économique mondiale.
« Il y a 40 ans, on avait des bons pour acheter des vêtements, pour acheter de la viande, du tofu, du riz, du poisson ; aujourd’hui, ces tickets de rationnement sont au musée », a déclaré le président Xi au palais du Peuple.
Il a répété les mots du père de la politique d’ouverture, Deng Xiaoping : « Sans la réforme, c’est la ruine du socialisme. La politique d’ouverture a conduit à l’éveil du peuple chinois. »
Il a affirmé que « la Chine est désormais au centre de la scène mondiale. Nul de peut dicter sa conduite à la Chine », que Pékin était un « promoteur de la paix mondiale », un « défenseur de l’ordre international » et qu’il « jouait un rôle de premier plan dans la lutte contre le changement climatique » (sic).
Selon Xi Jinping, les 40 dernières années ont été un « bond en avant pour le socialisme avec des caractéristiques chinoises », entraînant le « grand rajeunissement de la Chine à l’époque moderne. » [5]

Cinq ans après Chine, le nouvel empire, de Jean-Michel Carré, un nouveau documentaire, Le Monde selon Xi Jinping, diffusé sur Arte, tente de comprendre ce que François Jullien appelait « les transformations silencieuses » à l’oeuvre depuis quelques décennies. Pour les auteurs, Sophie Lepault et Romain Franklin, la Chine (ne) fait (assez) peur.

Warhol, Mao jaune, 1972. A droite, Xi Jinping.
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Le Monde selon Xi Jinping

Documentaire complet de Sophie Lepault et Romain Franklin (France, 2018, 1h15mn)

Depuis 2012, le désormais "président à vie" Xi Jinping a concentré tous les pouvoirs sur sa personne, avec l’obsession de faire de la Chine la superpuissance du XXIe siècle. Plongée au cœur de son "rêve chinois".
Derrière son apparente bonhomie se cache un chef redoutable, prêt à tout pour faire de la Chine la première puissance mondiale, d’ici au centenaire de la République populaire, en 2049.
En mars dernier, à l’issue de vastes purges, Xi Jinping modifie la Constitution et s’intronise "président à vie". Une concentration des pouvoirs sans précédent depuis la fin de l’ère maoïste. Né en 1953, ce fils d’un proche de Mao Zedong révoqué pour "complot antiparti" choisit à l’adolescence, en pleine tourmente de la Révolution culturelle, un exil volontaire à la campagne, comme pour racheter la déchéance paternelle. Revendiquant une fidélité aveugle au Parti, il gravira en apparatchik "plus rouge que rouge" tous les degrés du pouvoir.
Depuis son accession au secrétariat général du Parti en 2012, puis à la présidence l’année suivante, les autocritiques d’opposants ont réapparu, par le biais de confessions télévisées. Et on met à l’essai un système de surveillance généralisée censé faire le tri entre les bons et les mauvais citoyens. Inflexible sur le plan intérieur, Xi Jinping s’est donné comme objectif de supplanter l’Occident à la tête d’un nouvel ordre mondial. Son projet des "routes de la soie" a ainsi considérablement étendu le réseau des infrastructures chinoises à l’échelle planétaire. Cet expansionnisme stratégique, jusque-là développé en silence, inquiète de plus en plus l’Europe et les États-Unis.

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Impériale revanche

Dans ce portrait très documenté du leader chinois, Sophie Lepault et Romain Franklin donnent un aperçu inédit de sa politique et montrent que l’itinéraire de Xi Jinping a façonné ses choix. De Pékin à Djibouti – l’ancienne colonie française est depuis 2017 la première base militaire chinoise à l’étranger – en passant par la mer de Chine méridionale et l’Australie, les réalisateurs passent au crible les projets et les stratégies d’influence du nouvel homme fort de la planète. Nourrie d’images d’archives et de témoignages (de nombreux experts et de dissidents, mais aussi d’un haut gradé proche du pouvoir), leur enquête montre comment Xi Jinping a donné à la reconquête nationaliste de la grandeur impériale chinoise, projet nourri dès l’origine par la République populaire, une spectaculaire ampleur.

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Une commerçante affiche un portrait du président Xi Jinping sur un marché de Gaobeidian dans la province chinoise de Hebei, le 25 décembre 2017. IMAGINE CHINA / PHOTONONSTOP.

"Le Monde selon Xi Jinping" : "On est bien au-delà d’Orwell"

Romain Franklin, auteur de "Le Monde selon Xi Jinping", remarquable documentaire diffusé sur Arte, révèle le véritable visage du N°1 chinois, un despote habité par une mission historique qui fait froid dans le dos. Interview.

Par Ursula Gauthier
Publié le 18 décembre 2018 à 19h58

Votre documentaire est animé par un fort sentiment d’urgence. Pourquoi pensez-vous que la Chine de Xi Jinping est plus dangereuse que celle de ses prédécesseurs ?

Il existe de fait une menace chinoise sur le monde depuis l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2012. On pensait que la Chine était sortie de son marasme totalitaire avec la mort de Mao, et beaucoup ont cru que c’était sans retour. Or on constate que Xi Jinping opère sur de nombreux points un retour vers le totalitarisme. Et cela ne concerne pas que les Chinois. Pékin ne fait pas mystère de son ambition de devenir la première puissance mondiale en 2049. C’est leur programme officiel. Et il ne s’agit pas que d’économie : ce qu’ils recherchent, c’est aussi et surtout la domination militaire.

Leur objectif affiché est d’évincer les États-Unis, de remplacer le système occidental, fondé sur l’Etat de droit, par leur propre modèle d’hégémonie totalitaire. Ce programme est déjà en cours d’application auprès des pays les plus vulnérables, ceux du tiers-monde. La Chine profite de l’asymétrie énorme de la situation pour arracher à ces pays des concessions politiques en échange d’investissements. Nous avons enquêté sur trois continents – en Chine, en Europe et aux États-Unis – pour comprendre qui est Xi Jinping et comment il compte faire de la Chine la puissance dominante de la planète.

On pourrait vous rétorquer que c’est une lutte entre deux empires comme il y en a eu tant dans l’histoire. Pourquoi pensez-vous que l’issue de celle-ci est capitale pour nous ?

A cause de la nature particulière du régime chinois. Un des intervenants du film, Stein Ringen, professeur de sciences politiques à Oxford et auteur de "La dictature parfaite", le dit très bien : la Chine est devenue une dictature totalitaire. C’est le Parti, non l’État, qui dirige l’armée, les juges sont totalement soumis au Parti, etc. Sous les prédécesseurs de Xi Jinping, le pragmatisme l’emportait. Avec Xi, la dictature idéologique a pris le dessus. Quelle est cette idéologie ? Selon Stein Ringen, c’est le nationalisme. Il ajoute : à partir du moment où une dictature devient idéologique, elle devient dangereuse.

Pourquoi l’hégémonie chinoise est-elle pire que l’hégémonie américaine ?

Si la Chine était un pays démocratique, on pourrait se dire qu’il s’agit d’une simple évolution des équilibres géopolitiques. Mais ce n’est pas le cas : la nature de la Chine en fait une machine infernale. Pourquoi ? Parce que le parti communiste veut contrôler tout ce qu’il touche, toujours plus et sur tous les plans : idéologique, économique, politique, etc. C’est plus fort que lui. On le voit bien aujourd’hui : comme ils n’arrivent pas à contrôler la minorité ouïgoure, ils vont maintenant jusqu’à en mettre un million ou davantage dans des camps de rééducation. Un pays où l’on compte des centaines de milliers si ce n’est des millions de prisonniers politiques, ça dépasse l’entendement.

Ce n’est pas un pays "normal", c’est un régime extrêmement nocif pour les Chinois comme pour le reste du monde. Car ils veulent maintenant changer les règles de l’ONU, changer la définition des droits de l’homme, lui substituer leur propre conception selon laquelle le droit au développement prime tous les autres, et qu’on peut faire l’impasse sur les droits politiques et sociaux. Cette domination, Xi Jinping en parle ouvertement, sous la belle formule de "communauté de destin pour la planète". Le fait que la Chine se projette maintenant au-delà de ses frontières devrait nous alarmer tous.

Le film détaille les nouveaux instruments de contrôle dont le régime s’est doté.

Effectivement, les dirigeants chinois mettent la technologie au service du contrôle idéologique. Nous n’en sommes qu’au début, avec ce système de "crédit social" où chacun se voit attribuer un certain nombre de points, qui augmentent si on adhère au Parti, qui diminuent si on critique le gouvernement ou si on ne traverse pas dans les clous… Les mal notés ne pourront pas voyager hors de Chine, ou même en Chine, ne pourront pas obtenir de prêts à taux réduit, etc. Ce moyen de contrôle sidérant qui sera généralisé en 2020 s’appuie sur un recours massif aux technologies de pointe. Les critères de notation seront ajustés au fur et à mesure, probablement en fonction des situations locales. En tout cas, il y a là une volonté de contrôle totalitaire sur la population, et un instrument qui permettra, quand il sera exporté, de propager leurs "valeurs" et de détruire les nôtres. La Chine de Xi Jinping, c’est l’Union soviétique avec la puissance économique chinoise et les moyens technologiques des GAFA… Mao voulait contrôler le monde, il voulait créer un "paradis communiste" au niveau de la planète, mais il n’en avait pas les moyens. Xi Jinping, lui, les a.

Un cauchemar orwellien…

On est bien au-delà d’Orwell. Je crois que les gens ne se rendent pas vraiment compte du péril que nous affrontons. Pour beaucoup, la Chine, c’est encore un pays exotique et inoffensif. Qui sait par exemple que la Chine a acheté 10% des capacités portuaires de l’Europe ? Elle n’a pas perdu de temps pour traduire son poids économique en pouvoir politique : il y a en France même des hommes politiques – un ancien premier ministre, un ancien ministre des Affaires étrangères... – qui sont devenus des porte-parole de la Chine. En échange de quoi ? On ne le sait pas.

De façon surprenante, ils se font les avocats d’un régime totalitaire. Ce film est un signal d’alarme pour dire : la Chine est là et elle ne nous veut pas du bien. Quand je dis "la Chine", je ne parle ni du peuple chinois ni de la civilisation chinoise. Je parle d’une dictature fermement décidée à diffuser son virus et saper l’État de droit. J’espère que ce film pourra réveiller les hommes politiques français et européens. Dans un discours en Nouvelle-Calédonie l’année dernière, Emmanuel Macron a mentionné deux fois "l’hégémonisme chinois." C’est une formule très forte. Mais dans l’ensemble en France, on sommeille encore… En Europe, on voit un début de prise de conscience et même un début de lever de bouclier. Le vice-chancelier allemand, Sigmar Gabriel, l’a clairement dit dans un de ses discours : vous croyez que les nouvelles routes de la Soie sont une sorte d’aventure à la Marco Polo ? Pas du tout. C’est une volonté de contrôler le monde et de saboter l’idéal démocratique sous toutes les latitudes, a-t-il expliqué.

C’est aux Etats-Unis que la prise de conscience est la plus forte…

Oui, les États-Unis ont été parmi les premiers à comprendre ce qui se passait, ils en sont même à la phase de la contre offensive. C’est assez paradoxal, car la coopération a longtemps été très forte entre les États-Unis et la Chine dans les années 80, y compris sur le plan militaire. De plus, les deux économies étant complémentaires, les Américains ont été très longtemps persuadés que la Chine allait progressivement se rapprocher du modèle démocratique. Or avec la modification de la constitution cette année qui fait de Xi Jinping un président à vie, ils ont compris qu’il n’y aurait jamais de démocratisation chinoise. Ajoutez à cela le "programme 2025" qui vise à transformer cette dictature en géant de l’innovation contrôlant toutes les technologies de pointe y compris militaires qui gèrent la marche du monde – reconnaissance faciale, intelligence artificielle, etc.

Et l’on comprend que la Chine est devenue une rivale si redoutable des États-Unis qu’un duel à mort s’est engagé. Tout à coup, les prémisses de la coopération américano-chinois qui ont servi de base à l’ordre mondial se sont volatilisées. C’est très récent, ça remonte à deux ans. A partir du moment où Xi a déclaré son programme 2025 de domination technologique et qu’il s’est fait nommer président à vie, cette base relativement saine de coopération a disparu. La guerre qui vient de s’amorcer entre les deux super puissance n’est pas seulement commerciale. Un de nos intervenants, Jean-Pierre Cabestan, dit que nous sommes face à "une guerre idéologique existentielle". Nous allons devoir l’affronter sans trop savoir comment, car c’est une première historique.

Y aura-t-il une guerre déclarée ?

Personne n’en sait rien. Les États-Unis de Trump exigent en ce moment de la Chine des changements structurels qui reviendraient à invalider le programme visant à supplanter les États-Unis et dominer le monde. Ce que Xi Jinping a appelé "le rêve chinois". Mais c’est impossible, la légitimité de Xi Jinping au sein du Parti en dépend. C’est ce que les historiens appellent le piège de Thucydide, quand l’émergence d’une nouvelle puissance ébranle l’hégémonie de la puissance installée et se règle par la guerre. On le voit en Mer de Chine du Sud, où la Chine a créé des bases militaires sur des îlots artificiels : les navires, les avions des deux pays sont dangereusement proches de la confrontation.

La Chine a maintenant une base militaire à Djibouti, après avoir proclamé qu’à la différence des pays "impérialistes", elle n’aurait jamais de base à l’étranger. Nous savons qu’elle veut en créer d’autres. La confrontation est donc inévitable. Sera-t-elle militaire ? On n’en sait rien. Mais il est désormais clair qu’une grande division s’installe dans le monde, les régimes autoritaires et les dictatures d’un côté, et de l’autre les démocraties qui tentent de résister et de préserver leur suprématie. Jusqu’ici, les démocraties jouissaient de la supériorité économique et technologique. Or dans le monde qui s’annonce, ce sont des dictatures qui risquent d’avoir cette double supériorité. Ce monde-là, que personne ne connaît, est forcément un cauchemar.

Qu’est-ce que ce film vous a permis de découvrir ?

C’était un film impossible à faire. Personne n’aurait osé donner à des journalistes étrangers l’autorisation de tourner un film sur le président. Je rappelle que la Chine a kidnappé cinq éditeurs à Hong-Kong début 2016 parce qu’ils avaient publié une biographie non autorisée de Xi Jinping. Nous avons interviewé pour ce film l’un d’entre eux qui avait réussi à s’évader. Il confirme le propos d’un dissident qui m’a expliqué : la police est d’accord pour que je donne quelques interviews, mais elle interdit totalement que je cite des noms de dirigeants. Quand on parle de Xi Jinping, il faut dire "le leader", "le dirigeant". Son nom est tabou. Il a donc fallu faire le film de manière clandestine, c’était le seul moyen. Le plus compliqué a été de trouver des interlocuteurs officiels qui veuillent bien parler. On y est arrivés, on s’est débrouillés, je ne peux en dire plus. Parmi ceux-ci, le plus remarquable est le colonel Liu Mingfu. Nous voulions le voir parce qu’il est l’auteur d’un livre intitulé "Le rêve chinois", paru deux ans avant que Xi Jinping n’arrive au pouvoir, et ne se saisisse de cette formule pour en faire l’idéologie officielle.

On a vu débarquer un militaire d’apparence assez loufoque, qui veut damer le pion aux États-Unis par tous les moyens. Il ne serait pas contre une déclaration de guerre demain matin. De même, il veut reprendre Taïwan par la force. Il m’annonce qu’il veut arroser les centrales électriques de l’île avec une pluie de missiles, dégager les champs de mine avec des porte-containers arraisonnés pour l’occasion. Il a tout un plan d’attaque… Son objectif, c’est un retour à la Chine impériale, cette Chine imaginaire qui aurait d’après lui dominé le monde au XVIIe siècle. C’est un ultra nationaliste, et pourtant il a l’aval des autorités. Il a publié en 2018 un livre sur la pensée de Xi Jinping, ce qui est impossible s’il n’a pas un soutien à 100%. Il enseigne à l’université nationale de défense. Il a l’oreille du pouvoir. Ses idées sous tendent certainement celles du pouvoir actuel. Ce qu’il dit c’est très probablement ce que pense Xi Jinping sans le dire. D’où l’on comprend que la nouvelle idéologie chinoise, ce n’est plus le communisme, mais le nationalisme. La dictature de gauche est devenue une dictature de droite armée de gigantesques moyens économiques et désormais militaires. Nous avons trouvé des images vraiment très impressionnantes d’exercices militaires qui font froid dans le dos.

La Chine de Xi Jinping ressemble-t-elle encore à celle que vous avez connue par le passé ?

Le changement est dramatique. Il y a de moins en moins de gens qui peuvent parler. C’est presque impossible de trouver des intellectuels qui acceptent d’accorder une interview à un journaliste étranger, surtout s’il s’agit de causer du président. On les compte sur les doigts d’une seule main ! Xi Jinping a réussi à museler absolument tout le monde à travers ses campagnes anti-corruption. Il y a dix ans, tout le monde avait envie de parler, on n’avait aucun mal à trouver des témoignages. C’est fini. La Chine est redevenue une sorte de vortex, de trou noir où il n’y a plus moyen de savoir ce qui se passe.

C’est d’ailleurs voulu par Xi Jinping qui a fait adopter des lois encore plus draconiennes sur le secret d’État. Il ne veut pas qu’on sache ce qui se passe en Chine, surtout au Xinjiang où les Ouïgours sont soumis à une terreur absolue loin des yeux du monde. Mais aussi au cœur des métropoles, où par exemple les archives sont fermées d’après ce que nous disent les historiens, etc. Ils sont en train de dresser de nouveau une grande muraille, tout en voulant conquérir le monde. C’est paradoxal et très inquiétant.

Propos recueillis par Ursula Gauthier, L’OBS du 18 décembre.

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Giuseppe Castiglione (1688-1766), Machang taillant l’armée en pièces, 1759.
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Essayons de voir les choses d’un peu plus loin. Ouvrons Guerres secrètes, l’essai que Sollers a publié en même temps qu’Un vrai roman, ses Mémoires en 2007. Le quatrième chapitre est consacré à « la guerre chinoise ». Je n’ai pas lu beaucoup de commentaires à son sujet. Pourtant, il nous parle de l’actualité.

Il faudrait tout citer ; je me contenterai de cet extrait :

La guerre chinoise

Extrait.

[...] Les noms des grands peintres chinois ne nous sont connus que depuis quelques années. C’est la même chose pour la conception chinoise de la guerre, qui recoupe sur certains points ce que nous savons par Machiavel et Clausewitz, mais qui s’en éloigne considérablement sur le plan métaphysique. Ma formule à ce sujet corrige donc celle qu’on cite toujours à propos de Clausewitz. J’estime en effet que, pour la Chine, la guerre est la continuation de la nature par d’autres moyens. La politique se dissout ici dans un art qui tend à coïncider le plus possible avec les phénomènes naturels.
Ouvrons L’Art de la guerre, livre essentiel, très ancien. Deux auteurs, et deux traités dont on sait de façon sûre aujourd’hui qu’ils n’étaient pas de la même main : Sun Wu (ou Sunzi), qui écrivait entre cinq et sept siècles avant notre ère, et Sun Bin, entre cinq et trois siècles avant notre ère. Sunzi n’est connu en Europe que depuis 1772, dans la traduction du Père Jean : Jacques Amiot.
Son présentateur récent, Michel Jan [6], souligne que ces deux textes majeurs sont tombés totalement dans l’oubli, de la Révolution française à la Seconde Guerre mondiale :

La stratégie directe, la nature des affrontements entre les armées durant le conflit européen sont d’un caractère tout autre, dominé par des approches frontales, une volonté d’anéantissement, le peu de souci d’économie des vies des hommes et des moyens. La référence est Clausewitz, en même temps qu’un nouveau genre de conflit à caractère absolu. Sur les territoires lointains, la supériorité militaire des Occidentaux les détourne de toute remise en cause des méthodes brutales de leur conquête. L’effondrement de l’Empire chinois au début du XXe siècle ne contribue pas à accorder à la culture chinoise l’intérêt qu’on lui avait témoigné au XVIIIe siècle.

Nous assistons encore aujourd’hui, en 2007, à un art de la guerre pratiqué avec la plus extrême brutalité par les États-Unis, pendant que les Chinois, première puissance mondiale dans les années qui viennent, ne font pas le moindre bruit et attendent que les conséquences délirantes du monoto­nothéisme et de la métaphysique qui lui est lié — qui ne fait que s’approfondir dans sa propre perversion —, aient achevé de produire tous leurs effets. Nous sommes bel et bien dans une guerre qui semble permanente, mais dont le secret échappe à la plupart des observateurs.
Depuis plus d’un siècle, la Chine est peu à peu réapparue sur la scène mondiale. Une révolution sanglante et un récent bond économique sont les événements les plus marquants de ce « réveil ». En termes stratégiques, il marque la réapparition de la vieille mémoire des arts de la guerre. Mao était-il un lecteur de Sunzi ? On en débat encore. Mais l’observation que les Chinois font aujourd’hui de leur adversaire occidental, auquel ils reprennent ses propres armes économiques, a tout d’une stratégie indirecte très maîtrisée, beaucoup plus que d’une simple imitation.
La mort et la folie sont toujours les piliers du monde occidental, dont l’imaginaire apocalyptique est évidemment lié au vertige nucléaire. En ce sens, l’apparition du terrorisme et de ses bombes humaines apparaît comme quelque chose de nouveau, une explosion à l’intérieur même du monotonothéisme. Cela déroute intensément le concept traditionnel de guerre d’affrontement, de stratégie directe. On voit tout de suite les limites lourdes de cette stratégie, sans parler du fait qu’elle produit l’adversaire qui lui est nécessaire pour continuer à exister.
Raymond Aron trouve qu’il y a eu deux innovateurs considérables par rapport à Clausewitz : Tho­mas Edward Lawrence et Mao Zedong. Les gens qui ont eu la possibilité d’appliquer des innovations stratégiques dans la réalité, sont bien en effet Lawrence d’Arabie et Mao. Le premier — traducteur de L’Odyssée, ce qui n’est pas sans avoir quelque rapport avec notre sujet — affirmait qu’il fallait considérer le désert comme un océan, pratiquer la guerre de harcèlement comme guérilla, épuiser l’ennemi dans sa conception du conflit frontal et direct, le « forcer à manger sa soupe avec un couteau ». Quant à Mao, ce fut un grand criminel, personne n’en doute... Mais remettre en cause ses talents militaires me paraît bien léger.
Contrairement à ce qu’on a dit, il est très probable que Mao avait lu et travaillé Sunzi. Michel Jan rappelle ainsi qu’en 1936, dans « Problèmes stratégiques de la guerre révolutionnaire », Mao médite l’un des préceptes les plus connus de L’Art de la guerre : « Connais ton adversaire et connais-toi toi-même, et tu pourras sans risque livrer cent batailles. » Que Mao ait lu ou non Sunzi, il connaît évidemment, d’instinct, la vieille tradition de la stratégie indirecte. Il a en outre un génie militaire indéniable, ce qui n’est pas le cas des deux autres grands criminels du XXe siècle : dans l’ordre, comme il faut toujours les citer, Staline et Hitler.
On voit donc se dessiner l’enjeu militaire planétaire du XXIe siècle : il opposera les États-Unis à la Chine. Nous sommes dans une Quatrième Guerre mondiale, la troisième ayant été gagnée contre les Russes, à la fois par les Américains, pour la force de frappe et la guerre des étoiles, les Anglais, pour l’espionnage, et Jean-Paul II, pour le combat spirituel. Avec les Chinois, cela va être une autre paire de manches.
Au moment de la guerre de Corée, MacArthur avait proposé d’en finir, avec la bombe atomique. L’Indochine, puis le Vietnam, ont apporté à la stratégie directe occidentale le plus cinglant démenti. Puis avec la guerre d’Algérie, on a vu achever de se défaire le génie militaire qui avait inspiré Clausewitz. C’est le moment où l’armée française est devenue un corps vidé de sa substance. De Gaulle a eu l’intelligence stratégique de reconnaître l’existence de la Chine. Lors de leur rencontre, Mao a demandé à Malraux de lui parler de Napoléon...

Il y a une guerre incessante : celle qui nous saute à la figure à travers le terrorisme déchaîné par la stratégie directe. Et une guerre plus secrète qui se mène sans cesse, pas seulement économique, et dont les Chinois sont en train de tirer la plupart des fils. Si l’adversaire est unilatéral, je vais faire du multilatéralisme ; comme l’adversaire est capitaliste, je vais devenir encore plus capitaliste. Pratiquer la défensive stratégique, utiliser la force de l’adversaire pour la retourner en ma faveur. Le Chinois s’appuie d’instinct sur la compréhension interne de ce que l’adversaire ose, veut, calcule et est obligé de faire. Il mène une guerre défensive qui peut durer une éternité : sa conception du temps n’est pas la nôtre. Cette guerre peut se prolonger indéfiniment pour user l’adversaire. Elle ne cherche pas l’anéantissement, mais la domination [7]. C’est donc en prenant le point de vue chinois qu’on voit l’histoire de la métaphysique s’achever dans sa propre perversion : dans le nihilisme accompli, qui peut tout à fait être emprunté par la logique chinoise sans qu’elle sorte réellement de sa propre substance. L’être, le non-être, le néant sont redistribués autrement.
Michel Jan note ainsi qu’au lieu de « se laisser entraîner dans une course aux armements qui leur serait économiquement fatale », les Chinois excellent aujourd’hui à appliquer leurs principes millénaires dans les domaines de la diplomatie et de l’économie. Les rapports économiques illustrent parfaitement, selon lui, le principe exposé par Sunzi sur la duperie dans la guerre, phénomène qui est à régler de façon naturelle, malgré les embardées toujours possibles. Voici le texte de Sunzi. Il est fondamental :

Le recours à la duperie est un principe à observer dans la guerre. Par conséquent, quand vous êtes capable de désirer livrer combat, vous devez tâcher de vous montrer inapte et indifférent. Quand vous voulez rester sur place ou aller loin, feignez le contraire. Quand l’adversaire est cupide, faites­ lui miroiter des gains. Quand l’ennemi est en désordre, prenez-le d’assaut ; quand il est en position solide, prenez garde à lui ; quand il est puissant, évitez de le rencontrer ; quand il est arrogant, cherchez à le faire fléchir ; quand il est prudent, incitez-le à l’arrogance ; quand il est dispos, cherchez à le harceler ; quand il est solidaire, efforcez­ vous de semer la discorde dans son sein. Attaquez l’ennemi à l’improviste, quand il n’a fait aucun préparatif. Il est impossible de donner un modèle établi des secrets de l’art de la guerre. [8]

Les manœuvres sont des manœuvres de compréhension. Elles ne doivent pas nécessairement préparer à la bataille. « Connais ton adversaire, connais-toi toi-même. » L’adversaire d’abord. Qui ne voit que c’est la subjectivité qui est ici contournée ? On comprend tout de suite pourquoi la métaphysique occidentale est rétive à la sagesse chinoise, comme elle l’est par ailleurs à Homère ou Pindare. Raison pour laquelle elle débouche sur le nihilisme aveugle où les Chinois la laissent aujourd’hui s’empêtrer.

Je citais Houai-nan-tseu, stratège du IVe siècle av. J.-C., en exergue de mon Éloge de l’Infini. Il me paraît opportun de le faire à nouveau. Le jeu des citations commence, et il est essentiel dans la pensée chinoise. Au lecteur de trouver des échos avec tout ce qui vient de lui être dit :

Tout l’art de la guerre consiste à manifester de la mollesse pour accueillir avec fermeté ; à montrer de la faiblesse pour faire valoir sa force ; à se replier pour mieux se déployer au contact de l’ennemi. Vous vous dirigez vers l’ouest ? faites semblant d’aller vers l’est ; montrez-vous désunis avant de manifester votre solidarité ; présentez une image brouillée avant de vous montrer en pleine lumière.
Soyez comme les démons qui ne laissent pas de traces, soyez comme l’eau que rien ne peut blesser. Là où vous vous dirigez n’est jamais là où vous allez ; ce que vous dévoilez n’est pas ce que vous projetez, de sorte que nul ne peut connaître vos faits et gestes. Frappant avec la rapidité de la foudre, vous prenez toujours à l’improviste. En ne rééditant jamais le même plan, vous remportez la victoire à tout coup. Faisant corps avec l’obscurité et la lumière, vous ne décelez à personne l’ouverture. C’est là ce qu’on appelle la divine perfection.

Faites-vous en quelque sorte insaisissable, invisible. Ulysse écoute cela avec intérêt. Toute guerre est divine. Elle procède de cette invisibilité qui soudain surgit et « frappe avec la rapidité de la foudre ». Nous avons compris cela en voyant agir Ulysse. Mais ce principe prend chez les Chinois une dimension cosmique, où l’héroïsme lui-même a disparu. Le divin est mis ici à une tout autre enseigne que cette volonté de faire beaucoup de bruit pour rien, qui mène aujourd’hui l’Occident d’échec en échec. Ce divin s’accorde avec la violence des dieux grecs. Mais il achève de la confondre avec la nature redoutable et douce. [...]

Pour les Chinois, une bataille a déjà eu lieu au moment où elle commence. Il y a là quelque chose qui devrait nous alerter. À la limite, la guerre la plus subtile est qu’il n’y en ait pas. L’essence de la guerre réside dans ce fait : au moment de l’engagement, c’est déjà fini.

Philippe Sollers, Guerres secrètes, 2007, Folio 4995, p. 314-321 et 358.

Autre extrait de « la guerre chinoise » ici (p. 327-332)

*

Guerres secrètes est de 2007. La même année, François Jullien tenait une conférence sur L’Art de la guerre en Chine. En janvier 2008, Sollers et Jullien dialogueront dans En passant par la Chine. Au début de cet entretien, Sollers affirmait : « Les livres majeurs de François Jullien (le Détour et l’Accès, Figures de l’immanence, Un sage est sans idée, Traité de l’efficacité...) recoupent depuis le début mes propres interrogations sur la Chine. »

L’Art de la guerre expliqué à l’Occident

par François Jullien, conférence à l’École Centrale de Marseille, 2007.

L’extériorité de la langue et de la civilisation chinoise.
A quoi nous invite la pensée chinoise ?
A revenir sur ce que nous ne pensons plus dans notre propre pensée.
La Grèce et la Chine. Modélisation ou maturation. Efficacité et stratégie.
L’Art de la guerre en Chine. Sunzi. Le potentiel de situation.
L’Europe et l’action épique. La Chine et la transformation silencieuse.
L’action est locale, la transformation est globale.
La Chine d’aujourd’hui. La transformation silencieuse de Deng Xiaoping et du PCC.
Dissymétrie : la Chine sait aujourd’hui modéliser. Nous ne comprenons pas les transformations silencieuses. Un exemple : le réchauffement climatique.
Faire travailler les écarts et les ressources.

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LIRE AUSSI : Marcel Detienne, De l’efficacité en raison pratique. Approches comparatives : À propos d’un aller-retour : Grèce-Chine. pdf

*

Vient de paraître.

La Chine en guerre

Du VIIIe siècle au IIIe siècle avant notre ère, la Chine est le théâtre de guerres incessantes entre principautés, guerres qui ne prendront fin qu’avec l’avènement et la consolidation de la dynastie des Han. Pratiquant à l’origine une forme de combat « courtois » fortement codifié et ritualisé, les princes militarisent progressivement la société : mobilisant des centaines de milliers d’hommes, les armées chinoises développent alors une véritable science de l’intendance, de la topographie et de la manœuvre. Pour nourrir ces bouches, armer ces bras et protéger ces torses, pourvoir à l’acheminement des vivres et des équipements, la société dans son ensemble en vient à fusionner dans un État organisé sur un mode militaire.
C’est dans ce contexte qu’une pensée originale de l’art du combat émerge, dont Sun Tzu est l’illustre représentant. Celle-ci interroge la légitimité de la guerre, jugée profondément « immorale » dans son essence, rejoignant ainsi des préoccupations étonnement modernes.

Équipement, tactique, entraînement, chaîne de commandement : découvrez les pratiques martiales et les paradoxes de la pensée stratégique de l’Empire du milieu.

Jean Levi est sinologue, directeur de recherche honoraire au CNRS, spécialiste du taoïsme, des théories politiques et de la réflexion stratégique en Chine ancienne.

*

La Chine en guerre, l’ouvrage pour comprendre la période de Sun Tzu.

Sinologue émérite, traducteur de la plupart (si ce n’est la totalité) des grands traités militaires de la Chine antique, Jean Lévi livre aujourd’hui une synthèse de la pensée militaire chinoise durant la dynastie des Zhou orientaux (qui couvre la période des Printemps et Automnes (-722 à -453) et celle des Royaumes Combattants (-453 à -221)). La Chine en guerre vient en effet de paraitre aux éditions Arkhé, et autant le dire d’emblée, il y a longtemps que nous attendions un tel ouvrage.

Jean Lévi étudie comment le concept de guerre a évolué depuis les premiers temps de la civilisation chinoise jusqu’à l’unification de l’Empire en 221 av. J.-C., passant d’une forme proche de nos guerres en dentelles à une industrialisation de la société cherchant à intégrer la possibilité permanente de conflit armé avec ses voisins. Le livre explore à ce titre en détail le glissement d’une idéologie où la tromperie est bannie car contraire à l’esprit de chevalerie, à celle où cette tromperie est acceptée, et même portée aux nues, car promettant la possibilité d’une victoire sans effusion de sang.

Dans la deuxième partie de l’ouvrage, Jean Lévi montre comment les anciens Chinois – ou du moins les grands textes de cette période qui nous sont parvenus – traitent de la guerre « juste », et de la justification de l’usage de procédés contraires à la morale.

Un glossaire et la présentation de quelques batailles emblématiques (Guiling 354 av. J.-C., Maling 341 av. J.-C. et Changping 260 av. J.-C.) viennent compléter l’étude.

Cet ouvrage n’est pas le premier à traiter de la conception de la guerre dans la Chine ancienne – Valérie Niquet l’avait par exemple esquissé en 1997 dans Les fondements de la stratégie chinoise [9]. Mais Jean Lévi le fait à partir de son étude personnelle des textes anciens. En véritable sinologue, il ne se contente pas de traduire ce que les historiens chinois modernes écrivent, mais livre sa propre vision de la question.

Nos connaissances personnelles ne nous permettent absolument pas de remettre en cause la moindre ligne de ce qui est présenté [10]. L’érudition de Jean Lévi sur le sujet apparait incontestable : sa traduction commentée des textes chinois, œuvre véritablement encyclopédique, fait de lui un connaisseur intime du sujet et une référence indiscutable.

Sur la forme, le propos est construit à partir de citations des textes de l’époque qui nous sont parvenus. Comme à son habitude, l’auteur possède un style littéraire indéniable et maîtrise l’art de la formule.

Un livre de référence, donc, sur l’art de la guerre dans la Chine antique. (suntzufrance)

*

[1] Alain Juppé a répondu. Cf Juppé plaide non coupable.

[2Cf. La Chine de Sollers dans « Une conversation infinie ». Signalons au passage, après la traduction en Chine de La Guerre du Goût, celle d’Eloge de l’infini.


Eloge de l’infini, 2019.
ZOOM : cliquer sur l’image.
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[4Cf. Le printemps de Pékin dont je suis curieux de savoir ce qu’on en dira en juin prochain, quarante ans après.

[6Sunzi, L ’Art de la guerre — Sun Bin, L ’Art de la guerre, préface de Michel Jan, Éditions Payot & Rivages, coll. « Rivages poche / Petite Bibliothèque » 2004, p. 8.

[8Ibid., p. 19.

[9Valérie Niquet, Les fondements de la stratégie chinoise, Economica, 1997. Le périmètre des deux études ne se recouvre toutefois pas rigoureusement car, à travers ses 85 pages, l’ouvrage de Valérie Niquet cherche à présenter l’évolution de la pensée stratégique chinoise sur toute l’histoire du pays, des premiers temps jusqu’à nos jours.

[10La vision du traité de Sun Tzu apportée par Jean Levi est très différente de la nôtre : plus authentique, sa lecture cherche à rendre ce que le stratège chinois a voulu dire et non, comme nous le faisons, ce que nous, lecteurs occidentaux contemporains, pouvons en retirer.

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8 Messages

  • Albert Gauvin | 26 mars 2019 - 21:00 1

    600 ans après un premier échec, Xi Jinping relève le défi

    Pour la deuxième fois de son Histoire, la Chine se lance à la conquête des océans avec le projet faussement appelé Nouvelles Routes de la soie.
    Peu soucieux de commerce caravanier, le président Xi Jiping met ses pas dans ceux de l’empereur Yongle qui envoya en 1405 une énorme « Flotte des Trésors » jusqu’en Afrique. Cette tentative fit long feu et l’« Empire du Milieu » se replia vingt ans plus tard à l’intérieur de ses frontières... LIRE ICI.


  • Albert Gauvin | 26 mars 2019 - 12:05 2

    Visite de Xi Jinping : Macron, Merkel et Juncker cherchent une unité européenne

    Réunis ce mardi à Paris face au dirigeant chinois, les trois leaders se rassemblent autour d’une « stratégie cohérente dans le dialogue avec la Chine ». LIRE ICI.

    Visite de Xi Jinping en France : 40 milliards d’euros de contrats signés.

    Outre la méga commande de 300 avions Airbus, Emmanuel Macron et Xi Jinping ont annoncé plusieurs contrats et investissements réciproques dans les domaines de l’énergie, des transports, de l’agriculture, de la banque et des finances…représentant au total une quarantaine de milliards d’euros. LIRE ICI.


  • Albert Gauvin | 16 février 2019 - 01:33 3

    Vins de Bordeaux : Philippe Sollers fustige les noms chinois, Juppé plaide non coupable

    Alain Juppé, encore maire de Bordeaux pour quelques jours, vient de plaider non coupable dans l’"affaire consternante" soulevée par l’écrivain Philippe Sollers, natif de Gironde : des noms de châteaux viticoles rachetés par des Chinois prennent des noms chinois.

    L’écrivain natif de Talence, près de Bordeaux, a récemment reproché sur son blog à l’élu d’avoir "validé l’incroyable changement de noms de certains vins du terroir".

    Dans cette lettre ouverte, il s’explique : des châteaux viticoles du bordelais, rachetés par des Chinois, ont changé de nom pour devenir "le lapin impérial, le lapin d’or, l’antilope tibétaine et la grande antilope". "N’y a-t-il aucun moyen de réattribuer ce vin à sa source légitime, fixée par les siècles ?", interroge-t-il.

    Dans une lettre à l’écrivain datée du 11 février dont l’AFP a eu copie, M. Juppé — en partance pour le Conseil constitutionnel — a choisi l’humour pour saluer "l’honneur" qui lui était fait "en m’accordant des pouvoirs que je n’ai pas".

    "Je vous confirme que je n’ai pas été consulté lors du classement (des grands crus) de 1855 ni dans ses amendements ultérieurs", écrit-il, "pas davantage consulté pour le choix des étiquettes ou le dessin des tenues traditionnelles des confréries". Et d’inviter Philippe Sollers "à poursuivre cette conversation autour d’un verre... de Bordeaux" qui précise-t-il, est le vin "le meilleur au monde".

    Le CIVB (Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux) a de son côté expliqué à l’AFP n’avoir également rien à voir dans l’affaire. "Chacun est libre d’adapter un nom de château qui s’accorde le mieux à sa clientèle", dit son porte-parole Christophe Chateau. Sur 9.500 propriétés, 140 châteaux ont été rachetés par les Chinois et "5 ou 6" ont changé de nom, précise-t-il. Tout comme une propriété rachetée par l’industriel avionneur est devenue "Château Dassault".

    Quant à l’appellation, elle ne bouge pas et l’on boira toujours du Margaux, Pomerol, Saint-Emilion....

    15/02/2019 - Bordeaux (AFP) - © 2019 AFP - Medias24.


  • Albert Gauvin | 14 février 2019 - 14:52 4

    Lu dans Une conversation infinie (Sollers/Savigneau), p. 140, chapitre « La Chine » :

    « Dans la Chine contemporaine, ce qui est convoqué c’est Confucius. Une normalité rétablie. Les rites, l’ordre, la prééminence des hommes sur les femmes. Ce n’est pas du tout : "les femmes sont la moitié du ciel", comme le disait Mao. Les Chinoises se sont émancipées et ont joué un rôle important dans la révolution. » CQFD.


  • Albert Gauvin | 22 décembre 2018 - 22:01 5

    ... Ce en quoi, et n’en déplaise aux journalistes pressés, Xi Jinping ne peut être vu comme le simple continuateur de Mao qui déclarait, dans les années trente, à Edgar Snow : « Le matin de bonne heure et le soir, je travaillais à la ferme. Dans la journée, je lisais les Entretiens de Confucius et les Quatre Classiques. Mon maître de chinois appartenait à l’école du traitement rigide. Il était dur et sévère, et battait souvent ses élèves. A cause de cela, je m’enfuis de l’école quand j’avais dix ans. » Cf. Philippe Sollers, Mao contre Confucius. On n’en a pas fini avec cette histoire.
    « Surprenant Confucius : je doute qu’un officiel politique chinois d’aujourd’hui ou un milliardaire affairé comprenne vraiment ce que ce curieux philosophe entend par "humanité" (ren) ou par "homme de bien" (junzi), termes qui renvoient à des réalités beaucoup plus profondes que "droits de l’homme" ou "honnête homme" ».


  • Jean-Michel Lou | 22 décembre 2018 - 15:55 6

    en ce qui concerne l’instrumentalisation du confucianisme, Xi Jinping se situe parfaitement dans la tradition impériale deux fois millénaire...


  • Albert Gauvin | 22 décembre 2018 - 13:09 7

    François Jullien dit bien que la Chine actuelle a, en quelque sorte, réussi la "synthèse" entre la "modélisation" occidentale (dès Mao) et sa pratique ancestrale. Concernant "les transformations silencieuses", il se réfère, à tort ou à raison, à la période Deng Xiaoping. Nous sommes certes bien loin du Zhuangzi qui nous est cher. On assiste plutôt au retour d’un certain confucianisme. Comme le remarquait François Bougon en 2016 :

    Mao peut bien se retourner dans son mausolée place Tiananmen : la propagande ne craint plus désormais de célébrer l’utilisation par Xi Jinping des Entretiens (Lunyu en chinois) de Confucius, mais aussi plus largement des classiques. Un livre a même été publié en 2015, Xi Jinping yong dian (« Xi Jinping connaît ses classiques », éditions du Quotidien du peuple), pour recenser toutes les citations tirées des textes anciens dans les discours du président de la République populaire et secrétaire général du Parti communiste chinois. Mieux, une version anglaise a été diffusée aux Etats-Unis : Xi Jinping, How to Read Confucius and Other Chinese Classical Thinkers (« Xi Jinping, comment lire Confucius et d’autres penseurs chinois classiques », Beijing Mediatime Books, 2015).
    [...] L’idéologie reprise aujourd’hui par le PCC sert un « autoritarisme paternaliste », juge Anne Cheng. « Cela leur permet de dire : la Chine n’est ni une dictature ni un régime autoritaire, c’est un régime confucéen. » (cf. Le Monde)


  • Jean-Michel Lou | 21 décembre 2018 - 22:47 8

    Si l’on considère la Chine d’aujourd’hui, agressive économiquement et aussi militairement, affirmant ouvertement ses objectifs (l’hégémonie mondiale en 2049), nous sommes bien loin de l’absence de plan, de but, d’idéal, qui caractériserait selon Francois Jullien la voie chinoise (voir sa conférence donnée dans cet article) ; bien loin des "transformations silencieuses" ; et bien loin de "ma" Chine, celle de Zhuangzi et du taoisme, du non-agir et de la liberté insolente... en observant ce pays tranquillement totalitaire, qui bientôt dominera le monde, et ce probablement avant 2049, je ne peux pas m’empêcher de penser au gros animal de Platon...