4 5

  Sur et autour de Sollers
vous etes ici : Accueil » THEMATIQUES » Sollers la peinture et la sculpture » Picasso et Le Déjeuner sur l’herbe (d’après Manet)
  • > Sollers la peinture et la sculpture
Picasso et Le Déjeuner sur l’herbe (d’après Manet)

D 26 décembre 2006     A par Albert Gauvin - C 5 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



Manet, Le Déjeuner sur l’herbe, 1962-1963.
Zoom : cliquez l’image.

« Cette ébauche, jetée d’un coup, avait une violence superbe, une ardente vie de couleurs. Dans un trou de forêt, aux murs épais de verdure, tombait une ondée de soleil ; seule, à gauche, une allée sombre s’enfonçait, avec une tache de lumière, très loin. Là, sur l’herbe, au milieu des végétations de juin, une femme nue était couchée, un bras sous la tête, enflant la gorge ; et elle souriait, sans regard, les paupières closes, dans la pluie d’or qui la baignait. Au fond, deux autres petites femmes, une brune, une blonde, également nues, luttaient en riant, détachaient, parmi les verts des feuilles, deux adorables notes de chair. Et, comme au premier plan le peintre avait eu besoin d’une opposition noire, il s’était bonnement satisfait, en y asseyant un monsieur, vêtu d’un simple veston de velours. Ce monsieur tournait le dos, on ne voyait de lui que sa main gauche, sur laquelle il s’appuyait, dans l’herbe. » Extrait de L’Oeuvre d’Emile Zola (1886)

Ajouts 27-01-16 :
Photographies de l’exposition « ¡ Picasso ! » au musée national Picasso-Paris
Picasso à l’heure de Manet
Le Déjeuner sur l’herbe, histoire d’une oeuvre
Vincent Corpet revisite le Déjeuner sur l’herbe d’Edouard Manet
Ajout 18-07-16 : le Déjeuner sur l’herbe d’Edouard Manet
Ajout 21-01-18 : le Déjeuner sur l’herbe d’Edouard Manet. Le plus célèbre des refusés.
Ajout 04-10-22 : Carnets d’études pour le Déjeuner sur l’herbe par Picasso.

Manet, Le Déjeuner sur l’herbe

De Manet à Picasso. Présentation du musée d’Orsay [1].

GIF

En 1990 devant « le Déjeuner sur l’herbe » d’Edouard Manet.
(SOPHIE BASSOULS/CORBIS VIA GETTY IMAGES). ZOOM : cliquer sur l’image.
GIF
*

Picasso, Le Déjeuner sur l’herbe d’après Manet

« Quand je vois le déjeuner sur l’herbe de Manet
je me dis des douleurs pour plus tard ».
Picasso [2].

En 1960 à Vauvenargues, en 1961 et en 1962 à Mougins — il a 80 ans —, Picasso dessine ou peint des dizaines de Déjeuners ou de Déjeuners sur l’herbe, parfois plusieurs le même jour. Retour à Manet. Pourquoi ?

Philippe Sollers, dans PICASSO, le héros, nous l’explique :

Pourquoi aller déjeuner sur l’herbe chez Manet ? S’attarder au bordel avec Degas ? S’immiscer dans l’intimité de la famille royale, sous Vélasquez, à l’Escurial ? S’inviter dans le ménage de Rembrandt ? Pour voir. La nature se répète, la peinture jamais. Elle n’en finit pas de devenir autre chose.
Si je vais déjeuner chez Manet, sur l’herbe, c’est pour reprendre un bain de couleurs et de nus, mais, attention, en gardant mes distances. Plonger dans le blanc, le vert, la fraîcheur, oui, mais comprendre du même coup ce que fait cette grosse femme penchée dans le fond, là, en train de ramasser une fleur. Baignoire, baignade, modification des dimensions féminines, mimiques des corps, conversation impossible. Les voilà qui grandissent et s’effilent, les femmes, elles, défient l’observateur qui devient un sorcier, la situation l’y oblige. Manet a inventé un paradis avec de drôles de houris. Avec Picasso, le revoici, au carré, au cube.

Brassaï compare un manuscrit de commande de couleurs de Picasso aux voyelles de Rimbaud. Pourquoi pas ?

« Blanc permanent
d’argent
Bleu céruléum
cobalt
Prusse
Jaune cadmium citron (clair)
de strontium
Laque de garance bitume
bleue et brume
violet bleu
Noir d’ivoire
Ocre jaune et rouge
Outremer clair et foncé
Terre d’ombre naturelle et brumée
Rouge persan
Terre de Sienne naturelle et brumée
Vert de cadmium clair et foncé
Vert émeraude
Japon clair et foncé
Véronèse
Violet de cobalt clair et foncé
 »

Finalement, la seule trame de l’action s’appelle le peintre et son modèle. Qui est la cause, qui est l’effet ? Est-ce lui ? Est-ce elle ? Les paris sont ouverts. De quel côté la fascination va-t-elle jouer ? La contorsion se nouer ? Déjeuners, étreintes, affrontements directs ou distanciés, la question reste la même, perpétuel retour différent dans l’écoulement du temps. Nous ne sommes pas dans l’éternité et le peintre suscite, avec un glaive nu, son siècle épouvanté de n’avoir pas connu qu’Eros triomphait dans cette main étrange. Les coups de pinceaux abolissent le hasard : la vie des dieux brille.

On était parti du bordel d’Avignon traité à Paris, au début du siècle, dans la clandestinité : faux titre, fausse adresse. Interdiction de révéler qu’on est dans une ruelle de prostitution à Barcelone [3]. Mais on réalise malgré tout la prophétie puisqu’on revient, en pleine gloire, faire scandale à Avignon [4] en foutant un bordel mémorable dans la peinture : Alpha, Oméga.

De même qu’il fallait oser l’équation : « ça pleure, et il y a une femme dedans », de même, ici, on peut entendre : « ça baise, et il y a un couple dedans. » La relativité restreinte ouvre sur la relativité généralisée. La physique emprunte ses nouvelles lois gravitationnelles. Qui trop embrasse bien étreint. Rien ne sert de partir, il faut courir à point. On a envie contre la levée de boucliers des dévotes et des dévots et, devant l’incroyable tollé indigné ou gêné des cléricaux de tous bords ayant accueilli ces tableaux, de parler comme Eschyle du « rire ensoleillé des dieux ».

Ils sont là, en effet, dieux et déesses, copulant ou se reposant, s’embrassant et s’embrassant, mousquetaires et danseuses, sous la tonnelle ou sur un banc.

Philippe Sollers, PICASSO, le héros , Editions Cercle d’art, 1996, p. 100, p. 109 [5].



GIF

Tout ça est d’une intensité énigmatique. Les figures s’ignorent de façon très claire, c’est exactement la même énigme que vous avez dans le Déjeuner sur l’herbe, et qui a tellement intrigué Picasso. Picasso est sérieux : il se demande pourquoi il est si difficile d’entrer dans ce Déjeuner sur l’herbe. Comme vous savez, Picasso a passé un temps très long à réfléchir, à méditer, à interroger cette oeuvre de Manet. La filiation d’inspiration, qui n’a rien à voir avec l’art dit « moderne », mais avec les plus grandes tentatives de l’art tout simplement, va de Manet à Picasso, et, on peut ajouter dans le paysage Cézanne ou Rodin : la ligne de crête française du grand art de tous les temps. [...]

De quoi s’agit-il, là, dans ce tableau, Le Déjeuner sur l’herbe ? Picasso se demande comment Manet l’a fait, à quoi il pensait... Il se le demande pendant très longtemps ! Picasso commence par de petits dessins, celui qui est daté de 1954, le jour de la San Pablo (la Saint-Paul)... C’est curieux ! Cela n’en finit plus pendant des années et des années, en arrivant à des sculptures qui, comme vous le savez, sont dans le parc du musée de Stockholm... La méditation sur l’espace ouvert par Manet, un espace tout à fait mythique... Vous avez l’impression de quoi ? Je vous dis que c’est une visite dans l’Olympe, mais je sous-titre l’Olympia ainsi : « Portrait d’une anarchiste »... Vous changez les titres. Pour Le Déjeuner sur l’herbe, vous intitulez : « Réunion des dieux ». Les dieux grecs ont des liaisons multiples souvent inconnues des mortels. Si je vous appelle Le Déjeuner dans l’atelier, Ulysse en passant, vous le voyez prêt à partir en bateau. Il possède tout ce qu’il faut : le courage, la ruse, l’endurance, et des armes homériques... C’est un guerrier. Mais si je ne suis pas sensible à toute la tradition grecque, je ne comprendrai pas grand-chose à Manet ni à Picasso. Les allusions musicales, les flûtes de Pan abondent chez Picasso, qui est très expert en musique... L’oeil écoute, il faut écouter la peinture ! Ce n’est pas un hasard s’il s’agit de violons préparés, de guitares suspendues au mur, de musiciens, de Minotaure... Des déesses et des nymphes partout ! Le pauvre Houellebecq ne peut pas comprendre ! Il est trop réactionnaire ! Trop « moderne » ! Ne pas aimer Manet et ne pas aimer Picasso, c’est très significatif d’un tempérament réactionnaire. Manet et Picasso sont des révolutionnaires dans la mesure où ils ressuscitent le grand art classique, Titien, Velázquez. Leur époque commence par ne rien comprendre, et finit par dire : oui, c’était chez nous ! Tu parles ! On fait semblant d’accepter, alors qu’on n’accepte rien. Mais les prix montent ! Hommage du vice à la vertu ! Le vice, c’est l’argent ; la vertu, l’art.

Philippe Sollers, La révolution Manet, 2010.

GIF

1960, Vauvenargues.

JPEG - 24.3 ko
27-02-1960
JPEG - 25 ko
28-02-1960
JPEG - 24.4 ko
28-02-1960
JPEG - 30.6 ko
04-03 au 30-07-1960
JPEG - 28.1 ko
03-03 au 20-08-1960

05 mars 1960. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

1961, Mougins.

17 mars 1961. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

JPEG - 23.3 ko
19-04-1961
JPEG - 25.6 ko
17-06-1961
JPEG - 33.6 ko
18-06-1961
JPEG - 15 ko
10-07-1961
JPEG - 26.3 ko
13-07-1961
JPEG - 31.2 ko
10-08-1961

12 juillet 1961. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.


Picasso est mort le 8 avril 1973 à Mougins. Il est enterré, sous l’herbe, dans le parc du château de Vauvenargues.

En 1962, Marcelin Pleynet intitulera la première partie de son recueil Provisoires amants des nègres : « Le petit déjeuner sous l’herbe ».

*

PS : A noter que c’est en 1959 que le cinéaste Jean Renoir — fils d’Auguste Renoir — a réalisé, lui aussi, son Déjeuner sur l’herbe (film prémonitoire sur beaucoup de points [6]).

*

Exposition « ¡ Picasso ! »

Musée national Picasso-Paris, le 20 janvier 2016.


Picasso. Carnet 50 : le buste des 4 personnages. Vallauris, 26-29 juin 1954.
Crayon graphite, crayon cire, crayon feutre sur papier. 8 feuillets.
Zoom : cliquez l’image.



Picasso. Le déjeuner sur l’herbe d’après Manet.
Vauvenargues, 3 mars - 20 août 1960. Huile sur toile. Zoom : cliquez l’image.



Picasso. Variations sur Le déjeuner sur l’herbe d’après Manet.
Mougins, 4 juillet 1961. Linoléum gravé à la gouge. Plateau principal 1er état.
Epreuve d’artiste sur papier vélin filigrané. Galerie Louise Leiris 1963.
Zoom : cliquez l’image.



Picasso. Le déjeuner sur l’herbe d’après Manet.
Mougins, 13 juillet 1961. Huile sur toile. Huile sur toile. Zoom : cliquez l’image.



Picasso. Le déjeuner sur l’herbe d’après Manet. I.
Mougins, 26-30 janvier 1962. Linoléum gravé à la gouge. 1er état. Epreuve gravé sur papier.
Rehaussé aux crayons de couleur. Zoom : cliquez l’image.



Picasso. Le déjeuner sur l’herbe d’après Manet.
Mougins, 30 janvier 1962. Huile sur toile. Zoom : cliquez l’image.



Picasso. Le déjeuner sur l’herbe d’après Manet.
Mougins, 17 juin 1962. Pastel gras et crayon graphite sur papier.
Zoom : cliquez l’image.

Photos A.G., 20 janvier 2016 (Nikon, sans flash).

Et, pour (ne pas) finir, cette gravure réalisée par Picasso le 5 avril 1970, à quatre-vingt-neuf ans, trois ans avant sa mort...


Picasso, Peintre cul-de-jatte dans son atelier peignant “Le déjeuner sur l’herbe”.
Gravure, 5 avril 1970. Zoom : cliquez l’image.



« La fin du tête-à-tête Picasso-Manet se situe peut-être dans une gravure intitulée Peintre cul-de-jatte dans son atelier peignant le "Déjeuner sur l’herbe" datée 5 avril 1970. Picasso a quatre-vingt-neuf ans. Son peintre n’est pas âgé mais il est diminué. Il ressemble toujours au "Causeur" des tableaux de 1961 mais il s’est projeté hors de la toile. A sa gauche, une femme (Jacqueline) se tient alignée le long du tableau. Tous deux regardent la composition. Victorine Meurent s’y abandonne dans les bras de son voisin (habillé). Le "Causeur" (habillé), désabusé, observe une poseuse nue que Manet n’avait pas imaginée.
La baigneuse du fond s’est éloignée. Le "Causeur" ne domine plus la situation, le peintre non plus. Les personnages et la peinture ont pris le pouvoir. Ultime chahut que Picasso impose à Manet. Et à travers Manet, à Giorgione, à Raphaël et à Marcantonio Raimondi et à Cézanne. A toute la peinture en somme. » (Musée d’Orsay).

*

CARNETS ÉTUDES POUR LE DÉJEUNER SUR L’HERBE

15 juin/17 juin 1962.

Vidéo A.G., musée Picasso, 19 août 2022.

GIF

Picasso à l’heure de Manet

RTF, JT 20h, 28 juil. 1962

Adam Saulnier commente les dessins et peintures publiés dans un double album aux éditions du "Cercle d’art", des variations de Pablo Picasso sur le tableau "Le déjeuner sur l’herbe" de Manet, en présence de l’éditeur Charles Feld.

*

DOCUMENTS

Le déjeuner sur l’herbe, histoire d’une oeuvre

Documentaire réalisé par Thomas Boucher et Anais Hatchane pour les étudiants en Histoire de l’art de Bordeaux III.

*

Vincent Corpet revisite "le Déjeuner sur l’herbe" d’Edouard Manet

Réalisation Olivier Taïeb
Montage - Julien Roland
Musique - Igor Stanislas
Moyens technique : Loca-Images
Production - Noir Bleu Productions
Remerciements - Patrick Evra / Daniel Goriounov


*

« Le déjeuner sur l’herbe » d’Édouard Manet

France Culture, Les Regardeurs, 19 juin 2016.

Rejetée par le jury du Salon de 1863, cette oeuvre est exposée par Édouard Manet sous le titre "Le Bain" au "Salon des Refusés" accordé cette année là par Napoléon III. Elle en constitua la principale attraction, objet de moqueries et source de scandale...

Aujourd’hui, nous observons ensemble le célèbre « Déjeuner sur l’herbe » peint par Edouard Manet en 1863 et refusé par le jury du Salon de cette même année. C’est une huile sur toile de 2,08 m de haut x 2,645 cm de large, conservée au Musée d’Orsay à Paris.

Avec Nadeije Laneyrie-Dagen, Professeure d’histoire de l’art à l’Ecole Normale Supérieure et l’artiste Ariane Michel.

*

Le Déjeuner sur l’herbe d’Edouard Manet

Le plus célèbre des refusés

Au printemps 1863, les visiteurs du Salon des refusés découvrent une demoiselle entièrement nue assise en compagnie de deux étudiants en paletot et béret tandis que, derrière eux, une autre se rafraîchit dans l’eau. De cette insolite et dérangeante proximité allait naître l’une des polémiques les plus marquantes de l’histoire de l’art.

Les raisons du refus

Inspiré du Concert champêtre du Titien (pour le sujet) et du Jugement de Pâris de Raphaël (pour la disposition des personnages), Le Déjeuner sur l’herbe est un hommage revendiqué aux maîtres anciens. Les références à la peinture renaissante sont connues du public, la toile du Titien est exposée au Louvre. La composition est classique, en pyramide ; le grand format est celui d’une peinture d’histoire… Qu’un tableau de telles dimensions serve à rendre une banale scène de pique-nique a très certainement participé au refus de la toile par le jury. Il était en outre intolérable, à l’époque, de montrer des femmes nues sans les couvrir au minimum d’un voile de mythologie. Il aurait fallu en faire des déesses ou des nymphes.

De l’intérêt d’être refusé

Manet est déterminé à réussir dans le système officiel de l’art. Quatre ans plus tôt, il a déjà vu son premier tableau, Le Buveur d’absinthe, refusé au Salon. Cette œuvre fut néanmoins défendue par Eugène Delacroix et par Charles Baudelaire. Peu avant le Salon de 1863, Manet confie à son ami Antonin Proust : « On va m’éreinter. On dira que je m’inspire des Italiens après m’être inspiré des Espagnols. »

Le fait est que parmi les cinq mille œuvres présentées devant le jury, trois mille sont rejetées. Napoléon III, jugeant le verdict un peu sévère, décide d’exposer les refusés dans les salles annexes du palais de l’Industrie. L’échec se retourne à l’avantage du peintre : les tableaux refusés intéressent le public et le Déjeuner devient le principal objet de commentaires, d’analyses et de critiques. Qu’on en parle en bien ou en mal, on en parle. Les journaux de toutes opinions, les caricatures en tout genre assurent bientôt à Manet une large renommée. Degas a pu dire, sans ironie, qu’il était devenu aussi célèbre que Garibaldi.

Modernité

La facture du Déjeuner choque autant que le sujet. Le sous-bois semble à peine esquissé, les personnages ont l’air découpés, traités en aplat comme de la tapisserie. Les variations d’ombre et de lumière apparaissent sans nuance. Que la toile ne soit pas académique est une chose, mais elle rompt également avec le romantisme de Delacroix ou avec le réalisme de Courbet. Il faut s’imaginer la perturbation causée par ce nouveau mode de représentation. Les touches sont visibles, l’œil est attiré par une impression de fragilité et de contraste. Ce Déjeuner marque une rupture : il y aura un avant et un après.

La mode du déjeuner

Dès 1865, Claude Monet commence à peindre son monumental Déjeuner sur l’herbe en réponse à celui de Manet. Quatre mètres sur six, un défi. Mais l’œuvre n’aboutit pas, Monet la laisse de côté pour n’en conserver que trois fragments. Frédéric Bazille présente sa Réunion de famille au Salon de 1868 : volumes au tracé net et lumières contrastées, l’hommage est manifeste. Paul Cézanne donne aussi sa version, en 1876, avec une composition impressionniste, de petite taille, à la peinture très dense et saccadée, dominée par le bleu.

Un siècle plus tard, Pablo Picasso s’attaque à son tour au monument de l’art moderne. Il réalise vingt-six toiles, six gravures et cent quarante dessins d’après le Déjeuner, modifiant la composition et expérimentant des variations, comme Manet l’avait fait lui-même avec le Titien et le Raphaël dont il s’était inspiré.

Partie carrée

Michel Déon :

Le vrai scandale n’est pas la femme nue au premier plan, mais que ses deux compagnons soient, eux, on ne peut plus habillés. Nus aussi, ils intrigueraient à peine. Entre amis, Manet appelait son tableau  : la Partie carrée. Oui, qu’attendent-ils, ces deux gandins, pour s’offrir le plaisir de leurs vies de jouisseur.

Édouard Manet, d’après A. Proust :

Il paraît qu’il faut que je fasse un nu. Eh bien je vais leur en faire, un nu !

Ernest Chesneau :

Nous ne pouvons trouver que ce soit une œuvre parfaitement chaste que de faire asseoir sous bois, entourée d’étudiants en bérets et en paletot, une fille vêtue seulement de l’ombre des feuilles.

Émile Zola :

Cela serait même trop joli, si le tempérament du peintre ne venait mettre sur cet ensemble l’empreinte de son austérité.

Pourquoi c’est connu ?
Le fabuleux destin des grandes icônes du XIXe siècle
,
par Vincent Brocvielle,
Éditions du Musée d’Orsay, éditions Rmn-Grand Palais,
160 p., 19,90 euros.

Pourquoi les tableaux célèbres sont-ils célèbres ?.

*

[2Au dos d’une enveloppe de la galerie Simon, probablement en 1932.

[3Il s’agit des Demoiselles d’Avignon (printemps-été 1907).

[4Exposition Picasso au Palais des Papes d’Avignon en juillet 1970.

[5Les petites reproductions des Déjeuners sur l’herbe suivantes ont été prises sur le site artcyclopedia.com. D’autres tableaux figurent dans le livre de Sollers.

5 Messages