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Entretien Sollers - Amine : « La Révolution Manet »

D 19 mai 2021     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


SOMMAIRE
Le contexte de l’entretien
La Révolution Manet
publication initiale 28/03/2011

Reconstitution de cet article disparu malencontreusement de la base de données pileface. Il s’agit d’un entretien entre Patrick Amine et Philippe Sollers qui a eu lieu le 29 novembre 2010, alors qu’une grande exposition Manet allait s’ouvrir au musée d’Orsay, à partir du 6 avril 2011. Cet entretien a été publié dans L’Infini n° 114, Printemps 2011.

Le contexte de l’entretien

Encore une fois. Un vendredi soir, j’avais rendez-vous dans le bureau de Philippe Sollers, aux Éditions Gallimard, pour évoquer son prochain roman, Trésor d’Amour – qu’il venait de m’offrir –, dont la figure centrale est Stendhal, à travers le temps. Puis de Milan, où il voulait peut-être se rendre pour en parler au printemps, si nous trouvions un cadre adéquat avec quelques amis ; nous parlions encore une fois de Picasso, au vu des rumeurs négatives de l’actualité, et tout à coup la conversation est arrivée à Manet [1] !

Comme je revenais de Turin, je dis à Sollers que j’avais vu, pour la première fois, la Négresse de Manet, à la Fondation Agnelli, en compagnie de l’essayiste Giancarlo Pagliasso. Elle était là, entourée de quatre petits tableaux de Matisse. Ce qui nous a rappelé notre voyage dans la ville de Pavese, en avril 2003, où nous avions rencontré ensemble l’un des plus grands spécialistes du saint suaire, le professeur Luigi Gonella, quelques heures, via Pô, au Café Elena. En fin de journée, il y eut la rencontre à la galerie de peinture Infinito, suivie d’une conversation baignée par une improvisation étincelante, le secret de Sollers, devant un auditoire concentré et actif ; et, le lendemain, à l’université de Turin, au département de littérature française dirigée par Gabriella Bosco, Philippe Sollers parla de sa conception du roman. J’ai l’habitude des digressions vertigineuses de Philippe Sollers depuis au moins trente ans. Sa vitesse, ses éclairs, ses analyses rapides vous dopent immédiatement. Tout va très vite, et il a déjà traversé le temps !

À ce moment-là, je lui propose de faire un film-entretien sur Édouard Manet. Sollers a évoqué Manet à plusieurs reprises dans ses oeuvres. Nous fixons alors le rendez-vous pour le 29 novembre 2010. Toutes mes pensées ont alors convergé vers notre sujet pour considérer le temps de Manet dans notre temps (allant revoir quelques tableaux présents à Paris), et ainsi de suite. Son actualité, son histoire, relisant toute la bibliothèque, jusqu’à nos jours. En cavalier du temps, Philippe Sollers a fait le voyage. J’ai préparé un ensemble de questions sur quelques tableaux emblématiques d’Édouard Manet, et, à travers cet entretien, je lui ai posé une question en particulier : qu’est-ce qu’un chef-d’oeuvre ? Après l’entretien filmé réalisé [2] dans son « studio » de travail, nous avions décidé de l’intituler la Révolution Manet.

Patrick Amine

(Crédit : La Revue des Deux Mondes qui a aussi publié l’entretien dans son numéro de mars 2011)

La Révolution Manet


Manet, La chanteuse des rues, 1862, détail, huile sur toile.
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Patrick Amine  : Faisons une mise au point quant à certains commentaires de l’oeuvre d’Édouard Manet, l’artiste qui serait à « l’origine de l’art moderne », et, notamment, sur cette conférence que Michel Foucault a prononcée en Tunisie, en 1971 (publiée en 2004). Comme peu de lecteurs la connaissent, je tiens à ce que vous me donniez votre analyse...

Philippe Sollers : La plupart des commentateurs, plus ou moins inspirés, de Manet, ont tous ce cliché : à savoir que Manet serait à l’origine de la naissance de l’art moderne. Cette histoire d’art moderne perdure encore, et puis tombe de plus en plus dans la bouillie de « l’art contemporain ». Il n’y a pas d’art moderne. Il y a tout simplement art ou pas. Les grottes de Lascaux sont « modernes », Titien est « moderne », Manet est « moderne ». Toutes ces oeuvres sont la continuation de l’art par d’autres moyens selon le temps. Le marché de l’art raconte maintenant qu’il y aurait un art moderne et on en arrive ainsi à la bouillie contemporaine. On ne doit pas non plus prendre Manet pour un impressionniste. C’est encore une autre façon de brouiller les cartes et d’éviter de parler de ce qu’il y a d’essentiel dans l’art de Manet : c’est-à-dire une révolution. Et on peut avancer que ce qu’il réalise est une renaissance, une renaissance de l’art à partir d’un moment où il a été, d’une certaine manière, occulté, offusqué, détruit. C’est le monde tel qu’il va, qui va contre l’art, c’est la société qui va sans arrêt contre l’art ainsi que les différents pouvoirs. Mais cela dépend, il y a des périodes fastes, par exemple, lorsque l’Église catholique accepte, dans son sein, des oeuvres aussi fabuleuses que celles de Titien, du Tintoret, de Tiepolo, de Véronèse. C’est ça, la question de l’art.

Quand Manet surgit – heureusement qu’il avait un peu d’argent de famille – tout le monde s’est rassemblé pour hurler et venir cracher sur l’Olympia. Ce n’était pas parce que c’était de « l’art moderne », mais du très grand art classique sous les formes inattendues de son temps. Qui comprendra ça, un jour ? Je ne sais pas.

Pour en venir à cette conférence de Foucault, elle est très indicative – nous sommes en 1971 –, c’est une conférence qu’il donne à Tunis. Bien entendu, il n’est pas très préparé, il croit à la naissance de l’art moderne... On a même surnommé le livre de Bataille sur Manet « la naissance de l’art moderne ». Bataille venait de faire un livre sur Lascaux, c’est-à-dire sur le comble de l’art qui reste, quelles que soient les époques, moderne. Foucault dit que Manet introduit des horizontales et des verticales et que cela va nous mener un jour à Mondrian ! Il reproduit un tableau absurde, particulièrement idiot, de Magritte, qui, pour caricaturer ce chef- d’oeuvre admirable, Le Balcon, installe trois cercueils sur un balcon... Que c’est bête, que c’est ressentimental. Pourquoi ? Qu’a voulu faire Manet dans ses tableaux ? Mettre en situation, dans des petits drames, des romans, quelqu’un qui est là quand d’autres ne sont pas là ! Il y a deux figures à droite absolument absentes, et, il y a, tout à coup, trouant le tableau, la figure, le visage, les yeux, le regard de Berthe Morisot qui va être une de ses grandes histoires de peinture. Il faut voir les femmes chez Manet, sans quoi on ne voit rien.

Je me demande pourquoi un philosophe de la dimension de Michel Foucault, mais peut- être tout philosophe après tout, ne peut pas voir des femmes en peinture ou bien évite le sujet. Je me rappelle que Lacan s’échinait dans son séminaire sur les Ménines de Velázquez... Et Foucault était là au premier rang... Mais Manet, c’est Velázquez lui-même !


Manet, Portrait de Victorine Meurent, 1862. huile sur toile 40 x 30, cm
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Chez Manet, les femmes sont partout : Victorine Meurent, Berthe Morisot, Méry Laurent, etc. L’atelier était rempli de femmes, et de fleurs sur la fin... Si on censure les femmes de Manet, que reste-t-il ? Vous avez vu une seule femme chez Mondrian, Kandinsky, Pollock, Chagall, les peintres préférés de Houellebecq, qui les juge supérieurs à Picasso ? Avez-vous vu une seule femme chez Rothko ou Newman ?... Non, n’est-ce pas ? C’est très difficile de peindre une femme qui tienne le coup ! C’est extraordinairement difficile. Avez-vous vu une seule femme chez Braque, ou Juan Gris et tous ceux qu’on nomme les cubistes ? Non ! Avez-vous vu des femmes chez Picasso ? Ah, mais oui ! Plein. C’est peut-être là que quelque chose ne passe pas dans la gorge du naturalisme, du réalisme...


Manet, Nana, 1853
Kunsthalle de Hambourg
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Avez-vous vu la Nana de Manet ? Vous voyez bien qu’elle n’a aucun rapport avec Zola. C’est tout à fait autre chose. On peut aussi faire du Zola en littérature et ne pas savoir faire les femmes, pour les mêmes raisons. La censure est là. Sur quoi ? Pas seulement sur les femmes, mais sur la substance féminine elle-même quand il y a là une présence exceptionnelle.

P. A. : Qu’est-ce qu’un chef-d’oeuvre ?

Ph. S. : Un chef-d’oeuvre, c’est une présence qui ne passe pas, qui est de son temps, à fond, donc de tous les temps. Il a une présence qui fait que personne n’est là sauf lui ! Et c’est bien ce qu’a ressenti la foule lorsque l’Olympia est apparue. Les bourgeois et les petits-bourgeois du XIXe siècle se sont sentis niés, récusés, par une révolution d’affirmation classique. Baudelaire était un ami de Manet, mais il ne dit rien de l’Olympia, qui, comme le Déjeuner sur l’herbe, lui échappe. Titien lui échappe, alors qu’il est là, brusquement, sous le nom de Manet. Sans doute en a-t-il voulu à Manet d’avoir peint, de façon terrible, sa maîtresse, Jeanne Duval. Mais Watteau lui échappait déjà... Bref, l’Olympia a scandalisé son époque. Penser que nous allons vers Mondrian ou Magritte avec cette peinture, il faut le faire !... Il faut vraiment détester quelque chose comme une femme qu’on n’a jamais vue, mais quand elle est bien vue, on ne l’a jamais vue... Les Vénus de Titien, on ne les a jamais vues. On peut se passer de mythologie, ça dépend du moment. L’Église catholique a couvert les femmes extatiques de la peinture en fermant les yeux. Quand vous entrez dans les églises italiennes, il y a tout ce qu’il faut comme formes qui doivent vous transporter... Quand Dieu est là, on peut se faufiler. Mais là, Dieu n’y est pas, ou plutôt son absence s’incarne avec un maximum d’insolence. Pour les crétins de l’époque, la mort de Dieu devait déboucher de façon « moderne » sur des nymphes en stuc. Manet est venu défoncer ce décor.

Manet, Le déjeuner (dit dans l ?atelier), huile sur toile 118x153, 1868
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Un chef-d’oeuvre, c’est Le Déjeuner dans l’atelier de Manet. Pourquoi ? Parce que vous pouvez passer un temps considérable à essayer de comprendre ce tableau qui vous rejette de toutes ses forces ! Qui vous défie ! Comme l’énergie sombre, force répulsive, le noir de Manet est là pour vous exclure.

Bataille parle de « l’indifférence suprême » de Manet, qui peut être ressentie comme froideur, mais qui en même temps brûle. Cette indifférence suprême ne sait pas elle-même qu’elle fait scandale. Il y a là une sorte d’innocence « divine ». Manet est un peintre beaucoup plus métaphysique qu’on ne croit. D’autre part, c’est un peintre de composition très subtil, il suffit de regarder ce Déjeuner dans l’atelier... Vous devez savoir que vous êtes à Boulogne... On descend, et l’on va sur le port, c’est ce que cache ce rouleau qui est une carte. Est-ce que vous êtes au début ou à la fin d’un déjeuner ? Est présente, indubitablement, une servante ou madame Manet qui apporte une cafetière, c’est donc la fin. En même temps, il y a des huîtres ouvertes qui ne sont pas consommées... Vous avez un personnage qui fume... Qu’est-ce que font là ce chat, ou cette chatte, toujours signalétique de ce que Manet veut dire, qu’on pourrait entendre miauler, et cet assortiment d’armes antiques empruntées à un ami ? D’autre part, vous avez ce personnage fabuleux qui vous frappe, et qui n’est autre que le filleul ou le fils de Manet, Léon. S’il le peint à cet âge-là, 16 ou 17 ans, avec les ennuis qu’il est en train d’avoir avec la société de son temps – protégé quand même par sa femme pianiste (à laquelle il demande lorsqu’il rentre chez lui de lui jouer des sonates de Haydn), c’est qu’il veut se réincarner dans ce jeune garçon indifférent, comme un dieu grec, tenant tête à son temps. Il a connu sa femme hollandaise très jeune, c’était son professeur de piano. Il l’a toujours peinte avec tendresse et délicatesse. Les modèles dans l’atelier, la musique chez lui : l’art de vivre. Il a aussi peint Léon plus jeune, avec une épée, comme Victorine en torera, bonjour l’Espagne. Dans Le Déjeuner, Léon est très en avant de la représentation, il ne vous regarde pas du tout, et trois regards différents passent à travers vous pour affirmer un roman qui a lieu quand même. Voyez ce canotier qui est aussi un clin d’oeil pour se moquer un peu des canotiers des impressionnistes... Léon va peut-être prendre un bateau dans quelques minutes, à moins qu’il revienne du port ? Tout ça est d’une intensité énigmatique. Les figures s’ignorent de façon très claire, c’est exactement la même énigme que vous avez dans le Déjeuner sur l’herbe, et qui a tellement intrigué Picasso. Picasso est sérieux : il se demande pourquoi il est si difficile d’entrer dans ce Déjeuner sur l’herbe. Comme vous savez, Picasso a passé un temps très long à réfléchir, à méditer, à interroger cette oeuvre de Manet. La filiation d’inspiration, qui n’a rien à voir avec l’art dit « moderne », mais avec les plus grandes tentatives de l’art tout simplement, va de Manet à Picasso, et, on peut ajouter dans le paysage Cézanne ou Rodin : la ligne de crête française du grand art de tous les temps.


Manet, L’Exécution de Maximilien, 1868-1869
<i< huile sur toile 257 x 305 cm. Kunshalle de Manneheim (Allemagne).

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La présence très singulière de Manet se porte sur des sujets extrêmement variés, elle se manifeste aussi dans son engagement politique, par exemple l’Exécution de Maximilien, tableau qui est, à mon avis, très censuré. Nous connaissons deux déclarations de lui en 1880, « Vive la République », et « Vive l’amnistie ! ». Pourquoi ? Il a assisté à des scènes d’exécution de masse pendant la Commune de Paris et les a dessinées. Elles ne sont pas assez connues. Et elles ne sont pas en France. C’est exactement le même principe de froideur qui se montre dans L’Exécution de Maximilien, tableau où la mort s’administre à bout portant dans une indifférence complète... Ce n’est pas du tout le Tres de Mayo lyrique de Goya. Manet refroidit ça, et ça n’en devient que plus horrible. On fusille à bout portant, la peinture est à bout portant. L’Olympia est un coup de feu contre les femmes artificielles de l’époque : elle atteint de plein fouet la sexualité corrompue de la société.

P. A. : La construction de ces différentes scènes, comme la sensation qui s’en dégage, sont étranges...

Ph. S. : C’est le résultat de l’extrême sensibilité de Manet. Le contraire de la violence bestiale qui anime l’humain en profondeur et sans arrêt. C’est pour ça qu’il vous donne à déjeuner d’une façon nouvelle, c’est pour ça qu’il trouve les modèles qui vont faire vivre quelque chose comme une éclosion froide qui vous récuse aussi. Cézanne a fait un petit tableau : Une moderne Olympia (1873), il voulait entrer dans l’Olympia ! Mais on n’entre pas dans l’Olympia !... On reste dehors. C’est ce que la foule a senti. C’était l’époque où tout le monde voulait des nus de Cabanel... Les bourgeois désiraient des nymphes sur des rochers... comme dans les restaurants de Paris à la Belle Époque !... Vous voyez le scandale ? Ce n’est pas de ça qu’il s’agit. La société tout entière passe son temps dans le « fausse-femme ». Le fausse-femme, c’est vraiment l’oblitération de la sensation la plus fondamentale que l’on peut avoir du corps humain, et de son propre corps qui échoue, ou pas, dans cette dimension-là. Ce que Manet prouve surabondamment, en peignant par ailleurs des asperges, des fleurs...

Vous avez ce tableau bouleversant : Un bar aux Folies-Bergères (1881-1882). Il est de la fin de sa vie, il va mourir dans ses fleurs... Il va être amputé de la jambe gauche à cause de la syphilis, et Antonin Proust raconte cette anecdote surprenante : « Manet souffrait constamment, mais il suffisait qu’une femme soit là, n’importe laquelle, pour qu’il redevienne gai et bien. » J’insiste sur ce « n’importe laquelle ».

Il recompose, en atelier – il souffre déjà beaucoup –, ce bar au Folies-Bergères. Tout le monde glose sur le fait qu’il y a un décalage sur la position du personnage dans le miroir, etc. Mais, savez-vous comment s’appelle ce modèle ? Suzon. La femme de Manet s’appelle Suzanne, donc Suzon... Méry Laurent venait faire sa toilette dans l’atelier de Manet et Mallarmé était amoureux d’elle. Mallarmé, qui a sûrement pensé à Manet pour Le Prélude à l’après-midi d’un faune. Le portrait de Mallarmé par Manet est un chef-d’oeuvre de glissement subtil, de pensée saisie sur le vif. Cela dit, Mallarmé n’a pas dit grand-chose de Manet, et pour cause : il ne plaisait pas à Méry Laurent, laquelle était, au contraire, en pleine complicité avec Manet (ses portraits le prouvent). Présence dans l’absence, absence dans la présence : un autre temps. Voyez Victorine Meurent, saisie par Manet dans La Chanteuse des rues, avec guitare et cerises. L’insolence est la même que dans l’Olympia ou le Déjeuner sur l’herbe, sans parler de La Femme au perroquet : convocation des cinq sens à la fois. Et, simultanément, récusation du spectateur. Le spectateur le comprend encore, et il n’aime pas vraiment ça ! La spectatrice non plus, on s’en doute.

Le chef-d’oeuvre, c’est quelque chose d’extrêmement travaillé et, en même temps, il faut que ça ait l’air totalement improvisé. Manet a toujours parlé de spontanéité. Très travaillé, et lâché au maximum. D’où l’impression étrange de vitesse fixe de certains tableaux.

P. A. : Manet a eu plusieurs sources d’inspiration : l’Italie et l’Espagne. Titien, Giorgione, Goya, Velázquez...

Ph. S. : Où voulez-vous trouver de l’inspiration si ce n’est pas en Italie ou en Espagne ? Vous n’allez pas la trouver en Norvège !... Le Sud ! Mais le regard, l’inspiration de Manet, il les trouve dans la rue, sur le boulevard, en allant au café, chez Tortoni. Il drague ou suit des filles, des modèles potentiels, pour les emmener dans son atelier... Puis, le soir, il rentre et sa femme charmante lui joue des sonates. Manet est quelqu’un de très organisé. Personne n’a compris les femmes de son temps comme lui. Sa femme, en riant, racontait cette anecdote : Manet drague sur le boulevard, et Suzanne lui dit : « ah ! je t’y prends », et il lui répond : « Je croyais que c’était toi. » Impossible : Suzanne était plutôt ronde. À la fin de sa vie, Manet arrive encore à faire ce portrait admirable d’une comédienne en costume de Carmen, Émilie Ambre. Et parmi les plus beaux tableaux de Venise, il y a les siens.

P. A. : Votre premier amour des tableaux de Manet va vers quelle œuvre en particulier ?

Ph. S. : Indubitablement l’Olympia.


Manet. Olympia, 1853
L=190 cm, H = 140 cm. Musée d’Orsay
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C’est le plus beau tableau de nu qu’on ait jamais réalisé. Manet a dit : « Il paraît qu’il faut que je fasse un nu, je vais leur en faire un ! » Les autres oeuvres ont suivi tout naturellement : Le Déjeuner sur l’herbe, etc. Que signifient les romans de Manet ? C’est un très grand romancier, c’est la raison pour laquelle Zola le laisse tomber. Puis, il y a Mallarmé d’un côté, mais le style de Mallarmé est « forgé »... Avec le temps, il ne s’intéresse plus qu’à Berthe Morisot. Zola laisse tomber Manet, Mallarmé l’oublie. Entre les deux, je préfère Mallarmé. C’est le fameux dialogue entre Mallarmé et Zola. Zola lui dit : « Pour moi la merde vaut le diamant », et Mallarmé lui répond : « Peut-être, Zola, mais le diamant, c’est plus rare. »

Mais Manet, c’est autre chose. Que signifient ses romans ? Qu’est-ce qu’il lui est arrivé pour en arriver à cette oeuvre extraordinaire...

P. A. : Peut-on dire que c’est une oeuvre autobiographique ?

Manet, Autoportrait à la palette, huile sur toile 83x67, 1879
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Ph. S. : Bien sûr. Mais par des moyens qui deviennent une approche du mythique, c’est de l’autobiographie dans le sens de la création d’un mythe. La preuve. Poulet-Malassis, l’ami de Baudelaire, fait graver, après la mort de Manet, un Manet en dieu Pan sur sa colonne avec la formule en latin Manet et manebit, Il reste et restera. À la place du sexe, il y a sa palette et ses pinceaux. Suzanne, sa veuve, n’y a pas vu d’objection. Comme quoi il est évident que ce peintre, toujours décent malgré ses nombreuses expériences sur le terrain, n’oubliait jamais qu’il était peintre. Très différent, donc, des farfouilleurs d’organes qui se trompent et n’arrivent pas à la peinture de l’acte lui-même ! On comprend pourquoi Méry Laurent, qui avait beaucoup voyagé, allait chaque année porter, sur la tombe de Manet, une brassée de lilas blanc. Ce qu’aucun de ses amants n’a fait pour elle après sa mort. Je suis très ému quand je pense à ça. Manet est mort en passant des femmes aux fleurs, avec une liberté et une élégance totales. C’est extrêmement raffiné. Je connais peu de gens qui aiment Manet. Cela vaut très cher, mais qui a aimé Manet passionnément ? On peut le dire, c’est Picasso.

P. A. : Pour en revenir à Picasso, il s’empare plusieurs fois du Déjeuner sur l’herbe, qu’il réinterprète à sa manière et le retourne plusieurs fois, puis il va jusqu’à réaliser des découpages pour aboutir plus tard à des sculptures. Quel en est le sens et que peut-on en dire aujourd’hui ?

Ph. S. : Manet est un bourgeois, il peut se passer de vendre. Il est très affecté par les injures qu’il n’arrête pas de recevoir... Il prête de l’argent à Baudelaire. Il est persuadé que son oeuvre sera reconnue un jour en masse. C’est Clemenceau, en 1907, qui fait transporter l’Olympia, en fiacre, du musée du Luxembourg au Louvre, c’est donc une décision politique. Picasso, c’est autre chose. Il n’a pas les mêmes origines sociales et ethniques que Manet. Il arrive à Paris, il est au Bateau-Lavoir, il fait ses classes, les femmes commencent à défiler d’une façon très impressionnante : Fernande et nous irons jusqu’à Jacqueline en passant par Olga, Dora Maar, Françoise, Marie-Thérèse Walter, etc. Il est clair que s’occuper de Picasso sans considérer ce qui lui est arrivé avec des femmes, c’est ne rien vouloir savoir. Qu’est-ce qui se passe ? Picasso vient d’Espagne, Malaga, Barcelone. En arrivant à Paris, il sent que toute la peinture est en désagrégation en France. Bon, il y a Manet et Cézanne. Le corps français va bientôt aller à l’abattoir, le grand abattoir avant l’effondrement de 1939. Picasso a de l’énergie à revendre, il opère donc une greffe, une transfusion. Il faut voir ces photographies où Picasso se montre dans son atelier, torse nu, au moment du plus grand risque, en 1915. Il commence ses installations au mur (violons, guitares), et il n’a pas hésité à montrer son corps, parce que ça fait partie de ce qu’il avait à dire. Il est très inspiré. Un peintre nu. Il a compris ce qu’est la photographie quand il a fait ces autoportraits, et il a dit qu’il pouvait mourir.

De quoi s’agit-il, là, dans ce tableau, Le Déjeuner sur l’herbe ? Picasso se demande comment Manet l’a fait, à quoi il pensait... Il se le demande pendant très longtemps ! Picasso commence par de petits dessins, celui qui est daté de 1954, le jour de la San Pablo (la Saint- Paul)... C’est curieux ! Cela n’en finit plus pendant des années et des années, en arrivant à des sculptures qui, comme vous le savez, sont dans le parc du musée de Stockholm... La méditation sur l’espace ouvert par Manet, un espace tout à fait mythique... Vous avez l’impression de quoi ? Je vous dis que c’est une visite dans l’Olympe, mais je sous-titre l’Olympia ainsi : « Portrait d’une anarchiste »... Vous changez les titres. Pour Le Déjeuner sur l’herbe, vous intitulez : « Réunion des dieux ». Les dieux grecs ont des liaisons multiples souvent inconnues des mortels. Si je vous appelle Le Déjeuner dans l’atelier, Ulysse en passant, vous le voyez prêt à partir en bateau. Il possède tout ce qu’il faut : le courage, la ruse, l’endurance, et des armes homériques... C’est un guerrier. Mais si je ne suis pas sensible à toute la tradition grecque, je ne comprendrai pas grand-chose à Manet ni à Picasso. Les allusions musicales, les flûtes de Pan abondent chez Picasso, qui est très expert en musique... L’oeil écoute, il faut écouter la peinture ! Ce n’est pas un hasard s’il s’agit de violons préparés, de guitares suspendues au mur, de musiciens, de Minotaure... Des déesses et des nymphes partout ! Le pauvre Houellebecq ne peut pas comprendre ! Il est trop réactionnaire ! Trop « moderne » ! Ne pas aimer Manet et ne pas aimer Picasso, c’est très significatif d’un tempérament réactionnaire. Manet et Picasso sont des révolutionnaires dans la mesure où ils ressuscitent le grand art classique, Titien, Velázquez. Leur époque commence par ne rien comprendre, et finit par dire : oui, c’était chez nous ! Tu parles ! On fait semblant d’accepter, alors qu’on n’accepte rien. Mais les prix montent ! Hommage du vice à la vertu ! Le vice, c’est l’argent ; la vertu, l’art.

P. A. : Les institutions française et américaine ont toujours tiré Manet vers l’impressionnisme...

Ph. S. : Les Américains et Manet, laissons tomber ! Ce qui est difficile avec Manet, c’est que ses tableaux sont éparpillés un peu partout dans le monde, aux États-Unis, à Boston, à Washington, à Pasadena même, et les sept de la Commune sont partout sauf en France. Nous avons très peu de connaissance de l’oeuvre complète de Manet. Il faudrait créer un musée Manet ! L’impressionnisme, c’est charmant !... D’accord, Manet sait faire. Mais ce qui gêne beaucoup, c’est l’incroyable variété de Manet ! C’est une façon de vivre qui implique des identités rapprochées multiples. Chez Picasso, c’est la même chose. Il y a une telle variété que le social tient à l’indexer à un genre ou à un autre, à l’enfermer dans un style reconnaissable ! Une fois que c’est dit, ça se redit ! Mais la question de la pluralité n’est pas posée, elle effraye.

Il y a là une répétition tellement subtile qu’elle produit de la variété, tandis qu’une répétition lourde produit de l’uniformité. C’est pour ça que Magritte a mis des cercueils sur le Balcon de Manet ! C’est un acte qui pourrait passer pour de l’humour noir, mais, en réalité, c’est en fait un acte d’une très grande agressivité, un acte de vengeance. C’est comme Rauschenberg effaçant un dessin de De Kooning. Qu’est-ce qui gênait Rauschenberg chez De Kooning ? C’est très simple, les Women, , les femmes.

P. A. : Vous avez souvent fait référence à Manet dans vos livres, non seulement dans Femmes mais aussi dans les Folies françaises ainsi que dans divers textes sur Venise et la peinture. Si l’on pense à la réception de Manet par certains auteurs mémorialistes (par exemple Antonin Proust, son ami), les écrivains de son temps (Baudelaire, Zola, Mallarmé...) et ceux du XXe siècle (l’exemple de Bataille) à nos jours, quels sont ceux qui ont le mieux compris l’oeuvre de Manet, à votre sens ?

Ph. S. : Bataille est celui qui s’approche le plus près. Nous sommes au début des années cinquante, c’est-à-dire dans une période absolument dévastée. Son livre paraît en 1955. C’est déjà grandiose, dans cette époque sinistre, non seulement d’être allé à Lascaux pour ouvrir un peu le Temps et d’autre part d’avoir vu Manet ! Cela dit, la pratique érotique et romanesque de Bataille n’a rien à voir avec Manet. Madame Edwarda , l’Histoire de l’oeil sont des obsessions nécessaires à Bataille. Le problème, c’est de savoir ce qui surgit chez les femmes de Manet. Il n’y a pas de femmes comme ça chez aucun écrivain que vous pourriez me citer. Vous allez me dire Proust ! Pourquoi pas ? Mais ce n’est pas vraiment le cas. Quand il évoque Manet, il le confond avec Elstir et les impressionnistes, etc. C’est assez négligeable, d’autant plus que pour ce qui est de pénétrer dans la substance féminine, Proust, quand même, reste à l’extérieur du problème, d’où sa manie du vêtement... Fortuny, etc. Vous avez évoqué une autre fois Henry Miller... Il aurait été incapable d’écrire sur Manet. Miller est grand, à Pigalle, dans la situation du déniaisement d’un Américain... C’est tout à fait épatant, mais ça n’a rien à voir avec l’élégance, la science, la subtilité et la violence de Manet.

Il y a eu une bourgeoisie française qui a été à la fois républicaine et anarchiste, c’est pas mal, mais elle a disparu. Je ne vois pas en quoi Manet représenterait non plus cette fonction sociale qui a fleuri à un moment de l’histoire. Il en est l’exception. Comme il en est l’exception, il porte avec lui toute l’histoire de son temps non vue, non visible jusqu’à nos jours, où la situation est encore plus lourde. Bien que nous ne soyons pas dans les années cinquante, après l’extermination en Europe, Staline à tous les étages, etc. Vous voyez Staline devant un Manet, vous voyez Hitler devant un Manet, vous voyez Franco devant un Manet, vous voyez le maréchal Pétain devant un Manet ? Tous ces sinistres criminels... Il y a un message politique de Manet très clair dans L’Exécution de Maximilien et l’exécution des communards. On va à la mort de masse froide, indifférente, ce n’est pas la guillotine, il n’y a aucun effet mélodramatique dans sa peinture. C’est la révulsion violente ! Le portrait de Berthe Morisot en 1872, c’est un portrait de deuil de la Commune, et, en même temps, c’est l’espérance !... Le signal du bouquet de violettes, regardez bien ce tableau et celui, plus petit, qui l’accompagne : le bouquet de violettes avec la tranche de l’éventail rouge et le billet... On sait que Manet était très déprimé par les événements du siège de Paris et de la Commune. La correspondance avec sa femme, pendant le siège par les Prussiens, est tout à fait extraordinaire. Il mange du cheval, du rat, du chat... Il n’y a plus rien à manger, tout le monde meurt de faim. Est-ce que vous pouvez simplement imaginer que se trouvent au même moment à Paris Manet, Lautréamont et Rimbaud ? C’est aussi étrange de les mettre là ensemble que Lascaux et Manet, ou qu’une machine à coudre et un parapluie sur une table de dissection !

Or, c’est précisément là que se pose la question intéressante de ce qui se fait alors d’extraordinaire en français, et nulle part ailleurs. Il y a Baudelaire un peu en amont et Mallarmé, si vous voulez... Écoutez, c’est devant ça que les Français reculent... Je ne vous parle pas du passé, des encyclopédistes, de Diderot, de Voltaire. Est-ce que vous pensez à Manet si vous lisez les Illuminations de Rimbaud ? Vous devriez. On ne va pas demander à Isidore Ducasse et à Rimbaud d’avoir fait au temps où Manet peignait des portraits de femmes aussi fabuleux, vivants. On sent bien qu’il y a un embarras général quant à la question féminine. D’un côté, c’est la bourgeoisie qui veut des « fausses-femmes » partout, et de l’autre, c’est la misère. Il y a eu un moment où quelqu’un comme Manet, ce système nerveux-là, rechargé ensuite par un autre système nerveux qui s’appelle Picasso, a eu la vision d’une liberté considérable, en rencontrant la réprobation de son temps. Il n’y a jamais rien eu d’indécent chez Manet, c’est la décence de Manet qui est prodigieusement intéressante et scandaleuse. Essayez toujours de vous moduler dans le sens de la concision, voilà ce qu’il disait. La concision, c’est aussi Lautréamont et Rimbaud. Pourquoi Lautréamont commence-t-il à relire, pour les retourner, les moralistes français ? La Bruyère, La Rochefoucaud, Vauvenargues, Pascal... c’est concis ! « Primera la froideur de la maxime », c’est Isidore Ducasse, comte de Lautréamont. Les « romans » de Manet sont aussi des maximes.

La façon de se comporter avec l’argent est importante. Par exemple, Picasso demande toujours des sommes précises (il est très au courant) pour ses tableaux. Quand il ne les vend pas, il les garde, et s’il les vend, il en demande toujours plus cher. Il demande chaque fois des prix supérieurs à deux peintres : Matisse et Braque, systématiquement. Manet, ce n’est pas le fait de vendre ou de ne pas vendre qui le préoccupait, c’était qu’avec une grande innocence à la Watteau, une innocence à la Fragonard, une innocence parfaite, froide, il était très étonné de recevoir autant d’injures ; ça le frappait, ça ne lui paraissait pas normal. Sa réaction est très intéressante : il était tellement détesté qu’il ne voulait pas lire les journaux. Il écrit à Baudelaire : « Mon cher ami, les injures pleuvent sur moi... » Il a fini par dire que le fait d’être insulté chaque jour finit par user et dégoûter de l’existence. Baudelaire lui répond : « Mais enfin, de quoi vous plaignez-vous ? Comme si Manet manquait de caractère ! Tu parles ! Baudelaire : « Vous êtes le premier dans la décrépitude de votre art ! » C’est un contresens romantique de Baudelaire. Manet est alors le premier dans la renaissance de l’art !

P. A. : Paul Valéry, dans Triomphe de Manet, reprend lui aussi ce mot de Baudelaire qui porte à confusion.

Ph. S. : C’est idiot. Manet est le premier dans l’éternelle renaissance de l’art. Il s’en préoccupe. Baudelaire lui oppose les critiques faites à Delacroix, Wagner, etc. Ce sont des héros romantiques. Manet n’a rien de romantique. C’est tout le contraire. L’époque était infectée de romantisme. Elle l’est aujourd’hui encore sous d’autres formes : dégradation générale, déliquescence, positions masochistes. C’est clinique ! Manet, lui, est dans une santé du manque d’embarras, il est très étonné de ce tollé général ! Il est trop normal ! Tout le monde est anormal sauf Manet, tout le monde est grotesque... La société est révélée par Daumier, il n’y a que des bouffissures et de la misère, un peu comme aujourd’hui... L’argent !...

Longtemps la France a été un pays de guerre civile, ça la tenait en vigueur, un peu ! C’est fini. Manet est détaché... Il n’est pas à la recherche comme Monet, qui trime dur, qui est ensuite aidé par Clemenceau avec lequel il a une grande amitié. Monet vit vieux. Il sent très bien l’injustice faite à Manet, c’est lui qui va lancer une pétition pour Manet avec Cézanne, tous les gens d’invention ouverte, sont révulsés du sort fait à Manet, ils craignent que cela se passe pour eux aussi. En revanche, Manet est étonné que, faisant renaître l’art qui était au point mort, on lui en veuille autant ! Pourquoi ? Voilà la vraie question. Ce n’est pas Manet impressionniste, ni Manet art moderne, non ! C’est Giorgione, Titien. Titien, Manet se lève et dit : c’est moi. Il le dit, évidemment, quand il faut. Il aurait fait du Titien mythologique, cela aurait été nul ! Non, il arrive à pousser son temps vers cette grandeur. Tout le monde lui en veut et lui crache dessus. C’est ça, le côté extraordinairement audacieux de la vie de Manet. La haine pour l’art, c’est ça qu’il faut assurément creuser. Quand Flaubert dit : « Je crois à la haine inconsciente du style », tout le monde s’en étonne. Oui, il y a une haine profonde de l’art, raison pour laquelle je suis pour que les églises d’Italie soient soigneusement préservées du vandalisme. Au moins on peut, mieux qu’au musée, respirer ! Le chef-d’oeuvre crée son site lui-même, si on l’enlève de son site, comme Heidegger le dit dans son texte Sur la Madone Sixtine, elle meurt ! Placée dans un musée, elle s’éteint. Replacée là où elle était, dans une église, pendant la messe, elle vit.

Manet a réussi à faire de ses tableaux un événement tel que toute son époque était obligée de se dérober devant lui. Cela a une puissance de fascination telle que même Picasso (qui avait un système nerveux très particulier) est resté là en émoi profond. Quelle audace ! Faire renaître l’art quand il est mort ! C’est pour ça que le Christ mort (1864) de Manet, dont Courbet se moquait parce que, disait-il, « je n’ai jamais vu des anges aux ailes bleues », est un tableau très important et très mystérieux. Comme vous savez, Baudelaire lui avait fait remarquer qu’il n’avait pas placé la blessure de la lance au bon endroit. Il n’y a aucun Christ mort comme ça dans l’histoire de la peinture. Cela va beaucoup plus loin que le religieux. Ce tableau est extrêmement dramatique et n’est pas pieux. Il y a aussi le Christ aux outrages, qui est indubitablement autobiographique, car il est en train de se faire cracher dessus. C’est un autoportrait.

Philippe Sollers
Entretien avec Patrick Amine
29/11/10

Crédit : L’Infini N° 114


[1Une grande exposition d’Édouard Manet s’ouvre au musée d’Orsay, le 6 avril 2011.

[2Le film a été réalisé par Vincent Di Rosa et moi-même. L’entretien, qui en est issu, a été revu pour les besoins de la publication par les auteurs.

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