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Portraits croisés / Mémoire de Catherine Clément

Dos-à-dos avec Catherine Ceylac

D 4 mars 2009     A par Viktor Kirtov - C 2 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Portraits croisés de Philippe Sollers par Josyane Savigneau (Le Monde), Bertrand de Saint-Sauveur (Le Figaro), suivis de la séquence « Dos à dos » avec Catherine Ceylac (France 2) et du portrait qu’en dresse Catherine Clément dans son récent livre Mémoire [1]
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Crédit illustration : benoit.monneret@gmail.com

Portraits croisés

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Avec Josyane Savigneau

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Dos à dos avec Catherine Ceylac

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Mémoire, Catherine Clément

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Stock, 2009.
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Philippe Sollers et Julia Kristeva

Quand il était mao, Sollers était charmant. Terrible, impitoyable, cravachant ses troupes. Il attachait les uns et irritait les autres. Il donnait des bons points, ou bien il punissait ; il portait au pinacle ou il excommuniait. Ses enthousiasmes étaient suivis de fâcheries, comme avec Derrida à qui il fit la guerre avec des flèches de mots. Philippe était Socrate tel que

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le décrit Platon, une raie torpille qui flanque des décharges, quatre-vingt volts pour une chasse de nuit. Dangereux ? Evidemment.

L’impression du danger fut longue à me quitter. Dès que je le connus, Philippe m’inspira une terreur passionnée dont je ne me délivrai qu’en écrivant vingt ans plus tard un livre sur lui, Sollers La Fronde [2].

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J’allai à l’ennemi, mais pas sans le grand glaive qui aurait pu, sait-on, trancher la tête d’Holopherne en cas de nécessité. Mais je n’en eus pas besoin. L’ennemi fut amical et mes terreurs passèrent. Cela me fit penser à l’arrivée des morts dans Les Paravents, la pièce de Jean Genet dont j’avais vu la première tumultueuse au théâtre de l’Odéon en 1966. Ils déchirent un cerceau de papier et tombent de l’autre côté parmi des gens tranquilles. Ils sont morts. C’est tout simple. On crève le papier, on passe. Alors, c’est ça ? demande le petit nouveau. Eh oui, répondent les morts. Et on fait tant d’histoires ? Eh oui, disent les morts.

Ce n’est pas un hasard s’il est sensible aux voix. L’oreille agacée par le timbre emphatique d’Aragon et le son métallique de la parole de Sartre, Philippe a une voix feutrée et musicale. C’est un chanteur de mots ; et il a ses groupies. J’ai longtemps fait partie des groupies de réserve en lisière du royaume de Tel Quel, mais je manquais d’affiliation. Dire comme le chef et penser selon le chef, cela ne me disait rien ; je trouvais que j’avais passé l’âge. Mais Philippe m’a toujours traitée comme une adolescente. Il va falloir l’éduquer, celle-là ! Éducateur de filles. Philippe veut absolument imposer ce qu’il aime à celles qu’il entretient. Idoménée de Mozart ! Idoménée, te dis-je ! Mais Philippe, je préfère La Flûte enchantée... Tu n’y connais rien, voyons ! Idoménée ! Pareil pour Balladur. Pareil pour le pape. Sollers vit Balladur comme il voyait Mao, disant d’un ton ému « Il a quelque chose, tu ne trouves pas ? » et de la même façon, il s’éprit du pape, peu importe lequel, Jean-Paul II à cause de l’attentat manqué, Benoît XVI parce qu’il joue du Mozart au piano. Tout ce que dit Sollers est furieusement attaché au corps dans sa chair. Corps massifs de Mao, de Balladur, corps du Christ, corps

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mortel — « On t’a donné un corps, eh bien, il faut le rendre », disait-il quand sa mère mourut.

Convaincre est sa passion. Souvent, il y parvient. Après mon si cruel divorce, j’ai longtemps porté un double nom, Backès-Clément. Un jour, Philippe me dit qu’il fallait arrêter et reprendre le nom que mon père m’avait donné. C’étaient des mots très simples, mais au lieu de me dire, comme tout le monde à l’époque, que je devrais reprendre « mon nom de jeune fille », il me rappela à l’ordre paternel et je repris le nom que mon père avait hérité du sien. Philippe avait raison ; ce fut une délivrance. Comme Lacan, Philippe travaille les évidences inaperçues.

Comme j’aime écouter, j’ai écouté Philippe interminablement, car on ne s’ennuie jamais avec lui. C’est son charme. Ses allures libertines me semblaient romanesques au dernier degré ; il s’amusait beaucoup à libertiniser les femmes qu’il côtoyait. Là ci darem la mana, et là, mon petit joyau, je t’épouserai. Moi, non. C’était bien plus divertissant de l’écouter parler des filets qu’il tendait aux Barbie intellos. J’eus droit à un patin, mais je me dérobai. Justement, lui aussi. A ce rendez-vous manqué, il n’y avait personne et c’était rassurant ; pour une fois, rien de rien. Je me méfiais surtout des garçons de sa bande ; il y avait en eux du type qui drague sans quoi il aurait l’air d’une truffe, et de l’humiliation à tous les coins de rue.

Mais il y avait une femme dans Tel Quel, une femme étoile qui n’était pas comme ça. Je n’aimerais pas Sollers de la même façon si je n’avais pas par hasard surpris à la terrasse d’une brasserie, un matin que je conduisais ma fille à l’école rue Delambre, Philippe et cette femme embrassés. Je fus saisie au coeur. J’avais vu les Amants. Sartre et Beauvoir ? Oui, mais avec de la chair.

J’avais aperçu Julia Kristeva dans les couloirs de la Sorbonne alors que, jeune boursière, elle venait d’arriver de Bulgarie, son pays natal. Elle avait une beauté Tatare, des yeux noirs étirés, une peau couleur de miel de châtaignier, une voix avec un bel accent. Mon jeune mari le Bien-Aimé papillonnait

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autour de Julia, mais curieusement, je n’étais pas jalouse. Enfin, tout de même un peu ; il ne faut rien exagérer. Je ne l’avais plus revue et soudain, c’était elle, cette fille aux yeux défaits par la nuit. Philippe l’épousa. Ils eurent un enfant au centre de leurs vies, dont elle peut parler mais pas lui, sauf parfois dans ses livres. Philippe est très pudique ; il appelle ça « secret », Il applique la devise des Royals d’Angleterre, « Never explain, never complain  ». Pour être heureux vivons caché, dit-il.

Érudite, brillante, d’une agilité intellectuelle sans égale, Julia fut vite promue coeur féminin de Tel Quel, comme Béatrice Portinari fut la bien-aimée de Dante. Elle tint le rôle à la perfection, sans afféterie ni arrogance, se contentant de penser pour les autres, et plus souvent encore à la place des autres. Quand les autres décalquaient Sollers, les uns avec bonheur, les autres en catastrophe, Julia avançait dans sa pensée. Il y eut une exception chinoise, mais comme Barthes, Julia sut traverser les zones de danger avec prudence. Elle écrivit sur les Chinoises et n’en fut pas autrement affectée. Elle avait une présence sincère, presque naïve, une sorte d’impunité naturelle et lointaine.

Puis elle devint psychanalyste et j’étais toujours là, ni trop loin ni trop près. Elle n’était plus lacanienne, moi si. Elle était psychanalyste, moi non. Elle se mit à écrire des romans, moi aussi. Les essayistes romanciers sont très mal vus en France ; c’est ce qui nous rapprocha.

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Je vivais à Dakar quand nous eûmes l’idée d’écrire ensemble un livre sur les femmes et le sacré par correspondance, à l’antique époque où les fax fonctionnaient. Nous avançâmes très vite au rythme d’un fax par jour de l’Afrique à Paris, de Paris à Dakar et le livre parut chez Stock. Il n’est pas mal du tout ; il est beaucoup traduit. Ce fut une expérience simple et heureuse ; telle est Julia pour moi.

Quand elle fut décorée de la Légion d’honneur par le président Jacques Chirac à l’Élysée, elle m’invita. Deux ans auparavant, elle m’avait demandé de lui faire rencontrer Jacques Chirac : sur ce que ce président avait en commun avec elle, Julia avait son idée. Ils se rencontrèrent, mieux, ils se trouvèrent.

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Jacques Chirac lui confia une mission sur le handicap. Le jour de sa décoration, Julia était maquillée comme une star, belle en tailleur d’un blanc pur. Née étrangère, Julia souffre d’un déficit en assimilation ; c’est un mal que j’ai connu en famille autrefois. Elle a besoin d’honneurs. Elle en reçoit beaucoup, et toujours mérités. C’est une part de sa vie.

L’autre part, c’est Sollers, son éternel frondeur. À la fin des années soixante-dix, Philippe quitta le Seuil pour Gallimard et Tel Quel se changea en L’Infini. Il n’était plus mao. La jeunesse s’achevait. Passé l’expérimentation romanesque d’une écriture sans ponctuation dans Paradis, Philippe publia Femmes, simple roman et grand best-seller. Combien fûmes-nous de femmes à nous y reconnaître ? Allez, une vingtaine, par pièces et morceaux. Dans Femmes, j’étais reconnaissable à un borsalino que je portais souvent à l’époque, et que j’avais acheté avec Dominique-Antoine Grisoni à Milan — je crois bien qu’il me l’avait offert. Si le borsalino était le mien, le reste était sans doute un patchwork romanesque, mais enfin... J’avais dans le roman de Sollers un rôle absurde, mais c’était bien mon rôle, l’agaçante journaliste immergée dans la Société du Spectacle. Je fus infiniment troublée de retrouver des fragments de nos conversations si exactes, si véraces qu’il m’arriva de penser à un magnétophone minuscule caché dans la poche de Sollers il est capable de tout, même d’enregistrer des conversations.

Je réfléchis quinze ans. Aller à l’ennemi. Et j’écrivis Sollers La Fronde.

Catherine Clément
Mémoire, Stock, 2009, p. 215-219.


[1Stock, 2009

[2Publié sous le titre "Philippe Sollers", Julliard, 1995

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2 Messages

  • Viktor Kirtov | 5 décembre 2020 - 20:10 1

    France Inter, le 25 septembre 2020

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    Clémente Catherine Clément

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    Romancière, philosophe, essayiste, passionnée de mythologie, de culture et de politique, elle publie, cette rentrée, son "Musée des sorcières". Une étude passionnante, enflammée et savoureuse. Catherine Clément est l’invitée d’Augustin Trapenard dans Boomerang.

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    Catherine Clément en 2006 © AFP / Ulf Andersen / Aurimage
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    Intellectuelle renommée, romancière, elle s’intéresse à l’emprise des croyances sur nos esprits et nos comportements. Dans "Le Musée des sorcières", elle revient sur cette figure persécutée et vénérée, à la fois symptôme d’une virilité inquiète, et symbole de la puissance du féminin. Catherine Clément est dans Boomerang.

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    Carte blanche

    Pour sa carte blanche, Catherine Clément a écrit un texte inédit

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    Programmation musicale

    KATE BUSH – Army Dreamers
    DANI – Dingue


  • Viktor Kirtov | 5 décembre 2020 - 18:02 2

    Par Claire Servajean
    France Inter, Vendredi 4 décembre 2020
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    Catherine Clément, romancière et essayiste, est l’auteure de « Le Musée des sorcières » (Albin Michel) : un livre consacré, à l’ une des pages les plus sombres et les plus méconnues de notre histoire : les chasses aux sorcières, qui ont duré des siècles et ont fait d’innombrables victimes.

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    Portrait de Catherine Clément, romancière, essayiste, auteure de « Le Musée des sorcières » (Albin Michel). © AFP / ULF ANDERSEN / Aurimages
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    Difficile de présenter Catherine Clément en quelques lignes. Philosophe, professeur, essayiste, journaliste, romancière, conférencière, ambassadrice de culture, grande voyageuse, Catherine Clément n’a cessé d’explorer le monde et notre histoire à travers de multiples ouvrages… Elle nous revient aujourd’hui avec un essai intitulé « Le Musée des sorcières » publié chez Albin Michel.

    Les chasses aux sorcières ont duré pendant des siècles et ont fait d’innombrables victimes. Catherine Clément écrit en préambule

    les génocides du 20ème siècle ont plongé dans l’oubli ce long crime contre l’humanité que fut la chasse aux sorcières en Europe et dans ses colonies.

    Un crime contre l’humanité s’étendant sur plusieurs siècles, faisant des dizaines voire des centaines de milliers de victimes, et surtout disposant de ses théoriciens, à commencer par l’Eglise au cours du XVè siècle.

    Pour autant, bien que les chasses aux sorcières soit terminées et que le mot "sorcière" n’effraie plus personne, les femmes ne sont pas tirées d’affaire pour autant. On constate en parallèle comme un retour en grâce des "sorcières", qui seraient presque à la mode : la nouvelle génération s’est emparée de l’image de la sorcière et la revendique dans l’action féministe. Par ailleurs, Catherine Clément n’hésite pas à comparer le sort des sorcières d’autrefois à celui des victimes de féminicides aujourd’hui...

    Programmation musicale
    - Anne SYLVESTRE -Petit bonhomme