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La Fête à Venise. Luz, physicienne

D 9 janvier 2009     A par Viktor Kirtov - C 3 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Parmi les personnages féminins de Sollers on trouve des musiciennes, mais je regrettais l’absence de physiciennes - alors que les textes de Sollers pointent ça et là, bien sûr, des références à la musique, mais quelquefois aussi à la science.

J’avais oublié Luz, étudiante en physique et astronomie à Berkeley, dans La Fête à Venise. Elle déambule pourtant, de long en large et du début à la fin de ce livre. Merci à l’internaute anonyme qui l’a sortie de l’ombre, dans le forum [1]. Elle le vaut bien.

La Fête à Venise

Venise, l’été.

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Le livre sur Amazon

« Elle a juste son T-shirt blanc, elle est très bronzée, blanche brune blonde, jambes chaudes, je continue à l’observer depuis le fauteuil, volets à demi fermés sur les acacias et les lauriers, trafic lointain du quai, le lit est à la perpendiculaire du large canal brillant où passent les paquebots [...] ».

« Maintenant, je la regarde endormie, ou faisant semblant, comme, parfois, je le lui demande. Boule ronde et blonde [...], plutôt petite, fine mais ronde, ses yeux très bleus sont fermés, les mêmes que ceux de sa mère, je suppose, mère suédoise, père italien, le prénom espagnol est venu par la mère du père pendant que la génétique du Nord l’emportait. Vingt-trois ans, née en 1966 à Lo Angeles, jeune fille, jeune femme, mythologie ! Ingrid Bergman et Rossellini, glace et volcan, grâce et tremblement de terre, elle est étudiante en physique et astronomie à Berkeley, je la connais depuis : six mois, elle était venue à Paris pour Noël, rencontre par hasard au Louvre, mais oui, c’est comme ça, un auteur anonyme l’a dit : « Il m’arrive ce qu’il faut quand il faut, je n’y peux rien, je m’accroche. ". Ou bien, selon la formule préférée de Luz : « On appelle singularité la région centrale des trous noirs. » Cela donne, de temps en temps : « N’oublie pas qu’on appelle singularité ", etc. avec un sourire blond-bleu qui éclaire d’un coup ses joues et ses cheveux courts.. [...] Esprit scientifique, mais curiosité esthétique [...] »
Folio, p.38

« Je m’en tiens à mon tableau : la porte fenêtre, le rai déclinant de lumière, le visage rose et brun de Luz, de biais, sur l’oreiller blanc, sa tête dorée, sa respiration, son oreille gauche, sa légère oreille gauche de visage à fossette à moitié enfoui, son sexe blond, ses seins sous le coton froissé, celui de droite entre les lettres B et E, celui de gauche entre E et Y, Berkeley, son front tiède, son menton au goût d’abricot, ses hanches, ses poignets, ses genoux, ses genoux, ses chevilles. Il faut voir et sentir tout cela à la fois et touche après touche. »
Folio, p.40

Plus loin, flash back

« Cette fois je l’ai intriguée. On s’est beaucoup promené, ce jour là, moi et ma petite physicienne luciférienne, un beau dimanche de janvier bleu-sec, argenté... Elle habitait près de chez moi, en haut du boulevard Saint-Michel, on a tourné autour de l’observatoire, je leui ai montré la statue de Le Verrier dans la cour d’entrée mangée d’herbes, l’inventeur de Neptune, fier un peu rejeté en arrière, ses papiers à la main.. Pour la première fois, j’ai remarqué que la rue Cassini (celle de Balzac) n’a pas de numéro 13, j’y passe pourtant chaque jour..[...] Même étonnement devant l’inscription frontale de l’église désaffectée qui ferme la perspective : Sanctissimae Trinitati et Infantiae Iesu, Sacrum ; bâtiment perdu, télégramme sans destinataire dans la pierre. Je l’ai embrassée là, sous les arbres nus. C’est elle qui a noté, ensuite, la prolifération, dans le quartier, des coupoles et des représentations du globe terrestre : fontaine-zodiaque de Carpeaux (compatriote de Watteau, il a réalisé sa statue à Valencienne)[...]

Dans mon carnet, à la date du lendemain, je trouve :

« A suivre : Louvre, fine petite blonde rieuse ronde yeux bleus, 23 ans, italo-suédoise américaine, rapide. Scientifique, peau mangeable. Fille unique, mer biologiste, père cardiologue, vit en Californie. Promenade Le Verrier, Neptune (exploré en ce moment même par Voyager II). Trouvée devant les Watteau. Prénom espagnol (Luz). Revient pour l’été. »
Folio, p.40

Philippe sollers
La Fête à Venise

Publié en 1991, l’exploration du Cosmos par les sondes américaines bat son plein. Que Luz soit étudiante en physique et astronomie n’y est sans doute pas étranger. Et ce prénom Luz ? Lumière. La peinture religieuse aime la faire venir du ciel, du cosmos... Puis c’est la promenade autour de L’Observatoire, la statue de Le Verrier dans la cour d’entrée, l’inventeur de Neptune, qu’explore alors Voyager II. Sollers nous y conduit par petites touches. Jusqu’à ce lien avec Watteau à la fontaine zodiaque de Carpeaux, pièce essentielle du puzzle de ce livre centré sur cet étrange tableau, non répertorié, attribué à qui ? A Watteau.

Un scénario, une intrigue... Qui a dit que Sollers n’écrivait pas de roman ? C’est toujours du Sollers, "encyclopédique", qui transcrit ses notes. Côté observation scientifique du cosmos, Sollers glissera ça et là quelques informations pertinentes sur le sujet. Petites touches qu’un observateur du XXe et XXIe siècle, vivant dans son siècle ne saurait omettre. Personne n’y fait attention. Lubie de Sollers ? Non intention constante que l’on retrouve disséminée dans ses écrits, cosmos, biologie, structure de la matière vivante, reproduction in vitro, un thème souvent repris... Intention revendiquée jusque dans le sous titre de sa revue L’Infini : Littérature / Philosophie / Art / Science / Politique. Et c’était déjà le même sous-titre pour la revue Tel Quel. Rien ne saurait être étranger à l’honnête homme devenu l’homme de goût du XXe et XXIe siècle, observateur des vibrations et mouvements de son temps. Telle est la visée de Sollers. Rendez-vous dans un siècle pour savoir s’il a réussi.


Luz, la petite physicienne


par Alina Reyes

C’est dans La Fête à Venise, je crois, que Sollers esquisse un personnage de jeune femme nommée Luz. Une bourgeoise froide et distante, comme tous ses personnages de femmes. Une femme comme il convient dans les beaux draps-pages blancs, une femme convenable. Discrète, comme il est d’usage dans les bonnes familles où il est nécessaire de cacher ce qui pourrait entamer l’image du notable, donc son pouvoir. Muette, sauf quand il s’agit de questionner le maître dont elle est la muse, afin qu’il puisse briller. Si elle s’appelle Luz, c’est sans doute qu’elle est censée incarner la lumière, mais on ne voit pas en quoi. Comme toujours avec lui, c’est lui, le lumineux. Pourtant, parfois le clair regard sur autrui lui vient, et lui donne une belle phrase, telle celle que j’ai recopiée dans Forêt profonde. Pour une fois, je n’ai pas cité le nom de l’auteur, par manière de clin d’ ?il à sa pratique de la citation sans références - mais non crapuleuse, contrairement aux pratiques d’Haenel. Je vous la donne, cette phrase :

« Oui, n’en finis pas de faire briller ces yeux, et encore ces yeux, et dis-le encore que voir, toucher, sentir, écouter, parler, ne sont qu’un seul noeud impalpable, là, au soleil. »

La petite physicienne en moi est heureuse de lire une telle phrase, si enlevée, si joliment ennamourée, si sensible. Ainsi donc, quand même, il sait aussi regarder l’autre avec bienveillance, de temps en temps ? Phrase fugace, mais elle m’a plu, et je l’ai mise, cette oisillonne, au creux d’un tendre passage de mon livre.

Alina Reyes


[1En commentaire de l’article "Les Voyageurs du Temps"

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3 Messages

  • V. Kirtov | 16 février 2016 - 13:39 1

    Oui Alma, c’est bien la même inspiration qui m’a conduit vers Luz et plus largement, je prépare actuellement un article sur le sujet "Sollers et la science" avec une compilation d’extraits de ses textes. Si Sollers disposait encore de sa tribune dans Le Journal du Dimanche, nul doute que nous aurions eu une entrée "Ondes gravitationnelles".
    Nous allons tenter de combler ce manque, ce trou noir - qui n’est ni noir, ni un trou - mais les physiciens savent aussi utiliser la métaphore, et nous conter la relativité comme un roman. A cet exercice, Etienne Klein, physicien et docteur en philosophie des sciences, se révèle un merveilleux conteur vulgarisateur. Jugez-en avec "Si la relativité nous était contée" :


  • Alma | 15 février 2016 - 16:50 2

    L’annonce ces jours-ci par la National Science Foundation de Washington de la détection d’ondes gravitationnelles par l’interféromètre terrestre américain LIGO m’a aussi ramenée à Luz... Notre Froissart de La Fête à Venise aurait sans doute fait un bout de chemin romanesque supplémentaire avec la coalescence de ces deux trous noirs...


  • V. Kirtov | 15 février 2016 - 11:22 3

    Petite leçon de physique, l’énoncé d’un paradoxe :

    Luz :

    […] Elle est allongée sur le canapé du salon, je suis assis sur le tapis bleu chinois, je tiens sa cheville gauche entre mes mains, dessin Diane au bain, Actéon accepté, pas de chiens, vérité du pied, deux temps trois mouvements, calme.

    – « Deux temps, trois mouvements » ?

    – Quand on a trouvé le temps de l’instant. Une phrase.

    – Exemple ?

    – Cet homme était un paradoxe vivant : il s’amollissait dans la discipline et s’endurcissait dans les plaisirs.

    – Autoportrait ?

    – Si tu veux.

    Philippe Sollers
    La Fête à Venise