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Françoise Verny alias Olga Maillard

D 31 août 2008     A par Viktor Kirtov - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Chez Sollers, il y a les femmes femmes, les femmes mère, la mère, la tante Laure, Eugénie, Dominique, Julia, les amantes occasionnelles, les prostituées, les musiciennes, les philosophes, les romancières, les folles, les femmes de savoir, de savoir faire, les femmes de pouvoir et bien d’autres encore, chaque femme pouvant en être une autre.

Olga Maillard est un personnage de Portrait du Joueur (Gallimard, 1984) ; c’est aussi la Françoise Verny éditrice chez Gallimard que Philippe Sollers a connue. Catégorie femmes de pouvoir.

Notez la construction du nom de personnage par Sollers : Olga le "Ga" de Gallimard et Maillard qui peut aussi se lire "limard" ...Ga-llimard !

Sollers suit de près l’arrivée de Françoise Verny chez Gallimard.

Petite chronologie du moment :

1982 : Françoise Verny, rejoint Gallimard comme adjointe du PDG, Claude Gallimard. Elle a 58 ans.
Dernier numéro de la revue Tel Quel au Seuil.

1983 (début) : Femmes paraît dans la collection blanche de Gallimard. Sollers a 46 ans.
Premier numéro de la revue l’Infini (Hiver 1983) au sein du groupe Gallimard.

1984 : Sollers publie Portrait du Joueur .

01/05/2015 : Ajout section « Le témoignage d’Alexandre Jardin »

1988 : Oui Olga Maillard est Françoise Verny

Si quelqu’un pouvait douter du modèle d’Olga Maillard dans Portrait du Joueur, Philippe Sollers enfonce le clou dans l’interview de Pierre Boncenne dans Lire N° 152 de mai 1988. Extrait :

«  P.B. Votre nouveau roman, Les folies françaises, est dédié à Antoine Gallimard qui vient justement d’être nommé PDG de la maison. Un peu opportuniste, non ?

P.S. Je pourrais vous répondre, et vous le savez bien, que cette dédicace existait avant cette décision. Ou alors qu’Antoine Gallimard est un ami de longue date, ce qui est vrai aussi. Mais pour aggraver mon cas, disons que c’était un coup de poker et que ça a marché ! Vous savez, je n’aspire pas du tout à faire carrière dans l’édition ou alors, vraiment, je m’y serais pris d’une autre manière. Je ne fais partie d’aucun jury important et je ne fantasme pas du tout sur l’Académie. Parions que cela continuera ainsi. Quant à Gallimard, je suis très content de pouvoir y publier mes livres et quelques auteurs auxquels je tiens sans oublier L’Infini, une revue au tirage somme toute confidentiel. Je suis aussi entré dans cette maison avec l’espoir déclaré de voir Sade paraître dans La Pléiade. Bientôt ce sera chose faite. Que demander de mieux ? Je vous signale, enfin, que je ne me sens pas du tout prisonnier de Gallimard : pour preuve, dans Portrait du joueur, un portrait explicite de Françoise Verny qui, alors, travaillait encore dans la maison. Mais elle ne m’intéressait que comme personnage de roman et pas comme personnalité d’une chronique. Car en définitive, la certitude d’avoir pour seule passion la littérature prend le dessus sur tout le reste. »

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2006 : Je n’ai jamais rien corrigé

Enquête de Bernard Géniès du Nouvel Obs.  :
Et s’ils récrivaient leurs livres

Philippe Sollers : « Je n’ai jamais rien corrigé »
A part quelques corrections élémentaires pour la réédition d’« Une curieuse solitude » dans une collection de poche, je n’ai jamais envisagé de corriger quoi que ce soit dans ce que j’ai écrit, trop poussé en avant par ce que j’étais en train d’écrire. Le seul problème a toujours été d’imposer mes livres à l’éditeur. « Paradis » sans ponctuation ? Problème. « Femmes » ? Problème, et changement d’éditeur. Je revois Françoise Verny m’invitant à passer chez elle pour nettoyer le volume de quelque dimension érotique qui l’avait choquée. Mais non, c’était ça ou rien. Ce que j’ai entendu de plus drôle : Michel Rocard me demandant si j’écrivais moi-même mes livres. Vraiment ? Sans conseils ni modifications ? Mais oui. Il a eu ce commentaire : « Ça ne manque pas de souffle ! » Authentique. J’en ai eu le souffle coupé.

Le Nouvel Observateur Nº2194 SEMAINE DU JEUDI 23 Novembre 2006

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Olga invite le Joueur chez elle

La version littéraire dans Portrait du Joueur (1984)

- Vous faites de l’édition ou vous écrivez ? Il faudrait savoir !
- Mais les deux, non ?
- Vous ne voudriez tout de même pas tout avoir ?
- Pourquoi pas ?

Je revois Bontemps lever les bras au ciel... Comme si j’avais dit que je voulais être à la fois Dieu et l’Église, ou, plus modestement, turfiste et jockey, constructeur et pilote, éclairagiste et danseur... Et les intermédiaires, alors ? Les relais, les degrés, les étages ? La structure de la société ? Le profane et le sacré ? Le théâtre ? Les coulisses et la scène ? L’organisation du jeu ? Je veux l’autogestion ou quoi ? L’anarchie ? La fin du monde ? Les Éditions du Même ? L’endogamie ? L’inceste généralisé ? L’utopie réalisée ? L’âge d’or ?

- Et dans un film adapté d’un de vos romans, je suppose que vous voudriez jouer votre propre rôle ? <br<
- Mais, franchement, pourquoi pas ?

C’est ça, il veut tout, il est mégalomane. Un malade.

Il refuse la grande loi normale de la répartition des identités. Et le pire, c’est qu’en effet, il pourrait en être capable... Mais alors qu’est-ce qu’on devient, nous, avec un zozo pareil ? Il va nous faire tous passer pour des imbéciles et des inutiles... Il met en cause l’articulation elle-même. Pire qu’une pute décidant d’être son propre mac ! De gérer personnellement son bout de trottoir... Où allons-nous ? Que devenons-nous ? C’est de l’autogestion intégrale ! Un défi aux fondements du commerce !...

C’est Olga qui a été chargée, par le réseau, de me faire entendre raison... Olga Maillard... La superprofessionnelle... Le Nautilus des cent mille lieues sous les mers... L’imprésario tous courants, l’amiral femelle des tempêtes dans le verre d’eau sans cesse troublé du show-business... L’impératrice des suggestions coudées... De l’accouchement cortical... Passeuse de la ligne magnétique ... Un génie à sa façon... Une amie de J. J. formé par elle au machiavélisme infiniment subtil de la nouvelle représentation... Une virtuose du toucher hormonal... Spécialiste des glandes... Règle des cinq V : Qu’est-ce que vous valez ? Qu’est-ce que vous vivez ? Qu’est-ce que vous voulez ? Qu’est-ce que vous êtes capable de viser ? Comment, et jusqu’où, pouvez-vous voler ?... Entreprise de volumes, Olga... Volume elle-même... Cent dix kilos, le poids catégorigue au milieu des plumes... Le meilleur agent d’information et de désinformation du métier... Sachant immédiatement ce que les autres ne veulent pas savoir sur euxmêmes, détectant sur-le-champ leurs vulnérabilités, leurs désirs cachés... Je la vois chez elle. Massive, là, cigarette collée à ses grosses lèvres gourmandes, jambes trapues écartées, yeux globuleux, paupières plissées...

- Dis-moi, chéri, tu pourrais mettre un peu d’eau dans ton vin...
- De l’eau dans mon vin ?
- Oui... Avec Bontemps... Avec L’Autre...
- Qu’est-ce qu’il veut, finalement ?
- Que tu l’aimes !
- Mais je l’aime bien...
- Allons, allons...

Elle rit... Elle est sympathique... Elle entend tout...

Elle sent tout... Confesseuse... Plaintes, projets, doutes, excitations ou dépressions des uns ou des unes...

Trépidations... Fantasmes... C’est étonnant qu’elle s’y retrouve encore, gavée comme elle est des ambitions et des données les plus variées et contradictoires... Intrigues gouvernementales, évolution des partis, mouvements de capitaux et de personnel, chiffres d’affaires, courbes, dettes, emprunts, résumés d’analyses politiques ou de feuilletons, plus les coucheries à droite et à gauche, les possessions transitoires, les drames conjugaux, les irritations de Sodome, les bouffées glacées de Gomorrhe... C’est la grande sacrifiée, Olga... Elle n’a, droit à rien pour elle-même... Une sorte de sainte à l’envers... Surveillante supérieure des vampires, c’està-dire de tous ceux qui vivent dans l’imagination des autres... Mère supérieure des damnés flambeurs .........

Chauve-souris des ondes... Dragon des couloirs.........

Entonnoir des rêves... Elle a les deux mains posées avec énergie sur ses courtes cuisses solides, elle est irréfutable comme une statuette Maya, elle regarde un peu au-dessus de moi mes pensées furtives, buées, intervalles... Sa moue de bouche remue un peu... Elle bouge sur son trépied... Les entrailles du dieu vont gronder... Sibylle...

- Comme tu voudras, chéri...

Elle a plutôt prononcé cheu ri que chéri... Mauvais signe... Je ne lui dis rien sur moi... Elle ne me dit rien sur elle... On est des pros... On ne parle pas. Je ne vais tout de même pas lui raconter ce que j’ai l’intention d’écrire, et comment, et pourquoi. Inutile. Ce n’est pas la question. Ici, c’est le bordel, les affaires. La Bourse, les cotations, les changes, les graphiques serrés, les obligations, les actions. Après tout, les points de vue ne sont pas si différents. Ils se rejoignent dans la certitude de la relativité générale. Le tireur de ficelles et sa marionnette partagent le même secret. Avec un petit avantage quand même à la marionnette. Quelque chose de plus. Une gratuité supplémentaire et muette. Un charme ironique abstrait. Comme c’est loin, la vie, sa propre vie, quand on écrit... Comme ils sont loin, irréels, les autres, n’ayant jamais eu lieu, sans consistance et sans durée... Comme c’est faux, l’espace. Comme c’est vrai, une page.

- Comme tu voudras...

Elle a autre chose à régler, Olga, je ne relève pas de sa juridiction... Elle traite plutôt des pubertés, des immaturités prolongées... C’est-à-dire presque tout le monde... Le blanc d’ ?UF... L’écume de l’Autre... Enfantillages... Petites filles et petits garçons, culottes courtes et jupettes, déguisés en adultes responsables, inspirés, soucieux, radins, cyniques, lyriques, vicieux... « Allez chez Maillard, elle vous arrangera ça... » C’est une bonne grosse tante du temps jadis, Olga, une nourrice nourrie de whisky pour pouvoir les supporter tous à la fois, qui les connaît un à un, une à une, depuis leurs berceaux, leurs couches, leurs toilettes, leurs défécations, leurs premières menstrues, leurs branlettes qui leur paraissent toujours si graves, si importantes. Leurs doigts dans le nez... Leurs nervosités à l’école « Je veux être premier... - Tu le seras, tu le seras. Tu sais bien que c’est toi le plus doué, le seul... » « Je ne peux plus supporter le grand du deuxième rang, il m’embête... - Défends-toi, imbécile ; tape-lui dessus... » « La petite bringue à lunettes m’a encore fait des misères... - Tu n’as qu’à lui déchirer ses cahiers... » Famille, famille... Siècle en siècles... Majestueux et infatigable et dérisoire roman des familles... Allez, amenez votre catalogue de famille, c’est tout ce que vous êtes, au fond Sous vos grands airs, hein ?... Allons, allongez-vous........... Associez librement... Associez, associez... Racontez-moi tout en détail...

Je venais juste de quitter les Éditions de l’Autre après avoir publié mon best-seller érotique chez un autre éditeur (que Bontemps en crève de jalousie et de rage ! Que tous les employés, ou plutôt les curés sociaux urétraux et les bonnes s ?urs gynécologiques de l’Autre en aient des ulcères jusqu’à la fin de leurs jours ! Que les spectres du refoulement maussade, dont ils sont les émanations visibles, soient dissous dans les profondeurs de l’éternité !), quand j’ai rencontré Joan... Interview pour son magazine international... Comment fonctionnent les tubulures du succès... Elle m’a soufflé en entrant chez moi : ah, l’image ! On aurait dit qu’elle sortait du papier glacé en couleurs, insolente, vive, émergeant de tous les bains moussants et de toutes les eaux de toilette imaginables, les plus sophistiquées, les plus chères, celles pour lesquelles vous avez les plus belles publicités exotiques, terrasses au soleil à Manhattan, plage indiscernable et nocturne au fin fond du Brésil, coucher de soleil aux Bahamas, matinée à Sydney, soirée à Pékin... « La femme est une île, Fidji est son parfum... » Vingt-deux ans, débuts dans le journalisme... Vapeur, beauté mannequin, star... Brune, retroussée, ronde...

- J’ai beaucoup aimé votre livre.
- C’est gentil.
- Non, vraiment beaucoup. Surtout les scènes à
Venise.
- Rien ne vous a choquée ?
- Ah non. Quoi, par exemple ?

Dix minutes plus tard, c’est moi qui l’interviewe...
Enfance protégée, pieuse... Comme Sophie... Mais rien ne fait peur à Joan, maintenant, elle est au courant, elle tient à ce que je le sache... Voilà, on tourne... On s’approche... On avance... Je m’assois près d’elle, comme dans le livre... Lui prends la main... Elle me laisse faire gentiment... J’en suis fou... Quelle beauté ! Je quitte tout, je divorce, je l’épouse ! J’entends d’ici les rumeurs d’admiration quand on rentrera dans un restaurant... « Le salaud, il ne s’ennuie pas » « C’est sa nouvelle ? »... « Ravissante »... On s’embrasse passionnément... Elle se déshabille avec naturel, presque trop... L’idéal ! La perle ! Ce que tout homme rêve d’avoir possédé un jour ! Séquence de cinéma ! Super-production ! Hollywood ! Légende ! On s’allonge... J’opère... Elle commence à me griffer convulsivement le dos... J’essaye de la calmer, je commence à comprendre .. Hélas, c’est bien ça... Rien... Elle me mord, remue, gémit, s’exaspère... J’essaye d’éviter les plus gros bleus pour la salle de bains, demain, avec Norma... Je fais semblant de jouir pour aller plus vite... Elle y croit, elle a l’air contente... M’embrasse sur la joue, comme une enfant de douze ans... On se quitte bons amis, on devient amis... Elle me raconte ses sorties, ses coucheries toujours empreintes de bonne volonté, « ça leur fait tellement plaisir »... Comme si c’était une action charitable de les laisser s’approcher et rentrer dans sa beauté, comme ça, gratuitement, lueur soudaine dans leurs vies mécaniques, moroses... Donnant les détails sans aucune gêne, sans la moindre pudeur, comme si elle parlait d’un article qu’elle avait lu, d’un reportage sur les Eskimos ou les Pygmées australiens...

- Il vous fait la cour ?
- Un peu.
- Vous avez couché avec lui ?
- Un peu.
- Comment ça, un peu ?
- Comme d’habitude.

Confirmant par là que, même si elles sentent quelque chose, l’acte, à proprement parler, est aussi loin d’elles qu’une opération sous hypnose ou anesthésie...

Joan a fini par m’expliquer que, pour elle, le mieux était la masturbation sur fond de musique... Elle prétend éprouver là de véritables extases... Je lui ai demandé de le faire devant moi... Elle a bien voulu, et, bien entendu, a été obligée de s’arrêter au bout de dix interminables minutes à se caresser, nue, par terre, n’ayant gardé que son collier de perles. Tableau de rêve. Titien en mouvement. Montre en main de ma part. Cantate de Bach.
- Je ne sais pas ce qu’il y a. Ça ne marche pas. Mais ça a marché tout de suite en rentrant chez elle...

Au téléphone... Dans le vacarme triomphal du Messie de Haendel. Long hurlement de soprano pour finir. Alleluia. « Merci ! - Bonne nuit ! - Bonne nuit ! » Elle me dit qu’elle est sûre d’elle, de temps en temps, aussi, aux cabinets... Trente secondes... Même pas... Ça la prend tout à coup en train d’écrire... Elle y va... Ce qu’elle entend, ou a besoin d’entendre, à ce moment-là, c’est une voix ressemblant à celle de son père en train de laisser tomber : « petite salope » ou : « c’est vraiment une petite salope ». D’après elle, effet immédiat. Ça la détend.

Ce qui est comique, si l’on veut, pas surprenant mais tout de même incroyable, c’est que les types ne s’aperçoivent de rien... Ils foncent dans le panneau avec enthousiasme, ahuris et flattés de ce cadeau qui leur tombe dessus, jeune Miss Monde bourgeoise, bien élevée, cultivée... Après quoi, ils tiennent courageusement à la faire jouir... « Il y en a qui se défoncent carrément les poignets, les mâchoires... - Et vous, pendant ce temps ? - J’aime bien être assise dans un fauteuil et lire le journal. - Quel journal ? - L’Expansion. Ou L’Express. Un article économique. - Ils seraient contents de savoir ça pour leur publicité ! Vous croyez ? - Non, je ne crois pas. Mais tout de même, quelle photo ! - En tout cas, c’est drôle, c’est comme s’il fallait deux niveaux étanches. - Oui, dis-je, la division du travail. - On est divisé, hein ? C’est ça ... Je le fais, et je ne le fais pas. Il y a quelqu’un à côté de moi qui est moi, et qui le fait pendant que je ne suis pas là. Il se passe quelque chose et ien. On est réveillé et on dort. On est en vie, et on est mort. Est-ce qu’on peut dire ça : être en mort ? - Pourquoi pas dis-je, c’est plutôt ce qu’on observe partout, non ? - Au moment du sexe ? - C’est vrai qu’ils ont l’air un peu apoplectiques. Somnambulesquement dans le résultat. La course. La ligne d’arrivée. Comme une vie qui aurait envie de se débarasser d’elle-même, de mourir. Ils ont envie de mourir. - Et vous ? - Je ne sais pas. Il y a comme un réflexe, ou un devoir, ou une vieille ruse instinctive, nocturne qui consiste à ne pas troubler le spectacle, à les recevoir. - Vous leur donnez un reçu ? - Je leur done ce qu’ils ont envie d’avoir. - Et qui est ? La possibilité d’éclater de prétention, tout de suite après... Je leur laisse à peine le temps, remarquez. Je m’en vais tout de suite. - Vous devriez vous faire payer à ce compte là. - Mais non, c’est pour moi que je le fais. - sans bénéfice ? - Pas du tout, il y en a un. - Mais lequel ? - Peut-être d’effacer, d’un seul coup, toutes ces expressions de la journée, ces regards sur moi, même pas de désir, de convoitise bête, pseudo complpice ; tous ces regards alumés, idiots. Vous ne pouvez pas savoir ce que c’est, la révélation, au jour le jour, à chaque instant, de l’idiotie universelle... Quand j’en laisse rentrer un, c’est comme si je leur fichais à tous la tête sous l’eau. En leur montant que ce n’est rien, qu’il n’y a rien, qu’ilq poursuivent tous des hallucinations, des chimères. Qu’ils sont du vent. Que le système entier est du vent, et voulu comme tel. C’est plus dur que de les faire payer finalement. Ca me repose. - Ca va vous fatiguer un jour. - Mais je suis jeune ! »

Elle n’a pas dit : oh pardon ! mais presque. Et elle a raison. Elle pourrait être une file de Laure ou Blandine, par exemple qui n’est pas si mal... Elle a raison, elle a raison. Je pourrais être son oncle. Je suis son oncle. C’est même ce qui lui a paru si exitant, la première fois. Comme de respirer sur moi des traces de femmes : comment sont-elles et comment font-elles ? Leurs trucs, leurs astuces. Celles qui ont l’expérience. Les vieilles joueuses de poker. Vous, vous êtes tout au plus une plaque sensible, un ,égatif, parfois un enjeu. Voilà aussi pourquoi elle me mordait et me griffait si fort... Message pour Norma, en morse... Hiéroglyphes... Bouteille à la mer.


Crédit : Texte et illustrations,
Portrait du Joueur,
Editiion illustrée Futuropolis/Gallimard, pp. 73-77
Illustrations : Martin Veyron

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VOIR AUSSI :

Portrait du Joueur ,
Les Identités Rapprochées Multiples , Portrait du Joueur
Les Lettres de Sophie , Portrait du Joueur
Mysogine, moi ?, Portrait du Joueur
Critique , Portrait du Joueur

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Cette brave femme...

2004, décembre. On enterre Françoise Verny. Bernard-Henry Lévy qui se souvient qu’elle l’a lancé prononce l’éloge funèbre. Philippe Sollers n’est pas là (sauf erreur) - ; il ne lui doit rien, il n’a pas grande sympathie pour elle. Juste quelques mots sifflants pour enterrer une vie dans son Journal du mois de janvier 2005 dans le JDD. Il trouvait que BHL en avait un peu trop fait en comparant Françoise Verny à Jean Paulhan et Jacques Rivière

C’est très exagéré. On ne voit pas cette brave femme éthylique, devenue dévote, fonder la NRF, recevoir des lettres d’Antonin Artaud, préfacer Histoire d’O, être l’amie de Claudel, de Proust, d’Henri Michaux, de Céline. Je l’ai connue : elle ne lisait rien. (sic)

Paix à son âme, à celle qui a écrit ce livre : Mais si, messieurs, les femmes ont une âme.

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Erreur

2007. Un vrai roman, Mémoires (Plon)
Début des années 1980 [...]La disparition de Barthes et de Lacan sonne le glas de Tel Quel chez son éditeur. Celui-ci voyait déjà d’un très mauvais ? il la présence de ce petit Etat dans l’Etat, et, de plus, est horrifié par le manuscrit de Femmes. Il va donc falloir déménager : camionnette, archives, bibliothèque. Le chemin est court et au bout de la rue Gallimard.

Je connais Antoine Gallimard depuis les années 1968, on a fait quelques nuits ensemble. Son père, Claude, est naturellement soupçonneux, d’où un stage pendant un temps, dans une des filiales du groupe. La nouvelle revue s’appelle L’Infini, la nouvelle collection aussi. Mon roman Femmes paraît début 1983 dans la Collection blanche pari gagné : succès.

Je me revois, à la fin de l’année 1982, roulant vers Paris, mon manuscrit à côté de moi dans la voiture. C’est l’incertitude complète sur le plan social, et la grande certitude au sujet du texte. Moralité : compte sur tes pages écrites, la réalité s’y pliera. Les choses vont très vite grâce à Antoine Gallimard (ce que personne ne peut savoir). Le « milieu littéraire » imagine, à l’époque, que j’arrive dans les bagages de la grosse, éthylique et absurde Françoise Verny. Erreur. (sic)

Heureusement, l’ancien éditeur ne veut pas lâcher le titre Tel Quel. L’Infini, c’est beaucoup mieux, merci Providence. Mon ami Pleynet débarque donc avec moi à la NRF, on en est, ces jours-ci au centième numéro et quelques succès en volumes.

pp 133-134


Françoise Verny (1928-2004) était aussi normalienne et agrégée de philosophie.

En 1961, elle dirige le Nouveau Candide aux côtés de Jean Dutourd.
En 1964, Françoise Verny devient directrice littéraire chez Grasset et lancera avec un grand retentissement médiatique Bernard-Henry Lévy, André Glucksman, Lucien Bodard, Françoise Mallet-Joris ou encore Yann Queffélec.

Chez Gallimard, où elle ne restera finalement que quatre ans, ce seront notamment Alexandre Jardin et Marie Nimier... Puis, elle poursuivra sa quête de nouveaux talents chez Flammarion tels que Cyril Collard....

Le personnage de Françoise Verny, "papesse" de l’édition française du dernier quart du XXe siècle, apparaît aussi dans La Fée Carabine de Daniel Pennac (la reine Zabo) Dans Éloge de l’amour (2001) Jean-Luc Godard lui avait réservé une apparition.

Et le temps d’écrire quelques livres :

- Le plus beau métier du monde, Olivier Orban, 1990 - son expérience d’éditrice.
- Dieu existe, je l’ai toujours trahi, Orban, 1992, puis Le livre de poche.
- Dieu n’a pas fait la mort, Grasset, 1994 puis Le livre de poche.
- Mais si, messieurs, les femmes ont une âme , Grasset, 1995, puis Le livre de poche.
- Pourquoi m’as-tu abandonnée ? Grasset, 1998, puis Le livre de poche.

« Je suis une mère maquerelle qui lit la Bible » disait-elle d’elle-même.

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Le témoignage d’Alexandre Jardin

Un autre témoignage sur Françoise Verny, alors qu’elle était directrice littéraire chez Gallimard, celui d’Alexandre Jardin, avec la voix de Françoise Verny commentant sa vision du rôle de l’éditeur pour ses auteurs.

Extrait de l’émission « La Bande originale » (France Inter du 29 avril 2015), avec pour invité Alexandre Jardin à l’occasion de la parution de son son nouvel essai,"Laissez-nous faire" aux Editions Robert Laffont

Le livre sur amazon.fr

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1 Messages

  • V. Kirtov | 1er mai 2015 - 09:11 1

    Un autre témoignage sur Françoise Verny, alors qu’elle directrice littéraire chez Gallimard, celui d’Alexandre Jardin, avec la voix de Françoise Verny commentant sa vision du rôle de l’éditeur pour ses auteurs. C’est ICI…