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Ennemis publics (Extrait)

Michel Houellebecq, Bernard-Henri Lévy

D 11 octobre 2008     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Où il est question de Sollers dans l’extrait principal présenté.

Et aussi, un extrait insolite : « La phrase de Goethe », où est évoquée la possible chute de Lehman-Brothers aux Etats-Unis, six mois avant le tsunami financier. Lehman-Brothers ? Le premier domino à tomber qui allait entraîner les Bourses, américaine puis mondiales, dans sa chute. L’Effet domino à l’échelle du monde !

Michel Houellebecq. Le 8 février 2008

Cher Bernard-Henri,

Eh bien, je vous crois. Votre lettre m’ a d’abord causé une espèce de choc, mais j’ai décidé de vous croire - et j’y ai un certain mérite, parce qu’un ego aussi bien trempé que le vôtre relève pour moi du mystère, voire de l’anomalie.

[...]

Il reste que vous avez développé une sorte de potion magique qui diminue considérablement votre vulnérabilité, et le secret de fabrication m’intéresse. D’autant que je vais moi-même sortir un film cette année, et que je peux donc m’attendre à une projection particulièrement abondante d’injures et de crachats - par mes ennemis traditionnels, comme par d’autres qui me restent à découvrir : voilà à peu près le programme de mon année 2008.

Il y a bien sûr la solution Obélix, « tombé dedans quand il était petit », et le pire est que dans votre cas c’est peut-être la bonne, seulement ça ne m’ avance pas beaucoup. On finit toujours plus ou moins par ressembler à son père, voilà une vérité qui retombe sur moi avec l’élégance d’un bloc de béton, et il se peut que vous n’ayez tiré de la fréquentation de votre père que des images fortes et lumineuses ; dans mon cas c’est plus mitigé.

Mais, aussi, le troublant chapitre IV de Comédie suggère que votre secret réside peut-être dans une utilisation fine du moi social. Mon premier vrai contact avec ces réalités remonte à 1998, lorsque le répandu Jérôme Garcin, flanqué de son sinueux acolyte Fabrice Pliskin, ont souhaité m’inviter, avec Philippe Sollers, pour un débat dans les colonnes de leur publication. Je revois leur air dépité lorsqu’ils ont appris que nous avions déjeuné ensemble la veille. « Vous vous êtes vus avant ?... », et la mâchoire qui retombe. Eh ben oui, Ducon, c’est interdit ? Les deux compères souhaitaient bien entendu titiller l’homme au fume-cigarettes sur le « portrait au vitriol » que je traçais de lui dans Les Particules élémentaires.
Sauf que Philippe, à l’époque, était tout à fait disposé à me pardonner. D’abord, il faut bien le reconnaître, parce que j’étais en position de force. Ça c’est le mauvais côté de Philippe, son côté baromètre : il m’attaque quand je faiblis, me soutient quand je me renforce, plus précis à lui seul qu’un régiment de grenouilles.

Mais je lui avais, aussi, tendu une perche en indiquant (tout à fait sincèrement d’ailleurs) que je n’avais nullement eu l’intention de tracer un portrait du Philippe Sollers réel, parce que je ne connaissais pas le Philippe Sollers réel, mais du Philippe Sollers médiatique - que, par contre, je ne connaissais que trop bien (et c’est vrai qu’il a exagéré, parfois, ce cher Philippe, en termes d’omniprésence médiatique ; maintenant, j’ai l’impression que ça s’est arrangé à moins que ce ne soit juste parce que j’ai cessé de regarder la télé). Toujours est-il qu’il avait immédiatement percuté, à la seconde : le Philippe Sollers médiatique, ça lui parlait. Voilà un homme, en tout cas, qui avait parfaitement intégré la distinction entre moi profond et moi social.

Depuis, à plusieurs reprises, un doute inquiétant, vaguement métaphysique, m’a traversé : sous le Philippe Sollers social, existe-t-il encore un Philippe Sollers réel ? Je ne plaisante pas tout à fait ; Cioran note avec amusement que les aristocrates libertins du XVIIIe siècle mouraient en public, on s’y rendait en foule, comme au théâtre, dans l’espoir que l’agonisant puisse produire un ultime mot d’esprit - et aussi dans la crainte qu’il ne réclame, avec pleurs et gémissements, les Saintes Espèces. Mettre en scène sa propre mort, craindre éventuellement le bide ? on voit jusqu’où l’homme a pu aller, dans l’artifice.

Philippe Sollers n’en est pas là, parce que nous ne sommes plus au XVIIIe siècle, et que la bourgeoisie bordelaise n’est pas tout à fait l’aristocratie d’Ancien Régime. N’empêche, Philippe Sollers à la télévision est quelque chose d’à peu près aussi imprévisible que Jean-Pierre Coffe ; mais c’est très probablement la seule manière intelligente de passer à la télévision : d’abord, se considérer comme un invité permanent ; ensuite, mettre au point un numéro correct, avec des gimmicks, et le reproduire à la demande. Et dissimuler soigneusement son moi profond, le rendre à peu près inaccessible (au risque, je me répète, de le perdre).

Sauf que ce n’est pas non plus comme ça que vous procédez : quand vous passez à la télévision, me semble-t-il, c’est que vous avez quelque chose à dire - vous avez écrit un livre, vous avez une cause à défendre, ça dépend. Le moi profond n’est nullement contrôlé en vous, cher Bernard-Henri, il affleure parfois avec violence, et c’est sans doute par pudeur que vous ne mentionnez pas, dans vos forces, les capacités de conviction et d’indignation.

Bernard-Henri Lévy. Le 16 février 2008

Presque une semaine, cher Michel, sans parvenir à vous répondre.

Il y a eu le jour de mon Bloc-Notes.

Celui du rassemblement que nous organisions, avec Philippe Val, Laurent Joffrin et Caroline Fourest, autour de Ayaan Hirsi Ali, cette lumineuse jeune femme, condamnée à mort en Hollande pour avoir osé tenir sur l’islam des propos du type de ceux qui vous ont, voici sept ou huit ans, mené devant les tribunaux (je ne suis pas d’accord avec lesdits propos ; je ne crois pas du tout, moi, que l’islam soit intrinsèquement hostile à la démocratie, aux droits de l’homme ; mais je me bats pour qu’elle ait le droit, que vous ayez le droit, d’exprimer ce point de vue).

Il y a eu ce jury des « Golden Globes à la française » que j’ai accepté de présider pour faire plaisir à un ami - il m’ a encore mangé une journée.

Il y a eu les mille occupations que je me suis trouvées ou inventées et qui m’ont fait, chaque fois, gagné par la folie du jour et l’affairement qui va avec, reporter au lendemain le moment de vous répondre.

Mais il y a surtout ce mot d’ « aveu » sur lequel vous terminiez et dont je me rends compte que, les années passant, il a toujours le même don de me tétaniser...

[...]

Il faut que vous compreniez que, dans Comédie que vous citez (et que j’ai publié dans la foulée de la sortie, ô combien mouvementée, de mon propre film - bienvenue au club, en effet ! et bonne chance !), tout était organisé, vraiment tout, jusques et y compris la mise en scène du Grand Aveu, pour en donner le minimum, me cacher en ayant l’air de me livrer et ne certainement pas céder à cette illusion de la transparence, du coeur mis à nu, etc., pour laquelle j’éprouve une aversion quasi phobique : faux aveux, donc... aveux écrans au sens où les psychanalystes parlent de souvenirs écrans... aveux rusés, malins, dont toute la fonction était de se mettre en travers des gros aveux, bien saignants, que je promettais tout en sachant qu’il fallait les esquiver jamais, autant que dans ce livre, je n’ai senti combien il est vérifiable que c’est toujours « à son détriment » que l’on sort de l’ambiguïté...

Vous parlez de Philippe Sollers avec qui, par parenthèse, je vous trouve bien injuste (de même, d’ailleurs, qu’avec Garcin qui a le mérite, rare par les temps qui courent, d’avoir la bonne distance pour parler, et des actrices, et de ses amis disparus). Je voudrais que vous sachiez que le seul désaccord sérieux que nous ayons eu, Sollers et moi, en trente ans d’une réelle amitié, c’est quand il dit (sans que je sois sûr, soit dit en passant, qu’il s’applique à lui-même le précepte) que les écrivains sont là pour raconter « comment ils vivent » : la formule même me pétrifie ; elle me plonge, quand il la prononce, dans des abîmes de perplexité ; et j’ai toujours envie de lui répondre que je crois, moi, exactement l’inverse - les écrivains ont tous les droits ; ils peuvent parler de tout ce qu’ils veulent ; mais pas de comment ils vivent ! pas, surtout pas, de leur inaliénable part de secret !

Et quant à la télévision et à la conduite que, selon vous, il convient d’y adopter, je suis d’accord avec vos recommandations ; j’approuve votre analyse sur la nécessité de mettre au point un « numéro » qui permette de « dissimuler son moi profond » et de le mettre à l’abri ; et je suis également d’accord sur le risque encouru, ce faisant, comme « l’homme qui a perdu son ombre », de perdre la trace dudit « moi profond », de le laisser sombrer corps et biens, de l’oublier.

[...]

Mais la question des questions ( et ce n’est pas à Michel Houellebecq le nietzschéen que je vais apprendre cela) est celle, naturellement, de ce qu’il y a derrière les métaphysiques, les arts poétiques, les conceptions de l’aventure littéraire - la question, la vraie, serait de se demander ce que ce genre d’élaborations, ces raisonnements trop carrés pour être honnêtes [...] cachent d’histoire personnelle, de dénis et d’effrois subjectifs, de blessures mal guéries et de roman familial, pour le coup, inavoué.

Vous me parliez de votre père (et je serais preneur, soit dit en passant, de plus d’informations sur le personnage fantasque, poétique, qu’il semblait être).

Il faut que je vous dise un mot du mien (car, « bloc de béton » ou non, c’est probablement là, en effet, pour moi aussi, la clef).
Je viens d’une famille ou la pudeur, l’aversion pour l’emphase, la répulsion pour tout ce qui pouvait ressembler à du débordement sentimental ou de l’indiscrétion étaient érigés au rang d’impératifs. [...] la suite dans le livre.

Quatrième de couverture

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Le livre sur amazon.fr

Bernard-Henri Lévy essaie de parler de son livre

On n’est pas couché, le 1er novembre 2008.
Face à Éric Zemmour et Éric Naulleau

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On n’est pas couché Bernard-Henri Levy Livre "Ennemis publics" 1er novembre 2008 Laurent Ruquier avec Eric Zemmour & Eric Naulleau France 2


Bernard-Henri Lévy. La phrase de Goethe

Le 21 mars 2008

« Je vous signale, pour commencer, que la phrase exacte de Goethe (« je préfère commettre une injustice que tolérer un désordre ») est une phrase dite, pendant la Révolution française, devant la ville de Mayence reprise par les Prussiens, quelques minutes après que l’écrivain s’est personnellement interposé pour empêcher le lynchage d’un soldat français évacué par les troupes du duché de Weimar : l’ »injustice » est celle qui, dans le contexte, consiste à épargner un soldat ennemi qui est peut-être un grand criminel ; le « désordre » c’est celui de la populace déchaînée, ivre de sang, qu’il sent prêtte à mettre l’homme en charpie, si bien que la phrase, dans sa bouche, signifie en réalité, le contraire, très exactement le contraire, de ce que vous lui faîtes dire et qu’on lui fait d’ailleurs dire, toujours, depuis Barrès.
Mais bon.
Je la déteste, cette phrase telle que chacun la cite
[...]
C’est la phrase type de celui qui sait qu’il y a, d’un côté, l’injustice faite au Tibet et de l’autre, le grand désordre que ce sera si nous mettons les Chinois de mauvaise humeur et qu’ils décident pour nous punir, de vendre leurs réserves de dollars et de ne plus voler au secours de Goldman Sachs ou de Lehman-Brothers.

Tiens, tiens ! Lehman-Brothers, la faillite de Lehman-Brothers le 15 septembre 2008, non soutenue par la FED américaine, et dont certains disent déjà que ce fut une erreur et qu’elle précipita la suite (non soutenue par les Chinois ? Calcul machiavélique ou pas, c’est une hypothèse que les exégètes à venir devront examiner) Les Américains avaient allumé la mèche lente des subprimes, c’est vrai, et ne parvenaient plus à stopper sa propagation. Et si les Chinois s’étaient dits qu’ils avaient mieux à faire que voler au secours de Goldman Sachs ou de Lehman-Brothers, BHL tiendrait là son prochain roman d’investigation « China Invasion » après son
« American vertigo ».

Au moment où nous écrivons ces lignes, toute la semaine, le krack financier a propagé son big bang sans que l’on en connaisse encore l’issue. Et si les Chinois dont les réserves de liquidités sont énormes prenaient la phrase de Goethe dans son mauvais sens : commettre une injustice en ne volant pas au secours de leur propre peuple mais en intervenant dans la débâcle pour racheter au prix de la casse quelques fleurons des entreprises occidentales de l’économie réelle, pas ces tigres de papier des organismes financiers, des vraies belles entreprises qui produisent des biens concrets et dont la valeur boursière est aujourd’hui décotée très au-dessous de leurs actifs réels. Couplées avec les mesures occidentales en cours d’examen, de garantie des prêts interbancaires (Par Qui, comment ? L’avenir proche nous le dira), la Chine pourrait même se targuer, dans un communiqué commun, d’avoir contribué à stopper le grand désordre... Et nous n’aurions plus qu’à vénérer notre nouveau dieu chinois. Le-Dragon-chinois à la sagesse multi-millénaire après Leymarché-Financier devenus fous de trop de libertés. Et la démocratie ? Et ma liberté ? Et la justice ? Une utopie d’enfants gâtés, voyons ! Tout ceci serait dit en mandarin sibyllin. Seul un esprit dérangé ou malfaisant pourrait en faire cette traduction. Keep cool ! disait le discours en américain. C’était le nouveau message qui serait bientôt martelé, pour scander les heures, par les horloges publiques et celles des clochers d’église...

« Laissez fatiguer les ennemis, attendez qu’ils soient ou en désordre ou dans une très grande sécurité ; vous pourrez sortir alors et fondre sur eux avec avantage. »
Sun Tsu
L’Art de la guerre

Sur Lehman_Brothers

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