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Thérèse mon amour

Julia Kristeva

D 25 avril 2008     A par Albert Gauvin - C 3 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


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L’EVENEMENT :
JULIA KRISTEVA, « THERESE, MON AMOUR »
, récit (Editions Fayard)

Présentation du livre, extraits, critiques
entretiens sur TF1 dans Vol de nuit le lundi 7 avril et sur France 2 le 31 mars 200
sur le site de Julia Kristeva
Julia Kristeva parle de son livre
Sainte Thérèse sur le divan
Quell’incomparabile avventuriera che ha affascinato Julia Kristeva, L’Osservatore romano, 31-08-08
Je vous salue Thérèse pdf
Julia Kristeva, Le livre de la vie pdf , Le Monde des religions, 2015.
Tous les articles sur Thérèse, mon amour

OEUVRES DE SAINTE THERESE D’AVILA :

Le chemin de perfection. Réédition avec la préface de Julia Kristeva.
Le Château intérieur ou les Demeures

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Entretien avec Laure Adler

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Entretien avec Guillaume Durand


Du jardin au château l’oeuvre

 Le triomphe de l’Oeuvre, immense fleur 

« Racontons [hagamos cuenta] pour mieux comprendre... »

THERESE D’AVILA, Le Château intérieur.

Ah, le jardin, paradis des rêveurs, des astronomes persans, des poètes amoureux, des quêteurs du Graal, de Béatrice, de Molly Blum, des fleurs... Vous aussi, Thérèse ? « Libertin comme une tulipe ! à la fois infidèle et croyante ! » (Omar Khayyam) ; « Ô fleurs perpétuelles / de la liesse éternelle, qui faites / Qu’en un parfum je sens tous les parfums » (Dante) ; « Mignonne, allons voir si la rose » (Ronsard) ; « Donne-moi la fleur. Je connais un talus où s’épanouit le thym sauvage, l’oreille d’ours et la violette inclinée » (Shakespeare) ; « J’ai puni sur une fleur l’insolence de la nature » (Baudelaire) ; « Rose, ô contradiction, volupté de n’être le sommeil de personne sous tant de paupières » (Rilke) ; « Quoique traversée de téléphones, de journaux, d’ordinateurs, de radios, de télévisions, je peux regarder ici, tout de suite, des dizaines de papillons blancs butinant des roses sur fond d’océan. Seule triomphe l’Oeuvre, immense fleur » (Sollers).

Je reviens au jardin des béguines, qui fut bel et bien un jardin : joie, ravissement, rose mystique où triomphe une extase défiant les mots. Mais il est surtout secret et muet — de l’autre côté de la passion de l’homme, une simplicité de fleurs, émaux et camées, fils colorés tressant des figures. Une géométrie du sensible, métaphores du corps morcelé saisi par une pensée avant la pensée. Gouttes rouges de ton sang, de mon sang, battements intimes de mon être, balises de l’Être. Nature ou abstraction, cette décoration se dérobe aux arguties des humains : en deçà ou au-delà de l’anthropomorphe, elle manifeste la simplicité d’une communion avec le cosmos aussi bien qu’avec la culture dans ce qu’ils ont de plus rudimentaire, de plus rebelle à l’interprétation. La simplicité de ces fleurs, de ces pierres, de ces tapisseries n’est pas « pauvre », mais sa richesse a l’immédiateté d’une évidence qui suspend le commentaire. Elle ne discute pas avec le bonheur ou le malheur, elle se contente d’apparaître, d’indiquer ce qui sera pour vous — visiteurs ou interprètes — une série de questions : « que signifie ce bouquet ? » ; « d’où vient cette pierre ? » ; « à qui appartient ce blason ? » ; « pourquoi cette pluie de sang détachée de sa source ? » Ici, face à face avec le tapis de fleurs, quelque chose demeure secret, non par souci de se cacher, mais parce que la rose d’Angelus Silesius est sans pourquoi.

Pourtant, lorsque le reliquaire accumule les flacons et les étuis, lorsque le jardin secret bourgeonne de fleurs réservées ou écloses, le secret commence à se trahir : il avoue — presque — sa doublure sexuelle, l’image d’un corps qui s’exhibe ou, au contraire, se punit pour enfin mériter le jardin, l’Eden.

L’amour mystique de ces femmes qui nous ont précédés aurait connu — si l’on en croit les tableaux et objets présentés dans ce catalogue qui me restera de Bruno - des passions paroxystiques, des dédoublements insoutenables, des intimités partagées et cependant indemnes. Elles ont trouvé dans l’amour mystique un continent — un continent-contenant — à la fois externe et interne aux sociétés laïques et religieuses de leur temps. Elles sont cloisonnées des uns et des autres, non pour échapper à l’exclusion, à l’horreur ou au mal, mais pour mieux les affronter, les consommer en se consumant. Tel fut le chemin de leur bonheur.

Le jardin de Thérèse est tout autre. Pas vraiment « poétique », comme chez les maîtres de l’érotisme floral, ni même « contenant », comme dans les enclos des béguines. Les fleurs n’y sont que mentionnées, sans plus, elles n’ont pas de noms bourgeonnants pour Thérèse. Ni pétales, ni plumes, ni ailes, ni perles, aucun bric-à-brac agricole, horticole ou ménager. Vision d’intellectuelle avant la lettre ? Réminiscence de la sèche terre castillane ? Pas seulement. Du jardin, l’écriture de Thérèse ne recueille - car elle ne désire - que l’abondance de l’eau, et une seule fleur : son corps à elle. Noyée dans les ondes électriques de son cerveau épileptique, ou imbibée de la peau aux entrailles par la nuée du divin Epoux, cette femme n’écrit qu’un seule jardin qui vaille, celui des sensations élucidées : le jardin de son introspection à l’infini, avec l’Infini ; La fleur devient alors un chemin de perfection qui ne cesse d’explorer les demeures du château translucide qu’elle est aussi. Une fois installée dedans — dans la fleur, le chemin, le château — la plume à la main, l’auteur va monter en carosse et en charrette, elle prendra les rênes d’un cheval, d’un âne, qu’importe. Pour conquérir l’austère terre d’Espagne et en faire un autre jardin, physique et politique celui-ci, le jardin de son Carmel réformé.

Julia Kristeva, Thérèse mon amour (Fayard, p.126-128)

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Frère Jean ! Tu m’as peinte laide et chassieuse ! 

« Frère Jean ! Tu m’as peinte laide et chassieuse, Dieu Te pardonne ! » La Madre a soixante et un ans, elle n’aime pas le portrait que Jean de la Misère a fait d’elle en 1576. [...] La carmélite a beau préférer son château intérieur, elle ne néglige pas les apparences. Je la trouve tout de même injuste avec son peintre. Cadré par une toque blanche au dessous du voile noir, son visage frais trahit le goût de la bonne chère. Un long nez fin allège l’ovale mou de la soixantaine passée. Les lèvres serrées disent la volonté de la fondatrice, l’autorité de la « femme d’affaires », devenue experte en opérations immobilières et en tractations ecclésiastiques. Et les grands yeux, passablement asymétriques, brillent d’une intelligence instiable, interrogative. Thérèse crève la toile du peintre comme d’autres crèvent aujourd’hui l’écran. Aucune trace d’abandon, de ce dejamiento lascif qu’on lui envie ou dont on l’accuse, et qu’il lui arrive de revendiquer elle-même dans son union avec l’Epoux. Visiblement cette religieuse pense : son regard questionne et, n’y aurait-il ses mains jointes en prière, j’y lirais presque un reproche, sinon une méfiance qui défie l’Au-delà vers lequel ses yeux sont tournés. « Qu’est-ce qui va encore me tomber dessus ? Souffrir pour souffrir, on verra ce qu’on verra ! » — voilà ce que me disent les prunelles vives. Cette femme robuste, malgré tous ses maux, semble bien connaître Celui d’en haut, invisible ici et maintenant pour moi qui scrute le tableau, étrangère à leur échange. Elle Le fixe non sans crainte et cependant prête à Lui tenir tête. Velazquez (est-ce bien Velasquez ou un anonyme ?) s’empara de cette attitude pour peindre à la sainte ce regard de charbon qui écoute et écrit plus qu’il ne voit. En revanche, un soupçon de sensualité flotte sur le sérieux des lèvres vues par Jean de la Misère [1]. Est-ce pour cela que la colombe du Saint-Esprit préfère concentrer son attention sur les mains en prière ? Combien de femmes y aurait-il en Thérèse de Jésus ?

Julia Kristeva, Thérèse mon amour (Fayard, p.147-148)

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La Transverbération de Sainte Thérèse

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Bernini La transverbération de Sainte Thérèse (1652)
chapelle Cornaro, Rome

Extrait de l’autobiographie de Sainte Thérèse, Le Château intérieur :

« J’ai vu dans sa main [de l’ange chérubin] une longue lance d’or, à la pointe de laquelle on aurait cru qu’il y avait un petit feu. Il m’a semblé qu’on la faisait entrer de temps en temps dans mon coeur et qu’elle me perçait jusqu’au fond des entrailles ; quand il l’a retirée, il m’a semblé qu’elle les retirait aussi et me laissait toute en feu avec un grand amour de Dieu. La douleur était si grande qu’elle me faisait gémir ; et pourtant la douceur de cette douleur excessive était telle, qu’il m’était impossible de vouloir en être débarrassée. L’âme n’est satisfaite en un tel moment que par Dieu et lui seul. La douleur n’est pas physique, mais spirituelle, même si le corps y a sa part. C’est une si douce caresse d’amour qui se fait alors entre l’âme et Dieu, que je prie Dieu dans Sa bonté de la faire éprouver à celui qui peut croire que je mens. » (Chapitre XXIX, 17e partie)

Le pape Benoît XIII (pape de 1724 à 1730), à la demande des carmélites d’Espagne et d’Italie, établit, en 1726, la fête de la "transverbération" le 26 août. Il canonisa également la même année Saint Jean de La Croix (27 décembre 1726).

Sur La Transverbération de sainte Thérèse du Bernin, la Contre-Réforme, « la révolution catholique » (selon la formule de Sollers), voir Dionysos et le Ressuscité.

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La passion Thérèse 

Que ceux qui n’aiment pas ce titre, Thérèse mon amour, ne s’en tiennent surtout pas là. Pas plus que ceux qui, après les très belles pages d’ouverture, dont la description de la sculpture du Bernin, seraient peut-être déroutés par l’irruption d’une narratrice nommée Sylvia Leclercq, psychanalyste dans un foyer médico-psychologique. Bien que ce livre soit désigné comme "récit" et non "roman", il semble que Julia Kristeva ait eu besoin, comme pour se protéger elle-même, d’un double de fiction, décalé, entretenant des rapports conflictuels avec son entourage qui désapprouve son intérêt pour sainte Thérèse d’Avila (1515-1582).

Comment une intellectuelle d’aujourd’hui, athée, psychanalyste, peut-elle se retrouver dans une telle proximité, une complicité inouïe, avec une mystique du XVIe siècle, canonisée en 1622 et première femme à être proclamée docteur de l’Eglise en 1970 ? Comment être du côté de Thérèse quand on a été nourrie par Freud et par sa " rationalité vigilante " qui " classe la mystique du côté du mensonge " ? C’est bien là toute la question et on oublie assez vite Sylvia Leclercq pour s’intéresser à la seule Julia Kristeva et se laisser emporter, sans recul, dans ce magnifique exercice d’admiration, ou plutôt de fascination, mais une fascination lucide, à la fois érudite (quelque quarante pages de notes, très précises et pertinentes) et passionnée.

Ceux qui connaissent la vie et l’oeuvre de Thérèse d’Avila pourront confronter leurs interprétations à celles de Kristeva — qui ne plaque jamais sur ce destin une grille de lecture figée, tout est beaucoup plus subtil. Mais ceux pour qui Thérèse d’Avila n’était qu’un nom, celui d’une carmélite aux origines marranes, qui, en Espagne, a fondé dix-sept monastères en dix ans, feront là une découverte extraordinaire, presque magique.

" Puisque c’est votre humanité qui me passionne, vous l’avez entendu, précise Kristeva, et quitte à décevoir vos admirateurs en Dieu, je commencerai par m’intéresser à vos origines, votre famille, vos amis et vos amours. " La jeune fille qui " préfère la compagnie des femmes : pour en savourer l’envoûtement avant de s’en faire la souveraine, le souverain ", qui sait se moquer d’elle-même, rire et chanter [2], est une amoureuse. Mais elle sait que l’amour peut tuer si on ne sait pas le penser. Et surtout l’écrire. " Fabriquer cette fiction pour donner à comprendre ", dit-elle, et Julia Kristeva, sans sous-estimer "l’outrecuidance de (son) désir amoureux de comprendre Thérèse d’Avila", la suit le plus loin possible sur ce chemin, qui est aussi le sien.

Thérèse ne s’est pas ménagée, elle a connu la douleur, la cruauté envers soi-même, mais dans l’existence que décrit Julia Kristeva, elle ne s’est pas, comme d’autres mystiques, engloutie dans la souffrance. Il n’y avait chez elle " aucune apothéose du Néant ". Ses excès, son rapport au corps, à la nourriture, cette lutte en elle-même entre désirs et interdits, sa manière d’aller de l’extase à l’action font de son parcours une sorte de chevauchée héroïque de la fiction et de la pensée, aux limites de la folie, avec laquelle Julia Kristeva se sent en empathie, à travers les siècles. " J’entendis ceci, écrit Thérèse d’Avila dans Relations : Tant qu’on est en cette vie, le profit spirituel ne consiste pas à jouir de moi davantage, mais à faire ma volonté. " Et, comme le démontre tout ce récit, à se sauver en écrivant.

Si Julia Kristeva s’est " approchée de Thérèse en toute inconscience, à la légère ", ce qu’elle explique en "post-scriptum", dans une " Lettre à Denis Diderot sur la subversion infinitésimale d’une religieuse ", elle est restée longtemps avec elle en toute conscience, cherchant à se comprendre au plus juste en la comprenant, et rêvant que " l’expérience de Thérèse puisse ajouter, au souci de refondation salvatrice, une relecture de cette nouvelle revitalisation de la culture européenne qui fut amorcée par la Contre-Réforme, si mésestimée et dont Thérèse devait être, avec Ignace de Loyola et Jean de la Croix, mais si différente d’eux, l’inspiratrice plus ou moins clandestine ". C’est une " inimaginable aventure " que décrypte ce gros livre. " Il ne s’agit ni plus ni moins que de fonder dans ce monde l’intériorité d’un amour absolu inaccessible à ce même monde. "

La plus grande réussite de cette éblouissante aventure qui a occupé Julia Kristeva pendant plusieurs années est certainement, par la manière dont elle fait résonner les textes de Thérèse dans le sien, de donner une immédiate envie de lire, ou de relire, le Livre de la Vie et la magnifique autobiographie qu’est Le Château intérieur. Même si l’on est psychanalyste. Même si l’on est athée. Et surtout si l’on aime la littérature.

Josyane Savigneau, Le Monde des livres du 25.04.08.

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Une béguine : Marguerite Porète

Marguerite Porète {JPEG} « Le 1er juin 1310 meurt sur le bûcher, en place de Grève, une femme au nom évocateur : Marguerite Porète. Qui était cette coupable, dont le nom de famille, une fois gommé le r, suggère un rapport intime avec la poésie ? Une sainte ? Une sorcière ? On a souvent brûlé les unes au nom des autres, et en les confondant. En fait, Marguerite Porète est une béguine. Elle appartient à ce mouvement composé de femmes en quête de l’Amour divin, qui réfutent l’idée de toute autorité religieuse ou maritale. Ce dont elle s’est rendue coupable ? De n’avoir pas renié son livre, Le miroir des âmes simples, le plus ancien texte mystique écrit en français qui nous soit parvenu. Que dit ce livre de si terrible, pour que Marguerite Porète subisse un tel supplice ? L’amour, on s’en serait douté. Elle a réalisé « l’union suprême avec le Divin » ; elle témoigne pour ceux qui n’ont pas encore communié à cet « Amour à la fois proche et insaisissable », « Amour est Dieu et Dieu est Amour. C’est en Amour que je suis transformée », en évoquant la phase ultime de l’ascension spirituelle de son âme « enivrée ». Aussi nous invitera-t-elle à contempler notre âme à travers le « Miroir de l’Amour » pour l’épurer de tout ce qui fait obstacle au déploiement de Dieu en nous, pour connaître l’état de plénitude et de liberté absolues, bref « la vie parfaite et l’état de paix auxquels la créature peut accéder ». A ce point d’élévation, dit-elle, l’âme est " si brûlante en la fournaise du feu d’Amour, qu’elle est devenue, à proprement parler, si bien qu’elle ne sent pas le feu en elle-même par la force d’Amour qui l’a transformée en feu d’Amour ». Jugée dangereux par l’évêque de Cambrai, lointain prédecesseur à cette charge de Fénelon, le père du quiétisme, le livre est jeté aux flammes sur la place de Valenciennes, dont Marguerite Porète était sans doute originaire. On ne sait rien d’autre de cette femme d’une ardeur féérique dont on devine seulement le visage auréolé de sainteté : nous sommes seulement renseignés sur sa résistance aux autorités, sur sa réclusion en 1309 après un premier procès, son jugement et enfin sa mort. Mais nous savons que Le Miroir des âmes a été lu par Maître Eckart. »

Ph. Sollers, Illuminations à travers les textes sacrés.

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[1Giovanni Narducci devenu Jean de la Misère.

[2Line Amselem, qui vient de traduire les poésies de Thérèse d’Avila pour les éditions Allia, a donné comme titre à son introduction, "Les chansons d’amour disent la vérité". (Je vis mais sans vivre en moi-même, de Thérèse d’Avila. Edition bilingue, Allia, 140 p., 6,10).

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