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Le Saint-Âne (2004)

Communication donnée à l’invitation de Jacques-Alain Miller, le samedi 10 janvier 2004, à la Mutualité

D 18 octobre 2006     A par Albert Gauvin - C 3 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


« Puis il trouva une mâchoire d’âne toute fraîche, étendit la main, la prit et frappa mille Philistins. Alors Samson dit : " Avec la mâchoire d’un âne, j’ai frappé mille hommes, je les ai mis en tas ! Dès qu’il eut fini de parler, il jeta de sa main la mâchoire et appela cet endroit Ramath-Léki (Hauteur de la mâchoire) " (Juges, XV, 15-18).
Voilà, c’est un meeting contre les Philistins d’aujourd’hui. On se souvient que Marx utilise fréquemment ce terme. Mais il serait grand temps de se rappeler que Philistin a été appliqué en France, particulièrement par les romantiques, à tout bourgeois d’esprit vulgaire. Ce n’est qu’un début, continuons le combat. »

Extrait du texte

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«  Nous sommes en 1854-1860, période extraordinairement féconde. C’est le 8 décembre 1854 que Pie IX — pape fort intéressant, dont le Syllabus fait mes délices car on croirait lire les Poésies de Lautréamont ; tout est nié sans exception, tout ce qui nous paraît naturel, progressiste, est nié, très farouchement — Pie IX, donc, le 8 décembre 1854, proclame le dogme de l’Immaculée Conception qui touche à la mise au monde de Marie par sa mère Anne. Anne est la mère de Marie, donc la grand-mère du Christ. Comme c’est curieux. Le mari d’Anne est en quelque sorte ignoré de la plupart des historiens qui n’ont jamais essayé d’en savoir davantage. Il s’appelle Joachim, c’est un saint, bien entendu, comme Joseph. La bulle par laquelle Pie IX, de façon tout à fait extravagante mais après une très longue incubation au cours des siècles, promulgue l’Immaculée Conception est un dogme - ça veut dire que vous êtes tenus d’y croire si vous prônez ce système de coordonnées. Vous n’êtes pas obligés, vous pouvez en prendre d’autres, mais à l’intérieur de la logique en question, vous êtes tenus de croire comme article de foi, à partir du 8 décembre 1854 et pas avant, à l’Immaculée Conception. Ce n’est pas un amendement, c’est un aménagement de quelque chose qui intéresse justement ceux qui se sont précipités vers le calcul, « du Panthéon — disiez-vous à l’instant, Jacques-Alain Miller, citant Lacan - dans le toboggan de la police ou de la préfecture ». Eh bien, cette bulle s’appelle d’un très beau nom en latin, c’est la bulle Ineffabilis. C’est ineffable, susceptible d’aucun discours, d’aucune verbalisation, d’aucune évaluation.

Nous sommes dans l’ineffable, et c’est beaucoup plus tard, un siècle après — nous enjambons les siècles hardiment, n’est-ce pas ? — en 1950 seulement, qu’un autre pape qui a très mauvaise réputation, Pie XII (très mauvaise réputation, ce pape très controversé, infernal ; mais peut-être est-il controversé surtout par ce qu’il a fait et que je vais dire, plus que par le reste), promulgue le dogme de l’Assomption. Ce n’est pas la même chose. Sa bulle à lui s’appelle - alors, encore mieux : Munificentissimus Deus, c’est-à-dire le Dieu munificent ; la munificence étant au-delà de tout ce que l’on peut imaginer comme générosité et, donc, inévaluable. Alors, d’un côté, c’est ineffable, et de l’autre, c’est munificent. L’Immaculée Conception, c’est que vous êtes tenus de croire que la Vierge Marie a été engendrée par sa mère Anne sans péché.

Qu’est-ce que cela veut dire l’Immaculée Conception ? Je prends le pari que toute souffrance, surtout dans le domaine psychique dont vous êtes les écouteurs et les interprètes, a quelque chose à voir avec la conception. La Conception sans péché, ça veut dire sans péché originel. Interruption du péché. Alors là, vous êtes obligés de rentrer dans des considérations historiques. Il y avait déjà une tradition de cette affaire mais pas dogmatique, ce n’était pas un article de foi, un point de suture, alors que le dogme est là pour suturer quelque chose. Vous aviez des Conceptionnistes, en effet, qui étaient des moniales de l’ordre contemplatif fondé à Tolède en 1484. Vous aviez aussi, par la suite, une congrégation hospitalière et enseignante des fils de l’Immaculée Conception fondée à Rome en 1857. Tout cela devrait intéresser passionnément la psychanalyse, bien entendu. Qu’est-ce que cette incubation de l’Immaculée Conception ? Eh bien, il se trouve que ce sont des peintres qui s’en sont beaucoup occupés. »

Une critique

Les séductions du signifiant
par Patrick Kéchichian

Philippe Sollers et les mystères de la filiation divine

« La voie orale n’est pas la même que la voie écrite. Mais lorsque la première emprunte la seconde et s’y fixe, on a tout le loisir de vérifier ce que l’on a cru entendre et de s’assurer que l’orateur ne s’est pas laissé griser par ses propres mots. Car si les paroles s’envolent, pas les écrits. Ceux de Jacques Lacan justement, qui n’avaient rien d’aériens, provenaient, pour beaucoup, de discours prononcés. Il y eut aussi le Séminaire. Une génération de jeunes gens inquiets, d’analystes en formation, de dilettantes et d’ilotes (c’était son mot), vint se nourrir là aux mamelles du signifiant.

C’est Jacques-Alain Miller, qui assure la transcription officielle du Séminaire et qui invita Philippe Sollers à s’exprimer, le 10 janvier, à la Mutualité, contre l’amendement Accoyer. D’abord écrit, puis donné à entendre et enfin à lire, ce texte ne dépaysera pas les anciens auditeurs de Lacan. Ils se souviendront, avec un brin d’émotion, du filage artiste des métaphores, des nouages du signifiant et des détours que le raisonnement emprunte pour rejoindre son but. Chez Lacan, il y avait une stratégie et une séduction du discours, une connaissance ironique de ses effets. De même chez Sollers, qui fut proche de Lacan.

Nous n’aurons pas l’audace de prétendre résumer le propos de cette conférence. De l’âne, animal biblique et paradoxal (entre l’entêtement et la bêtise), Sollers saute allégrement à sainte Anne, la mère de la Vierge, qui, en passant par Anne d’Autriche, donna son nom à l’hôpital parisien — où Lacan « présenta » longtemps des malades. En 1854, autre motif d’allégresse, Pie IX proclame (tardivement, mais en ces matières tout arrive à son heure) le dogme de l’Immaculée Conception de Marie par Anne. Le mystère des noms, et celui de la conception « sans péché », c’est-à-dire, souligne Sollers, « sans calcul », gratuite, est le centre d’un dispositif dont l’auteur invite les psychanalystes (et les poètes) à se saisir. Ainsi, un certain chemin « logique » s’ouvre, « entre rationalisme et spiritualisme, c’est-à-dire charlatanisme partout ». Ainsi, entre l’âne que nous sommes et le saint auquel nous sommes promis, une filiation, ou une généalogie, s’établit. »

Le Monde, vendredi 18 juin 2004

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3 Messages

  • Marie-Gabrielle | 11 février 2008 - 08:21 1

    La critique d’Alice Granger Guitard est géniale (je le trouve... vraiment sincèrement), puisqu’elle déploie cette ferveur au sentiment vécu et appliqué - qui peut nous dédouaner de tout.

    J’ai été touchée par cette "intelligence" de la proposition si "mathématiquement nôtre" voulant que le travail de premier deuil - du petit garçon, nécessaire à la dite mécanique d’inceste réussi - se fasse... libérant ainsi la femme - à son préalable - et permettant, de fait - au nouvel enfant, de n’être point exclu, aimé - de ce giron familial, d’ailleurs peut-être encore fille ou garçon ?

    Encore merci.


  • Marie | 8 février 2008 - 18:19 2

    Je relirai bien sûr cet article en le méditant, très refroidie sur la question.
    Ce qui me gêne à première vue concerne l’au-delà du noeud qu’auraient pu défaire les artistes, puisque satisfaire au besoin de généralisation du problème à travers une seule hypothèse nourricière, en écartant la possibilité (probable) d’un petit narcissisme vraiment malade, à venir "par-dessus", comporte d’après moi un danger très réel.

    Tout se passant comme si... ? alors, le spectacle.

    Merci en tout cas pour le courage de qui venait débroussailler...


  • A.G. | 18 octobre 2006 - 20:34 3

    Jacques-Alain Miller / Philippe Sollers.

    Une conversation avec Sollers le 19 avril 2005.

    Sollers vient de "quitter" "Le Monde" pour "Le Nouvel Observateur".

    "JAM : Alors, qu’est-ce qui va changer dans la guerre du goût, du fait de votre passage du Monde au Nouvel Observateur ?

    Ph.S : Justement rien, ce qu’il faut démontrer. À savoir, que j’ai toujours écrit en pensant par anticipation à ce que pouvaient faire ces textes dans le temps - je dis texte plutôt qu’article - un jour rassemblés dans un volume à tendance encyclopédique. Cela a déjà donné deux gros volumes que vous avez en folio, La Guerre du goût et Éloge de l’infini. Le
    troisième est quasiment prêt aux deux tiers, et ce sera de nouveau un petit millier de pages*. Cela consiste donc à utiliser les supports, à user de leur bienveillance en pré-publication seulement, pour en arriver à une démonstration qui ne soit pas celle d’un recueil, mais, au contraire, d’une partie qui se joue dans le temps, en toute conscience de ma part."

    * Le livre devrait s’appeler : "Le discours parfait".

    La totalité de l’entretien ci-dessous.

    Voir en ligne : Jacques-Alain Miller / Philippe Sollers, 19 avril 2005