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Lumières de Turner

Yannick Haenel, Alain Jaubert, etc.

D 26 juin 2020     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



Joseph Mallord William Turner (1775-1851), Autoportrait, 1799.
Huile sur toile. ZOOM : cliquer sur l’image.
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Depuis le 26 mai et jusqu’au 11 janvier 2021, le musée Jacquemart-André présente une rétrospective de Joseph Mallord William Turner (1775-1851). Incontestablement le plus grand représentant de l’âge d’or de l’aquarelle anglaise, il en exploita les effets de lumière et de transparence sur les paysages anglais ou les lagunes vénitiennes.

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Lumières de Turner

par Yannick Haenel

Ça y est, les musées rouvrent. C’est une joie de retrouver la peinture, celle, par exemple, de William Turner (1775–1851), dont le musée Jacquemart-André, à Paris, propose une exposition qui a été interrompue par le confinement et qui vous redonne de la lumière.

Turner est le peintre des vertiges fixes : s’il multiplie les paysages, c’est pour découvrir ce tourbillon invisible qui les soulève en secret. S’il recherche les tempêtes et les crépuscules, c’est parce que la densité de la lumière s’y dissout en cyclone intérieur. On dirait qu’il brosse des nuages et balaie des ciels ; en réalité, il traite avec les esprits.

Tout chez lui semble calme, mais une violence s’allume dans la moindre couleur. La peinture de Turner est sage ; ses aquarelles somnolent dans une nacre de lagune où des eaux violettes s’allongent au bord d’un soleil qui bâille ; mais avancez-vous vers la toile, écoutez ce bruissement qui agite ses touches : il y a du feu, et ce brasier, maintenu en sourdine, écorche les surfaces.

Une cuisine du diable se prépare au bord de l’eau, entre les navires échoués et les horizons mauves : le monde, sous les doigts de Turner, ne cesse de cuire. Comme tous les grands artistes, qu’ils soient vitupérants, canailles ou austères, appliqués, il est avant tout un sorcier.

En peignant, le vieux Turner, engoncé dans ses manières d’académicien tenace et besogneux, devient une créature obses­sionnelle qui opère sur le feu.

Oui, la matière est d’abord du feu, les atomes font des étincelles. En peignant, Turner accède au bruit secret du monde, à la jouissance des failles et des béances, à la fabrication de l’impensable : il va vers les cratères, il voit le feu.

L’œil est une flamme : celui de Turner cherche son origine à travers les couleurs ; c’est le volcan qu’il cherche, ce trou qui menace le confort des hommes. À cause des guerres napoléoniennes, Turner est confiné à l’intérieur du Royaume-Uni ; mais lorsque enfin l’Italie s’ouvre à lui, Naples, Rome et les lacs Albains le mettent sur le chemin des révélations.

Turner, qu’on dit naturaliste, est un mystique rentré – un chercheur de vérité. Lui aussi, comme Énée, va cueillir le rameau d’or, comme chez Virgile qu’il a passionnément lu, comme chez Poussin qu’il admire. Celui qui cherche le rameau d’or emprunte un chemin qui se détourne des voies faciles car la vérité ne se réduit pas à la société des humains. La clé du temps est enfouie dans le chaos que les couleurs font parler : toute vie est une initiation.

Ce grand trou blanc qui nous aveugle quand on regarde Le ­Rameau d’or, et qui déchire aussi Le Lac de Nemi, est-ce l’entrée des morts ? La région redoutée où s’évanouit notre vie ? Chacun de nous avance vers cette béance toute blanche : elle miroite au milieu des bois comme l’origine du monde.

(Charlie Hebdo du 24 juin)


Le Rameau d’or, 1834.
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Venise. San Giorgio au petit matin, 1819.
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Venise. La Dogana, San Giorgio, 1842.
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LIRE AUSSI : L’exposition Turner rouvre enfin ses portes au musée Jacquemart-André
Ce que vous ne saviez (peut-être) pas sur Turner

William Turner : Une collection de 1530 peintures

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Les petits secrets des grands tableaux
Turner, Le négrier, 1840

Réalisation : Jivko Darakchiev (2017)

Trente ans après l’abolition de la traite négrière par le Royaume-Uni, le peintre britannique J. M. W. Turner donne à l’art du paysage une ampleur inédite. Il peint de sa touche tourmentée le portrait d’une Angleterre embrassant les nouveaux paradigmes économiques et scientifiques de la révolution industrielle, prémices d’une future mondialisation aux chaînes non moins sanglantes.

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LIRE : L’abolition de la peinture : lecture d’un tableau de J.M.W. Turner

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J.M.W. Turner

Un film de Alain Jaubert

Joseph Mallord William Turner est sans doute le peintre britannique le plus célèbre. Artiste incroyablement précoce, celui que l’on surnomme "peintre de la lumière" sera aussi le précurseur de l’impressionnisme.
Ce film n’est pas une simple biographie, mais plutôt une étude, menée en compagnie de quelques spécialistes, autour de thèmes communs à l’œuvre et à la vie de ce personnage bizarre et ombrageux. L’eau : l’aquarelle, les marines. Le feu : le jaune et le rouge, l’incendie, l’ère industrielle. La terre : les paysages anglais, français, italien, l’héritage de Claude Lorrain, le désert. L’air : les nuages, la dissolution des formes, la tentation du nirvana. Le secret : le personnage double, l’érotisme, la liberté absolue. Le voyage : une solitude jalouse, la découverte du monde. L’invention : les techniques nouvelles de l’aquarelle, l’atelier portatif, la folie du vernissage.

La bande-annonce

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« Malgré sa gloire immense, plus d’un siècle et demi après sa mort la figure du peintre britannique J.M.W. Turner demeure encore assez énigmatique. Son œuvre pléthorique l’a consacré comme l’un des plus grands paysagistes de l’histoire. Une œuvre sans cesse à la recherche du sublime et où les êtres humains sont singulièrement peu présents.

Déjà légendaire de son vivant tant par ses humeurs et ses bizarreries que par ses techniques picturales plus ou moins secrètes, Turner a connu après sa mort quelques "aventures" posthumes. Aux anecdotes sur sa vie discrète se sont ajoutées ces découvertes faites par John Ruskin lorsqu’il dut faire l’inventaire de l’incroyable masse d’œuvres que le peintre avait léguée à son pays. Au moment de ce recensement, entre 1855 et 1858, le bruit avait couru que Ruskin, avec l’accord du directeur de la National Gallery, aurait détruit des œuvres du peintre jugées trop obscènes. On ne sait pas si l’histoire est véridique ou s’il s’agit seulement d’une vantardise de Ruskin. L’inventaire complet des carnets de dessins et des feuilles volantes du legs Turner prouve cependant qu’il subsiste 108 dessins à caractère érotique. Sur l’un des carnets épargnés, Ruskin a même écrit au crayon : "Conservé seulement comme preuve de dérèglement mental ".

Cet ouvrage présente ainsi de simples graffitis obscènes, des académies (selon un point de vue inhabituel), des "reportages" sexuels lors de voyages, des scènes nocturnes étranges qui annoncent Degas, les sous-entendus fort troublants de certaines aquarelles de Petworth ou de Venise, enfin les extraordinaires Colour Studies qui font penser à Fragonard mais qui semblent aussi une application insolite des principes d’Alexander Cozens (ces rideaux entrouverts évoquent aussi Les Curieuses de Fragonard). Seront reproduites également des œuvres de Rembrandt, de Boucher, de Courbet ou de Picasso qui rappellent que tous les grands peintres ont été tentés par l’obscène, et par les délices du voyeurisme et de la pornographie. » (Alain Jaubert)


Scènes érotiques.
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Lumière et couleur de JM William Turner


Lumière et couleur (théorie de Goethe), 1843.
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France Culture, L’Art est la matière par Jean de Loisy et Sandra Adam-Couralet.

Aujourd’hui nous regardons une peinture de William Turner intitulée Lumière et couleur (la théorie de Goethe) – le lendemain du déluge, Moïse écrivant le livre de la Genèse, une huile sur toile de 78,5 × 78,5 cm réalisée en 1843 et conservée à la Tate Modern à Londres.

John Ruskin est sans doute le critique d’art anglais le plus influent du XIXe siècle.

C’est dans son ouvrage intitulé Les Peintres modernes qu’il décrira avec enthousiasme la peinture de son ami Turner pour le défendre de la critique des ses contemporains. Fervent admirateur de celui qu’il considérait comme le plus grand peintre de son époque, Ruskin ne se contente pas dans ses écrits de faire état de son éblouissement face aux toiles de Turner. Il cherche aussi à comprendre leurs effets et à les expliquer, à travers ce qui pourrait être lu comme le récit d’une expérience esthétique. Pour ce faire, il s’appuie sur le parcours biographique et géographique de Turner, mais aussi sur son évolution technique. Cependant, l’étude de la couleur et du dessin, certes centrale, le conduit, bien au-delà, vers une interrogation sur la vérité de cette peinture. Ruskin montre que les tableaux de Turner, s’ils visent à figurer le mystère, l’infini et l’énergie, interrogent surtout, et redéfinissent, les liens que la peinture entretient avec le réel.

Jean de Loisy s’entretient avec Eva Nielsen, artiste franco-danoise, diplômée en 2009 de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, et Pierre Wat, professeur d’Histoire de l’art contemporain à l’Université Panthéon-Sorbonne.

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Cette émission a été diffusée pour la première fois le 8.11.2014.

LIRE AUSSI : Regarder le ciel : de Turner à Erlich. :

« Le tableau Lumière et couleur (La théorie de Goethe) où le jaune, la couleur de la création selon Turner, est dominant inscrit un cercle, ou une sphère, dans un carré. Trois coins combinent le rouge, le quatrième, en haut à droite, laisse percevoir le bleu (plus froid) de l’arc-en-ciel, signe de l’alliance.

Dans le vortex, puissance de lumières, un homme tournant le dos écrit la Genèse : Moïse. Au centre même du tableau, à terre, le serpent d’airain qui, planté telle la figure de crucifixion, guérissait le peuple quand il levait les yeux vers lui. Mais ses contorsions peintes forment, ici, le symbole de l’infini. Autour, sortant du magma de couleurs, les gouttelettes ne sont autres que des têtes d’humain. Elles symbolisent le temps cyclique. Moïse est tourné vers la source de la lumière et l’artiste la traque. Il peint la création, non pas le Big Bang, mais plutôt une Genèse au sens de l’Évangile de Jean [1]. Il y a cependant du chaos de lumière dans cette toile, savamment organisée. Le soleil, c’est Dieu aurait dit Turner sur son lit de mort. La couleur est traitée comme une matière. Le peintre manifeste son anxiété et se fait métaphysicien. Rothko disait des ciels de Turner « Il m’a tout piqué. »

La longueur et l’intitulé du titre intriguent. En effet, ce tableau est aussi une réponse visuelle à la « Théorie des couleurs » de Goethe (1749-1832), une recherche que celui-ci a pensée durant 20 ans et publiée en 1810 en réponse à la démonstration d’Isaac Newton (1643-1727). Ce savant, en faisant passer la lumière dans un prisme, la décomposait en faisceaux de couleurs différentes qui pouvaient se recomposer en lumière blanche par un autre prisme. La couleur était donc issue de la lumière. Newton, le scientifique rationnel, modèle de l’homme des « Lumières », se voyait reprocher par les romantiques de désenchanter le monde. Goethe réfuta la théorie de Newton en prétendant que les couleurs naissent de la rencontre entre l’ombre et la lumière. Si cette affirmation est peu scientifique, elle permet de comprendre les effets de la couleur sur la vision, en termes de conséquences émotionnelles et psychiques. Pour sa démonstration, ou plutôt en support de ses idées, il fabriqua un cercle chromatique classant les couleurs en couleurs positives (jaune, orange, rouge) et claires suggérant le bonheur, la gaité, la joie, la chaleur et en couleurs froides (bleu, pourpre, violet) et sombres inspirant la tristesse, la mélancolie. »



La destruction de Sodome, vers 1805.
Huile sur toile. Photo A.G., novembre 2019. ZOOM : cliquer sur l’image.
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Partie de la façade de Saint-Pierre de Rome avec l’Arco delle Campane, 1819.
Mine de plomb, aquarelle et gouache sur papier. Photo A.G., novembre 2019. ZOOM : cliquer sur l’image.
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Chamonix et le Mont Blanc depuis les versants de Montenvers, 1802.
Mine de plomb, aquarelle et gouache sur papier.
Photo A.G., novembre 2019. ZOOM : cliquer sur l’image.
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Macbeth et les trois sorcières par William Turner (?).
Huile sur toile. ZOOM : cliquer sur l’image.
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« Shakespeare. On peut difficilement faire plus précis, toujours dans la froideur, que Lady Macbeth. Les sorcières sont là à l’œuvre. Et nous entrons aussi dans notre époque, définie par le penseur courageux qu’est Guy Debord comme une époque où le vrai est un moment du faux. Ça s’organise, ça se spectacularise, c’est un spectacle qui est monté sans arrêt ou qui se monte lui-même sans arrêt. C’est la grande proclamation des sorcières dans Macbeth, quand elles commencent à chanter "le vrai est faux, le faux est vrai, le laid est beau, le beau est laid". Et on voit ça constamment partout si on est réveillé, et pas sous l’emprise, sans le savoir, d’une falsification généralisée. Ce n’est pas du complot, il ne s’agit pas de désigner tel ou tel responsable. Techniquement, c’est désormais la vie. » Ph. Sollers, Une conversation infinie.


[1Jean 1, 3-5 : « C’est par lui [le Verbe] que tout est venu à l’existence, et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui. En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes ; la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée. »

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