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Pas de lucidité sur Clio sans Clito !

Le Désir et ses Lois

D 19 juin 2020     A par Albert Gauvin - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



SOMMAIRE
LOIS
CLITO
« Mon nom est clitoris »
Le Plaisir effacé. Clitoris et pensée
« M… la maudite »
Première mise en ligne le 17 mars 2020
(début du confinement)

Déconfinement.

Mon nom est clitoris

Date de sortie : 22 juin 2020
Durée : 88 mn
Réalisé par Daphné Leblond, Lisa Billuart Monet
Année de production : 2019
Pays de production : Belgique

Ce documentaire est un dialogue entre jeunes femmes autour de la sexualité féminine. Avec une liberté, un courage et un humour communicatifs, elles partagent leur expérience et leurs histoires, dans la volonté de changer le monde autour d’elles et de faire valoir le droit des femmes à une éducation sexuelle informée, délivrée des contraintes et des tabous.

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LIRE L’ENTRETIEN A LA FIN DE CET ARTICLE.

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Le Désir et ses Lois
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« Le phénomène passe, je cherche des lois. » Isidore Ducasse, Poésies II (1870).
« Le phénomène cherche, je trouve les lois. » Philippe Sollers, Lois (1972).
« Une Phénoménologie du Clito changerait la vie de foules entières. »
Philippe Sollers, Désir (2020).

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Rodin, Femme allongée, une main entre les jambes, auprès d’un oiseau.
Mine de plomb, estompe et aquarelle sur papier crème.
32,3 x 24,9cm. D. 5046. ZOOM : cliquer sur l’image.
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LOIS
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tout ça est-il étranger aux préoccupations réelles des masses ? Force travail enquête et terrain actif pas seule­ment médical corps investis d’exploite contre bourgeoi­sie locale vorace. Compradore mimant l’étranger manipule. Riposte graduée armée sur deux fronts et gare à l’encule. Aucune raison abandonner désagré­gation des supers. Sans quoi marche un jour ou l’autre à l’envers. Boulot très utile. D’ailleurs varié différences de styles. Aucune raison de cacher, par exemple, que médème homo en a vraiment marre du señor huma. Tant va l’huma d’homo qu’à la fin elle se fâche. Appli­cation ! Médème homo, montrez-leur clito !

(elle le montre)

premier communiant : non pas ça !
deuxième communiant : cachez ce ça que je ne sais trop voir !
première hystère : le mien est plus gros !
deuxième hystère : ad te clamamus maximagugus !
troisième hystère : jamais un homo n’en a eu si beau !
première enceinte : et alors ? chez moi l’utérine !
deuxième enceinte : mon bébé sous moi prêche pro domo !
homo : mon anus se serre en pensant à mère !
troisième enceinte : vaginuthéro je veux la queue gros, l’étui qui reluit, la pilule aqreuse, le frœtous moumousse, le craâne sanguin, la dilate à crin !
premier communiant : déjà dit ! vieux monde !
deuxième communiant : solution ?
première hystère : dans tout l’à peu près du dernier calcul, quand tout se recule et se brouillannule, le clito existe dans la solution ! La petite dent, cochonne, devant !
deuxième hystère : c’est l’extase à crise, la bonne inci­sive, pépé des excises, la motte en ronron, le trans­fert-bidon !
troisième hystère : imposons clito par-dessus homo ! qu’il nous soit fidèle, qu’il adore l’elle, qu’il soit pèraimant et tout dévouant, qu’il jute en l’hon­neur de notre graisseur à la gloire de père et de sur-mémère, ad te damamus o clitodeus !
première enceinte : on bat un enfant !
deuxième enceinte : luttons pour mystère de vie, jusqu’à mort !
première hystère : clito bouffera clio ! Hystère contre histoire !
deuxième hystère : nous t’aurons aux tripes chien d’humahomo !
homo (à part lui) : oui, oui, vas-y, ça vient, ne t’arrête !
première hystère : le bordel partout ! le clito en tout !
Homo, promettez-nous l’enchaîné !
homo : oui ! non ! surtout ! pas !
premier communiant : maman !
maman : vive le clhystère !
deuxième communiant : papa !
papa : demande à maman !
maman : tu vois, vous êtes foutus mes dodus !
première hystère : papa me fera le bébé en soi que maman me doit puisqu’elle m’a fait moi. Homo ! fais-le moi et passe en cuisine, tu sera mémé comme à l’oripine, eu de eu en eu, vive l’humané !
deuxième hystère : le parti se doit d’approuver notre position. Or en vérité, en vérité, je vous le dis racine a peint le parti tel qu’il est, corneille tel qu’il devrait être.
première hystère : le parti nous sera acquis, nous y entrons par centaines.
deuxième hystère : mes zenfants prouvent que j’ai raison. Trois du même gland, et pas une ride ! Je vote clito, utéro-clito.
première hystère : perverse !
troisième hystère : allumeuse ! centriste !
deuxième hystère : impossible de m’en passer. Au pas. Militaire. Schloum ! Du vent !
première hystère : les pédés ?
deuxième hystère : avec nous, c’est nous, pas d’his­toires.
première hystère : l’ennemi principal ?
troisième hystère : vous le connaissez. L’innommable. L’innombrable. L’éternel infâminin. L’éternel émasculin. Celui qui ose dire avoir dépassé le machin. Tu parles !
première hystère : je voudrais voir ça, un mec qui s’en fout ! Tous libidineux, c’est écrit aux cieux !
deuxième hystère (rêveuse) : pépé serait content s’il pouvait me voir !
première hystère : elle est née la divine afemme ! Viens sur moi o moi trop souvent niée ! O seulenmoimoi ! O bourgeonnamoi ! castrature du cercle en mama­ dora !
homo :

das unzulängliche
hier wird’s ereignis [1]

baise-moi, baise-moi, chuchote maintenant la femme du virtuel immortel, baise-moi kiktusois mon riquet houppé, embraisemoimoi, bouse-moi les fesses, j’en suis ténébreuse et toute vitreuse, à moi le spasmé de l’enténébré, j’en ai ralbout de son surplombout, baise­ moi chéri, vole ! au lit ! Parle-moi direct en méta joli ! J’en ai plein le cu de son zob artiste, je veux mon image en frôlant-frôlie... Saquons sa folie ! Aime-moi en veuve ! Montre-moi hommeuve ! Monte-moi sur lui, cueille-lui le cu de son mot jailli et roffre moi tout dans ta culottière, vas-y mon velu, pique lui son cri !


Picasso, Femme nue debout, 20 juillet 1950.
Terre rouge modelée. Musée Picasso, Paris.
Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

lui continuant à tourner mixture diabolissimus pour cervelles timides centrées. Points limites salves achille tortue flèches dans la brocéliande. Bougera ? Bougera pas ? Début de légende. Et nappe trouée. Selon le tiercé. Elles sont là marmites boue d’orage et bruyère le laid est beau le beau laid tonnerre d’un autre âge allons faire tour monde dans la brume immonde. Salut ! Salut ! Salut ! Demeurez, oracles imparfaits, dites-m’en davantage ! Ce qui les a enivrés m’a donné l’audace. Ce qui les a éteints est venu m’enflammer. Connaître ce que j’ai fait ? Mieux vaudrait ne plus me connaître moi-même ! Rude nuit, j’en serai tout blême. De telles choses peuvent-elles arriver et passer sur nos têtes comme un nuage d’été ? Oui, et sous la fumée. Contrai­rement à la tradition millénaire de la philosophie, dixit professor, il pense déchiré non en substantifs mais en verbes. Ce qui explique accélération turbo-réacteurs continu puissance avec rappel des anciens dormeurs forêts enchantées ronds dans l’herbe. Ordina­teur laminant l’influx carburant sonné. Cheveux ongles poussée de dos barbe nuit rongement des os que pense moelle enfumée névrose foie cœur momie main à tra­vers prose fourreau cuir et cervelle cire de l’oreillécho ? Il se cache en eau. Dégaine, petit, sors-toi du cloaque, sors ton miroir claque, ta lentille à crache, défais les attaches, pousse à fond ta peau -

das unbescheibliche
hier wird’s getan [2]

(hello man ? Ça vient la délivre ? La sortie des livres et du fou repas ? L’historié t’attend, c’est complet dedans... Où est-on ici ? Spasmorama ronronnant, couci-couça et longueur d’attente. Petit pays grande tradition mondiale commune passée actuel funèbre ! Liberté ? Chérie ! Seule algèbre ! En gros malgré tout vasouille restreinte contrée vanité pincée et eux résis­tants pérorent au lieu de pousser critiques. Se croyant déjà dirigeants insurrection oubliant sa problématique. Sacrés françouais. Très coquets. Xénos, sûrs xénos, sur-hexaxénos et perrococos. Coûts classicos, hypers ! Culture ? Bourjuse, cent pour cent ! Éducation ? Natio­nale ! Flics ? En tas, sous les lits ! Province ? Mastodonte ! Tout le poids ! Vieille histoire... Notionnel bornage engraissé catho avec sacristain moderne radical social tremblotant reflet des lumières savoir non encyclopé­dique en désordre avec renfort intégration sociaux­ chauvins à gros rouge devenu rosé parlant fort occupés à sauver image marque de mémé grande urse de plus en plus démasquée psychiatre fouettarde dans ses avatars combine anti-chine et orient bizarre déran­geant à peine furieuse sieste ronflement roublards. Mécanicité générale gourmands révolutionnaires à dessert sourd cocorico implicite antisémitisme tempéré jovial jusqu’à brusque rage paysanne auvergnate afflux merdeux cous bas coqs en pâte. Potinerie pou­lailler délirant avec ponte quotidienne bouffe et cu d’abord défense à mort enseignement minimal péteux souvenir pépé d’économe. Anticléricalisme à soutane échanges pisseux trucs de campagne élections stabi­lisant pour la gomme. Peuple archaïque sans âge sursaut demain surprenant malin si désir nécessité secouer ses puces volonté lancée ou bien rien)
et donc marche encore, agis et sois là, désem­brouille-toi en avant derrière, chaque point-déchiffre est un nerf de joie, un déclic à chaud dénouant cellule, chaque son nouveau te refait globule... Pschtt canal divise en étages musicalamage et pinson quoiquoi. Extrême satyre, tu te plais mouvant ? Tu sautes la loi ? En passant devant ? Evite, repars, et lâche ton lest, la substance est rance, tourne-la qui danse, suis ton injection, ta jectivation dans le sub de l’ob et le tuba­ zob, la substantiflic de la frication, active, salive, tire­ toi les tifs en vaginatif ! Excite l’étym ! Redescends la mine ! Ça cause, ça plaît, et puis ça recause son alter­ effet, son sursum corda abracadabra. Habemus ad neutrinum ! Dominus vopiscus ! Amène... Ouftre ! Wipe your glosses with what you know [3]. Le cloître, fleurance ! Tout le bleu du bleu dans l’or bleu jardin, colonnes tintées air bleu violoné ! Trop physiques, ils n’arrivent pas à sauter leur métaphysique. Motus, silésius ! Et in saecula !

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Rodin, Main sur un sexe.
Mine de plomb, estompe et aquarelle sur papier crème.
32,6 x 25cm. D. 6191. ZOOM : cliquer sur l’image.
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Le Bernin, L’enlèvement de Proserpine (Perséphone) (détail). 1620-1621.
Rome, Galerie Borghèse. Photo A.G., 23 juin 2015.
ZOOM : cliquer sur l’image pour voir l’oeuvre complète.
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CLITO
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Si vous voulez connaître l’Histoire, tapez Clio. Si vous choisissez d’en pénétrer les dessous, croyez-moi, tapez Clito. Si vous êtes un homme, ne vous laissez pas abuser par la proposition de pénétration classique, au risque de vous retrouver avec un enfant conçu dans le dos. Il y a des bourreurs invétérés, dont les femmes, en général, ont bien raison de se plaindre. Ces arriérés compul­sifs assurent, pour l’instant, la reproduction, mais ils seront de plus en plus dépassés par la procédure tech­nique. On a beau les prévenir que leur bourrage répé­titif déclenche immanquablement la VVB, la Vésicule Vaginale Biliaire, microscopique pédoncule invisible à l’œil nu [4], ils continuent à excéder leurs partenaires, qui, si elles ne tombent pas enceintes, les payent, en retour, d’une constante mauvaise humeur.

Clito ! Clito ! Clito ! Bouton d’or ! Pile atomique ! Clitomnestre ! Sapho ! Une femme avec un bon clito, souvent sollicité par elle-même, en vaut mille. Voyez-la, souriante, gracieuse, épanouie, humoristique, et même tendre. Clito ! Clito ! La paix au sein de la guerre ! Pas de lucidité sur Clio sans Clito !

Perséphone est coincée entre sa mère et son père, qui se fait passer pour son oncle. Son père la viole aux Enfers, sa mère l’étouffe sur terre [5]. Vous la prenez à part, vous approuvez son clito, elle vous en sera éternellement reconnaissante. Se branler seule, c’est bien, se branler à deux, avec les mots qu’il faut, c’est mieux. Une Phénoménologie du Clito changerait la vie de foules entières. Clito, délicieuse déesse grecque ! Voyez comment, rien que pour vous, elle transforme sa froideur en mouil­lure ! Beauté criminelle ! Insoupçonnable ! Dissimula­trice sacrée ! Hypocrite et menteuse en surface, Sainte Nitouche touchée ! Surtout, en dehors des séances, pas un mot déplacé, aucune vulgarité ! Un air un peu strict, réservé, britannique, est de mise. Cette femme délicate et chic a beaucoup d’esprit, et pour cause.

Non seulement elle a de l’esprit, mais, en bonne vicieuse raisonnée, elle est sympathique, généreuse, hyper-sensible. Elle évalue les tourbillons du Spectacle de façon sarcastique, ne signe aucune pétition, n’aime pas les rassemblements. Elle s’éclipse des conversa­tions, pense à sa vie amoureuse, mange peu, évite de grossir, aime beaucoup ses bijoux.

Tout cela est ensoleillé, vibrant, innocent, enfan­tin, unique, dans un contexte férocement aplati. On est donc passé d’une ère phallocratique à une longue période vaginocratique, et il faut maintenant s’habituer à une nouvelle ère clitocratique, pleine de surprises et de révélations. Le réglage technique de la procréation est contemporain d’une catastrophe climatique. Cette séquence révolutionnaire est encore masquée par un épais brouillard artificiel.

Les reines de la transition clitocratique sont, bien entendu, les Chinoises. On leur a bandé les pieds pendant des siècles, comme pour préparer ce rebond fabuleux. Elles courent, volent, s’envolent au-dessus de tours gigantesques, la moitié du ciel leur appartient, et, bientôt, le ciel tout entier. Un pied de Chinoise sur Vénus, voilà la vraie Révolution culturelle. Tout cela en silence, comme une marée. En surface, revendications démocratiques contrôlées, business, fausse gentillesse, surveillance massive, identifications faciales renforcées. Une expédition féminine chinoise est déjà dans l’Arc­tique, à la recherche du pétrole enfoui sous la banquise en train de fondre. Elle doit rejoindre bientôt sur place une autre expédition de femmes inuits équipée par le Canada. Ça va chauffer dans la glace.

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Rodin, Le Glacier. Femme nue aux longs cheveux de profil à droite. Après 1896.
Crayon au graphite et aquarelle sur papier vélin. ZOOM : cliquer sur l’image.
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Rodin, Femme nue allongée, une main sous une jambe relevée.
Mine de plomb sur papier crème.
21,5 x 31cm. MR 1379. ZOOM : cliquer sur l’image.
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Rodin, Couple saphique.
Mine de plomb et estompe sur papier crème.
20,3 x 30,2cm. MR 3057. ZOOM : cliquer sur l’image.
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Peinture sur soie (détail). Période Qianlong (1736-1795).
Cf. Le corps chinois. ZOOM : cliquer sur l’image pour voir l’intégralité.
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Picasso, Raphaël et la Fornarina. II : avec un voyeur caché. 29 août 1968.
Eau-forte sur cuivre. Barcelone, Museu Picasso. Cf. Picasso, Raphaël et la Fornarina.
ZOOM : cliquer sur l’image.
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Montage à partir d’extraits de Lois (Seuil, collection Tel Quel, 1972, p. 71-76) et de Désir (Gallimard, 2020, p. 110-113). Illustrations : Rodin, Le Bernin, Chine (XVIIIe), Picasso.

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« Mon nom est clitoris » :
le film (à voir !) qui brise le tabou et libère la parole
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Projeté dès le 30 octobre 2019 dans les salles de Suisse romande, le documentaire « Mon nom est clitoris » bouscule les non-dits entourant la sexualité et l’organe du plaisir féminin. Avec humour, liberté et courage, 12 jeunes femmes se livrent et partagent leur vécu. Interview avec les deux réalisatrices du long-métrage, Daphné Leblond et Lisa Billuart Monet.

Parler de domination masculine sans jamais utiliser ces termes : tel est le pari réussi du documentaire « Mon nom est clitoris ». Durant 80 minutes, 12 filles âgées entre 18 et 25 ans évoquent à cœur ouvert et à visage découvert leur sexualité. Un film idéal pour parler du manque d’informations, faire bouger les mentalités et ouvrir les esprits. Interview téléphonique avec ses deux réalisatrices, Daphné Leblond, 28 ans, et Lisa Billuart Monet, 24 ans, qui signent leur premier long-métrage.

Comment est né ce projet ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de le réaliser ?

Lisa Billuart Monet Daphné et moi nous nous sommes rencontrées dans notre école de cinéma en Belgique et nous sommes devenues amies. Lors d’un voyage, nous avons eu une longue conversation sur la sexualité, notamment sur l’obligation de la pénétration lors des rapports hétérosexuels. On a parlé de nos expériences, il y avait beaucoup de choses qui nous semblaient importantes à traiter. L’idée est née à ce moment-là. Ça nous a fait tellement de bien d’en parler ensemble qu’on s’est dit que cela pouvait également être libérateur pour d’autres filles de notre génération. C’est vraiment ce concept qui nous a poussées à passer à la réalisation, car on a suivi des sections techniques dans notre école. C’est notre premier film !

Vous avez filmé « Mon nom est clitoris » en 2016, pourquoi n’est-il diffusé qu’aujourd’hui ?

Daphné Leblond On a commencé le tournage sans production, on le réalisait en parallèle de nos études. Cela a ralenti le processus. Puis on a attendu un financement durant quasiment un an. Dans ce domaine, on met plusieurs mois à monter un dossier et on patiente ensuite autant de temps pour avoir une réponse. Le film est terminé depuis un an, mais notre première sélection en festival, à Namur, est arrivée relativement tard.

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© Iota Production

L’auriez-vous tourné différemment aujourd’hui ?

Daphné Oui, clairement. Cela aurait déjà changé les choses si l’on avait été financées pour le tournage. On aurait pu investir dans du meilleur matériel, plus professionnel.

Lisa Mais avoir commencé sans production nous a tout de même offert une totale liberté. On a tout choisi : le casting, le dispositif, le cadre, les questions, etc. On n’a subi aucune pression extérieure. On a pu explorer toutes nos idées ! Et le fait d’être uniquement nous deux dans les chambres des filles qui témoignent nous a aidées. Avec un ingénieur du son en plus par exemple, les participantes ne se seraient probablement pas livrées de la même façon.

Il n’y avait aucune barrière, pas de projecteur :
on a tout filmé en lumière naturelle. C’est aussi la force du film.
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Daphné Complètement, c’est un projet au départ réalisé « entre copines », avec des bouts de ficelle, mais cela fait partie de son identité.

Lorsque vous dites « entre copines », cela signifie-t-il que les 12 filles qui témoignent sont vos amies ?

Daphné Pas toutes, mais on a commencé avec des filles proches de nous, que l’on connaissait bien, oui. On s’était dit que ça allait être compliqué, qu’on allait essuyer beaucoup de refus. On a donc demandé à des personnes avec qui on avait déjà parlé de ces sujets-là. Ces dernières nous ont ensuite recommandé d’autres filles et nous avons également passé quelques annonces sur les réseaux sociaux.

A LIRE également : Le sexe féminin, nouvelle icône pop

Comment se sont déroulées les interviews ?

Lisa En général, on prenait une après-midi complète pour cela. On leur transmettait les questions à l’avance, il n’y avait pas de piège. Pendant les interviews, on ne le voit pas dans le film, mais on se livre aussi beaucoup, on n’arrête pas de parler de nos propres expériences. La parole nourrit la parole. C’était davantage une conversation qu’un bête question-réponse. On a le même âge, les mêmes problèmes, les mêmes questionnements. Un effet de miroir s’est naturellement installé.

Daphné Il y avait une vraie complicité. On voyait très bien de quoi elles voulaient parler, car on traversait les mêmes choses au même moment.

Les participantes ont-elles tout de suite accepté que ce soit à visage découvert ?

Daphné Non, pas toutes. On a eu peu de refus, mais il y en a eu.

Lisa C’est très courageux ce qu’elles ont fait. C’était notre contrainte de base, on ne voulait pas s’attaquer au tabou entourant le clitoris tout en floutant les visages. Ça nous paraissait contradictoire. Mais incarner cette parole, ce n’est pas quelque chose d’évident, c’est totalement différent que de faire un podcast par exemple.

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© Iota Production

Avez-vous essayé d’avoir un casting le plus diversifié possible ?

Lisa On a souhaité mettre en lumière des orientations sexuelles différentes, des physiques différents, des origines différentes, des personnes concernées par des problèmes autres. On a essayé de sortir de nos propres caractéristiques. Mais en tout, on a interviewé uniquement 15 jeunes femmes. On s’est très vite rendu compte que l’on avait énormément de matière, suffisamment pour faire un film. Derrière chaque témoignage, il y a énormément d’histoires à raconter, qui chacune à sa façon dit quelque chose de la domination masculine.

On se rend bien compte qu’il y a des minorités sexuelles et des personnes qui ne sont pas représentées dans le film. Ça nous paraissait difficile d’avoir un spectre total de la sexualité. Et on voulait aussi éviter l’étiquetage :
la personne trans, la personne asexuelle, etc.
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Dans la continuité de « Mon nom est clitoris », on aimerait réaliser un projet web composé de capsules racontant la sexualité de personnes qui ne sont pas représentées dans le film. On élargirait ainsi le sujet. Ce serait aussi une manière d’intéresser un public plus jeune.

Votre film peut-il être considéré comme un outil pédagogique ?

Daphné Oui, complètement. On aimerait que beaucoup de gens s’en emparent, qu’il puisse être un outil militant et pédagogique pour essayer de combler l’ignorance dont on parle tout au long du documentaire. Donner des informations concrètes était essentiel dans notre démarche.

Lisa Le planning familial belge a déjà manifesté son intérêt, « Mon nom est clitoris » va être utilisé pour donner des cours d’éducation sexuelle. Pour nous c’est formidable, c’est vraiment un bel accomplissement.

A LIRE également : Sexe : pourquoi les femmes éprouvent encore et toujours moins de plaisir que les hommes ?

Est-ce que la situation évolue selon vous, connait-on mieux le clitoris aujourd’hui qu’il y a quelques années ?

Daphné Oui et non, car les problèmes de société mettent toujours un temps fou à s’améliorer. Faire bouger les mentalités ne se fait pas du jour au lendemain. Mais dans les livres scolaires en France par exemple, il y a 4 manuels qui ont enfin ajouté le clitoris et l’ont représenté en entier. A ce jour, il y a donc 5 manuels sur 7 qui sont à jour.

Lisa En Suisse les choses bougent aussi d’ailleurs. Des étudiantes en médecine nous ont confiées que pour la première fois, les futurs docteurs avaient désormais un cours qui portait sur le clitoris. Alors qu’avant, ça semble fou, mais ça n’était pas du tout étudié.

Je pense qu’il y a vraiment un avant et un après #MeToo,
ça a bouleversé tout le paysage médiatique.
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4 ans après le début du projet, êtes-vous fatiguées de parler de « Mon nom est clitoris » ?

Daphné Beaucoup de réalisateurs sont souvent dans ce cas, car tout prend du temps avec le cinéma. Mais pour nous, absolument pas : c’est un aboutissement. On ne pouvait pas se passer de ce contact avec les publics, on adore assister aux projections. Et le public suisse a été au-delà de nos espérances. C’est le premier pays à distribuer le film en salles, avant même la France et la Belgique. C’est notre rêve depuis le départ, merci la Suisse !

Lisa Ce film représente également notre militantisme. Ça nous paraît toujours aussi important de parler de cela. Car le problème est loin d’être résolu. Alors plus on en parle, mieux c’est !

Muriel Chavaillaz, Femina, 30 octobre 2019.

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“Le Plaisir effacé. Clitoris et pensée”, de Catherine Malabou

« L’une des tâches de la philosophie a toujours été de faire apparaître des pans du réel restés cachés. Le corps a été un l’un d’eux. La sexualité a été l’un d’eux. Mais cela n’était jamais encore arrivé à une partie du corps. Cette partie, qui n’en est pas vraiment une, parce qu’elle est une tout à elle seule, c’est le clitoris. Organe dit du plaisir de la femme. Organe longtemps ignoré, souvent mutilé. L’organe du plaisir effacé. »

« Du plaisir de la femme, en philosophie, il n’est jamais question. » C’est à partir de ce constat simple et amer que Catherine Malabou s’autorise un double geste de dévoilement : comprendre pourquoi le clitoris a été ignoré par la philosophie jusqu’à la seconde moitié du XXe siècle, et pour quelles raisons il demeure encore aujourd’hui l’objet de fantasmes ou de mutilations insensées. Point aveugle de la réflexion sur les bienfaits de la chair, le clitoris est pourtant le seul organe qui procure «  du plaisir pour rien ». Serait-ce précisément pour cela qu’il suscite tant de gêne – voire de haine ?

Clito, ergo sum. Catherine Malabou dresse une courte généalogie de cet « effacement » du clitoris, avant de s’intéresser aux débats qu’il suscite parmi les féministes. Le clitoris est-il le sexe des femmes par excellence ? Est-ce un phallus au féminin dont il faudrait célébrer la « puissance » ? Doit-on le théoriser avec, à côté ou contre le vagin ? Ces questions amènent notamment l’autrice à affirmer la distinction entre « femme » et « féminin », dans un souci de concilier transféminisme et féminisme beauvoirien, souvent accusé d’essentialiser le corps des femmes. Le plus important étant peut-être ailleurs, c’est-à-dire dans l’articulation entre découverte du plaisir clitoridien et affirmation de soi. Explications.

Petite histoire d’un effacement

« Toutes les femelles mammifères ont un clitoris », écrit Catherine Malabou. Le clitoris a beau être un universel, on ne le trouve nulle part dans les textes classiques sur le plaisir, le corps ou le sentiment de soi. Il faut attendre Freud pour que le clitoris soit explicitement mentionné et conceptualisé, mais il est alors malmené d’une autre manière : le père de la psychanalyse le relègue au stade de la sexualité infantile, ne légitimant chez la femme adulte que l’orgasme vaginal – comme si les deux n’allaient pas de pair. Par la suite, on n’en trouve pas mention chez Heidegger ni même chez Foucault, qui l’exclut étonnamment de son Histoire de la sexualité. C’est seulement dans Le Deuxième Sexe de Beauvoir, en 1949, que le clitoris pointe le bout de son capuchon. La philosophe s’oppose entre autres à la description que Sartre fait du sexe féminin dans L’Être et le Néant (« une béance ») pour affirmer la prépondérance de ce qui est peut-être justement le « deuxième sexe » féminin par excellence.

Le clitoris comme « écart »

Sans nier la légitimité des critiques féministes à l’égard de Beauvoir (parler de « deux organes sexuels » chez la femme ne revient-il pas à les opposer, comme le fait Freud ? Quid des hommes transgenres ?), Catherine Malabou s’en inspire pour faire du clitoris l’organe de la différence. L’écart physique entre le clitoris et le vagin, mis à distance par le voile des petites lèvres, se retrouve à d’autres niveaux : « Écart entre clitoris et vagin, mais aussi entre clitoris et phallus, entre le biologique ou le symbolique, entre la chair et le sens.  » La philosophe se refuse à envisager un tel écart sous une forme dialectique, c’est-à-dire celle d’une opposition qui aurait pour objectif un dépassement, une réunification. Refuser la réduction de l’écart, pour Catherine Malabou, permet d’éviter de faire du couple vagin-clitoris l’équivalent féminin du phallus. La pensée échappe ainsi à la reconduction du mythe de la puissance virile, qui serait la seule façon d’envisager la manifestation de la libido.

Affirmer son indépendance

Qui dit écart, dit aussi singularité de l’emplacement et possibilité de bien identifier l’objet. «  Le privilège théorique du clitoris par rapport à d’autres parties de la vulve et à la vulve elle-même, sa fétichisation métonymique (la partie pour le tout), s’expliquent par le fait qu’il symbolise l’indépendance du plaisir », glisse Catherine Malabou. Elle se réfère notamment aux écrits de Carla Lonzi, figure du féminisme italien des années 1970 à qui l’on doit, entre autres, La Femme vaginale et la Femme clitoridienne. Pour Lonzi, jouir sans pénétration vaginale, par la seule excitation du clitoris, permet d’accéder à une nouvelle connaissance de soi. Être clitoridienne signifie « penser à la première personne ». La femme s’autonomise grâce à la masturbation clitoridienne et accède à des pans de son être jusqu’alors ignorés d’elle. Elle peut alors comprendre « comment on forme sa tête et comment on la perd ». À l’époque, rappelle Catherine Malabou, cette affirmation de soi fait presque office de « coming-out », tant la pénétration vaginale par un sexe masculin semble indépassable. L’autrice du Plaisir effacé commente : « L’affirmation de la femme clitoridienne est le point de départ d’un nouveau type de devenir-sujet. » Clito, ergo sum.

« Le clitoris est anarchiste »

Le sujet qui naît ainsi de la découverte jouissive de son propre corps, ne saurait être docile. « Le clitoris est rapport au pouvoir mais pas rapport de pouvoir. Le clitoris est anarchiste  », insiste Catherine Malabou. De cette liberté aussi, surgissent d’amples débats sur le rapport entre le clitoris et le genre féminin, que la philosophe aborde sans pudeur. Soucieuse de ne pas effacer les hommes transgenres de son ouvrage, la philosophe établit une distinction entre « la femme » et « le féminin ». Le clitoris «  rend sensible l’excès du féminin sur la femme ». Même si l’on abandonne le corps de femme dans lequel on est né, comme le philosophe Paul B. Preciado, le féminin perdure tel un «  fantôme », sous forme de souvenir, de trauma ou de deuil. «  Même s’il n’est pas nécessaire qu’il soit celui d’une femme, le clitoris reste la place énigmatique du féminin. Ce qui veut dire qu’il n’a pas encore trouvé sa place », note Catherine Malabou. N’est-ce pas précisément parce qu’il ne se laisse jamais entièrement découvrir que le clitoris se révèle aussi précieux ?

Ariane Nicolas, philomag le 09 novembre 2020.

Le Plaisir effacé. Clitoris et pensée (144 p., 16 € et 11,99 € en version numérique), de Catherine Malabou, est paru aux Éditions Bibliothèque Rivages. Il est disponible en version « papier » et numérique.

*

Philosophie du clitoris

La femme est un être singulier, la seule à posséder deux organes sexuels séparés, dont le clitoris, dédié au plaisir. Le secret de ce plaisir fut longtemps un impensé en philosophie. Qu’est-ce que le plaisir ? Comment parler du clitoris sans tomber dans un essentialisme du corps féminin ?

L’invitée du jour

Catherine Malabou, philosophe, professeure de philosophie au « Centre for Research in Modern European Philosophy » à l’Université de Kingston au Royaume-Uni

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"Le clitoris est une pierre minuscule logée en secret dans la grande chaussure de l’imaginaire sexuel.
La jeune Clitoris de la mythologie grecque, connue pour sa taille très fine, était dite mince ’comme un caillou’.
Longtemps caché, privé de nom, de représentations artistiques, absent des traités de médecine, souvent ignoré des femmes elles-mêmes, le clitoris n’a eu durant des siècles qu’une existence de scrupule, au sens primitif du terme, ce grain qui gêne la marche et taraude l’esprit.
"
Catherine Malabou, dans Le plaisir effacé : clitoris et pensée, aux éditions Rivages (2020)

Textes lus par Elsa Lepoivre :

Extrait de L’être et le néant, de Jean-Paul Sartre, 1943, éditions Gallimard
Extrait de Ce sexe qui n’en est pas un, de Luce Irigaray, 1977, éditions de Minuit
Extrait de Crachons sur Hegel : une révolte féministe, de Carla Lonzi, 1974, éditions Eterotopia

Sons diffusés :

Mix de début d’émission par Laurence Malonda avec des extraits de Barbarella, de Roger Vadim, 1968 ; Moi César, 10 ans 1/2, 1,39 m, de Richard Berry, 2003 ; Nymphomaniac II, de Lars von Trier, 2013 ; Réponses de femmes, d’Agnès Varda, 1975 ; et chanson de Khia, My Neck My Back (Lick it)
Archive de Simone de Beauvoir, dans les Nuits Magnétiques, France Culture, 02 février 1979
Extrait du film Anatomie d’un rapport, de Luc Moullet et Antonietta Pizzorno, 1976
Musique de Balmorhea, On the weight of night, album Constellations
Extrait du film Nymphomaniac Vol. 2, de Lars von Trier, 2013
Chanson de Megan Thee Stallion, Body


Voilà qui n’est pas sans rapport...

M… la maudite

M. la maudite, c’est le titre d’un film de Jean-Paul Fargier diffusé en 2007 sur Arte :

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VOIR AUSSI : « M... la maudite », une vidéo de Jean-Paul Fargier
Philippe Sollers lit des extraits de lettres de Joyce à Nora


[1« l’inaccessible ici n’est plus hors d’atteinte », Goethe, Faust II, 1832.

[2« l’indescriptible ici, est accompli », Goethe, Faust II, op.cit.

[3« Essuyez vos gloses avec ce que vous savez. » Vous aurez reconnu James Joyce, Finnegans Wake.

[4La VVB : ce « concept » est défini, pour la première fois, si je ne m’abuse, dans Portrait du Joueur (1984) et rappelé dans beaucoup de romans ou essais de Sollers. Exemple dans Portraits de femmes :

« J’ai eu de la chance : pas de ressentiment ou d’esprit de vengeance entre les femmes et moi. Des folles à distance, oui, mais pas de "laides et acariâtres" proches. Il faut dire que je suis un explorateur méconnu : je n’ai pas fait le tour du monde, mais j’ai identifié très tôt, afin de le neutraliser, un organe microscopique, très difficile à localiser, source de toutes les manifestations atrabilaires, situé chez les femmes de façon presque invisible, mais ayant un grand effet d’usure toxique dans la vie des hommes. J’ai nommé le cœur de la rancœur, la VVB, la Vésicule Vaginale Biliaire. Ma découverte va beaucoup plus loin que celle de l’hystérie, devenue globale et banale. Ce pas sur la lune, de façon très injuste, ne m’a pas encore valu le Nobel. »

[5Cela suppose que vous ayez lu le chapitre « Perséphone » dans Désir, p. 103-105.

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1 Messages

  • Albert Gauvin | 31 janvier 2021 - 19:28 1

    “Le Plaisir effacé. Clitoris et pensée”, de Catherine Malabou

    « L’une des tâches de la philosophie a toujours été de faire apparaître des pans du réel restés cachés. Le corps a été un l’un d’eux. La sexualité a été l’un d’eux. Mais cela n’était jamais encore arrivé à une partie du corps. Cette partie, qui n’en est pas vraiment une, parce qu’elle est une tout à elle seule, c’est le clitoris. Organe dit du plaisir de la femme. Organe longtemps ignoré, souvent mutilé. L’organe du plaisir effacé. » LIRE ICI.