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Un bateau et des tableaux

Olivier Rachet, Philippe Sollers et Vincent Roy sur RCJ

D 28 mars 2019     A par Albert Gauvin - Olivier Rachet - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


RCJ, Un monde de livres, 28 mars 2019.

À propos des livres : Le Nouveau et Sollers en Peinture - une Contre-Histoire de l’Art. Avec Philippe Sollers, Olivier Rachet et Vincent Roy.

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Le voyageur du Temps

par Olivier Rachet

Si comme l’écrit Shakespeare au début de La Nuit des rois, « la musique est la nourriture de l’amour », force est de constater que la composition savamment musicale du dernier roman de Sollers, Le Nouveau, est une promesse de bonheur généreusement tenue. Non pas seulement parce que l’auteur a, depuis la publication en 1958 de son premier roman Une curieuse solitude qui s’ouvrait sur une épigraphe de Joubert « Le plus beau des courages, celui d’être heureux », le bonheur en ligne de mire ; mais parce que le roman est l’écriture d’une partition musicale aux savoureuses correspondances. Comme de longs échos qui de loin se confondent, les motifs, notamment fluviaux, végétaux et animaux – l’eau, l’air, la terre, le feu ; mais aussi l’encre bleue, les oiseaux, les voiliers, les tempêtes et les éclairs – se répondent à l’infini. « Voilà ce qui coule dans mes veines, écrit le narrateur dans les premières pages : la marine, l’Irlande, les fleurés mouchetés. On ne tue pas, on touche. On n’espère rien, on navigue. » Sans doute le plus autobiographique de ses romans, après l’admirable Portrait du joueur publié en 1984, Le Nouveau est l’occasion d’évoquer les figures de ses arrière-grands-parents : Henri le navigateur, Edna l’Irlandaise, mais aussi de Louis le grand-père escrimeur et de Lena la mère lectrice attentionnée de Proust. Avec Sollers, on ne part pas à la recherche du temps perdu, on le retrouve à chaque instant sublimé, transvalué comme dans la plus étrange des opérations alchimiques. Si le roman s’ouvre sur l’évocation menaçante d’une mouette fonçant tout droit sur le narrateur – en lointain écho peut-être du film d’Hitchcock Les Oiseaux dépeignant moins les errements ironiques de cet « innocent dans un monde coupable » dont parlait le réalisateur que figurant par l’épouvante la mainmise castratrice des mères empêchant leurs enfants de jouir librement –, c’est à d’autres conférences d’oiseaux que l’on pense en tournant allègrement les pages de ce livre : aux deux pigeons de La Fontaine que l’on imagine avoir été des milliers (mille e tre), aux tourterelles et aux mésanges, aux hirondelles annonçant le printemps qu’est à elle-même la vie lorsqu’on sait la goûter avec tous ses sens. « Cela dit, reconnaît le narrateur à propos de Shakespeare, tout le monde ne sait pas parler la langue alchimique des oiseaux. »

Comme Dante était accompagné de Virgile, Ulysse guidé par la déesse Athéna (dont la chouette, dites-donc, était l’un des attributs), le narrateur-navigateur de ce roman l’est par l’un des plus grands écrivains de tous les temps, William Shakespeare, à côté duquel nos auteurs et auteures contemporains font bien pâle figure. « WILL I AM. Je suis mon désir, je veux mon désir, le désir me veut, tous les désirs me veulent. J’ai la volonté de mon désir, je me consacre à mon seul désir, vous serez forcés de m’aimer, puisque mon nom est désir. » Shakespeare ayant comme personne ou presque – on songe à Joyce, Melville ou Dante – affronté le Mal sous toutes ses formes, de l’hystérie féminine au secret désir de vengeance, de l’impuissance sexuelle à la volonté destructrice du pouvoir ; Shakespeare ayant surtout révélé en une radiographie poétique toujours aussi foudroyante l’ambiguïté sexuelle et l’ambivalence des pulsions : « Shakespeare est un catholique en crise moléculaire, écrit Sollers. Un monde s’effondre, un autre surgit. C’est une grande tempête, dont les effets durent encore. »

Dans des pages particulièrement éclairées, en plein jour dans la nuit galopante des obscurantismes qui prolifèrent plus vite parfois que la lumière, Sollers imagine que Le Nouveau, après avoir désigné la barque de son arrière-grand-père, puisse être le nom d’un nouveau théâtre succédant au Globe élisabéthain : un théâtre de la cruauté sans public, ni comédien. Un espace à la fois sanguinaire et dionysiaque qui désignerait la scène même de l’Histoire en train de se faire et de se défaire, sous la musique éternelle des sphères célestes. Le roman tel que Sollers le pratique avec toujours plus de virtuosité est bel et bien cette scène baroque où tournoient tous les êtres, à l’opposé des spectacles dépressifs où se précipitent les touristes culturels d’aujourd’hui. « Vivre n’est pas nécessaire, naviguer l’est », écrit cet infatigable voyageur du Temps. « Vous ne manquez de rien, la Nature ne manque de rien, l’être est, le non-être n’est pas. Jamais le hasard n’inventera les dés ou un échiquier. Le siècle disparaît, et vous n’en êtes pas épouvanté. Reprenez votre silence extrême et sa vitesse atomique. Chaque instant est passionnant dans son changement. » Le bonheur est baroque et chinois, un livre des mutations invisibles que Sollers nous invite encore et toujours à parcourir. Admirable !

Olivier Rachet


Delacroix, La barque de Dante
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LIRE AUSSI : Philippe Sollers, la langue des oiseaux
Le Nouveau (divers articles)
Olivier Rachet : SOLLERS EN PEINTURE, une contre-histoire de l’art

ATTENTION : Le Monde du 24 mars parle bien du Nouveau et de Shakespeare, mais le titre est : « Le Nouveau », de Tracy Chevalier : l’« Othello » de Shakespeare en culotte courte...

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