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Le journal du mois, juillet 2006

Dans le Journal du Dimanche

D 10 août 2006     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


L’actualité vue par Philippe Sollers

Zidane Liban Canicule Cèdre
Zidane

J’ai eu tort, c’est vrai,
comme bien d’autres, de
sous-estimer, au début, l’équipe
de France de football : Elle s’est
ranimée, elle a ressuscité,
elle a accompli des miracles, saint
Zidane est monté au ciel
On imagine la hantise
publicitaire des sponsors de
devant nous, jusqu’à ce coup de
Zidane (Danone, par exemple).
boule en finale qui nous a
Enfin, tendance générale, le
ramenés brutalement sur terre.
dieu Zidane est redevenu
Mon dieu, mon dieu, quelle
histoire. Que s’est-il passé ?
Suivons le mouvement : Zidane
marque un penalty contre
l’Italie. Plus tard, il frôle, d’une
tête splendide, le but de la
victoire détourné in extremis
par le gardien italien. A ce
moment-là, il est furieux, il
hurle, son visage est contracté,
bouche ouverte, il ressemble
soudain à un bouc de choc.
Puis vient le coup de boule sur
Materazzi, la vidéo. Irréfutable,
le carton rouge, l’expulsion, la
dégradation, la honte. Tempête
sous un crâne, stupeur
mondiale.

Les commentaires ont
aussitôt proliféré, le plus
cocasse était sans doute celui
des Nouvelles de Pékin : « Tout
roi du football est une
combinaison d’ange et de
démon. » Pendant des jours, on
a vu, en boucle, le front de
Zidane administrer un sévère
pneumothorax à son insulteur
Mais qu’avait donc dit ce
dernier ? Une injure raciste ?
Des propos orduriers sur sa
Mère, traitée de terroriste. » ?
On imagine la hantise
publicitaire des sponsors de
Zidane (Danone, par exemple).
Enfin, tendance générale, le
dieu Zidane est redevenu
humain, c’est-à-dire comme
vous et moi, n’est-ce pas, qui
avons le coup de boule facile.
Ségolène Royal a trouvé
l’attitude de Zidane
« exemplaire » par « sa capacité
à défendre farouchement le
respect dû à sa mère, le respect
dû à sa s ?ur ».

Mais qu’a dit exactement
Materazzi, cette brute tatouée ?
Il faudra désormais équiper les
joueurs d’un micro
enregistreur plutôt que de
perdre du temps à déchiffrer
des mots sur leurs lèvres. Le
pudique Zidane évoquait sa
maman, sa s ?ur. La réalité est
plus triviale et bêtement
érotique : Materazzi pelote
Zidane à travers son maillot,
celui-ci lui propose de le lui
donner dans les vestiaires. Le
tatoué lui lance alors « casse-
toi, pédé », « avec ta pute de
s ?ur », et enfin, tir au but, « je
vais te défoncer le cul ». D’où le
coup de boule. Là-dessus,
censure générale, il ne faut pas
choquer les enfants et les
éducateurs. Zidane a certes
défendu sa s ?ur, mais surtout
sa virilité humiliée. Je ne vois
pas en quoi il est condamnable.
A quand, d’ailleurs, un grand
match de coups de boule ? Ça
devrait valser.

Liban

Israël, pour sa défense a
choisi l’action militaire à
l’américaine. Zéro mort pour
soi, bombardements massifs,
éviter lee engagements au sol
(mais. s sont en train de venir),
indifférence impériale pour les
pertes civiles, d’ailleurs
symétrique de celle de son
adversaire fou. Dans ce genre de
stratégie, il faut aller vite,
anéantir l’ennemi en quelques
jours, sinon c’est le bourbier
classique, l’émotion
internationale, etc. Soit les
services de renseignements de
Tsahal ne sont plus ce qu’ils
étaient, soit la stratégie à
l’américaine montre de plus en
plus ses limites, mais le moins
qu’on puisse dire est que
l’engrenage est celui des dégâts.
Le cinglé du Hezbollah paraît à
la télévision, il est calme, c’est
un bébé rose barlu, il n’a pas du
tout l’air impressionné par les
destructions en cours,
au contraire. Là-dessus, comme
d’habitude, exode des
populations, évacuation des
étrangers, civils brûlés avec
leurs enfants dans leurs
voitures, explosions
meurtrières à Haïfa, sinistre
passion de mort à l’ ?uvre,
comme en Irak.

Chirac tire son épingle du
jeu, remonte dans les sondages,
provincialise Sarko et Ségo,
obtient des corridors
humanitaires, des corridors,
que dis-je, bientôt des couloirs.
Il avait déjà fait un très bon
14 Juillet, demandant qu’on
s’occupe d’autre chose que du
« sexe des anges », stigmatisant
« la morosité que d’aucuns
s’obstinent à dépeindre »,
n’arrêtant pas de répéter « La
France, la France, la France ».
Pauvre Liban, désormais,
pauvre pays du cèdre.

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Candoleezza Rice à Beyrouth, le 26 juillet 2006

Quelqu’un qui ne s’arrange
pas avec le temps, en tout cas,
c’est Condoleezza Rice : sa
démarche est de plus en plus
mécanique, son sourire
robotisé, on dirait une employée
des pompes funèbres
planétaires. Comble d’étrangeté,
des observateurs de l’ONU sont
tués dans un bombardement,
dont un Chinois. Le ministre
adjoint des Affaires étrangères
chinois, Zhai Jun, convoque en
urgence à Pékin l’ambassadeur
israélien pour une ferme
protestation et une demande
d’excuses. Excuses israéliennes,
donc, et promesse d’enquête
approfondie et rendue publique.
On verra bien.

Canicule

Je fais comme vous, je me
saoule d’eau, je m’asperge, je
regarde avec accablement les
informations et la météo, je

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"Il y a le feu à la maison et tout le monde regarde ailleurs"
Nicolas Hulot

suis obligé de me demander
où court cette petite planète
projetée dans la fonte des
glaciers et l’effet de serre.
Coup de boule de Zidane ;
guerre du Liban, canicule,
c’est beaucoup pour un seul
mois d’été. Vers midi on se
prend à souhaiter l’arrivée de
l’hiver, du gel, de la neige. Je
ferme mes volets, je continue
à écrire un livre sur les fleurs,
plus à contre-courant tu
meurs. Cela me permet, en ce
moment, de rendre visite au
très grand poète persan Omar
Khayyam (1040-1125), qui a été
aussi un mathématicien et un
astronome célèbre. Ses
quatrains sont presque tous
des célébrations du vin, de
l’ivresse, mais aussi des
« jolies », qui pour lui sont
toutes des tulipes. Il est bon
de l’écouter dire « Au loin
islam, religion, péché !
 », et
« Assieds-toi au Paradis avec
une jolie
 ».

Et ceci :
« Boire du vin, chatouiller
des jolies comme des tulipes,
C’est mieux que des
cafarderies, des hypocrisies.
S’ils sont damnés, ceux qui
font l’amour et qui boivent.
Qui donc voudra voir le
Paradis ? Qui ? »

Cèdre


Je tombe sur ce passage de
Claudel, dans Le poète et la Bible :
« Les cèdres, c’est la végétation
immortelle qui de tous les côtés
escalade les pentes du Liban. Le
cèdre avec ses vastes plateaux
superposés est tout ce qui obéit à
une invitation pour monter à
surmonter et à se surmonter. Le
cèdre croît dans une émulation
avec lui-même. n ajoute un
horizon à l’horizon au-dessous de
lui élargi. C’est un édifice
contemplatif. Son rôle est de
transformer la contemplation en
construction. Sa substance est du
temps enregistré. Il a fait de la
terre qu’il suce par le moyen de
cette lumière qu’il respire du
bois. Il élabore de la solidité, tout
ce qui permet de circonscrire de

l’espace à l’usage de l’homme :
voici le parquet sous nos pieds
pour nous séparer de la terre, le
toit au-dessus de nos têtes
soutenu par la charpente et ces
parois qui transforment
l’ambiance en une géométrie
habitable de rapports. Salomon
s’adresse au Liban pour se
procurer le moyen de rendre
Dieu intérieur. Ce qui transforme
la contemplation en un temple. »

Est-il indécent de citer
ces phrases admirables en face
des tonnes de béton effondrées,
des bombes, des cris, du sang, des
larmes ? Quelqu’un a
dit que la beauté sauverait le
monde. Je l’ai cru. Je le crois
toujours.


Journal du Dimanche 30 juillet 2006
Journal du mois
Philippe Sollers



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