Janus étrusque.
« Faire face à l’ouverture des "Carnets noirs" de Heidegger », la trente-quatrième séance du Séminaire de Gérard Guest, s’est tenue le 29 mars 2014. Elle faisait suite à la séance du 18 janvier.
Alors que la presse se déchaine à nouveau ces temps-ci (cf. entre autres : L’antisémitisme des « Cahiers noirs », point final de l’œuvre de Heidegger ? (E. Faye, Libération du 26 janvier 2014), Pour en finir avec Heidegger (Roger-Pol Droit, Le Point du 6 février 2014 [1]), Il n’y a pas d’affaire Heidegger, (Libération du 6 mars 2014), We Don’t Need Heidegger’s Notebooks to Know That He Was a Despicable Anti-Semite (The Nation du 1er avril), Heidegger’s Notebooks Renew Focus on Anti-Semitism (New York times du 30 mars), "Wesentliche Bejahung" des Nationalsozialismus (Die Welt du 7 avril), etc, etc.) — ce qui nous en dit plus long sur la « journalisticaille » raillée par Hugo Ball que sur « la chose même » qui est à penser —, écoutons une nouvelle fois Gérard Guest poursuivre la lecture de Heidegger « contre vents et marées » et tenter de « reprendre la parole - soutenir la cause de la pensée ».
Reprendre la parole — soutenir la cause de la pensée
Le découpage et les titres des séquences du séminaire sont dus à « Paroles des jours ».
1. Précautions concernant l’essai de Peter Trawny
2. Réfutation de l’article de François Rastier dans Libération [2]
3. Oubli et négation de l’héritage hébraïque en Occident
4. « Besinnung », confidence de Heidegger sur son christianisme
5. Soutenir la cause de la pensée, prendre la mesure de l’étendue du désastre
6. Intervention d’Alain David sur l’atmosphère de l’époque
7. Malignité de l’Être
8. Structure kérygmatique de l’Appel chez Heidegger
9. L’Adyton (τὸ ἄδυτον), ésotérisme et exotérisme chez Heidegger
10. Tonalité à venir du Séminaire. Reprendre la parole
11. Ne pas excuser Heidegger
12. Revenir au texte de sa pensée
13. Critique de la notion de « Kontamination » de Peter Trawny
14. L’héritage grec et l’héritage hébraïque

QUESTIONS/RÉPONSES
15. Penser le rapport à l’Être par-delà le bien et le mal
16. L’amorce de la « Kehre » dans les Carnets noirs
17. La thèse de la "philosophie ésotérique" de Heidegger selon Trawny
18. L’Ereignis comme adyton (τὸ ἄδυτον)
19. Intervention d’Anne Léon sur l’adyton
20. Intervention d’Alain David sur la pensée hébraïque
21. Le concept de "manichéisme de l’histoire de l’Être" selon Trawny
22. Question sur la dialectique du bien et du mal et la liberté humaine chez Schelling
23. Intervention de Danielle Moyse sur l’Être et l’étant
24. Intervention d’Alain David, l’impensé de l’héritage hébraïque
25. Le sacré et le divin, « Die Götterung », la « déition »
« Heidegger bien entendu »
Signalons que, de son côté, la Revue des deux mondes a choisi, dans un dossier intitulé « Heidegger bien entendu », de donner la parole à François Fédier (numéro d’avril 2014). L’éditorial de Michel Crépu mérite d’être cité :
« [...] la Revue des Deux Mondes a choisi également de remettre à l’étude le cas Heidegger. Le prétexte en est la publication en Allemagne (bientôt en France) de ces fameux Cahiers noirs, où le philosophe ferait montre d’un antisémitisme qui a déjà été mis en lumière par ailleurs. Ce n’est pas d’hier qu’une telle question fait polémique s’agissant de l’auteur de Sein und Zeit. Seulement voilà, Heidegger, c’est autre chose que Dieudonné. Que le plus grand philosophe du XXe siècle se soit égaré au croisement du plus ténébreux des années trente, voilà qui ne devrait pourtant pas faire peur à tous ceux qui souhaitent comprendre au lieu de juger péremptoirement. C’est une mode désormais de verrouiller les débats à coup de « pour-contre », façon commode d’éviter d’avoir à prendre ses responsabilités. Nous n’avons pas fait ce choix. François Fédier, qui travaille depuis cinquante ans sur Heidegger, répond ici aux questions d’Eryck de Rubercy. Faut-il préciser qu’il ne s’agit pas de savoir s’il convient d’être pour ou contre Heidegger ? Quant à l’antisémitisme proprement dit : qu’il soit avéré, à tel ou tel moment de l’histoire personnelle de Heidegger, ne rend pas son œuvre moins intéressante. Au contraire : la mise en lumière d’un égarement, fût-il le plus décevant et inimaginable, rend l’oeuvre de Heidegger d’autant plus passionnante à scruter. Il n’y a rien à redouter d’une telle mise en lumière. Ce qu’il faut craindre, au contraire, c’est la non mise en lumière. Le procès au lieu de l’examen, le jugement rendu au lieu du commentaire réfléchi.
C’est à cet exercice que se livrent ici François Fédier et Eryck de Rubercy. Il y fallait du temps, de la patience. Qu’il soit bien clair que cet entretien se veut ouvert à la réplique. La Revue des Deux Mondes s’honore d’être présente de cette manière à la tenue d’un débat essentiel pour tous ceux qui n’ont pas renoncé à l’aventure de penser. » (Revue des deux mondes)
Je ne résiste pas à l’envie de citer un extrait de l’introduction à l’entretien avec François Fédier, Heidegger était-il nazi ? antisémite ? pdf
, introduction due à Eryck de Rubercy (auteur de Douze questions à Jean Beaufret à propos de Martin Heidegger, 2011) :
« [...] quelle n’aura été la perplexité des lecteurs d’Être et Temps lorsqu’ils prirent connaissance des termes du discours du rectorat (Rektoratsrede) de Heidegger, prononcé en 1933 lors de sa prise de fonction en tant que recteur de l’université de Fribourg-en-Brisgau ? Ni l’erreur de jugement commise, qui est généralement invoquée, sinon une certaine naïveté politique, ni la démission de son poste au bout d’un an ne peuvent ici paraître suffisantes pour le disculper ou clore les polémiques. C’est en l’occurrence Philippe Sollers qui, sur ce point si sensible, est le plus clairvoyant lorsqu’il affirme : " Si le nazisme est un événement capital de l’histoire, seule la pensée de Heidegger permet d’en saisir les enjeux véritables. La seule critique de l’achèvement du nihilisme, c’est-à-dire de la métaphysique elle-même, comme domination mondiale de la technique, comme mise en place du conditionnement biologique de l’être humain, cette critique, nous la lui devons. Là-dessus le mensonge est presque total." Et c’est le même Sollers qui, dénonçant une certaine volonté de nuire à l’oeuvre de Heidegger, dit si bien : " Sa grandeur, c’est de penser l’exacerbation du nihilisme européen. C’est cela encore une fois, qui le rend insupportable à tous les clergés. [...] Admirez, dans ce secteur, le mouvement pavlovien à l’endroit de Heidegger. Lisez en diagonale la presse à prétention intellectuelle et vous verrez, vring ! vring ! l’agression permanente contre celui qui dénoue le noeud du nihilisme. Qu’il soit l’objet d’une exclusion aussi obsessionnelle montre que l’enjeu est brûlant." » (dans Éloge de l’infini, Gallimard, pp. 1041, 1043 et 1047).
Précisons que ces citations sont extraites de « Heidegger en passant », réponses de Sollers à Yannick Haenel et François Meyronnis, paru initialement dans Ligne de risque, puis repris dans L’Infini n° 67, automne 1999 (Éloge de l’infini, Folio 3806, pp. 1057, 1059 et 1064). La dernière citation est suivie de ce constat qu’il est bon de méditer :
« Les gens qui font semblant de vous comprendre sont parfois moins avertis que ceux qui vous agressent : il est légitime d’attendre de ses ennemis une compréhension qu’il est rare de trouver parmi ses alliés. Un ostracisme violent est TOUJOURS très bon signe. »
CQFD.
[1] Cf. le site de Roger-Pol Droit.
[2] Cf. opus cit. Il n’y a pas d’affaire Heidegger, Libération du 6 mars 2014.
3 Messages
Rappel : Samedi 24 mai prochain, de 16h à 19h, à Reid Hall (4 rue de Chevreuse, 75006 Paris), aura lieu la séance 35 du Séminaire de Gérard Guest.
Elle sera consacrée à l’analyse critique de l’essai de Peter Trawny paru en Allemagne, intitulé « Heidegger und der Mythos der jüdischen Weltverschwörung » (Heidegger et le Mythe de la conspiration juive mondiale)
Le texte de présentation de cette ultime séance de l’année est disponible ici pdf.
Information de Paroles des Jours.
En attendant, vous pouvez réécouter la séance 34 ci-dessus.
La prochaine séance du séminaire de Gérard Guest aura lieu le samedi 24 mai 2014. Il y sera à nouveau question des Schwarze Hefte que Peter Trawny présentait le 12 mars en Allemagne et de Heidegger und der Mythos der jüdischen Weltverschwörung, le dernier livre de Trawny (publication en France en septembre) dont le philosophe discutait avec Rüdiger Safranski le 20 mars sur Kulturzeit extra et le 8 avril au Goethe Institute de New York.
Peter Trawny présentait son « petit livre rouge » sur son profil facebook le 3 mars (il avait mis en ligne également un autre « petit livre rouge » bien connu).
Facebook, 3 mars 2014.
Détresse, stress ou strass de la philosophie ?
Ceux qui ont écouté la réponse précise et argumentée de Gérard Guest à François Rastier, "directeur de recherche au CNRS" (séquence vidéo 2 ci-dessus), s’amuseront en voyant la réponse que ce dernier fait, non à Guest, mais à... Alain Badiou, auteur d’une Lettre à propos d’une recension autour de Faye/Heidegger. La réponse de Rastier s’appelle Philosophie et exterminations. Détresse, stress ou strass de la philosophie ? Humoristes s’abstenir.