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Les surprises de Fragonard (2)

Fragonard n’a pas peint Diderot

D 21 novembre 2012     A par Viktor Kirtov - C 4 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Fragonard n’a pas peint Diderot, Le Louvre vient de le reconnaître officiellement, alors que l’œuvre va être exposée dans son antenne de Lens. Est-ce une mauvaise surprise pour Philippe Sollers, double admirateur de Fragonard et Diderot, l’auteur d’un essai « Les Surprises de Fragonard » ? Non, « Ce tableau s’imposera toujours » déclare-t-il à Eric Bietry-Rivierre du Figaro.

Fragonard n’a pas peint Diderot

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À gauche, le portrait signé Fragonard et identifié à tort comme celui de Diderot. À droite, le philosophe représenté par Van Loo. Le premier a les yeux bleus, l’autre les a marrons. (DR)

Coup de théâtre dans le monde de l’art. Le célèbre portrait de Diderot par Fragonard et figurant dans tous les manuels scolaires ne représente pas le philosophe des Lumières mais un inconnu. Le Louvre, qui exposera l’œuvre dans son antenne de Lens à partir du 12 décembre, le reconnaît officiellement. Vincent Pomarède, responsable des peintures du musée, vient en effet de modifier en ce sens la notice de l’œuvre dans le catalogue du Louvre Lens. Elle est rebaptisée Figure de fantaisie autrefois identifiée à tort comme Denis Diderot . « Nous avons dû corriger sur les épreuves au tout dernier moment », raconte-t-il. Cette décision a fait l’objet de discussions serrées entre les conservateurs.

Ce n’est donc plus le chef d’orchestre de l’Encyclopédie qu’on voit feuilletant un gros volume, le front haut, le regard pétillant et portant au loin vers la lumière, mais seulement « un homme ». Exécuté vers 1769, ce portrait (82 cm×65 cm), probablement inachevé et pourtant jugé comme l’un des plus réussis, avait été acquis par dation en 1972. Si le Louvre admet désormais une erreur, plusieurs experts avaient déjà émis des doutes sur la véritable identité du modèle de Fragonard.

C’est un dessin conservé en mains privées et passé en vente publique à Drouot, le 1er juin dernier, qui a mis le feu aux poudres. Auteur d’une monographie sur le peintre parue en 2006, l’historienne de l’art Marie-Anne Dupuy-Vachey est alors intriguée par cette feuille comportant dix-huit croquis de portraits. Treize correspondent à des tableaux connus de Jean-Honoré Fragonard (1732-1806). Chacune de ces Figures de fantaisie, montrant un personnage vu à mi-corps, est légendée. Or, sous celui apparenté à Diderot, on distingue l’inscription manuscrite d’un nom « illisible mais qui ne peut en aucune manière être déchiffré comme celui de Denis Diderot », assure Vincent Pomarède.

« Voilà une découverte sensationnelle » Cette découverte a conforté les rares sceptiques. Dans le tableau de 1769, le célèbre penseur, exécuté d’une touche alerte, voire fougueuse, porte certes la chaîne symbolique du philosophe, mais ses yeux sont bleus. Or, ceux de Diderot étaient marron, selon les descriptions de l’époque. En 1767, deux ans avant Fragonard, le peintre Louis-Michel Van Loo, réputé pour son conformisme académique, représentait, lui aussi, l’encyclopédiste avec des yeux marron.

« Voilà une découverte sensationnelle », s’enthousiasme l’académicien et ancien patron du Louvre Pierre Rosenberg. Dès lors, on comprend que Diderot ne se soit pas intéressé à ce tableau. Il ne l’a même jamais mentionné dans ses écrits.

Diderot connaissait-il cette œuvre ? C’est fort possible, car il fréquentait Fragonard. Pourtant, il n’évoque le peintre dans ses écrits qu’à l’occasion de sa toile Corésus et Callirhoé. Surtout , il ne mentionne plus son nom après la rédaction de ses Critiques de 1767. Reste aujourd’hui à savoir qui Fragonard a représenté au juste. Une personne réelle, un type de figure, une pure fantaisie ? Le Louvre penche pour la deuxième hypothèse. Il pourrait s’agir « de la description d’un type humain universel », est-il précisé dans l’album de présentation du Louvre Lens. Le modèle pourrait être un autre ami de l’artiste. Une nouvelle énigme de l’art assurément...

Crédit : Le Figaro


Philippe Sollers : « Ce tableau s’imposera toujours »

Par Eric Bietry-Rivierre

INTERVIEW - L’écrivain voue « une admiration passionnée » au peintre. Son essai Les Surprises de Fragonard a été réédité chez Gallimard.

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Philippe Sollers, Ph.Hélène Bamberger/Le Figaro Magazine

Comment réagissez-vous à cette nouvelle ?

Philippe SOLLERS. - Et c’est le plus beau ! Celui qui lui va le mieux ! Qu’importent finalement les faits : ce tableau s’imposera toujours dans l’imaginaire collectif comme étant Diderot. La touche enlevée de Fragonard, sa vitesse d’exécution, son brio, sa puissance créatrice, correspondent à l’esprit de l’auteur des Bijoux indiscrets. Fragonard a peint un corps sensible, actif, comme l’étaient ceux des Lumières. C’est-à-dire qu’il a saisi la vie, ce sensualisme que tout le monde cherchait alors à définir. En contemplant ce tableau, vous sentez l’énergie effervescente, plurielle et vivante du génie. Et vous touchez presque ses habits, ses papiers... C’est en tout cas, « Le » portrait type de l’écrivain des Lumières.

Votre admiration pour Fragonard est-elle affectée ?

Pas du tout. Van Loo est beaucoup plus académique. On a toujours le choix entre une peinture conventionnelle et une autre qui l’est moins. J’adorerai toujours Fragonard, et pas seulement pour sa peinture érotique. Il est très singulier. À par lui qui a su saisir l’écrivain à l’époque de son sacre ? La seule œuvre comparable ce serait la statue de Voltaire par Houdon. Fragonard est lui-même un lettré, il aime les poètes du passé tout comme les auteurs de son temps. Il connaît son Cervantès comme les récits libertins ou moraux du XVIIIe, et les contes licencieux de La Fontaine. Sa passion est communicative. Son art annonce l’impressionnisme du XIXe siècle. Renoir notamment l’a beaucoup aimé.

Le style, c’est important...

Tout le monde devrait faire ce que je fais actuellement : lire le livre magnifique de Jean Starobinski Diderot, un diable de ramage qui vient de paraître (« Bibliothèque des idées », Gallimard). Pour Diderot le ramage, c’est le style. Un style dont l’écrivain est conscient et sait jouer. Il en va de même pour Fragonard. Derrière la question du style c’est de celle de l’invention de la liberté qu’il s’agit.

Crédit : Le Figaro

Dans Rallumez les Lumières

Regardez Diderot peint par Fragonard : l’éveil, la fraîcheur, l’inspiration mêmes [1]. Il sort de ses papiers comme un oiseau, on croirait entendre Mozart. Vous allez le rencontrer vers 5 heures du soir au Palais-Royal, Diderot. Il suit « la première idée sage ou folle qui se présente », il « abandonne son esprit à tout son libertinage ». Comme par hasard, il y a là des courtisanes « à l’air éventé, au visage riant, à l’oeil vif, au nez retroussé ». Vous connaissez ce mot célèbre et scandaleux : « Mes pensées, ce sont mes catins. » Voilà un bon sujet de dissertation : expliquez ce que Diderot a voulu dire dans cette formule étrange.

Philippe Sollers
in « Rallumez les Lumières »

*

Voir Les Surprises de Fragonard

Occasion aussi de revenir sur ce livre dont le titre, dans l’actualité du moment, ne s’invente pas : « Ecrire la peinture : De Diderot à Sollers »

Mais comment Sollers évoquait-il le portrait de Diderot dans son essai sur Fragonard ?

Tout d’abord, notons que le portrait de Diderot est légendé « Portait, dit : Denis Diderot feuilletant l’Encyclopédie »

Ce « dit » est bien là. En 1987, date de publication de l’essai de Sollers [1]. Etait-il ainsi légendé au Louvre ? Mais poursuivons notre lecture :

[...] Les portraits de l’Abbé de Saint-Non ou de Monsieur de la Bretèche sont aussi des autoportraits, bien entendu, comme ils sont des apologies du fa presto, du feu de l’exécution, de l’action painting. Frago presto, frago furioso... Ici, il est déjà très loin de son siècle, on ne l’y enfermera pas. Il est à la Renaissance ou alors dans la fantaisie post-moderne, après un coup de dépression générale. Saint-Non en Espagnol, Diderot lisant à sa table... Le bouillonnement du linge et des étoffes est une situation de présence instante. Curieux prophètes sans religion, militaires sans guerres, penseurs sans systèmes, diplomates de l’instant, dirait-on, comme frappés de plein fouet par une évidence qui ne viendrait ni de l’intérieur ni d’ailleurs. D’où, alors ? Le bouillonnement du linge et des étoffes est une situation de présence instante. Curieux prophètes sans religion, militaires sans guerres, penseurs sans systèmes, diplomates de l’instant, dirait-on, comme frappés de plein fouet par une évidence qui ne viendrait ni de l’intérieur ni d’ailleurs. D’où, alors ? D’une sorte d’énergie dégagée par l’espace pur ". Une écriture ancienne, peut-être la sienne, dit à l’envers des toiles : « Portrait peint par Fragonard en 1769, en une heure de temps. »


01. Figure de fantaisie (portrait de l’abbé de Saint-non ?)

02. détail

03. Monsieur de la Breteche

04. Portrait dit : Denis Diderot, feuilletant l’Encyclopédie

05. Détail

06. Jeune fille se pressant le sein

07. Satyre et Bacchantes. Ensemble et détail

08.

09. Le Feu aux poudres. Ensemble et détail

10.

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Il veut désigner ici, à travers la figure de l’amateur et du connaisseur, la signature de sa vitesse, passage dans l’épaisseur, larges touches, brossage emporté, avidité des couleurs. [...] Que peut penser un Français ? Comment se déplace-t-il dans la pensée ? Deux apparitions, je crois, nous le disent : le Diderot de Fragonard, le Mallarmé de Manet. Deux expérimentateurs du cogito captés en pleine maturité, en pleine subversion oblique, par un pinceau exactement symétrique et témoin (la réciproque n’est pas vraie). Le Castiglione de Raphaël peut alors dialoguer avec ces deux figures complexes, animées d’une désinvolture en abîme, de la sprezzatura qui les rend insaisissables, « mes pensées, ce sont mes catins », « tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change ».

[...]

En 1802, la lette qu’adresse à Fragonard, ainsi qu’à sa femme, Marguerite Gérard, lui souhaite « quelques ducats de plus », ce qui suppose une situation assez gênée, et aussi « deux ou trois petites filles pour folâtrer » [2].

Une petite fille ? Par exemple la Jeune fille se pressant le sein qu’on pourrait appeler la consolation du penseur. Montrez-moi donc ce sein que j’attendais de voir. C’est tout simple. Il n’y en a pas beaucoup d’aussi clairs. Ce qui m’intéresse, pour l’instant, c’est que Diderot feuillette les pages de l’Encyclopédie comme le sein sort de son linge. Fragonard était le fils d’un marchand drapier, les étoffes n’ont pas de secrets pour lui. Il sort d’un monde de toiles. Le coton, le velours, la soie, les dentelles, les taffetas, le satin, les brocarts s’ensuivent. Les draps et les chemises aussi, nous allons le voir. Et les rideaux, donc, les tentures, les édredons, les traversins, les matelas, les oreillers, les mouchoirs ... Du sommeil enveloppé ou nu à la veille habillée mais toujours un peu négligente, « à l’aise », la pensée se poursuit, la même, celle d’un corps sans cesse étonné d’être là, qui calcule, évalue, se rappelle, se débarrasse. C’est le matin, Diderot vient de se lever, il s’est mis à lire, il regarde un arbre par la fenêtre, tout fonctionne à la fois, le savoir, la réflexion, l’observation, le nerf de formulation. Sophie Volland tout à l’heure recevra sa lettre : « J’ai conduit deux Anglais, qu’on m’avait adressés, chez Eckard [célèbre claveciniste allemand installé à Paris en 1758] qui a été pendant trois heures de suite divin, merveilleux, sublime. Je veux mourir si, pendant cet intervalle-là, j’ai seulement songé que vous fussiez au monde. C’est que je ne songeais pas qu’il y eût un monde. C’est qu’il n’existait plus pour moi que des sons merveilleux et moi. » Ou peut-être : « Et puis voilà la soirée qui se passe à dire des folies ; mais des folies Dieu sait quelles. Dix fois nos bougeoirs furent éteints et rallumés. Pendant ce temps-là, il lui avait passé une main dans le dos, et il allait toujours en enfonçant ; et elle disait en se débattant : Voilà-t-il pas ce chien de musicien qui va toujours aux instruments de musique. » Ou encore, à son retour de Russie : « Madame de Blacy, on dit que pendant mon absence, quelqu’un m’a coupé l’herbe sous le pied. Si vous êtes restée ce que vous étiez, vous auriez tout aussi bien fait de me garder. Si vous vous êtes départie de la rigidité de vos principes, je vous félicite de votre perversion et de votre inconstance. Comme je vais être baisé de Madame Bouchard si elle a conservé son goût pour l’ histoire naturelle ! J’ai des marbres, et tant de baisers pour les marbres ; j’ai des métaux et tant de baisers pour les métaux ; des minéraux, et tant de baisers pour les minéraux. Comment fera-t-elle pour acquitter toute la Sibérie ? Si chaque baiser doit avoir sa place, je lui conseille de se pourvoir d’amies qui s’y prêtent pour elle ?. » Diderot n’a pas reconnu Fragonard ? Peu importe, c’est le même spasme du poignet, direct jusqu’à la syntaxe. Un spasme spirituel qui allait se faire admirer partout en Europe puisqu’en définitive, avant de basculer dans l’allemand puis l’anglais, tout le monde parlait français. Est-ce qu’ensuite la peinture est restée aussi favorisée par la même .. effervescence de langue ? La réponse est trop évidente. Diderot : « La philosophie n’est que l’opinion des passions. C’est la vieillesse d’un moment. » La philosophie dans peinture ? Une vieillesse qui dure.

Littérature, peinture, musique. Fragonard est par excellence, le peintre qui est conscient de ce nœud où les corps trouvent leur respiration essentielle.

Philippe Sollers
Les Surprises de Fragonard, Gallimard, 1987, p. 43-58.


[1Les Surprises de Fragonard, Gallimard, 1987

[2Wildenstein

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4 Messages

  • A.G. | 10 octobre 2013 - 16:33 1

    La vérité en peinture

    Dans Diderot en pleine Lumière (Libération du 07-10-13), Dominique Lecourt, auteur de « Diderot. Passions, sexe, raison », compare le « faux Diderot » qui fut longtemps attribué à Fragonard et celui peint par Van Loo.
    Du Fragonard, Lecourt écrit : « Philippe Sollers a raison de soutenir ce paradoxe que néanmoins " ce tableau s’imposera toujours dans l’imaginaire collectif comme étant Diderot". C’est l’esprit de Diderot en action que transmet ce portrait dans un corps d’emprunt. »
    Du Van Loo, il rappelle ce Diderot disait : « Mes enfants, je vous préviens que ce n’est pas moi » — « Assez ressemblant [...] mais trop jeune, tête trop petite, joli comme une femme, lorgnant, souriant, mignard, faisant le petit bec, la bouche en cœur [...] son toupet gris avec sa mignardise, lui donne l’air d’une vielle coquette qui fait l’aimable ».


  • V.K. | 23 novembre 2012 - 21:30 2

    (dans le prolongement du message de Lu Di).
    De la lecture d’un tableau... du titre et du tableau, du mot et de la chose.

    Souvenir d’un éblouissement en découvrant cet essai de Michel Foucault « Les Mots et les Choses », la pensée en action, en mots, brillantissime. Intelligence limpide. Choc. A la mesure d’un autre éblouissement, cette fois devant le temple de Paestum, juste après la pluie, dans une lumière d’après-orage, un soir de printemps , sans touristes. Choc esthétique. Dans les deux cas, me suis senti un nain face à ces deux « monuments » . Même si l’analyse des Ménines de Velazquez par Michel Foucault n’avait pas été le point focal de ma lecture.

    Titre d’un tableau, mots, lecture du titre ou du tableau ? Le mot et la chose... oui, tout ce que vous dîtes est juste. Pas question de réduire un tableau à son titre - choisi ou non par le peintre -, mais pour autant j’ai envie de vous dire que le titre participe aussi de la « lecture » du tableau, que du mot à la chose, du signifiant au signifié, se nouent des relations intimes qui me passionnent, qui nous entraînent au cœur de notre big bang initial - « sur les épaules de Darwin » comme dirait , Jean- Claude Amusen [1] -, on touille dans les couches profondes du chaos brûlant de la pensée et du langage. « Mes pensées, ce sont mes catins » dit Diderot. Ce pourrait être un titre générique à nombre des tableaux de Fragonard. De quelle profondeur du temps vient son inspiration, son moi, son art ?

    Que dire de ce titre d’un autre célébrissime tableau de Fragonard ? Le Verrou, magnifique de concision alliée à la force du mot pour dire le huis clos de la scène.
    Prenons en un autre, moins connu « La Maîtresse d’école ». Quoi de plus banal pourriez-vous dire. Regardons.


    ZOOM... : Cliquez l’image.


    Regardez la jolie maîtresse d’école interrogeant un tout jeune garçon devant le tableau.
    Qu’est-ce qu’il y a sur le tableau ? L’alphabet !

    ABCDEF (A comme..., F comme Fragonard, c’est même écrit en minuscules) sur la première ligne

    GHIJKLMN sur la seconde ligne.

    Que dit la maîtresse au jeune garçon ?
    C’est un garçon, sa chemise remontée laisse voir son sexe. Il baisse la tête.
    Que dit-il ? "Je sais lire" ? Je sais pas maîtresse ?

    Et pourquoi la maîtresse a-t-elle un couteau dans la main droite ?

    Pour éduquer ou pour eunuquer ?

    Et pourquoi c’est le même mot "maîtresse" pour éduquer et pour faire l’amour ?

    Qu’en dit Sollers ?

    Il y a beaucoup de points communs entre "Le Début du modèle" et "La Maîtresse d’école" : de l’apprentissage scolaire devant la table de la loi (il faut savoir lire)
    aux préliminaires du déchiffrement du corps humain,se produit un saut, un renversement de la situation,que j’aime lire comme une confidence autobiographique. ("Un jour tu la liras à ton tour cette belle savante au couteau !")
    Fragonard a beaucoup attendu les récréations.
    La maîtrise érotisée de l’alphabet et de la lecture (la lecture, thème constant)
    ouvre sur un jeu disparu, le colin-maillard ,
    visions avec les mains, apprentissage des dimensions minuscules, bonne excuse
    pour tâtonner sur les détails apparemment innocents, les fronts, les nuques, les
    cous, les nez, les épaules. Deuxième et troisième dimension.
    Main chaude
    .

    Et Sollers de parfumer le tout de quelques fragances de sa composition :

    "Fragonard est par excellence, le peintre qui est conscient de ce noeud où les corps trouvent leur respiration essentielle"

    « La Maîtresse d’école » qui aurait pu être titré « L’Apprentissage de la Lecture », « L’Education fait tout » [C’est le titre d’un autre de ses tableaux]... D’ailleurs le thème de l’éducation se retrouve aussi dans « L’Education de la Vierge », mais c’est bien « la Maîtresse d’école » qui s’impose ici le mieux, Non ? L’accent mis sur La Maîtresse. L’intention du peintre... « Mes pensées, ce sont mes catins » ?

    "Tire toi d’affaire
    comme tu pourras
    m’a dit la Nature
    en me poussant
    à la vie"

    Réponse de Fragonard à un ami.

    PS1 : Il manque une section dans l’article « Les Surprises de Fragonard (bis) ».
    C’est : « Que disait alors Sollers, en 1987, sur le Portrait de Diderot quand il a écrit son essai ? » Ce sera bientôt comblé et signalé par un drapeau en marge du titre.
    Dès à présent, Je peux toutefois vous dévoiler le titre utilisé par Sollers... : « Portrait dit : Denis Diderot, feuilletant L’Encyclopédie ». Portrait dit... Dans le titre !

    PS2 : Indépendamment de Michel Foucault, comment ne pas citer, aussi, le morceau d’anthologie de L’abbé de Latteignant qu’est son poème galant, style XVIIIème, sur le mot et la chose.

    PS3. Dans une première édition de ce message, le "Mes pensées, ce sont mes catins" de Diderot (Le neveu de Rameau) était mis dans la bouche de Fragonard. Faux, faux ! Rectification a été faîte grâce à la vigilance d’A.G.
    Faux Diderot peint par Fragonard, mais vraie citation de Diderot.


  • benoît monneret | 23 novembre 2012 - 20:49 3

    SURPRISES BIS


  • Lu Di | 23 novembre 2012 - 12:54 4

    Bonjour Viktor,

    Je pense que cette découverte montre, une fois encore, l’exorbitante importance accordée au titre d’un tableau. Comme si celui-ci lui conférait un certain crédit : pour les marchands d’art, assurément ! mais aussi pour n’importe quel spectateur d’un musée.

    Le titre obnubile le regard, au point de se substituer à l’oeuvre elle-même. Léger survol de la toile, retour au premier degré des mots, à un semblant de sens : " Las Meninas ? Oui, oui, je connais, c’est un tableau de Velazquez où sont, d’ailleurs, représentées les Ménines..."
    J’exagère ? Peut-être... Mais il faut reconnaître que Velazquez se réapproprie avec humour la fonction du titre, voire du Titre.

    Vous savez aussi que ce n’est pas par hasard que je cite ce tableau. Car revient ici le problème de la Représentation ; de notre soumission à cet ordre du monde. Les temps modernes sont, selon M. Foucault, non seulement ce moment de la séparation entre les mots et les choses, mais encore celui de la mise à l’écart, aux confins du savoir, de l’incertaine ressemblance - aussi redoutée et connotée que peut l’être l’imagination.

    Or l’artiste est celui qui transgresse les règles du système signifiant-signifié dans lequel règne les formes de l’ordre, de l’identité et de la différence. Le peintre est bien l’auteur d’une représentation, mais celle-ci n’est pas figée dans un titre choisi parfois à l’insu de l’artiste ou a posteriori.
    Si le titre définit, l’oeuvre peinte continue d’exister en dehors de lui.

    Il fallait un artiste tel que Frago pour nous prouver cette absolue liberté de l’oeuvre. Quelle heureuse surprise ! - Preuve qu’avec Les surprises de Fragonard, Philippe Sollers atteint sa cible.

    Ainsi, il est aujourd’hui possible de redécouvrir ce tableau : ses couleurs, ses textures, la posture vive de cet homme, son regard... Les experts mènent l’enquête, c’est nécessaire ; mais en attendant, cet homme est celui que je souhaite. Au regardeur, libéré de sa condition de spectateur passif, d’entrer en scène et d’interpréter.