Matzneff : les signataires d’une pétition pro-pédophilie de 1977 ont-ils émis des regrets ?
· Il y a désormais une « affaire Gabriel Matzneff » comme il y a eu une « affaire Epstein » suite à la publication du livre Le Consentement de la directrice des éditions Julliard, Vanessa Springora, paru le 2 janvier. Il narre l’emprise vécue par cette femme lorsqu’elle avait 14 ans, et qu’elle entretenait une « relation » – un consentement qui ne peut être éclairé, explique-t-elle – avec Gabriel Matzneff, un écrivain qui avait 35 ans de plus qu’elle.
· Gabriel Matzneff a publié de nombreux livres autobiographiques qui racontent ses « amours », selon lui, avec des adolescents ou des enfants, dès l’âge de 8 ans ;
· Autour de Gabriel Matzneff, des écrivains et journalistes ont fait corps, pendant des années. Philippe Sollers l’a publié, Bernard Pivot l’a invité à de nombreuses reprises, sans le contredire. Louis Aragon, Roland Barthes, et même Simone de Beauvoir ont aussi signé des pétitions écrites par cet homme, en défense des relations sexuelles avec des moins de 15 ans.
La pétition de 1977 : « Je la connais bien puisque c’est moi qui l’ai écrite »
Parmi la soixantaine de signataires de cette pétition, qui n’a pas attendu 2019 pour refaire débat, plusieurs noms très célèbres, déjà à l’époque : Jean-Paul Sartre, co-fondateur de Libération, Roland Barthes, Simone de Beauvoir, Gilles et Fanny Deleuze, Philippe Sollers, Jack Lang, Bernard Kouchner… Et Gabriel Matzneff qui, dans un article publié en 2003 revendique la paternité de cette pétition.
« Cette révoltante pétition, je la connais bien puisque c’est moi qui l’ai écrite », explique-t-il à ce moment-là, lorsqu’il revient sur ce texte, regrettant qu’avec le temps, les commentaires à son égard aient évolué : « J’en suis très fier et, si je l’écrivais aujourd’hui, je n’en modifierais pas le moindre mot, car elle est encore plus actuelle, nécessaire aujourd’hui qu’en 1977. Nous en avions parlé, quelques amis (dont un avocat, Alexandre Rozier) et moi, puis je l’ai rédigée, pesant chaque substantif, chaque verbe, chaque adjectif, chaque virgule, chaque point-virgule. »
Il explique ensuite, toujours sur son blog : « Comme à l’époque le mail n’existait pas, nous avons pris notre téléphone et téléphoné à celles et ceux dont nous espérions le soutien. Guy Hocquenghem s’est chargé d’appeler les philosophes, moi les écrivains, lui et moi, aidés de quelques copains, les autres. Nous avons essuyé de rares refus (pour ma part, je me souviens du refus de signer de Marguerite Duras, d’Hélène Cixous, de Xavière Gauthier, de Michel Foucault), mais reçu d’infiniment plus nombreuses signatures enthousiastes, 67en tout, plus les deux nôtres, ce qui n’est pas mal, eu égard au temps très bref dont nous disposions pour les réunir. »
Pour répondre à votre question, peu de signataires de cette pétition, à notre connaissance, ont exprimé leurs regrets de l’avoir signée. Une raison évidente à cela d’abord : bon nombre des signataires en question sont décédés quelques années après la publication de la pétition. C’est le cas par exemple de Louis Aragon (mort en 1982) ou de Simone de Beauvoir (1986), pour ne citer qu’eux.
2001, la pétition revient
Il a fallu attendre, en réalité, janvier 2001, pour que se fassent entendre des regrets, mais aussi des explications aux raisons qui avaient pu pousser quelques signataires à se joindre à ce texte légitimant la pédophilie.
Pourquoi 2001 ? Parce qu’à l’époque, Daniel Cohn-Bendit, alors député européen, vient d’être rattrapé par l’exhumation d’un texte de jeunesse, publié en 1975, où il évoquait son activité d’éducateur dans un jardin d’enfants « alternatif » à Francfort.
« Il m’était arrivé plusieurs fois que certains gosses ouvrent ma braguette et commencent à me chatouiller. Je réagissais de manière différente selon les circonstances, mais leur désir me posait un problème. Je leur demandais : "Pourquoi ne jouez-vous pas ensemble, pourquoi m’avez-vous choisi, moi, et pas les autres gosses ?" Mais s’ils insistaient, je les caressais quand même », écrivait-il dans ce livre.
Libé fait alors sa une sur le sujet, titrant sur une « génération provoc », pour revenir sur « l’esprit soixante-huitard, avec ses utopies et ses erreurs ».
« C’est plus qu’une période, c’est un laboratoire »
[…] Chalandon tente de mettre des mots pour expliquer ce qui avait permis cela. L’époque, peut-être. « L’ordre moral. Voilà l’ennemi. Et Libération de cette époque n’est rien d’autre que l’écho particulier du vertige commun. Nous sommes à la fin des années 70. Les traces du mai des barricades traînent sur les murs et dans les têtes. "Interdit d’interdire", "contestons toute forme d’autorité" », écrit-il, avant de développer : « C’est plus qu’une période, c’est un laboratoire. Accoucheur d’espoirs, de rêves, de combats insensés. Et de monstres. […] Dans ce tumulte, ce retournement des sens, cet ancrage de repères nouveaux, dans cette nouvelle préhension de la morale et du droit, cette fragilité et cette urgence, tout ce qui se dresse sur le chemin de toutes les libertés est à abattre. »
[…] Dans le même numéro, trois soixante-huitards dénoncent quant à eux un « procès stalinien » fait à Cohn-Bendit. Parmi eux, Philippe Sollers, signataire de la pétition de 77, et qui revient alors pour la première fois sur cette signature, en ces termes : « Dans le texte que j’ai signé et qui doit dater des années 1974-1975, considérer que "l’entière liberté des partenaires d’une relation sexuelle est la condition nécessaire et suffisante de la licéité de cette relation" est effectivement extraordinairement naïf –car qui juge de l’entière liberté des partenaires ? C’est ne pas envisager qu’il peut y avoir un rapport de force ou de pouvoir. »
« Je signe ce texte sans vraiment le lire »
Il continue : « Ce qui me frappe le plus est que le problème des violences exercées sur des enfants n’était pas un problème de société à l’époque. Ça l’est devenu. Probablement à cause d’une extension sans précédent de la prostitution enfantine et du tourisme sexuel à haute dose. A l’époque où je signe ce texte sans vraiment le lire, parce que ça fait partie des revendications libertaires, je suis au courant de Freud et je vais écouter Lacan. Il est impossible d’avoir une conscience un peu éveillée sans s’apercevoir que les enfants prépubères ne parlent pas le même langage que les adultes. »
Un peu plus tard, dans l’Express, dans un article d’un numéro daté du 1er au 7 mars 2001, consacré au « devoir de mémoire » concernant la libération sexuelle, Philippe Sollers répétera peu ou prou la même chose. « Il y aura bientôt trente ans que je l’ai signée et j’avoue n’en avoir aucun souvenir précis. Il y avait tellement de pétitions à cette époque-là qu’on ne faisait plus très attention à ce qui était écrit. » Selon lui, « il est délicat de ressortir cette pétition aujourd’hui sans parler du contexte de cette époque. La pédophilie est un problème récent. On n’en parle que depuis quelques années. A l’époque, ce n’était pas évident et il me semble que le texte n’était pas centré sur la question adulte-enfant ».
Toutefois, tient-il à préciser dès 2001, « certains aspects de la pétition sont complètement indéfendables. Aujourd’hui, je ne la signerais pas et je pèserais mes mots ».
« Je l’ai signée dans un contexte précis »
Dans ce même numéro de l’Express, un autre signataire de la pétition s’exprime. Il s’agit de Bernard Muldworf, médecin psychiatre et psychanalyste, décédé depuis. Il expliquait, comme Chalandon et Sollers, que c’est le contexte, et l’époque, qui avaient permis cette signature, jugée impossible depuis : « En mai 1968, on a assisté à une véritable fracture de la civilisation humaine. Toutes les règles traditionnelles de la morale se dissolvaient comme de l’eau dans le sable. La sexualité était vue comme subversive. C’était une crise culturelle au sens profond du terme. Il fallait être opposé à tout ce qui pouvait être de l’ordre de la contrainte, prendre parti pour ceux qui cherchaient une voie nouvelle. C’est dans ce contexte que j’ai signé la pétition. »
Ajoutant : « Cela me paraissait malhonnête de ne pas signer car il y avait un enjeu idéologique : soyons plutôt du côté des contestataires que du côté des flics. J’ai signé la pétition par solidarité avec le mouvement, non par adhésion aux idées. » A la question « auriez-vous signé la pétition aujourd’hui ? », posée en 2001, il répondait, comme Sollers : « Non, certainement pas. Je l’ai signée dans un contexte précis. »
A notre connaissance, il n’existe pas d’autres prises de position publiques de signataires de cette pétition, regrettant depuis d’y avoir été associée. Cet article pourra être mis à jour en fonction de nouveaux éléments.
[…]
« Un portrait sans doute trop désinvolte qu’on avait fait de Matzneff… »
Plus récemment, c’est un portrait de Gabriel Matzneff, publié en 2004 dans Libération, et écrit par Luc LeVaillant, qui est remonté à la surface, critiqué sur les réseaux sociaux pour son caractère jugé au mieux complaisant. L’écrivain y est notamment décrit comme un « amateur de jeunes filles en fleur, qu’il couche aussi dans son journal » et qui « irrite une société au moralisme de plus en plus sourcilleux ».
Dans un portrait de Vanessa Springora, victime de Matzneff, publié lundi dans Libé, Luc Le Vaillant revient sur son texte de 2004 : « On lui raconte un portrait sans doute trop désinvolte qu’on avait fait de Matzneff en der de Libé voici quinze ans, en regrettant avoir négligé le côté touriste sexuel qu’il avait mis sous le tapis. Ce Narcisse académique ne nous exaltait pas spécialement et l’on se demandait d’ailleurs ce que pouvaient bien lui trouver toutes ces demoiselles. Nous intéressait en revanche l’habileté surannée de ce dézingueur des familles les plus éclairées et les plus compréhensives. Le portrait est un travail d’artisan, où les informations personnelles se mêlent à l’analyse de caractère, aux impressions recueillies, aux sensations éprouvées. On se confronte à l’humaine nature, au risque de l’erreur d’appréciation. Cela fait la beauté de l’exercice, et aussi sa limite. »
Mise à jour du 2 janvier 2020 : ajout de Jean-Paul Sartre dans la liste des signataires de la pétition.
Crédit : Robin Andraca
L’intégrale de l’article original de Libération, ICI
Gabriel Matzneff : l’aide publique que touchait l’écrivain va être supprimée
L’auteur des Moins de seize ans aurait perçu un total de 160000 euros depuis 2002 de la part du Centre National du Livre (CNL), établissement placé sous tutelle du ministère de la Culture.
Par Le Figaro 04/01/2020
Les mauvaises nouvelles s’accumulent pour Gabriel Matzneff. Alors que l’on apprenait vendredi l’ouverture d’une enquête pour viols sur mineur par le parquet de Paris suite à la publication du livre Le Consentement de Vanessa Springora, Le Monde et le JDD annoncent qu’une aide publique allouée à l’écrivain de 83 ans depuis une dizaine d’années allait lui être retirée.
Selon le journal hebdomadaire, Matzneff aurait été aidé financièrement à hauteur de 160 500 euros par le Centre national du livre (CNL) depuis l’été 2002. Vincent Monadé, président de cet établissement sous tutelle du ministère de la Culture aurait proposé à Franck Riester d’annuler cette allocation annuelle accordée aux auteurs vieillissants ayant de faibles revenus, perçue par l’auteur des Moins de seize ans précise Le Monde.
Gabriel Matzneff aurait ainsi touché 12 000 euros par an de la part du CNL jusqu’en 2013, date à laquelle l’aide aurait été diminuée à 6 000 euros. Une somme à laquelle il faut ajouter le minimum vieillesse (10 000 euros annuels) et les droits d’auteur touchés par l’écrivain à la retraite depuis 2002.
Logement social
Matzneff bénéficierait également d’un logement social à Paris, « attribué sous la mandature de Jacques Chirac », a précisé la mairie à nos confrères du JDD. « La Ville de Paris ne dispose aujourd’hui d’aucune base légale pour demander le départ de M. Matzneff, celui-ci étant en dessous du plafond de revenus requis et ayant plus de 65 ans », a-t-elle ajouté dans un communiqué adressé à l’AFP.
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Affaire Matzneff : Frédéric Beigbeder se sent « morveux » et « coupable »
L’écrivain, juré de l’édition 2013 du prix Renaudot, explique dans un entretien accordé au Parisien avoir fauté en consacrant l’essayiste mis en cause pour ses relations avec des mineurs des deux sexes.
Par Le Figaro et AFP agence
03 janvier 2020
L’attribution était... « maladroite ». Frédéric Beigbeder, juré du prix Renaudot en 2013, a reconnu jeudi sur le site du Parisien se sentir coupable en décernant la récompense dans la catégorie essai à l’écrivain Gabriel Matzneff, mis en cause pour ses relations avec des partenaires mineurs des deux sexes.
Le livre récompensé, « un recueil d’articles sur la politique internationale, sur Schopenhauer, Kadhafi, etc. nous avait paru brillant », se défend l’écrivain Frédéric Beigbeder. « C’est clair qu’il n’aurait jamais eu le prix pour un de ses journaux intimes », poursuit-il, assurant que le jury avait « voulu aussi faire preuve de compassion » à l’égard de Gabriel Matzneff.
« Ce n’était en aucun cas la consécration d’un monstre pédophile. Ce prix était maladroit », reconnaît Frédéric Beigbeder, qui a récemment dit vouloir rester « ami » avec Gabriel Matzneff, tout en le jugeant « indéfendable ». « Parce que j’ai peur qu’il se suicide et que je n’ai pas envie de m’acharner sur un homme déjà cloué au pilori », se justifie Frédéric Beigbeder, qui assure pour autant être « sans ambiguïté dans le camp de Vanessa Springora ».
« Nous tous, dans le milieu littéraire, nous sommes coupables de non-assistance à personnes en danger , ajoute l’écrivain. Notre faute : ne pas avoir pris au sérieux Gabriel Matzneff. J’ai honte d’avoir longtemps cru qu’il était mythomane, qu’il se glorifiait de faits qu’il n’avait pas commis. »
Dans Le Consentement, roman autobiographique paru jeudi, l’éditrice Vanessa Springora décrit comment elle a été séduite par Gabriel Matzneff, presque quinquagénaire, alors qu’elle n’avait même pas 14 ans. « Je l’ai rencontré en 1986. On le connaissait. Il y a eu un dysfonctionnement de toutes les institutions : scolaire, policière, hospitalière... C’est ça qui est sidérant face à un militant de la cause pédophile qui a publié des textes en ce sens et qui s’en glorifie », dit-elle dans un entretien publié mercredi soir par Le Parisien .
Que découvre-t-on dans Le Consentement de Vanessa Springora
Crédit : Le Figaro 03/01/2020
Qui est Gabriel Matzneff ?
Deux documents de 1990 :
- Un extrait de l’émission Apostrophes du 2 mars 1990 avec Bernard Pivot, Gabriel Matzneff et Denise Bombardier.
- La publication le 13 février 1990 de « Mes amours décomposés » / Journal 1983-1984. Collection L’Infini, Gallimard.
EXTRAIT
Crédit : Collection privée de Gabriel Matzneff (d’origine russe)
Courtesy of Benoît Monneret <benoit.monneret@gmail.com>
Une autre époque : Le réveillon 2020 de Roland Jaccard
Les nuits de Réveillon, depuis mon adolescence, je préfère les passer seul.
L’espionne turque a rejoint des camarades de son âge – vingt ans – et j’ai mangé quelques tranches de rosbeef avec des pommes de terre grenailles achetées au Bon Marché.
J’ai évité les Vœux d’Emmanuel Macron qui me tape sur les nerfs avec son air condescendant. Je me suis bien amusé, en revanche, en revoyant quelques séquences des films de mon ami Pascal Thomas toujours aussi malicieux et fin observateur de la France profonde. Avec des acteurs aussi insolites et décalés que Bernard Menez s’entraînant au karaté dans « Le Chaud lapin » (1974), Daniel Ceccaldi ou Michel Galabru dans « Celles qu’on n’a pas eues » (1980). Roland Topor était saisi de fous-rires tels en voyant les films de Pascal Thomas qu’il ne parvenait plus à suivre l’intrigue. « Je suis jaloux de Pascal Thomas », me confiait-il.
Une autre époque
Évidemment, ces films datent d’une époque – les années 70 et 80 – qui doit sembler bien exotique aux spectateurs d’aujourd’hui. J’étais heureux de les voir seul, évitant ainsi les quolibets ou les soupirs consternés de l’espionne turque.
Vers minuit, j’ai reçu un mail de Tahar Ben Jelloun – une amitié qui remonte à cinquante ans. Il passe, le veinard, les fêtes à Marrakech au soleil. Outre ses vœux, il voulait savoir ce que je pensais de l’affaire Matzneff. Je lui ai répondu en deux mots :
- Le livre de Vanessa Springora est plutôt réussi et l’opération marketing de Grasset parfaitement huilée.
- Le narcissisme hypertrophié de Gabriel en prend un sacré coup – notamment le passage où lui qui se considère comme l’as des as comme amant est décrit comme pitoyable – sans doute est-ce pour cela qu’il préfère les filles inexpérimentées. Je lui raconte qu’il a quitté la France [vers l’Italie] pour éviter les effets ignobles d’une meute qui n’aspire qu’à le lyncher. Et que nombreux comme Bernard Pivot qui l’a invité cinq fois à « Apostrophe », sont ceux qui se répandent en auto-critiques minables. Quant aux écrivaines du genre Angot, elles s’en donnent à cœur joie. Bref, la littérature qui est quand même une affaire de style et non de morale en prend un sacré coup. Après Richard Millet – autre réprouvé que je défends – et Gabriel Matzneff, nous avons droit à Annie Ernaux et Christine Angot… au secours, fuyons !
Je lui apprends également que Sue Lyon, par une étrange coïncidence, est décédée jeudi et que nous rejoindrons bientôt notre éternelle Lolita. [Sue Lyon, qui fut à 16 ans l’inoubliable interprète du Lolita de Stanley Kubrick est morte le 26 décembre dernier, ajoute par ailleurs Roland Jaccard].
Crédit : causeur.fr
Vanessa Springora revient sur sa relation avec Gabriel Matzneff : un témoignage vidéo essentiel
franceinfo Radio France
le 03/01/2020
Depuis plusieurs jours, l’affaire Gabriel Matzneff secoue le monde littéraire et au-delà. L’écrivain n’a jamais caché avoir eu des relations avec de jeunes enfants. Il est le personnage central du livre Le Consentement, dans lequel Vanessa Springora raconte l’emprise qu’il a exercée sur elle quand elle avait 14 ans. L’auteure parle pour la première fois à la radio, vendredi 3 janvier sur France Culture, depuis la publication de son livre, jeudi, chez Grasset. Entretien avec Guillaume Erner.
Un témoignage essentiel. Jugez en :
Vanessa Springora, le 3 janvier 2019, sur France Culture.
"Il était bien ce qu’on apprend à redouter dès l’enfance : un ogre". C’est par ces mots que Vanessa Springora dresse le portrait de l’écrivain Gabriel Matzneff qui l’a abusée alors qu’elle avait 13 ans lors de leur rencontre quand lui en avait 50. L’auteur revendiquait alors ouvertement son attirance sexuelle pour les mineurs dans ses ouvrages et dans les médias.
Les milieux littéraires, hier complaisants avec la pédophilie, ont-ils fait leur examen de conscience ? Comment penser la délicate question du consentement lorsqu’elle touche un enfant ? Vit-on un tournant dans l’histoire du rapport de notre société à la pédophilie ?
Pour en parler, notre invitée est Vanessa Springora, directrice des éditions Julliard et auteure de l’ouvrage “Le Consentement” aux éditions Grasset.
Première à témoigner parmi les adolescentes abusées par Gabriel Matzneff, Vanessa Springora a décidé de livrer le récit d’une relation sous emprise avec l’écrivain dans son ouvrage "Le Consentement".
Au-delà de la dénonciation, que vouliez-vous exprimer avec ce livre ?
Vanessa Springora : C’était important pour moi de faire rentrer dans le champ littéraire la voix d’une jeune fille qui avait été victime. C’est une voix qu’on n’entend jamais en littérature. C’est un pendant de Lolita de Nabokov. J’ai longtemps tourné autour du sujet avant de parvenir à l’écrire de cette manière, à la première personne. J’avais pensé raconter l’histoire de Lolita inversée, du point de vue de la jeune fille.
Vous avez fait deux versions. Pourquoi ?
VS : J’ai beaucoup tourné autour du sujet et j’ai eu beaucoup de difficultés à parvenir à l’écrire. Il n’y a pas eu deux versions, ou trois, ou quatre, il y en a eu des dizaines. Cela fait plusieurs années que j’essaie. Ce qui est récent c’est que j’ai réussi à aller jusqu’au bout de l’entreprise en étant le plus honnête possible, c’est-à-dire en l’écrivant non seulement à la première personne, mais en me replaçant dans l’état d’esprit dans lequel j’étais à l’époque quand j’étais adolescente, en étant au plus près, au plus juste de mes sentiments d’alors.
Qu’est-ce qui vous a décidé à écrire ce livre ? Est-ce l’attribution du prix Renaudot à Gabriel Matzneff en 2013 ?
VS : Oui, entre autres choses. Cela fait partie des provocations qui pour moi, à titre personnel, étaient insupportables. Il y en a eu beaucoup d’autres.
C’est quelqu’un qui m’a poursuivie, harcelée toute ma vie.
En 2015, il a écrit à la personne avec qui je travaillais un nombre invraisemblable de mails pour essayer de rentrer en contact avec moi. Il m’a toujours écrit partout où il a pu, essayé d’avoir mon adresse, il a toujours essayé de maintenir son emprise. Il continue d’ailleurs de le faire aujourd’hui avec la réponse qu’il a donnée hier à L’Express. [Je ne mérite pas l’affreux portrait que (...) tu publies de moi. (...) Non, ce n’est pas moi, ce n’est pas ce que nous avons ensemble vécu, et tu le sais"].
Il y a beaucoup de détails dans votre livre. Est-ce que cela a été difficile pour vous ?
VS : Il a fallu beaucoup de distance. C’est très curieux ce qui fait sauter les verrous. On tourne autour d’une histoire, on n’y arrive pas pendant des années et puis un jour ça vient pour des raisons un peu inconscientes. La véritable raison c’est d’être devenue moi-même mère et d’avoir autour de moi des adolescents et de comprendre enfin ce qui avait été très difficile pour moi, ce qu’était cet âge très particulier, de grande vulnérabilité, de transition entre l’enfance et l’âge adulte. C’est un moment où on est une proie idéale pour ce type de structure psychique auquel on a affaire avec cet homme. La particularité chez lui, c’est d’être écrivain, et donc de redoubler son entreprise de prédation par une exploitation littéraire.
VS : Pour qu’une histoire de ce type puisse se produire, il faut un certain nombre d’éléments. Il y avait chez moi un manque paternel assez criant, une grande solitude, une mère très prise par son travail et qui m’élevait seule, notamment dans ce milieu littéraire. Il fallait aussi être très attirée par la littérature, d’avoir magnifié toute mon enfance la figure de l’écrivain. Il avait cet ascendant d’adulte et quelqu’un qui avait l’aura de l’artiste. Pour moi qui était très attirée par cet univers, j’avais déjà très envie d’écrire à l’époque, c’était une figure forcément fascinante.
Est-ce qu’il y a eu des alertes ?
Il y a eu quelques alertes. Une personne a écrit une série de lettres anonymes qui ont été envoyées à la brigade des mineurs mais qui sont restées sans suite. Ma mère avait employé le mot ’pédophile’ à son égard dès la première fois, quand je lui ai annoncé qu’on s’était écrit, qu’il m’avait donné rendez-vous. Je ne l’ai pas prise au sérieux parce que j’étais une adolescente un peu rebelle et que ce mot me paraissait ne pas correspondre à ce que j’étais en train de vivre. J’étais dans cette période de l’adolescence où on a tendance à se croire déjà adulte. Je ne me reconnaissais pas dans ce statut d’enfant et le terme pédophile était associé à l’enfance. Ce serait faux de dire qu’il n’y a pas eu d’alerte, en revanche, il n’y a eu aucune tentative pour mettre fin à cette histoire. Ma mère est vraiment dans le regret de ne pas avoir été plus loin. Elle était dans un état d’esprit qui ressemblait à celui de la fin des années 1970, qui était’il est interdit d’interdire’.
Comment avez-vous découvert que ce n’était pas de l’amour ?
VS : Tout d’un coup je me suis rendue compte (en le lisant) que eux et moi, ces très jeunes enfants, dont il parle dans son journal, qu’il va payer à Manille pour avoir des relations avec eux, je me suis sentie tout à fait solidaire d’une certaine manière.
"C’était un prédateur et pas un amoureux des enfants, mais un chasseur"
J’ai compris la manipulation dans laquelle j’étais tombée. J’étais face à quelqu’un qui était un prédateur et pas un amoureux des enfants, mais un chasseur. Cela a été extrêmement violent parce que c’est le moment où j’ai commencé à lui demander des comptes. Il m’avait interdit de lire ses livres, j’ai fini par braver l’interdit et à partir de ce moment-là notre relation est devenue extrêmement violente. J’ai eu du mal à m’en dépêtrer.
Gabriel Matzneff répond à Vanessa Springora dans l’Express
Gabriel Matzneff en 2015 (crédit : Ulf Andersen/Aurimages/AFP).
Gabriel Matzneff poursuit sa contre-attaque. Alors qu’est sorti, jeudi 2 janvier, le livre Le Consentement de Vanessa Springora, dans lequel l’éditrice raconte l’emprise et la séduction que l’écrivain a exercées sur elle lorsqu’elle était adolescente, Gabriel Matzneff publie un long texte dans L’Express, tendant à démontrer l’amour qui animait cette relation qui a duré deux ans. "Je ne mérite pas l’affreux portrait que (...) tu publies de moi. (...) Non, ce n’est pas moi, ce n’est pas ce que nous avons ensemble vécu, et tu le sais", écrit l’homme aujourd’hui âgé de 83 ans.
"Ce livre, je ne le lirai pas. (...) Il me ferait trop de mal. Et même si son ton est mesuré, nostalgique, je préfère me contenter des dizaines de lettres d’amour fou que Vanessa m’a écrites, de ses photos, de mes adorables souvenirs", ajoute l’écrivain. C’est "un livre dont le but est de me précipiter dans le chaudron maudit où ces derniers temps furent jetés le photographe [David] Hamilton, les cinéastes Woody Allen et Roman Polanski", poursuit-il.
"Cela fait partie de sa manipulation"
Dans ce texte, Gabriel Matzneff, mis en cause pour ses relations avec des partenaires mineurs des deux sexes, reproduit aussi la lettre que Vanessa Springora lui aurait envoyée début janvier 1988 pour lui signifier leur rupture. A l’époque, elle avait 15 ans et lui 51. Ce courrier avait déjà été publié par Gabriel Matzneff, avec des prénoms modifiés, dans un recueil de lettres de rupture paru en 1997.
Une publication queVanessa Springora qualifie de "manipulation", dans Le Parisien. "Il a toujours suscité des lettres de jeunes adolescentes pour les avoir comme preuves, plus tard. Preuves de mon consentement, de mon amour. Et mon amour n’est pas en question. Je crois que j’ai été très honnête dans ce livre : c’est quelqu’un dont je suis tombée passionnément amoureuse et j’ai mis du temps à comprendre que son amour à lui avait quelque chose de malade. Mon propre amour, je ne le remets pas en question", explique l’écrivaine.
L’Express a décidé de "publier en intégralité le long texte qu’il nous a fait parvenir", en soulignant que "cette publication ne vaut pas caution". "L’écrivain n’y fait aucun mea culpa ni ne demande le pardon, mais il livre le récit de sa liaison avec la jeune fille", souligne l’hebdomadaire.
Le lundi 23 décembre, L’Express a, le premier, publié une enquête fouillée sur ce qui allait devenir "l’affaire Matzneff". L’Express, qui n’a pas ménagé l’écrivain dans ses enquêtes, estime que toute personne mise en cause a le droit de répondre et publie donc en intégralité le long texte qu’il nous a fait parvenir. Il va de soi que cette publication ne vaut pas caution. L’écrivain n’y fait aucun mea culpa ni ne demande le pardon, mais livre le récit de sa liaison avec la jeune fille. Nul doute que cette réponse suscitera de multiples réactions et commentaires.
La rédaction de L’Express
" À Dieu, Vanessa
En 1997, j’ai publié un essai intitulé De la Rupture qui, j’en eus conscience dès la remise du manuscrit à l’éditeur, constitue mon testament spirituel.
Dans la vie, tout est rupture, depuis le cri primal du nouveau-né jusqu’à l’ultime soupir de l’agonisant. Ce petit livre, tel le baume miraculeux que le jeune d’Artagnan, au premier chapitre des Trois mousquetaires, reçoit des mains de sa mère, est un viatique.
À la fin de l’ouvrage, figure un appendice où je donne quelques modèles de lettres de rupture : six lettres écrites par un homme ; treize écrites par une femme.
Les masculines sont des lettres que j’ai écrites, moi : avant de les poster, les jugeant bien troussées, je pris la précaution de les photocopier, me disant que je pourrais un jour les utiliser dans un livre. Ce qui advint.
Les féminines sont des lettres que j’ai reçues, moi. Je les ai transcrites, telles quelles, respectant jusqu’à la ponctuation, parfois originale, de mes jeunes amantes.
Dans ces dix-neuf lettres, les prénoms des auteurs et des destinataires sont fantaisistes : je les ai dénichés dans une table onomastique des saints et saintes de l’Église orthodoxe : Aldegonde, Agathon, Bathilde, Callistrate, etc. Il y en a ainsi trente-huit, tous charmants, qui devraient donner de bonnes idées à mes lectrices dans l’attente d’un bébé.
"Une des plus attachantes figures que les muses m’aient inspirées"
La lettre de rupture sur laquelle se clôt le livre, est adressée à un certain Samuel ; elle est signée Salomée. L’autrice (je préfère autrice, utilisé par Brantôme et la marquise de Sévigné, au plat auteure suggéré par une mode que j’espère sans lendemain) est la jeune fille qui m’inspira le personnage d’Allegra dans un roman publié en 1988, Harrison Plaza. Ce roman est un enfant auquel je suis affectionné de manière toute spéciale, et Allegra une des plus attachantes figures féminines que les muses m’aient inspirées.
Cette lettre de rupture, la voici. Une lettre de rupture, certes, mais aussi une bouleversante lettre d’amour ; une lettre qui témoigne de la beauté de l’âme de cette jeune fille ; de la conscience qu’elle avait de la force de l’amour qui nous unissait. Une lettre qui prouve que parfois la rupture est l’exact antipode du reniement :
[Gabriel Matzneff avait inséré ici la lettre de rupture intégrale écrite par Vanessa Springora, déjà publiée dans son ouvrage De la rupture (Payot, 1997). A la demande de Vanessa Springora au nom du "respect d’une correspondance privée ", L’Express a décidé de la retirer.]
Cette jeune fille baptisée Salomée dans De la Rupture, Allegra dans Harrison Plaza et moi, nous nous revîmes plusieurs fois après que j’ai reçu le 6 janvier 1988 cette lettre de rupture, et chaque fois ce furent des retrouvailles tendres, complices.
Le 20 avril 1988, je lui écris :
"***, mon cher amour, pour la première fois depuis ce terrible mercredi 6 janvier, je respire librement. Hier, mon amour, tu as ôté la pierre qui pesait si lourdement sur ma poitrine. Notre conversation, ta sublime lettre, ta tendre et diaphane présence tandis que je signais [Harrison Plaza] au salon du livre, grâce à toi je ressuscite."
De fait, nos retrouvailles à ce salon du livre de Paris, quatre mois après sa décision de rompre, sont particulièrement douces. Les photos que Sylva Maubec y prend de nous côte à côte en témoignent, et plus encore la lettre d’Allegra-Salomée que j’évoque dans le paragraphe ci-devant.
Un ou deux ans après, Vanessa (car tel est le prénom d’Allegra-Salomée) entre avec des copines dans un café du boulevard Saint-Germain, nous y voit attablés, Christian Giudicelli et moi. Aussitôt, un sourire éclairant son joli visage, elle s’élance vers nous, fait la bise à Christian, pose sur mes lèvres un baiser.
Des années plus tard, désirant réunir dans un recueil, Super flumina Babylonis, certains des poèmes que nos amours m’avaient inspirés, je la priai (car sitôt écrits, je lui postais ces poèmes et n’en avais plus de traces) de m’en envoyer la photocopie, elle le fit illico, avec joie.
"Ce livre, je ne le lirai pas"
Aujourd’hui, j’apprends que Vanessa publie un livre sur nous. Non pas un livre à l’image de ce qu’ensemble nous vécûmes, mais un livre où, m’affirment ceux qui l’ont lu, elle trace de moi un portrait dénigreur, hostile, viré au noir, destiné à me nuire, à me détruire ; où, utilisant un pesant vocabulaire psychanalytique, elle tente de faire de moi un pervers, un manipulateur, un prédateur, un salaud. Un livre dont le but est de me précipiter dans le chaudron maudit où ces derniers temps furent jetés le photographe Hamilton, les cinéastes Woody Allen et Roman Polanski.
Je reçois cette stupéfiante nouvelle comme un coup de poignard dans le coeur. "C’est moi qui l’ai tuée, ma Carmen, ma Carmen adorée !" Nietzsche tenait le cri final de Don José dans la Carmen de Bizet pour le plus beau des cris de l’amour. Attendre trente-deux ans pour me poignarder en plein coeur, une preuve d’éternel amour ? Soit, mais j’avoue, à Don José, préférer mon Allegra et ma Salomée.
Ce livre, je ne le lirai pas. S’il contient ce que l’on me dit qu’il contient, il me ferait trop de mal ; et même si son ton est mesuré, nostalgique, je préfère me contenter des dizaines de lettres d’amour fou que Vanessa m’a écrites, de ses photos, de mes adorables souvenirs.
Je ne le lirai pas et n’y répondrai pas pour la raison simple que j’y ai déjà répondu. Non pas trente-deux ans après, mais à l’époque même de nos passionnées amours, dans le journal intime que je tenais au jour le jour, un journal véridique où chaque page, chaque ligne, chaque mot est l’expression immédiate, à chaud, de ce que nous vivions, Vanessa et moi. Ce journal, c’est La Prunelle de mes yeux, paru chez Gallimard en 1993, puis dans la collection de poche Folio. Un journal intime que confirment, corroborent les dizaines et dizaines de lettres que nous échangeâmes. Les miennes, elle les a peut-être déchirées, mais les siennes, je les conserve précieusement, et si la nécessité de les publier échoyait ces lettres montreraient que La Prunelle de mes yeux est l’authentique, exact récit de ce que furent nos amours.
Si je n’avais pas été écrivain, Vanessa n’aurait ni eu envie de rompre, ni rompu. Nous avions vaincu les divers obstacles qui se dressaient contre nous : l’hostilité de son entourage, les lettres de dénonciation à la brigade des mineurs, la maladie qui nous frappa, elle en 1986, moi en 1987 ; nous étions parvenus à un bonheur auquel rien ni personne ne s’opposait. Ce fut alors - environ dix-sept mois après nos premiers baisers - que la lecture de certains de mes livres se mit à infuser dans le coeur de ma jeune amante un douloureux rejet de mon peccamineux passé ; une irrépressible détestation de mes ex, de ce que j’avais vécu avant elle.
"Vanessa eut tort de rompre"
Je feuillette La Prunelle de mes yeux. Le samedi 17 juillet 1987, elle me lance : "Je hais ton passé, tu es le premier homme que j’aime, je t’en voudrai toute ma vie d’avoir aimé des femmes avant moi." Cependant, car c’est une fille intelligente, elle a aussi des éclairs de lucidité où elle éprouve toute l’extravagance de cette jalousie de mon passé, sa destructrice stérilité. Le 2 novembre de la même année, séjournant à Londres, elle m’écrit :
"Ton amour pour moi est un soleil qui brille et éclaire, tout ce que nous avons vécu ensemble depuis notre premier baiser est et restera l’aventure la plus merveilleuse qu’un homme et une femme puissent vivre l’un par l’autre ! Mon cher amour, mon adorable amant, je t’aime comme jamais plus je ne pourrai aimer qui que ce soit. C’est toi qui me fais vivre, qui es ma source. Lorsque je suis près de toi, je ressuscite, Gabriel, amour-de-ma-vie , bientôt je serai de retour et nous serons à nouveau réunis."
Dans cette même lettre, à propos de sa jalousie, de ses colères, elle observe que c’est "de la divagation, des idioties" dues à des "crises passagères", à "une perte de contact avec la réalité", à "un long vertige". Et elle ajoute : "Vraiment, tu ne dois surtout pas en croire un mot."
Deux mois plus tard, elle m’écrivait sa lettre de rupture. Lettre d’une beauté, d’une force inouïes, mais jusqu’à ma mort je persisterai à croire que Vanessa eut tort de rompre ; qu’elle rompit pour des chimères de son imagination ; que nous aurions pu et dû vivre encore plusieurs années de fécond bonheur ; que cette fatale décision fut la raison de la difficulté d’être qu’elle éprouvera, si j’ai bien compris, dans les années qui suivront notre rupture.
Par amour pour elle, j’avais dès nos premiers baisers mis fin à mon vagabondage amoureux, j’étais devenu le plus fidèle et irréprochable des amants. En revanche, ce que Dieu lui-même n’aurait pu accomplir, c’était que mon passé cessât d’être. Il existait, comme existe le passé de chacun de nous, et il l’était avec d’autant plus de force que je l’avais gravé sur le papier. Un poème recueilli dans Super flumina Babylonis exprime cette dure réalité. Voici ses premiers vers :
Tel, chez Dürer, le chevalier
Que flanquent la mort et le diable,
J’avance dans la vie
Escorté, précédé même, par les mots que j’ai écrits.
Mes livres sont ma condamnation,
Mes érinyes implacables,
Mes éternels geôliers :
Prison de papier,
Dont jamais je ne m’évaderai.
Vanessa mon amour,
Je hais ces pages qui te font douter de moi,
Qui emplissent de larmes tes yeux si clairs.
La suite, Vanessa l’a décrite dans sa bouleversante lettre de rupture : durant le dernier mois de 1987, sa douleur, son trouble ne cessèrent de s’augmenter. Nos amis communs, Roger Vrigny, Christian Giucidelli, Claude Verdier, Cioran et sa compagne Simone Boué tentaient de la rassurer, s’efforçaient de la convaincre que je l’aimais à la folie, qu’elle n’avait sur ce point aucune inquiétude à avoir. Sans succès. Notre amour s’était dans son esprit irrémédiablement transformé en un amour vampire qui la rongeait de l’intérieur, je ne fais que reprendre les mots si terriblement justes de sa magnifique lettre d’adieu.
Nous fûmes donc punis, chassés du paradis, par ma faute. La faute de mon passé. La faute, Vanessa, d’avoir avant notre rencontre, publié des livres qui te blessèrent, te tourmentèrent ; qui après de si longs mois de bonheur, de passion, t’empêchèrent de continuer à vivre nos amours dans la paix et la bienheureuse insouciance.
Ta décision de rompre nous rendit, toi et moi, très malheureux. Chacun de nous poursuivit sa propre route. Cependant, je demeurais convaincu qu’après ma mort tu écrirais quelque chose de beau, de tendre sur nous ; sur l’exceptionnel amour qu’ensemble nous vécûmes. Je ne mérite pas l’affreux portrait que - ceux qui ont lu ton livre s’accordent hélas sur ce point - tu publies de moi en ce début d’année 2020. Non, je ne le mérite pas, ce n’est pas moi, ce n’est pas ce que nous avons ensemble vécu, et tu le sais.
Que Dieu ait pitié de nous ; qu’Il te protège mieux que je n’ai été capable de te protéger. Je garderai toujours, brûlant dans ma mémoire et mon coeur tel un cierge devant l’icône du Christ, une image lumineuse de toi.
Gabriel Matzneff
VOIR AUSSI : Echos de l’affaire Matzneff 2020 (II) - Le Journal de Lolita
7 Messages
« Le Consentement » de Vanessa Springora au cinéma, Viktor Kirtov | 13 octobre 2023 - 18:27 1
En 2020, dans la lignée du mouvement MeToo, Vanessa Springora publiait Le Consentement. Son autobiographie, racontant sa liaison traumatisante avec l’écrivain Gabriel Matzneff dès ses 14 ans (alors qu’il en avait 50) et l’emprise durable de ce prédateur (pédophile de surcroit) durant son adolescence, est devenu un véritable phénomène de société. Trois ans plus tard, la cinéaste Vanessa Filho a adapté le livre avec Le Consentement, film fort et violent qui devrait replacer encore un peu plus le principe de consentement au coeur des discussions, porté par Kim Higelin (Vanessa Springora au moment des faits), Jean-Paul Rouve (Gabriel Matzneff) et Laetitia Casta. (la mère de Vanessa Springora).
ANGE ET DÉMON
L’autobiographie de Vanessa Springora était une véritable claque. Avec une écriture sans détour, le récit implacable de son adolescence prenait aux tripes. Alors forcément, devant son adaptation cinéma, difficile de ne pas être légèrement insatisfait.
Cela dit, la transposition au cinéma était d’autant plus difficile pour la réalisatrice qu’il est complexe de s’approprier un tel récit. En en faisant trop, comment ne pas avoir peur de voler une histoire si personnelle ? En n’en faisant pas assez, comment ne pas risquer d’en assécher le propos ? Et justement, c’est sûrement sur ce point que Le Consentement dévoile son fragile équilibre.
Kim Higelin, impressionnante dans la peau de Vanessa Springora
Comme une méchante petite voix par dessus l’épaule
PRIS À SON PROPRE PIÈGE
Le Consentement n’est donc pas un film parfait. Mais même si c’est forcément regrettable, ce n’est pas grave. Le film de Vanessa Filho est plus passionnant en tant qu’objet de société qu’en simple objet de cinéma. Et finalement, c’est peut-être ce qui était le plus important au vu de son sujet. Vanessa Springora le disait elle-même en interview, se remémorant ses souvenirs d’antan et une interrogation saisissante : comment comprendre que ce qu’il se passe n’est pas normal quand Gabriel Matzneff se cache si peu ?
Même si le film est plein de défauts ce qu’il raconte d’une époque (en particulier les années 80 ici) lui confère un intérêt indéniable. En décidant de mettre en scène les corps de Vanessa et Matzneff, de ne rien cacher de leurs ébats, Le Consentement (film) permet de mettre en images ce que Le Consentement (livre) ne pouvait faire, lui qui laissait forcément l’imagination prendre le dessus sur ladite réalité. Vanessa Filho a le pouvoir de montrer l’horreur plus frontalement tout en pouvant s’adresser à un public encore plus large.
Près de quarante ans après les faits, Le Consentement a gravé pour la postérité la réalité derrière ledit Matzneff.
D’après ecranlarge.com
Le livre de Vanessa Springora sur pileface
Echos de l’affaire Matzneff 2020 (I), Jean Petit | 24 mai 2020 - 01:02 2
Le plus pertinent commentaire sur l’affaire Matzneff, c’est Marc-Edouard Nabe qui l’a fait. Lisez Nabe’s News.
Voir en ligne : Nabe sur l’Affaire Matzneff : J’accule… !
INFO OBS. Affaire Matzneff : Philippe Sollers et Christian Giudicelli entendus par la police, Viktor Kirtov | 29 février 2020 - 09:31 3
L’écrivain et l’éditeur ont été auditionnés en tant que témoins mi-février. Par ailleurs, au terme de six perquisitions, dont une dans un coffre de banque, les enquêteurs ont récolté plus de 150 cartons d’archives.
Par Caroline Michel-Aguirre
Publié le 27 février 2020
Le 13 février, à 10 heures, Philippe Sollers s’est présenté à l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP), à Nanterre. L’écrivain a été entendu par les policiers chargés de l’enquête préliminaire pour « viols sur mineurs de moins de 15ans » ouverte à l’encontre de Gabriel Matzneff. Saisis le 3janvier, à la suite de la publication du livre de Vanessa Springora « le Consentement » (toujours en tête des ventes), les enquêteurs recherchent de potentielles victimes pour qui les faits ne seraient pas prescrits (le délai de prescription pour les viols sur mineurs est de vingtans à partir de la majorité des victimes pour les faits antérieurs à août2018), ainsi que d’éventuels complices des relations que Gabriel Matzneff aimait entretenir avec des mineurs.
Vanessa Springora : « J’ai été la proie de Gabriel Matzneff. J’avais 14 ans »
L’ami de toujours, Christian Giudicelli, a également été convoqué. Soutien indéfectible de Gabriel Matzneff dans le monde de l’édition, Giudicelli a longtemps été son camarade de voyage aux Philippines, séjournant dans le même hôtel Tropicana, à Manille, où les deux hommes avaient leurs habitudes. Selon nos informations, l’écrivain n’aurait pas nié les séjours en Asie en quête de tourisme sexuel, mais, les faits étant prescrits, il est ressorti sans aucune charge contre lui (Christian Giudicelli n’a pas répondu à nos messages téléphoniques et SMS).
Les jours précédents, les enquêteurs avaient mené une série de perquisitions en quête de carnets intimes et non publiés, couvrant en particulier la période des vingt dernières années. Les policiers se sont rendus chez l’éditeur Gallimard, au domicile parisien de l’écrivain, et aussi à l’IMEC, l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine. Dans cette abbaye proche de Caen, dans le Calvados, où Gabriel Matzneff avait versé en2004 l’intégralité de ses manuscrits et de ses correspondances, ils ont saisi 150 cartons d’archives. D’après une source judiciaire, les enquêteurs se sont également fait ouvrir un coffre que l’écrivain détient dans une banque.
Ce que nous a dit Christian Giudicelli, l’éternel complice de Gabriel Matzneff
Mercredi 26février, les policiers de l’OCRVP se sont enfin rendus à Bordighera, ville du nord-ouest de l’Italie située près de la frontière avec la France, accompagnés de policiers italiens agissant sous l’autorité du parquet de Gênes dans le cadre d’une demande d’entraide européenne, comme l’a révélé l’AFP jeudi après-midi. Selon une source proche du dossier, Gabriel Matzneff, âgé désormais de 83ans, leur a remis les carnets de notes qu’il porte toujours sur lui, ainsi que son ordinateur portable, qui devrait lui être rendu dans quelques jours. Le 11février, le parquet de Paris avait diffusé un « appel à témoins » afin d’identifier de nouvelles victimes. Les auditions pourraient se poursuivre la semaine prochaine.
Caroline Michel-Aguirre
Matzneff : où l’hyperactivité des enquêteurs va-t-elle s’arrêter après la perquisition chez Gallimard ?, Viktor Kirtov | 14 février 2020 - 15:26 4
Voilà que dans le prolongement de l’affaire Matzneff, les enquêteurs, pris dans le vent du temps, déploient une hyperactivité débauchée - pour rattraper le temps perdu pendant des décennies ? - sont allés perquisitionner chez Gallimard, le mercredi 12 février pour y retrouver trace de passages non publiés par l’éditeur avec d’éventuels noms de victimes. C’est ce qu’annonce Médiapart, toujours aux premières loges, pour humer les remugles des scandales, à croire qu’il agit en auxiliaire de police :
selon Mediapart, les écrits qui intéressent l’OCRVP (Office central pour la répression des violences aux personnes) seraient entreposés dans un coffre-fort au siège de Gallimard. D’où Mediapart détient-il ces informations ?
Et comment qualifier ce genre de pratiques délirantes ?
Pourquoi pas avec ce mot de Chirac dans un autre contexte ? abracadabrantesque !
Où va s’arrêter cette débauche, ce délire de justicier d’un quidam et au-delà de lui, ...de notre humanité dépravée depuis la nuit des temps ?
Echos de l’affaire Matzneff 2020, Guillaume Basquin | 11 janvier 2020 - 09:28 5
Merci, pour ce dossier assez complet.
Matzneff : « Mes amours décomposés » illustrés par Benoît Monneret, Viktor Kirtov | 6 janvier 2020 - 15:48 6
En illustration de l’extrait de « Mes amours décomposés », Journal de 1983-1984, Collection L’Infini-Gallimard, Benoît Monneret, se souvenant que Gabriel Matzneff était d’origine russe nous a proposé, en partage, un dessin que vous trouverez dans la section du livre ICI
Echos de l’affaire Matzneff 2020 : Ajout de deux sections, Viktor Kirtov | 6 janvier 2020 - 10:59 7
Vanessa Springora revient sur sa relation avec Gabriel Matzneff : un témoignage essentiel
Gabriel Matzneff répond à Vanessa Springora dans l’Express