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Extraits de Une vie divine

D 22 janvier 2006     A par Viktor Kirtov - C 3 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


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Quatrième de couverture
Exergue
Le début
La fin
Citations
Morceaux choisis
Critiques
Entretiens
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Quatrième de couverture

Ludi est une merveilleuse menteuse. C’est d’ailleurs la phrase que je me suis murmurée au bout de trois ou quatre rencontres : "merveilleuse menteuse". Mère en veilleuse, très bonne menteuse. Il suffit de la voir, là, bien blonde épanouie aux yeux noirs, cheveux courts, avec sa robe noire moulante, sur la terrasse de cet hôtel, en été. Elle est fraîche, bronzée, elle sait qu’elle se montre, elle laisse venir les regards vers elle, elle s’en enveloppe comme d’une soie. Oui, je sais, elle vous dira qu’elle a pris deux kilos et que c’est dramatique, mais non, justement, elle est parfaite comme ça, rebondie, ferme, ses seins, son ventre, ses cuisses évoquent aussitôt de grands lits ouverts. Ah, ce croisement de jambes, ses fesses lorsqu’elle va au bar, sa façon de sortir et de rentrer et de ressortir et de rerentrer son pied de son soulier gauche - la cheville, là, en éclair -, et puis de rester cinq secondes sur sa jambe droite, et de recommencer, rentrer-sortir, rentrer-sortir, comme pour dire j’ai trouvé chaussure à mon pied, et c’est moi, rien que moi, venez vous y frotter si vous croyez le contraire. Son corps se suffit à lui-même et elle n’a pas à s’en rendre compte. Il dit tout ce qu’il y a à dire, mais elle ne pourrait pas le parler.

Exergue

Au-delà du nord, de la glace, de la mort - notre vie, notre bonheur. .. Nous avons découvert le bonheur, nous connaissons le chemin, nous avons trouvé l’issue de ces milliers d’années de labyrinthe.  
NIETZSCHE

Le début


Le vent, toujours le vent, depuis une semaine, l’assommant et violent vent du nord venant de là-haut. On est en bas, nous, dans l’intervalle, au large. On est bloqués, on attend. On a beau avoir vécu ça des centaines de fois, c’est chaque fois nouveau, la torpeur, l’ennui, les petits gestes. On se lève, on marche, on respire, on parle, mais en réalité on rampe dedans. Désarroi, fatigue, temps qui ne passe pas, aiguille. Le passé est désenchanté, le présent nul, l’avenir absurde. On se couche et on reste éveillés, on mange et on boit trop, on titube, on dort debout. On n’est pas malade, on est la maladie elle-même. Pas de désirs, pas de couleurs, pas de répit, pas de vrais mots.
Un pas après l’autre. Arrêt. Encore un pas, jambe gauche. Équilibre, jambe droite, et encore un pas. J’y suis, je n’y suis pas. Pas besoin de pensée pour y être.
Le vent empêche de penser, c’est l’ennemi du cerveau, son lavage à sec. Plein vent, tête vide. Un oiseau doit savoir ça, mais, lui, ça ne le dérange pas. Moi, si. Je voudrais bien retrouver ma place en ce monde. J’en avais une, je l’ai perdue, il ne faut pas ébruiter l’accident. Rester libre, surtout. Mais libre pour quoi ? Ici, rien ne vient, rien ne se présente. Le vent continue de souffler, et je suis aussi sensible qu’un gros galet sur la plage. Je le ramasse, je le jette, je le reprends. Il est blanc-jaune strié de bleu, combien de milliers d’années de polissage ? Bousculé, roulé, charrié, échoué, repris, retourné... Absolument indifférent à la marée comme aux vagues. Aussi refermé qu’une mâchoire ou une dent.

Je rentre dans la maison, je ressortirai demain. Toujours le vent, comme une tempête du temps lui-même. L’eau écume, les portes et les volets grincent, les rafales de pluie se succèdent. Ludi ne dit rien, on n’a pas échangé dix phrases en deux jours. Elle téléphone de temps en temps, moi non. Qu’ils aillent tous et toutes au diable, que le néant les emporte. Que dire quand il n’y a plus rien à dire, ni personne pour écouter ce rien ? Du vent.
Ludi, tout à coup :
- Et le cahier ?
- En haut, dans le tiroir du bureau, à droite.
Je me suis entendu répondre ça, un réflexe. En réalité, je ne pensais plus du tout à ce cahier d’il y a dix ans, des notes sur mes expériences. Je voulais l’oublier ? Sans doute. Ludi, elle, s’en souvient. Récupération de sa vie ? Nouveau jugement sur moi ? Détails ? Valeurs d’époque ? Il faut avouer que, comparée à la dépression ambiante, la vie d’autrefois paraît légendaire, himalayesque, indienne, amazonienne, africaine. Oui, va chercher le cahier, Ludi, qu’on revive et qu’on s’émerveille. Qu’on s’étonne, surtout, d’avoir fait tout ça et tout ça, les dépenses, les conneries, les jeux, les coups de folie, les nuits. Je veux te voir lire, rire, hocher la tête, presque pleurer. Porter le doigt à ta tempe, toc, toc, araignée au plafond, quels cons. T’arrêter, là, revenir en arrière, commencer à rêver. Prouver que les mots sont plus forts que toutes les situations, même les plus désespérées, les plus plates. Allez, viens, on va calmer ce vent, comme l’Autre, une fois, endormi dans la barque. Qu’est-ce qu’il y a ? De quoi avez-vous peur ? Regardez, un geste suffit, sorti d’un sommeil profond. Et si ça ne vous suffit pas, je vais faire un petit tour sur les eaux, là, pieds nus sur le lac complice. Ça vous épate, pas vrai, singes de peu de foi ? Vas-y, Ludi, dans ma chambre, le troisième tiroir à droite, couverture noire, dix ans d’encre. Qui sait, je reprendrai peut-être goût au papier, aux longues soirées sous la lampe, aux petits matins bleus, là-bas, sur le ponton, café sur café, eau fraîche, moineaux picorant le sucre jusque sur ma table, clapotis de l’eau, des bateaux. Ça y est, je sens que ça me reprend, frisson de moelle épinière, miracle.

La fin

Dans l’Inde ancienne, le sacrifiant, au commencement du rite qui doit le conduire vers les dieux, dit : « Maintenant, je quitte la fausseté pour aller à la vérité. »

Il fait son travail intense et compliqué de mélodies et de rythmes, il devient un corps-parole, un corps-mélodie, un corps-rythme, de façon à aller, par-delà la mort, dans un monde qu’il se sera fait. Il n’est pas exclu que, pendant son voyage, il tombe sur une déesse « vêtue d’espace », portant au cou un collier de crânes et, autour du buste, des n ?uds de serpents. Il n’est pas exclu non plus qu’il apprenne à faire parler et danser les cailloux, les pierres, les rochers. Le voici donc, avec sa poignée d’herbe, allant du profane au sacré.

Pour le retour, il ne va évidemment pas dire, qu’il quitte la vérité pour aller vers la fausseté. Sa formule est délicate et modeste :
« Maintenant, je suis seulement ce que je suis. »

Où suis-je ? Qui suis-je ? Un simple passager de l’éternel retour du Salut. Mais oui, du Salut.

Paris, le 30 septembre 118

Citations

N’écoutez jamais quelqu’un qui vous parle d’un futur réalisable, surtout s’il est collectif. C’est ici, tout de suite, que cela se passe. Comme dans l’amour, en somme, et pas par hasard.

Morceaux choisis

Le baiser

La séance du Banquet avec Nelly

Critiques

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3 Messages

  • Olivier | 18 juillet 2007 - 14:27 1

    Pour ma part, après avoir parcouru quelques forums à propos dudit roman, je reste éberlué par l’ensemble des messages dont aucun ne semble avoir vu l’essentiel : Nietzsche (ce qui m’amène à convoquer Sollers lui-même lorsqu’il demande : qui sait encore lire aujourd’hui ?). Nietzsche vu par Sollers, c’est le viatique idéal pour sortir de ce que l’auteur nomme le "calendrier économico-politique", celui de la morale, du ressentiment, de la peur, des héritages judéo-chrétiens empoissant la vie. La vie divine, c’est celle du jaillissement, des forces créatrices, de l’imagination, des regards singuliers, de la puissance. C’est donc un oeil extrêmement critique sur le monde d’aujourd’hui. Sollers excite les dames (c’est frappant chez certaines) ? Parce qu’il excite la vie.

    Voir en ligne : L’Oeil Cynique


  •  :-) | 16 mai 2007 - 12:44 2

    Ah, cette photo... ce regard par en-dessous... de fille... de merveilleuse menteuse... à une telle muse les femmes, comme un seul homme, sont aussitôt prêtes à livrer l’assaut !


  • valérie | 15 mai 2007 - 14:43 3

    « Je suis ce que je suis », et l’autodérision qui émane d’Une Vie divine est aussi acérée que sa plume à connotation nietzschéenne, presque, oserai-je dire wagnérienne.
    A l’heure où nous manquons de grandeur d’âme, c’est presque trop pour la profane que je suis !
    O combien de fois suis-je tombée en pamoison devant le style, la classe première, Mr Sollers, Je vis, plongée dans la littérature souvent allemande, certes, de Goethe en passant par Hermann Hesse, et bien-sûr vous, et Incontestablement, si « relève » il ya, elle passe par vous, à mon humble avis...
    Vous avez mis presque six années à consulter,rechercher, les questions et réponses que l’on se pose si souvent lorsque l’on a la chance d’avoir une âme. Oui car c’est bien de cela qu’il est question dans ces deux livres. Si heureux sont les imbéciles qui nous entourent, vos sentiments à vous évoquent l’intelligence métaphysique. On est au septième ciel du pourquoi, de la vie et de la mort. Entre temps, au purgatoire de nos émotions, il y a réflexion. Et devant l’ennui que provoque le labyrinthe infernal de la vie, parfois, se détacher de soi-même pour mieux se voir, mieux savoir qui on est, là est la vérité.
    Enfin, quel régal de faire revivre à travers votre esprit en majuscule, la mélancolie débordée de Friedrich Nietzsche, en quête de l’absolu, jusqu’à « la folie », que j’aurais tendance à qualifier de « normalité », si le jugement m’était permis.
    Dans L’ Evangile de Nietzsche, on atteint le sommet des allégories, la foi en la connaissance est exacerbée, et le passé, présent et avenir vous désenchantent comme pour nous enchanter.
    Merci d’être vous.
    Valérie Bergmann

    http://www.mespoemes.net/valerie/

    http://www.poesiefrancophone.com/valerie_bergmann.htm