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Sois vainqueur ! Ressuscite ! (Dante, Le Paradis, chant XIV)

"Resurgi" e "Vinci"

D 10 avril 2023     A par Albert Gauvin - C 5 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



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La Resurrezione
de Haendel

C’est un oratorio, créé le 8 avril 1708, jour de Pâques, à Rome. A l’époque, l’opéra était interdit dans les États de la papauté et c’est donc sous la forme de l’oratorio que Georg Friedrich Haendel exprime la Passion et la Résurrection du Christ. Le Christ n’est pas représenté dans l’oratorio, mais saint Jean, Marie-Madeleine et Marie Cléophas sont témoins de la Résurrection secondés par l’Ange qui s’oppose à Lucifer. Lumières contre ténèbres.

Aria : « Disserratevi o porte d’Averno »

C’est la scène I. L’Ange (Cecilia Bartoli) s’adresse à Lucifer.

Disserratevi, o porte d’Averno,
e al bel lume d’un Nume ch’è eterno
Tutto in lampi si sciolga l’orror !
Cedete, orride porte,
Cedete al Re di Gloria,
Che della sua vittoria
Voi siete il primo onor !
Disserratevi...
Ouvrez-vous, portes de l’Averne,
et qu’à la radieuse lumière d’un Dieu éternel
se dissipe toute horreur en un éclair !
Cédez, portes terrifiantes,
Cédez au Roi de Gloire,
vous qui de sa victoire
êtes les premiers lauriers.
Ouvrez-vous...
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Le dimanche de Pâques

De quoi est-il question en ce dimanche de Pâques ? Pour la communauté juive, c’est le dernier jour de la fête Pessa’h (en hébreu פֶּסַח), appelée Pâque juive, qui commémore l’exode du peuple juif d’Égypte, libéré de l’esclavage par Moïse en traversant la mer Rouge. Mais pour les chrétiens, Pâques commémore la Résurrection de Jésus-Christ, le passage de la mort à la vie.

Laissons la parole au poète dont on a commémoré en 2021 le 700ème anniversaire de la mort. On lit au chant XIV du « Paradis » de La Divine Comédie de Dante :

E come giga e arpa, in tempra tesa
di molte corde, fa dolce tintinno
a tal da cui la nota non è intesa,

cosl dà lumi che li m’apparinno
s’accogliea per la croce una melode
che mi rapiva, sanza intender l’inno.

Ben rn’accors’ io ch’elli era d’alte lode,
pero ch’a me venla : "Resurgi" e "Vinci"
come a colui che non intende e ode
.

Voici la traduction de Jacqueline Risset et celle, récente, de Danièle Robert [1]) :

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« Et comme vielle et harpe, en tension tempérée
de plusieurs cordes, font un doux tintement
pour qui ne sait d’où vient la note,
ainsi, des lumières qui m’apparaissaient là,
une mélodie s’épanchait dans la croix
qui me ravissait, sans que j’entende l’hymne.
Je compris que c’était un chant de louange ;
car les mots « Resurgi » et « Vinci » me venaient / comme à quelqu’un qui entend sans comprendre.


Et comme la tension des cordes pincées
sur la gigue et la harpe fait un cliquetis
pour qui à la musique est étranger,
émanant des lumières qu’alors je vis,
une mélodie envahissait la croix
et, sans connaître l’hymne, je fus ravi.
C’étaient bien sûr des louanges, pour moi,
car je percevais : "Ressuscite" et "Vaincs"
comme lorsqu’on entend mais ne comprend pas.

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Le lundi de Pâques

Le lundi de Pâques succède au dimanche de la fête pascale. Il s’agit donc du deuxième jour de l’Octave de Pâques en Occident, qui marque le début de la semaine radieuse ou semaine du renouveau chez les Chrétiens d’Orient. Selon le texte biblique de l’Évangile selon saint Mathieu, le lundi de Pâques est également appelé "lundi de l’Ange". Cette journée est donc l’occasion de célébrer, y compris le lendemain de Pâques, le retour de Jésus, suite à sa résurrection.


Le Caravage, Saint Matthieu et l’Ange, 1602.
Chapelle Contarelli de l’église Saint-Louis-des-Français, Rome.
Photo A.G., 16 juin 2015. ZOOM : cliquer sur l’image.
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Évangile selon saint Matthieu 28,8-15.

Quand les femmes eurent entendu les paroles de l’ange, vite, elles quittèrent le tombeau, tremblantes et toutes joyeuses, et elles coururent porter la nouvelle aux disciples.
Et voici que Jésus vint à leur rencontre et leur dit : « Je vous salue. » Elles s’approchèrent et, lui saisissant les pieds, elles se prosternèrent devant lui. Alors Jésus leur dit : « Soyez sans crainte, allez annoncer à mes frères qu’ils doivent se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront. »
Tandis qu’elles étaient en chemin, quelques-uns des hommes chargés de garder le tombeau allèrent en ville annoncer aux chefs des prêtres tout ce qui s’était passé. Ceux-ci, après s’être réunis avec les anciens et avoir tenu conseil, donnèrent aux soldats une forte somme en leur disant : « Voilà ce que vous raconterez : "Ses disciples sont venus voler le corps, la nuit pendant que nous dormions."
Et si tout cela vient aux oreilles du gouverneur, nous lui expliquerons la chose, et nous vous éviterons tout ennui. »
Les soldats prirent l’argent et suivirent la leçon. Et cette explication s’est propagée chez les Juifs jusqu’à ce jour.

*

Que vous soyez « croyant » ou pas, il n’est pas interdit d’essayer de comprendre ce qui tente de se faire entendre dans ces paroles.

Philippe Sollers, singulier catholique, aime brouiller les pistes. Dans un entretien d’août 2018, il déclare :

« Tous les écrivains sérieux sont athées. Pour moi, l’athéisme c’est la vie, et la religion c’est la mort. Dieu est mort, il n’y a pas lieu d’en douter, mais sa décomposition se poursuit. Mort, il est aussi toxique que vivant. Pourtant l’athéisme demeure extrêmement rare, et vous pouvez en suivre les fluctuations à travers l’histoire. »

Il poursuit cependant :

« Nietzsche sera le premier à oser proférer que Dieu est mort. Il n’est "ni théiste, ni athéiste, et encore moins indifférentiste…", comme l’écrit Heidegger, et je trouve cette petite circonlocution intéressante. Il ne s’agit pas de dire : "Je m’en fous." Au contraire, c’est une question qui doit rester ouverte. Du fait de ses ramifications et de son histoire, il ne faut pas y être indifférent, c’est très important [2]. »

Essayons de comprendre ces paradoxes.

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« Tout me parle de la Résurrection »

Extrait de Nietzsche, miracle français (2006)

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Pas convaincu ? Relisez Le corps.

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« Le Propre du temps »


Piero Della Francesca, La Résurrection, 1463-65, Sansepolcro. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.


« Une fois pour toutes je considère la Résurrection de Piero della Francesca, à Sansepolcro, sa ville natale... Naître à Sansepolcro, naître au Saint-Sépulcre, une pensée qui suppose une certaine résurrection. Élévation massive de l’autre côté du corps, ici même, et le regard droit devant, hors du sépulcre. Le Propre du temps (le Christ dans sa vie) s’achève sur cette résurrection : "Sur le mur, le Christ peint, alors que tous dormaient, une mince pellicule de savoir debout clamant éternellement, une fois encore, la colonne, le corps immortel et sans reste, le plein et le vide du temps en corps..." Pas de résurrection sans incarnation. » (je souligne. A.G.)

Marcelin Pleynet, Le savoir-vivre, Gallimard, 2006, p. 30-31.

D’Arezzo à Sansepolchro
la route passe par le mur peint
..................................................
Ce matin
le tombeau est vide
pas de déchet
tout est passé dans le désir et la vie
dans la source lumineuse
dans sa transposition musicale
dans la transposition musicale de l’air
.......................................................
sur le mur, le Christ peint (alors que tous dormaient)
une mince pellicule de savoir...
debout, clamant éternellement, une fois encore, la colonne, le corps merveilleux
le corps immortel et sans reste, le plein et vide du temps,
le chemin de la vérité.

Sansepolcro, 1987-Paris, 1993 (Le Propre du temps, p. 80-81 [3]).

*

« Mais Jésus, s’approchant, les toucha, et dit : Levez-vous, n’ayez pas peur ! » Matthieu, 17.7.

N’ayez pas peur. Lisez.

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Benoît XVI a écrit deux volumes sur Jésus de Nazareth. Philippe Sollers a consacré un article à chacun d’entre eux.

Le livre du pape

On se dit : bon, un livre du pape, ça va être la barbe, de la morale fade, de la propagande familiale pour la chasteté avant le mariage, bref, toute la gomme dès qu’il s’agit de cet emmerdeur en blanc. On ouvre donc ce « Jésus de Nazareth » avec toutes les préventions possibles. Et là, surprise : le bouquin est passionnant. Vous la connaissez réellement, cette histoire ? Allons donc, des souvenirs flous, des niaiseries dévotes ou anticléricales, des images pieuses ou du cinéma endiablé. Personne, depuis plus de deux mille ans, n’a fait autant parler, trépigner, fantasmer, convulser, paradis par-ci, enfer par-là, sorcières, croisades, Inquisition, saints, saintes, criminels en tout genre.

On se calme : de quoi, ou plutôt de qui, s’agit-il ? Joseph Ratzinger, Benoît XVI, commence modestement par nous rappeler que la parole, en elle-même, comporte une « plus-value intérieure » , dimension que le monde accéléré du profit et de la communication nous fait sans cesse ignorer. Quelqu’un parle d’une certaine façon, agit selon ce qu’il dit, il sort de la Bible, bien sûr, ou plutôt il la déploie avec autorité par lui-même. Qu’il soit le fils du Dieu vivant se révèle peu à peu, c’est lent, c’est éprouvant, c’est infiniment tragique et finalement joyeux. Suivez donc le récit pas à pas. Que signifie le baptême de Jésus ? Les tentations que lui présente le diable (car le diable existe bel et bien, vous n’avez aucune raison sérieuse d’en douter) ? Que veut dire « Royaume de Dieu ? » Et le « Sermon sur la montagne » ? Connaissez-vous vraiment le « Notre Père » ? Qu’est-ce qu’une parabole, et pourquoi est-il nécessaire de s’exprimer de cette façon ? Le chapitre sur les grandes images de l’Evangile de Jean est magnifique : l’eau, la vigne, le vin, le pain, voilà de l’inépuisable.

Les catholiques, avec leur messe et leur transsubstantiation, ne connaissent pas leur effarante singularité universelle. Jean-Paul II a été une superstar inattendue ; Benoît XVI, avec son intériorité fervente et savante, commence à inquiéter sérieusement le spectacle de la dévastation globale. Il a déjà très mauvaise réputation. C’est parfait.

Philippe Sollers, Le Nouvel Observateur du 24 mai 2007.

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Jésus de Nazareth de Benoît XVI

Entretien avec Philippe Sollers et Jean-Luc Marion

Le Pape à la source

Propos recueillis par BENOÎT CHANTRE et PAUL-FRANÇOIS PAOLI.

LE FIGARO LITTÉRAIRE. - Quel sens accordez-vous au livre de Benoît XVI sur Jésus de Nazareth ?

Jean-Luc MARION - Ce livre, à propos duquel Benoît XVI précise qu’il ne relève pas du magistère, mais d’un théologien parmi d’autres et qu’on est donc parfaitement libre de le contredire, pose une question centrale : celle de la méthode de lecture des Écritures. Depuis ses débuts, l’exégèse historico-critique a privilégié, sous des formes diverses, le même schéma dominant : nous n’avons par de compte rendu des événements historiques de la vie de Jésus parce que les récits proviennent de rédactions faites après la mort du Christ qui surinterprètent et « théologisent » son histoire. Dans cette optique, l’histoire consignée dans le Nouveau Testament atteste la foi chrétienne postérieure, non les faits historiques. Dans son livre sur Jésus, Joseph Ratzinger propose une optique inverse : la grandeur inouïe de l’événement Jésus ne peut pas naître de commentateurs tardifs, incapables de s’élever aux hauteurs spéculatives de la mort et de la Résurrection (où les auraient-ils trouvées ?), mais de l’événement lui-même. La grandeur ne surgit pas, inexplicablement, de tardifs épigones, mais du commencement lui-même. Les Écritures doivent, insiste-t-il, se lire du point de vue de celui qui s’y donne. N’oublions pas la première occurrence de la notion d’exégèse : « Dieu, nul ne l’a vu. Mais le Fils, qui est dans le sein du Père, en a fait l’exégèse. » (Jean 1, 18). Ni celle d’herméneutique, lorsque le Christ lui-même « fit l’herméneutique des Écritures » le concernant aux pèlerins d’Emmaüs (Luc 24, 27).

Philippe SOLLERS - Ce qui m’intéresse ici, c’est l’implication personnelle de ce pape pour revenir à la question fondamentale : qui est le Christ ? Je vérifie chaque jour que les Évangiles sont ignorés, y compris des chrétiens eux-mêmes. Le Pape revient à la source. Il commence par le baptême de Jésus et montre comment ce personnage devient le Christ. Il nous fait sentir, dans un chapitre qui s’appelle « Les Tentations de Jésus », que le diable est bien là. Satan existe : il tente Jésus lui-même. Il lui demande de montrer sa puissance en transformant les pierres en pain, etc. Il y a aussi un chapitre sur le royaume de Dieu, puis le sermon sur la montagne et les Béatitudes... Et un autre sur la prière. Comment Jésus prie-t-il ? Les paroles du Notre Père, qui sait encore ce qu’elles signifient ? Enfin, il y a un chapitre admirable sur les images de l’Évangile de Jean. L’eau, la vigne, le vin, le pain : ce sont des fondamentaux. Il faudrait parfois que les catholiques se rappellent pourquoi ils ne sont pas protestants. À travers les paroles du Christ, le pain devient corps et le vin, sang. Il faut rappeler ces choses-là, qui ne sont plus guère connues ni ressenties. Enfin, il y a les affirmations de Jésus sur lui-même : Fils de l’homme, Fils de Dieu et surtout « Je suis » le Christ qui apporte la vie, c’est-à-dire l’idée que le pacte avec la mort est rompu. Souvenons-nous du discours de Jean-Paul II contre « la culture de mort ».

Ce pape philosophe vous paraît-il être dans la continuité de Jean-Paul II ?

Ph. S. - Ces deux papes semblent différents, avec des expressions et un charisme qui peuvent paraître opposés. Pourtant, ils me semblent unis par un lien de continuité. Rappelons d’abord que Jean-Paul II a été un pape historique. N’oublions pas l’assassinat raté de la place Saint-Pierre de Rome, le 13 mai 1981. Ni l’extraordinaire soulèvement polonais à l’époque où existait encore l’URSS. Un très grand pape, donc. Arrive Joseph Ratzinger. Il choisit son nom en référence à la lignée des Benoît qui ont essaimé dans l’histoire. Le premier étant le saint patron de l’ordre bénédictin, mais il y en aura d’autres. Je n’en cite que deux. Benoît XIV, le pape dit « des Lumières », avec qui Voltaire avait des relations courtoises. Et Benoît XV qui, durant la Première Guerre mondiale, a répété dans le désert que si Français et Allemands continuaient leur boucherie réciproque, il risquait de se produire en Europe un phénomène terrible. Ce que nous avons vu avec, d’un côté, l’empire totalitaire soviétique, de l’autre, la cicatrice brûlante du totalitarisme hitlérien et finalement le ravage et la destruction de l’Europe. Ce qui m’intéresse, c’est, par exemple, que Benoît XV ait fait une déclaration à propos de Dante en 1921 en rappelant que celui-ci était une des plus hautes autorités poétiques et métaphysiques de la chrétienté. Un Dante que Benoît XVI évoque à son tour dans son livre quand il commente la descente du Christ en enfer. Cette continuité invisible entre les papes est autrement décisive que cette fixation des médias sur les questions sexuelles. Le tintamarre permanent qui se fait autour de l’obsession sexuelle (avortement, contraception, chasteté...) nous cache l’essentiel : le rôle décisif de Jean-Paul II dans l’écroulement de l’empire soviétique. Et ce livre passionnant de Benoît XVI sur Jésus de Nazareth.

J.-L. M. - Je souscris à ce que vous dites. J’ajoute que la polémique récurrente sur l’enseignement des papes est peut-être une manière pour nos sociétés d’avouer leurs contradictions. Il suffit que le pape parle pour que des gens qui ne veulent surtout pas être catholiques y voient un reproche personnel. N’est-ce pas une manière de reconnaître son magistère spirituel ? Alors, admettons que nous sommes tous un peu catholiques. Mais revenons à l’essentiel. Les Évangiles décrivent un événement qui n’est autre que la personne du Christ. Tout au long des récits, ses interlocuteurs découvrent tout à coup que celui-là n’est pas comme eux. Comprendre les Évangiles, c’est comprendre pourquoi Jésus a été mis à mort. Car si on s’en tient à une interprétation banale et humaniste du texte, il n’y avait aucune raison de le mettre à mort. Jésus a été mis à mort par des gens qui avaient une bonne raison de le faire. Qu’est-ce qui les a tant scandalisés ? Ce que disait le Christ sur tel ou tel sujet, par exemple la critique du ritualisme des pharisiens partagée par de nombreux rabbins ? Non. Ce qu’ils ne pouvaient admettre, c’est qu’il puisse être le Fils de Dieu. Il accomplit toute la révélation en disant : « Je suis. » (Jean 8 et 12 reprend Exode 3, 14). Il assume le seul nom que Dieu se donne. Voilà la raison pour laquelle il est mis à mort par ceux qui disent que Dieu est trop grand pour s’incarner en un homme, sans imaginer un instant que Dieu a peut-être une autre vision de la transcendance que la nôtre, si humaine. Peut-être, en effet, que du point de vue de Dieu, il n’y a rien de plus grand que de s’incarner. Voilà qui est insupportable pour certains juifs et, d’une certaine manière, pour tout homme. Nous sommes tous convaincus que nous ne méritons pas que Dieu en fasse autant pour nous. Nous préférons qu’il reste rivé à sa transcendance et nous laisse vaquer à nos petites affaires.

Les interventions du Pape semblent contestées dans l’opinion, y compris chez les catholiques. Ce livre peut-il aider à inverser le phénomène ?

Ph. S. - Nous sommes face à une guerre de désinformation qui déforme tout ce que peut dire tel ou tel pape. Récemment, un article du Nouvel Observateur, repris du journal italien Il Manifesto, affirmait que le Pape avait une vision désespérée de la société. Une vision quasiment wagnérienne du monde. Il serait un admirateur de l’auteur du Crépuscule des dieux, sa culture serait trop allemande, etc. L’article affirmait aussi que, « peu convivial », il restait en tête à tête avec son secrétaire particulier, un Bavarois aux yeux bleus. Nous sommes dans Les Damnés de Visconti. C’est embêtant de désinformer à ce point quand on sait que la première chose qu’a faite ce pape-là, c’est de préciser à quel point il admirait Mozart qu’il jouait constamment au piano. Vous allez me dire : un pape qui joue du Mozart, quelle importance ? Un détail. Certainement pas. Un pape qui joue une sonate de Mozart, voilà qui atteste, de mon point de vue, que Dieu existe.

J.-L. M. - L’enjeu d’un livre comme celui-ci est de suggérer aux exégètes que le Christ n’est pas l’homme d’un événement banal, et aux croyants que le Christ n’est ni un exemple, ni un prophète, ni même un saint, mais Dieu, sans autre commentaire. L’originalité radicale du Christ n’est pas de dénoncer la mort et la souffrance, mais le fait de les vaincre par la Résurrection. Ce rappel est un antidote à la culture de mort dans laquelle nous baignons. Ce dont Ratzinger veut nous convaincre dans ce livre, c’est que le Christ n’apporte rien d’autre que lui-même. Il dit : « Je suis le chemin, la vérité, la vie. » Tout ne devient pas possible, mais tout devient réel. Saint Paul le dit :
« Dans le Christ, les promesses de Dieu ont leur oui. » (2 Corinthiens 1, 20).

Le Figaro littéraire du le 24 mai 2007.

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par Philippe Sollers

Pour l’auteur de « Paradis », le pape Benoît XVI signe, avec « Jésus de Nazareth », un ahurissant roman policier et métaphysique.

« Jésus de Nazareth. De Nazareth à Jérusalem »,
par Joseph Ratzinger Benoît XVI,
Rocher, 448 p., 22 euros.


Ce Benoît XVI est étrange : il a compris et vérifié que presque plus personne ne savait qui était exactement son Dieu, pourtant célébré, chaque jour, aux quatre coins de la planète. Il s’est donc mis, avec humilité, au travail, d’où ce deuxième volume, intitulé, lui aussi, « Jésus de Nazareth ». Il suit le personnage principal, depuis sa montée triomphale à Jérusalem, jusqu’à son procès, sa crucifixion et sa résurrection. Il s’ensuit un polar métaphysique ahurissant, le contraire d’un film (et Dieu sait s’il y en a eu sur cette affaire qui occupe les siècles !) parce que vécu de l’intérieur. Le pape lit, raconte, commente avec clarté, il connaît sa Bible et ses Evangiles sur le bout des doigts, aussi à l’aise avec l’hébreu qu’avec le grec, en finit avec le cliché des « juifs déicides », décrit le contexte politique de l’époque, mais pour insister sur le fait que l’événement Jésus ne doit pas être imaginé au passé, mais maintenant, ici, tout de suite. Vous êtes écrasés par l’idée de la mort ? Vous haussez les épaules si on vous parle de « vie éternelle » ? La vie éternelle n’est pas ce qu’on croit :

« L’expression « vie éternelle » ne signifie pas — comme le pense peut-être d’emblée le lecteur moderne — la vie qui vient après la mort, alors que la vie présente est justement passagère et non pas une vie éternelle. « Vie éternelle » signifie la vie elle-même, la vraie vie, qui peut être vécue aussi dans le temps et qui ensuite ne s’achève pas par la mort physique. C’est ce qui nous intéresse : embrasser d’ores et déjà « la vie », la vraie vie, qui ne peut plus être détruite par rien ni par personne. »

Les premiers chrétiens, rappelle le pape, se sont nommés eux-mêmes « les vivants », suivant la parole extraordinaire du Christ rapportée par Jean :

« Qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. »

On voit l’ampleur du blasphème pour tous les amis ou les gestionnaires de la mort. Staline n’avait pas tort de demander « le pape, combien de divisions ? », en ajoutant « à la fin, c’est toujours la mort qui gagne ». Hitler, dans son genre, s’est acharné à prouver qu’il était un grand prêtre déchaîné de la mort. Mais Dieu est « le Vivant », et, contre toute attente, il y a encore des papes. Le dernier en date, très différent de son bienheureux prédécesseur, est un théologien subtil et d’un rare talent narratif. Il n’hésite pas, à propos de la Résurrection, point clé du récit, à parler d’une « mutation décisive ». Le nouveau Temple est le lieu d’une adoration « en esprit et en vérité », et le corps du Ressuscité, qui ne doit plus rien à la biologie, est un saut qualitatif dans le flux des générations humaines. Il ne vient pas du monde des morts, ce n’est ni un « esprit » ni un fantôme, ses manifestations, après sa résurrection, montrent la surprise des témoins qui ne le reconnaissent pas d’abord, mais seulement quand il disparaît (séquence des pèlerins d’Emmaüs, scène inouïe des pécheurs sur la plage). Le pape écrit :

« Il est totalement corporel, et, cependant, il n’est pas lié aux lois de la corporéité, aux lois de l’espace et du temps. »

C’est là où la science ou le simple bon sens crient au délire, mais c’est là aussi que toutes les dérives mystiques ou spiritualistes viennent buter sur un fait matériel d’une totale nouveauté. Et sur quoi vous fondez-vous pour affirmer cette révélation folle qui chemine, presque inaperçue au début, et de plus en plus combattue ensuite ? Oui, sur quoi ? Sur la Parole. Le personnage dit :

« Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas. »

Le pape souligne :

« La parole est plus durable et plus réelle que le monde matériel tout entier. »

Au pays des morts, ici, seule la parole est vivante. Comment un écrivain pourrait-il ne pas sentir ça ? Il fait nuit, nous voyageons le plus souvent entre des massacres et des catastrophes, le Diable veille, son nom est Désespoir, mais personnellement, je trouve bon qu’une petite lumière reste allumée, très longtemps, à Rome, et qu’un vieil homme en blanc continue à méditer son fabuleux polar.

Philippe Sollers, Le Nouvel Observateur du 7 avril 2011.

En résumé : Sollers parle du deuxième tome de « Jésus de Nazareth » sur Radio Vatican

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Jésus de Nazareth. Extraits.

« La vie éternelle, c’est... »

Il y a tout d’abord le verset 3 : « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ. »

Le thème de la « vie » (Zoè) qui, depuis le Prologue (1,4), envahit tout l’Évangile, apparaît nécessairement aussi dans la nouvelle liturgie de l’expiation, qui se réalise dans la Prière sacerdotale. La thèse de Rudolf Schnackenburg, et d’autres, selon laquelle ce verset serait un ajout ultérieur parce que la parole « vie » en Jean 17 ne revient plus par la suite, a, à mon avis, son origine — tout comme la distinction des sources dans le chapitre sur le lavement des pieds — dans cette logique académique qui adopte comme critère la forme de composition d’un texte élaboré de nos jours par les savants pour évaluer les façons si diverses de parler et de penser que nous trouvons dans l’Évangile de Jean.

L’expression « vie éternelle » ne signifie pas — comme pense peut-être d’emblée le lecteur moderne — la vie qui vient après la mort, alors que la vie présente est justement passagère et non pas une vie éternelle. « Vie éternelle » signifie la vie elle-même, la vraie vie, qui peut être vécue aussi dans le temps et qui ensuite ne s’achève pas par la mort physique. C’est ce qui nous intéresse : embrasser d’ores et déjà « la vie », la vraie vie, qui ne peut plus être détruite par rien, ni par personne.

Cette signification de la « vie éternelle » apparaît de façon très claire dans le chapitre sur la résurrection de Lazare : « Qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais » (Jn 11,25s.). « Vous verrez que je vis et vous aussi, vous vivrez », dit Jésus au cours de la dernière Cène (Jn 14,19), montrant par là encore une fois que ce qui caractérise le disciple de Jésus c’est qu’il « vit » — donc, qu’au-delà du simple fait d’exister, il a trouvé et embrassé la vraie vie, celle que tous recherchent. Selon ces textes, les premiers chrétiens se sont simplement appelés « les vivants » (hoi zontes). Ils avaient trouvé ce que tous cherchent : la vie elle-même, la vie pleine et donc indestructible.

Mais comment est-il possible de parvenir à cela ? La Prière sacerdotale donne une réponse peut-être surprenante, mais qui, dans le contexte de la pensée biblique était déjà en préparation : l’homme trouve la « vie éternelle » par la « connaissance » — supposant par là le concept vétéro-testamentaire de « connaître », selon lequel connaître crée une communion —, c’est ne faire qu’un avec ce qui est connu. Mais naturellement ce n’est pas n’importe quelle connaissance qui est la clé de la vie, mais bien le fait « qu’ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (17,3). C’est une espèce de formule synthétique de la foi, dans laquelle apparaît le contenu essentiel de la décision d’être chrétiens — la connaissance qui nous est donnée par la foi. Le chrétien ne croit pas à une multitude de choses. Au fond, il croit simplement en Dieu, il croit qu’il existe seulement un seul et vrai Dieu.

Ce Dieu, cependant, se rend accessible en celui qu’il a envoyé, Jésus Christ : dans la rencontre avec lui a lieu cette connaissance de Dieu qui devient communion et qui de ce fait devient « vie ». Dans la double formule — « Dieu et celui qu’il a envoyé » — peut se faire entendre l’écho de ce qui revient de nombreuses fois surtout dans les oracles du Seigneur du Livre de l’Exode : ils doivent croire en « moi » — en Dieu — et en Moïse, son envoyé. Dieu montre son visage dans l’envoyé — en définitive dans son Fils.

La « Vie éternelle » est donc un événement relationnel. L’homme ne l’a pas acquise tout seul, pour lui seulement. Par sa relation avec celui qui est lui-même la vie, l’homme devient aussi un vivant. Des étapes préparatoires de cette pensée profondément biblique peuvent être retrouvées également chez Platon, qui a accueilli dans son oeuvre des traditions et des réflexions très diverses sur le thème de l’immortalité Ainsi se trouve chez lui aussi l’idée selon laquelle l’homme peut devenir immortel en s’unissant lui-même à ce qui est immortel. Plus il accueille en lui la vérité, plus il se lie à la vérité et y adhère, plus il vit en référence à cela et il est comblé par ce qui ne peut être détruit. Dans la mesure où, pour ainsi dire, il s’attache lui-même à la vérité, dans la mesure où il est soutenu par ce qui demeure, il peut être sûr de la vie après la mort — d’une vie pleine du salut.

Ce qui est cherché ici comme à tâtons, apparaît dans une magnifique clarté dans la parole de Jésus. L’homme a trouvé la vie, quand il s’attache à celui qui est lui-même la vie. Alors beaucoup de choses peuvent être détruites en lui. La mort peut l’enlever de la biosphère, mais la vie qui la transcende, la vraie vie, celle-là demeure. L’homme doit s’introduire dans cette vie que Jean, la distinguant du bios, appelle zoè. C’est la relation avec Dieu en Jésus Christ qui donne cette vie qu’aucune mort n’est en mesure d’enlever.

Il est évident que par ce « vivre en relation », c’est un mode d’existence bien concret que l’on entend ; il faut comprendre que foi et connaissance ne sont pas n’importe quel savoir présent dans l’homme parmi d’autres choses, mais qu’ils constituent la forme de son existence. Même si, à ce point, il n’est pas question de l’amour, il est toutefois évident que la « connaissance » de celui qui est l’amour même, devient amour dans toute l’étendue de son don et de son exigence.

« Jésus de Nazareth. De Nazareth à Jérusalem »,
par Joseph Ratzinger Benoît XVI,
Rocher, p. 105-108.

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Ce qui est jeu dans la Résurrection de Jésus


Le Caravage, L’incrédulité de saint Thomas, 1602. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

« Mais si le Christ n’est pas ressuscité, vide alors est notre message, vide aussi votre foi. Il se trouve même que nous sommes des faux témoins de Dieu, puisque nous avons attesté contre Dieu qu’il a ressuscité le Christ » (l Co 15,14s.). Par ces paroles, saint Paul souligne de manière radicale toute l’importance pour l’ensemble du message chrétien qu’a la foi en la Résurrection de Jésus Christ : elle en est le fondement. La foi chrétienne tient par la vérité du témoignage selon lequel le Christ est ressuscité des morts, ou bien elle s’effondre.

Si on supprime cela, il est certes possible de recueillir de la tradition chrétienne un certain nombre d’idées dignes d’attention sur Dieu et sur l’homme, sur l’être de l’homme et sur son devoir être — une sorte de conception religieuse du monde —, mais la foi chrétienne est morte. Jésus, dans ce cas, est une personnalité religieuse qui a échoué ; une personnalité qui, malgré son échec, demeure grande et peut s’imposer à notre réflexion, mais cette personnalité demeure dans une dimension purement humaine et son autorité ne vaut que dans la mesure où son message nous convainc. Il n’est plus lui-même le critère de référence ; le critère est alors seulement notre appréciation personnelle qui choisit ce qui lui est utile, à partir de ce qu’elle a reçu. Et cela signifie que nous sommes abandonnés à nous-mêmes. Notre appréciation personnelle est l’ultime instance.

Seulement si Jésus est ressuscité, quelque chose de véritablement nouveau s’est produit qui change le monde et la situation de l’homme. Lui, Jésus, devient alors le critère, sur lequel nous pouvons nous appuyer. Car Dieu s’est alors vraiment manifesté.

Voilà pourquoi, dans notre recherche sur la figure de Jésus, la Résurrection est le point décisif [4]. Que Jésus n’ait existé que dans le temps passé ou qu’au contraire, il existe encore dans ce temps présent — cela dépend de la Résurrection. Dans le « oui » ou le « non » donné à cette interrogation, on ne se prononce pas sur un simple événement parmi d’autres, mais sur la figure de Jésus comme telle. [...]

Dans l’histoire tout entière de ce qui vit, les débuts des nouveautés sont petits, presque invisibles — ils peuvent être ignorés. Le Seigneur lui-même a dit que le « Royaume des cieux », en ce monde, est comme un grain de sénevé, la plus petite de toutes les semences (cf. Mt 13,31 s. et par.). Mais il porte en lui les potentialités infinies de Dieu. La Résurrection de Jésus, du point de vue de l’histoire du monde, est peu voyante, c’est la semence la plus petite de l’histoire.

Ce retournement des proportions fait partie des mystères de Dieu. En fin de compte, ce qui est grand, puissant, c’est ce qui est petit. Et la petite semence est la chose vraiment grande. Ainsi la Résurrection est entrée dans le monde, seulement à travers quelques apparitions mystérieuses aux élus. Et pourtant, elle était le début vraiment nouveau — ce dont, en secret, le tout était en attente. Et, pour les quelques témoins — justement parce que eux-mêmes n’arrivaient pas à s’en convaincre — c’était un événement tellement bouleversant et réel, tellement puissant dans sa manifestation devant eux, que tous les doutes fondaient et qu’alors, avec un courage absolument nouveau, ils se présentèrent au monde pour témoigner : le Christ est vraiment ressuscité.

« Jésus de Nazareth. De Nazareth à Jérusalem »,
par Joseph Ratzinger Benoît XVI,
Rocher, p. 275-276 et 281-282.

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Résumé : la nature de la Résurrection et sa signification historique


Mantegna, La Résurrection du Christ, gravure. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Demandons-nous maintenant encore une fois, de façon résumée, de quel genre a été la rencontre avec le Seigneur ressuscité. Les distinctions suivantes sont importantes :

Jésus n’est pas quelqu’un qui est revenu à la vie biologique ordinaire et qui par la suite, selon les lois de la biologie, devait un jour ou l’autre mourir de nouveau.

Jésus n’est pas un fantôme (un « esprit »). Cela veut dire qu’il n’est pas quelqu’un qui, en réalité, appartient au monde des morts, même s’il lui est possible de se manifester de quelque manière dans le monde de la vie.

Les rencontres avec le Ressuscité sont pourtant quelque chose qui diffère aussi des expériences mystiques, dans lesquelles l’esprit humain est un moment soulevé au-dessus de lui-même et où il perçoit le monde du divin et de l’éternel, pour revenir ensuite à l ’horizon normal de son existence. L’expérience mystique est un dépassement momentané du domaine de l’âme et de ses facultés perceptives. Mais ce n’est pas une rencontre avec une personne qui, de l’extérieur s’approche de moi. Paul a très clairement fait la distinction entre ses expériences mystiques — comme par exemple son élévation jusqu’au troisième ciel décrite en 2 Corinthiens 12,1-4 — et sa rencontre avec le Ressuscité sur le chemin de Damas, qui était un événement dans l’histoire, une rencontre avec une personne vivante.

À partir de tous ces renseignements bibliques, que pouvons-nous véritablement dire maintenant sur la nature particulière de la Résurrection du Christ ?

C’est un événement qui fait partie de l’histoire et qui, pourtant, fait éclater le domaine de l’histoire et va au-delà de celle-ci.

Nous pourrions peut-être utiliser ici un langage analogique qui, sous de multiples aspects demeure inadéquat, mais qui peut toutefois nous ouvrir un accès à la compréhension. Nous pourrions (comme nous l’avons déjà fait auparavant dans la première section de ce chapitre)

considérer la Résurrection comme quasiment une sorte de saut qualitatif radical par lequel s’ouvre une nouvelle dimension de la vie, de l’être homme.
Bien plus, la matière elle-même est transformée en un nouveau genre de réalité. Désormais, avec son propre corps lui-même, l’homme Jésus appartient aussi et totalement à la sphère du divin et de l’éternel.

À partir de ce moment — dit un jour Tertullien —, « l’esprit et le sang » ont leur place en Dieu (cf. De resurrect. mort. 51,3 : CC lat. II 994). Même si l’homme, selon sa nature, est créé pour l’immortalité, le lieu où son âme immortelle trouve un « espace » n’existe que maintenant, et c’est dans cette « corporéité » que l’immortalité acquiert sa signification en tant que communion avec Dieu et avec l’humanité tout entière réconciliée. Les Lettres de Paul adressées depuis sa captivité aux Colossiens (cf. 1,12-23) et aux Éphésiens (cf. 1,3-23) entendent cela quand elles parlent du corps cosmique du Christ, indiquant par là que le corps transformé du Christ est aussi le lieu où les hommes entrent dans la communion avec Dieu et entre eux et peuvent ainsi vivre définitivement dans la plénitude de la vie indestructible. Étant donné que nous-mêmes n’avons aucune expérience de ce genre renouvelé et transformé de matérialité et de vie, nous ne devons pas être étonnés du fait que cela dépasse complètement ce que nous pouvons imaginer.

L’essentiel est le fait que, dans la Résurrection de Jésus, il n’y a pas eu la revitalisation d’un mort quelconque à un moment quelconque, mais que, dans la Résurrection, un saut ontologique a été réalisé. Ce saut concerne l’être en tant que tel et ainsi a été inaugurée une dimension qui nous intéresse tous et qui a créé pour nous tous un nouveau milieu de vie, de l’être avec Dieu.

Partant de là, il nous faut aussi affronter la question concernant la Résurrection en tant qu’événement historique. D’un côté, nous devons dire que l’essence de la Résurrection se trouve justement dans le fait qu’elle brise l’histoire et qu’elle inaugure une nouvelle dimension que nous appelons communément la dimension eschatologique. La Résurrection fait entrevoir l’espace nouveau qui ouvre l’histoire au-delà d’elle-même et crée le définitif. En ce sens, il est vrai que la Résurrection n’est pas un événement historique du même genre que la naissance ou le crucifiement de Jésus. C’est quelque chose de nouveau. Un genre nouveau d’événement. Il faut pourtant, en même temps, prendre acte du fait que celle-ci n’est pas simplement hors de l’histoire et au-dessus d’elle. En tant qu’éruption hors de l’histoire en la dépassant, la Résurrection commence toutefois dans l’histoire elle-même et elle lui appartient jusqu’à un certain point. On pourrait peut-être exprimer cela de cette manière : la Résurrection de Jésus va au-delà de l’histoire, mais elle a laissé son empreinte dans l’histoire. C’est pourquoi elle peut être attestée par les témoins comme un événement d’une qualité entièrement nouvelle.

De fait, l’annonce apostolique avec son enthousiasme et son audace est impensable sans un contact réel des témoins avec le phénomène totalement nouveau et inattendu qui les atteignait de l’extérieur et consistait dans la manifestation et l’annonce du Christ ressuscité. Seul un événement réel d’une qualité radicalement nouvelle était en mesure de rendre possible l’annonce apostolique, qui ne peut être expliquée par des spéculations ou des expériences intérieures mystiques. Dans son audace et sa nouveauté, cette annonce prend vie de la force impétueuse d’un événement que personne n’avait pu concevoir et qui dépassait toute imagination.

« Jésus de Nazareth. De Nazareth à Jérusalem »,
par Joseph Ratzinger Benoît XVI,
Rocher, p. 307-310.

D’autres extraits du livre : Le mystère du traître - La date de la dernière Cène - Jésus devant Pilate.

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Les Voyageurs du Temps

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Botticelli, La Divine Comédie
Purgatoire Chant I
Dimanche de Pâques, 10 avril 1300, à l’aube

« C’est le jour de Pâques... »

Ici, une scène précise avec Lila, il y a dix ans, à Rome. C’est le jour de Pâques, on est sur une terrasse, il fait très beau. On regarde la télé, le pape vient de terminer son discours traditionnel, bénédiction urbi et orbi, après le mot « ressuscité » proclamé dans toutes les langues. Ce show habituel m’intéresse et m’amuse, l’espace est plein de drapeaux et de fleurs, mais, à ma grande surprise, Lila s’agite soudain et entre en fureur contre ce théâtre. « Ressuscité, ressuscité, dit-elle, tu ne vas quand même pas me dire que tu crois à ces conneries ? » Je ne sais pas, moi, mon visage devait avoir une drôle d’expression, un air idiot ou béat, en tout cas une buée d’adhésion à la connerie en question. Sur le moment, je crois à une petite vague biliaire de Lila, mais non, c’est une vraie colère métaphysique, babines presque retroussées, narines pincées. Contre quoi ? Soutenez-moi, je m’évanouis : contre cette histoire de « résurrection ».

Je plaisante ? Mais non, pas du tout. Lila, à ce moment-là, me soupçonne de croire à l’énorme blague de la résurrection finale des corps. Des corps en général, je n’en ai pas la moindre idée, et d’ailleurs cette perspective d’ensemble, avec jugement à la clé, me semble peu ragoûtante, mais du mien, après tout, pourquoi pas ? Ça l’ennuie d’avoir à mourir, mon corps, il ne se sent pas fait pour ça, mais il paraît que c’est une loi évidente et incontournable, ce dont je doute sourdement, et lui aussi. Pas même besoin d’un dieu pour ça, je ne conçois pas le destin de cette manière, c’est drôle.

Le plus curieux, dans les jours suivants, c’est l’insistance de Lila à revenir sur ce sujet impossible. Elle en reparle plusieurs fois, elle tourne autour, elle veut que je me prononce nettement contre cette folie. Ça la tourmente, ça l’obsède, et, bien entendu, je botte en touche, je la boucle, j’évite toute discussion (de quoi discuter, au fait ?), je change de conversation, ou bien je joue l’indifférence, je me range sans problème du côté de la raison, de la science, des preuves massives de l’Histoire, de ce qu’on voudra. Je redouble même de modestie, d’humilité, de résignation, d’humanisme, d’égalitarisme. Oui, il y a du nous ! Pauvres mortels ! Pauvres de nous ! Millénaires ! Squelettes ! Cendres ! Il fallait naître, chers frères et soeurs, il faut donc mourir. Et mourir à jamais, hein, pas de fables. Place aux suivants, en avant.

Mais c’est justement cette histoire de naissance qui préoccupe mon corps. Les corps humains, désormais, ça se fabrique à la chaîne, et la conception antérieure, même si elle continue à produire et à reproduire, devient de plus en plus décalée et bizarre, comme une vieille escroquerie montant en surface. Le « péché originel » ? Ah non ! vous n’allez pas nous ressortir ce vieux truc obscurantiste. Le Diable d’abord au travail dans les lits, puis dans les cliniques, les seringues, les laboratoires ? Le trafic d’embryons et de mères porteuses ? Le Serpent dans les sentiments ? Le poison dans l’amour ? Arrière, gousse d’ail, crucifix, vampire !

Les Voyageurs du Temps, p. 15-16.

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Botticelli, La Divine Comédie
Le Paradis, Chant X

Dante, dans son Purgatoire, fait courir le bruit que saint Thomas a été empoisonné entre Naples et Lyon. En revanche, il est bel et bien pétrifié en kitsch dix-neuviémiste, à Paris, sur sa place. Mais, miracle, le voici en pleine forme au dixième chant du Paradis, dans le quatrième ciel, celui du Soleil. Il surgit d’une heureuse guirlande de feu. Il parle, il présente ses compagnons de bonheur, savants et docteurs : Albert le Grand (avec qui il est à Paris en 1245), Denys l’Aréopagite, Isidore de Séville, Richard de Saint-Victor, Siger de Brabant (enseignant à Paris rue du Fouarre, soupçonné d’hérésie, et assassiné à Rome par son secrétaire devenu fou, entre 1282 et 1284).

Tout cela est précisément daté du jeudi de Pâques, 14 avril 1300, dans la matinée [5]. Les lignes que je trace ici le sont d’un dimanche de Pâques 23 mars à 10 heures. L’an 1300 est en tout cas plus proche de moi que 1867, et Dante, cela va sans dire, mériterait au moins le boulevard Raspail, plutôt que la petite rue du 5ème arrondissement, dont le prolongement est d’ailleurs la très étrange rue du Fouarre.

Spectres, âmes invisibles, fantômes réels, présences à peine sensibles, je vous poursuis dans ce monde fermé, tristement mortel. Saint Thomas, là-haut, à travers le Paradis enflammé, chante que le sommet sur terre est dans un tel abandon, que « le moisi a remplacé le tartre ». Drôle de tonneau, drôle d’entonnoir. Mais il dit aussi, et je me récite ces vers dans l’église froide et comme abandonnée : « J’ai vu, tout un hiver, l’épine se montrer piquante et presque morte, et porter au printemps la rose à son sommet. » Peut-on aujourd’hui descendre plus bas, plus bestialement entouré de machines et d’écrans, plus à fond dans l’inconscience vivante ? Oui, on peut, on y va. Et pourtant, « la clarté qui déjà nous enrobe sera vaincue en éclat par la chair, qui, pour l’instant, sous la terre est cachée. »

« Et comme vielle et harpe, en tension tempérée
de plusieurs cordes, font un doux tintement
pour qui ne sait d’où vient la note,
ainsi, des lumières qui m’apparaissaient là,
une mélodie s’épanchait dans la croix
qui me ravissait, sans que j’entende l’hymne.
Je compris que c’était un chant de louange ;
car les mots « Resurgi » et « Vinci » me venaient
comme à quelqu’un qui entend sans comprendre. »
(Dante, Le Paradis, Chant XIV)
 [6]

Résurrection ? Un grand rire envahit le quartier tout entier, mais je suis seul à l’entendre. L’église s’en fout, les salles paroissiales aussi, la régie immobilière encore plus, et plus encore le grand magasin de mode. Quant au complexe militaire, Dieu sait pourquoi, il se met à sonner de toutes ses forces, des caméras ont dû se détraquer quelque part. Sirènes hurlantes et silence. Dante parle ensuite d’une croix de feu ou de foudre, environnée d’un hymne où il perçoit les mots suivants : « Sois vainqueur ! Ressuscite ! » Au chant 29, il passe de la matinée du 14 avril 1300 à l’après-midi, et puis, jusqu’à la fin, au chant 33 du Paradis, hors du temps et de l’espace. J’ai l’air malin, moi, ici, dans le temps bouclé et l’espace restreint de cette petite place. Dirai-je que, « dans la langue qui est la même pour chacun » (étrange expression), « je m’offre de tout coeur en holocauste à Dieu » ? Mais il faudrait, pour cela, que Dieu soit là, et que saint Thomas me parle en direct. C’est pourtant, en un sens, ce qu’il vient de faire.

Les Voyageurs du Temps, p. 26-28.

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Botticelli, La Divine Comédie
Le Paradis, Chant XXXII
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« Sans Bach, la théologie serait dépourvue d’objet,
la Création fictive, et le néant péremptoire ;
s’il y a quelqu’un qui doit tout à Bach, c’est bien Dieu. »
Emil Cioran, Syllogismes de l’amertume.

« Que le christianisme soit prouvé par Bach, c’est l’évidence. »
Philippe Sollers, Triomphe de Bach.

Le vieux Bach

Voyez maintenant ce personnage un peu voûté, arrivant un soir de neige, au château de Sans-Souci, chez Frédéric de Prusse. Ce dernier est à table, entouré de ses convives habituels, emperruqués très libres d’esprit, en train de débiter des blasphèmes. Soudain, un laquais s’approche du roi et lui murmure quelque chose à l’oreille. Le monarque se lève, obligeant tout le monde à en faire autant, et laisse seulement tomber : « Messieurs, le vieux Bach est arrivé. »

On le met tout de suite au clavecin, le vieux Bach, peu importe qu’il soit crevé ou malade. Le roi l’admire et le jalouse, il se veut lui-même musicien et flûtiste, il compose des bagatelles qu’il faut louer à l’excès. « Vous m’écrirez bien un menuet, vieux Bach ? — Certainement, Sire. — Mais jouez-nous quelque chose de votre invention. »
Le vieux Bach s’exécute, il sait qu’il n’est pas là mais dans deux siècles ou plus, il se fout éperdument de savoir s’il y aura ou pas des oreilles pour l’entendre. Il joue la chose même . Concentré sur son clavier, il est évident qu’ il prie , mais qui ? Quoi ? Le royaume des notes sensibles, les mathématiques discrètes. Ça ne commence pas, ça ne finit pas, ça coule de source rythmique, une fois parti il pourrait continuer toute la nuit. Le roi trouve qu’il exagère, fait trop entendre les notes, emploie trop de notes, les fugues l’ennuient, c’est trop compliqué, élitiste, et puis la virtuosité du vieux est gênante, insultante, il est soit trop lent, soit trop rapide, la musique pour la musique, bon, ça va.

On ne voit d’ailleurs pas où il veut en venir, ces volutes ne mènent nulle part, rien pour la danse en société, rien non plus pour les défilés, rien pour la promenade champêtre. Le voilà de nouveau lancé à toute allure, le vieux salopard, est-ce qu’il ne défie pas sournoisement notre autorité, est-ce qu’il n’essaie pas de nous surplomber avec sa posture de squelette volant arrimé ? Il paraît qu’il croit en Dieu, ce vieux fou de nombres, on dit même qu’il a composé une messe catholique , à la gloire de l’Infâme, où on entend distinctement « et unam sanctam catholicam et apostolicam ecclesiam » [7]. Mais là, ce soir, il en fait trop, beaucoup trop, avec sa mort bien tempérée pour oiseaux et touches. « Bon, ça suffit, vieux Bach, vous avez mangé ? — Pas depuis hier, Sire. — Allez aux cuisines et dormez. Mon menuet pour demain, n’est-ce pas ? — Mais certainement, Sire. »

Cela n’est jamais dit, mais le petit Bach a été un enfant particulièrement joueur, espiègle, effronté, fugueur. En dehors de sa passion précoce pour la musique et de son sérieux aux offices, on l’a beaucoup vu courir dans la campagne, aux environs d’Eisenach. Qui ne l’a pas observé démarrer, détaler, s’envoler, s’arrêter brusquement, repartir comme un dératé, s’allonger les bras en croix dans l’herbe, se relever, courir à perdre haleine, puis s’asseoir et méditer longuement, avant de reprendre ses virevoltes qui ont tant inquiété sa mère, ne peut rien comprendre à sa façon de tempérer, ou plus exactement de temper . Régler la tempête et cette atroce histoire de crucifixion, ressusciter les spirales, voilà le voyage. Et c’est bien ce qui assombrit le visage du roi : la joie étourdissante et enfantine, là, du vieux Bach, sur laquelle le temps n’a aucune prise, sa prière ininterrompue, son mouvement d’adoration perpétuelle, bref son amour.

Les Voyageurs du Temps, p. 134-136.

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1. Agnus dei (Die h-Moll-Messe - Messe en B minor BWV 232)

La Messe en si, commencée en 1724, fut achevée en 1749, un an avant la mort de Bach [8].

Alfred Deller, Leonhardt Baroque Ensemble

Enregistré en mai 1954.
Avec Eduard Melkus, Marie Leonhardt - Violons baroques
Kurt Theiner, Alice Hoffelner - Violes baroques
Nikolaus Harnoncourt - Violoncelle baroque
Alfred Planiawsky - Basse baroque
Gustav Leonhardt - Orgue et direction.

Sollers écrit dans Illuminations (2003) [9] :

Prenons à présent l’exemple d’un des plus grand héros du XXe siècle, qui, à lui seul, a fait une percée illuminante dans l’organisation de l’oubli : Alfred Deller, né à Margate le 31 mai 1912, mort, à l’âge de soixante-sept ans, à Bologne le 16 juillet 1979. Avec lui, le fait que la musique soit au coeur du texte, dans son rythme, et sa modulation, devient bouleversant d’évidence. [...]
D’Alfred Deller, Gustav Leonhardt dit : « C’était un homme très gai qui n’aimait pas travailler. Pas une fois, en dehors d’une improvisation, basée uniquement sur le tempo, je ne l’ai entendu vocaliser. Il passait son temps à lire. Il ne cherchait d’ailleurs pas à émouvoir l’auditoire par sa voix, mais par les textes qu’il interprétait. Depuis, je n’ai jamais entendu un chanteur exprimer si clairement le sens des mots. Deller n’était pas seulement un grand chanteur, mais un artiste extraordinaire de naturel. »

Deller, Purcell, Shakespeare, sainte trinité : Music for a while

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2. Le clavecin bien tempéré

[...] Deux siècles après la mort du vieux Bach (pas si vieux, à 65 ans), un pianiste canadien génial, Glenn Gould, l’écoute de plus en plus près et en profondeur, le  crible  [...]. C’est la perfection. A l’entendre, dans certains moments lents, avant qu’il se lance dans l’espace à pic, il est évident qu’il  prie  lui aussi. Qui ? Quoi ? Son corps d’univers libre à travers les notes. "Les sens bondissent dans la pensée", dit Maître Eckhart, et c’est vrai.

Les Voyageurs du Temps, p. 137.

Glenn Gould interprète Le clavecin bien tempéré.

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3. Christ lag in Todesbanden
(Le Christ gisait dans les liens de la mort)

Cette cantate pour le jour de Pâques a été composée en 1707 à Mühlhausen (Bach n’a alors que vingt-deux ans). Elle a probablement été achevée en 1708, puis révisée pour son exécution à Leipzig en 1724 et 1725, avec l’ajout — entre autres — d’une partie de trombone. Le choral final a été ajouté pour l’exécution de 1725. On notera que les cantates de Bach ont été jouées dans plusieurs églises de Leipzig dont l’église... Saint Thomas [10].

Dans son article « L’image de la mort et de la Résurrection du Christ dans la cantate BWV 4 de Jean-Sébastien Bach », Bruno Moysan essaie « de montrer dans quelle mesure la Cantate BWV 4, dans ses différents procédés musicaux de mise en valeur du texte, propose une interprétation, elle aussi théologique, du mystère de Pâques qui fait de la lecture musicale de Bach une variable essentielle du discours sur la mort et la Résurrection du Christ issu de la séquence médiévale. » Dans son introduction, il décrit la cantate de la façon suivante :

« La Cantate BWV 4 de Bach a pour destination la férié de la fête de Pâques. Centrée sur la résurrection, elle commence par une évocation du Samedi Saint Christ lag in Todesbanden, jour d’absence, pour les apôtres et pour l’humanité, où Dieu fait homme partage notre condition jusqu’à la réalité physique et plus encore spirituelle de la Mort. Le reste de l’oeuvre est consacré à la résurrection du Christ dans ses différentes relations avec le sacrifice de la Croix et l’eucharistie. Construite à partir du choral de Luther Christ lag in Todesbanden, elle reprend, en raison de l’origine même du choral, un matériau plus ancien : la séquence médiévale Victimae paschali laudes (ca. 1040) et le cantique allemand Christ ist erstanden (XIIe siècle). Plusieurs siècles de méditations théologiques sur le mystère pascal sont donc sédimentés dans la composition de Bach. » [11]

Voici la cantate BWV 4 interprétée par Nikolaus Harnoncourt (Direction). Enregistrée en 1971.
Avec Paul Esswood (alto), Kurt Equiluz (tenor), Max van Egmond (basse), Petits Chanteurs de Vienne, Chorus Viennisis, Orch. Concentus Musicus de Vienne.


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Bach, baptisé luthérien dans l’église même où Luther avait prononcé sa première allocution pour la Réforme [12], est incompréhensible si on ignore l’influence majeure du luthéranisme dans l’Allemagne de la Réforme et la place prépondérante que Luther accordait à la musique.

Les versets de Luther (1524)

(Texte français et adaptation : Georges Pfalzgraf, 2006).

« Initialement publié en 1524, l’hymne de Luther restitue avec vivacité les événements de la Passion du Christ et de sa Résurrection, dépeignant à la fois les épreuves physiques et spirituelles que le Christ dut affronter pour pouvoir libérer l’homme du poids du péché. » Dans sa préface au Gesangbuch (Livre de chant ) de Babst (1545), Luther soutenait que « Dieu a réjoui notre coeur et notre conscience en envoyant son Fils bien-aimé pour nous sauver du péché, de la mort et du démon. Que ceux parmi nous qui croient ardemment en cela prennent courage et aspirent à chanter dans la joie afin que chacun les entende et y prête attention. »

John Eliot Gardiner, 2007 d’après le journal tenu durant le « Bach Cantata Pilgrimage » [13].

Voici la cantate BWV 4 interprétée, en 2021, par John Eliot Gardiner
Monteverdi choir
The English Baroque Solists

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Christ lag in Todes Banden
Für unsre Sünd gegeben,
Er ist wieder erstanden
Und hat uns bracht das Leben ;
Des wir sollen fröhlich sein,
Gott loben und ihm dankbar sein
Und singen halleluja,
Halleluja !

Den Tod niemand zwingen kunnt
Bei allen Menschenkindern,.
Das macht’ alles unsre Sünd,
Kein Unschuld war zu finden.
Davon kam der Tod so bald
Und nahm über uns Gewalt,
Hielt uns in seinem Reich gefangen..
Halleluja !

Jesus Christus, Gottes Sohn,
An unser Statt ist kommen
Und hat die Sünde weggetan,
Damit dem Tod genommen
All sein Recht und sein Gewalt,
Da bleibet nichts denn Tods Gestalt,
Den Stach’l hat er verloren.
Halleluja !

Es war ein wunderlicher Krieg,
Da Tod und Leben rungen,
Das Leben behielt den Sieg,,
Es hat den Tod verschlungen.
Die Schrift hat verkündigt das,
Wie ein Tod den andern fraß,
Ein Spott aus dem Tod ist worden.
Halleluja !

Hier ist das rechte Osterlamm,
Davon Gott hat geboten,
Das ist hoch an des Kreuzes Stamm
In heißer Lieb gebraten,
Das Blut zeichnet unsre Tür,
Das hält der Glaub dem Tode für,
Der Würger kann uns nicht mehr schaden.
Halleluja !

So feiern wir das hohe Fest
Mit Herzensfreud und Wonne,
Das uns der Herre scheinen läßt,
Er ist selber die Sonne,
Der durch seiner Gnade Glanz
Erleuchtet unsre Herzen ganz,
Der Sünden Nacht ist verschwunden..
Halleluja !

Wir essen und leben wohl
In rechten Osterfladen,
Der alte Sauerteig nicht soll
Sein bei dem Wort Gnaden,
Christus will die Koste sein
Und speisen die Seel allein,,
Der Glaub will keins andern leben..
Halleluja !

Christ fut captif de la mort
pour nos péchés, nos fautes !
Espoir et grand réconfort,
le Christ vivant les ôte !
C’est pourquoi soyons joyeux,
d’un même coeur louons Dieu !
Chantez tous : Alléluia.
Alléluia !

Nul n’a pu vaincre la mort
chez nous et tous les hommes,
et quels que soient leurs efforts
dans leurs nombreux royaumes !
C’est le fruit de nos péchés,
le manque de vérité :
la mort partout a régné !
Alléluia !

Jésus le Christ, Fils de Dieu,
vint nous offrir son aide.
Dans son pouvoir prodigieux
réside le remède :
Prenant sur lui nos péchés,
il nous a tous rachetés,
la mort n’a plus que l’aspect.
Alléluia !

Dans un étrange combat
Vie et Mort s’affrontèrent ;
la Vie, le Christ, l’emporta
pour qu’en lui tous espèrent.
L’Ecriture l’avait dit :
Dieu restera notre ami ;
sur lui nul n’a le dessus !
Alléluia ! [14]

Christ est notre Agneau pascal,
le chef qu’il nous faut suivre.
Lui seul nous sauve du mal
et par son sang fait vivre.
La Mort, l’ange destructeur,
ne sème plus la terreur.
Chantons tous notre bonheur.
Alléluia ! [15]

Ensemble nous célébrons
du fond du coeur la fête.
Seul du Seigneur vient ce don
pour notre joie parfaite.
Christ est pour nous le soleil
par son éclat sans pareil :
à notre nuit il met fin !
Alléluia !

Mangeons tous le nouveau pain
en célébrant les Pâques.
Gardons nous du vieux levain
qui fait lever la pâte.
Eloignons l’impureté
et toute méchanceté
en Christ le Ressuscité !
Alléluia !

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La Résurrection de Mantegna

Andrea Mantegna, La Résurrection, 1457-1459 [16].
ZOOM : cliquer sur l’image

« ... vous allez à Tours, au musée des Beaux Arts, voir La Résurrection de Mantegna (1431-1506), peinture sur bois qui,  avec le temps , est une des représentations les plus extravagantes de tous les temps.
Voici un tombeau-caverne, avec des arbres plantés dans le roc. Des types sont affalés à l’entrée : un Juif, bien sûr, pour qui il s’agit d’une très mauvaise nouvelle, et des gardes romains renversés d’ahurissement. Des chérubins blancs planent à droite et à gauche du Ressuscité, des séraphins rouges à sa droite. Ce sont des cellules ou des ganglions d’un nouveau genre, sorte de double hélice ADN entourant ce corps rayonnant, pied gauche sur le rebord du sépulcre ouvert, fanion dans la main gauche avec croix au sommet (blanc et croix rouge), main droite bénissante, sortie de la mort, donc, mais pour qui  ?

Il n’y a ici que vous et lui, et, sous-entendu et sous-visible, le peintre. C’est un autoportrait.
Mantegna peint avec une précision extatique. Cinq siècles après, dans une petite ville de province française, c’est comme si vous étiez à Lhassa, et beaucoup mieux qu’à Lhassa. »

Les Voyageurs du Temps, p. 183-184.

La Résurrection de Mantegna apparaît dans le film de Georgi Galabov et Sophie Zhang, Vers le Paradis, et, également, en plan resserré, au tout début de Vita Nova, le film de Marcelin Pleynet et Florence D. Lambert (à 3’57, juste après une séquence du début du film d’Alain Resnais Nuit et brouillard). Il ne faut pas s’en étonner.

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Nouvelle liberté de pensée

Je lis dans Nouvelle liberté de pensée, le journal de l’année 2001 de Marcelin Pleynet, à la date du week-end de Pâques (Marciana, 2011, p. 118-120) :

Paris, samedi 14 avril

« Car ils ne comprenaient pas encore que, selon l’Écriture, Jésus devait ressusciter des morts. Et les disciples s’en retournèrent chez eux. » Jean, 20, 9/10 (trad. Segond).

« Ils ne comprenaient pas encore l’écrit selon lequel il devait se relever d’entre les morts. Les adeptes s’en vont donc chez eux. » (trad. Chouraqui)... « Ils ne comprenaient pas encore l’écrit » est admirable !

Que faire avec sa mort, si l’on n’entend pas qu’il faut se relever d’entre les morts ?

*

Ce matin, Bach, la Passion selon saint jean, architecture baroque qui impose une rigoureuse symétrie — ABCD-E-DCBA —, qui emporte dans son élévation, dans !’effervescence affective et « passionnée » de son élévation ... 1724, Bach a 39 ans. C’est lui qui parle, qui traverse cette bouleversante pensée. Je sais peu de chose du texte, vraisemblablement composite. On suppose que c’est Bach lui-même qui rédigea les arias et choisit les chorals. Pour le reste, emprunts, librement traités, à un livret déjà mis en musique par Telemann et Haendel. J’y relève, dans le récit de la condamnation et de la crucifixion :

C’est par ton emprisonnement, Fils de Dieu
Que nous vient la liberté [que nous sommes libres]
Ta prison est un trône divin
L’asile des hommes pieux
Parce que si tu n’acceptais pas l’esclavage
Nous ne serions jamais libres.

Puis, en conclusion de la mort du Christ :

Le héros de Judée est finalement victorieux
Et terminé le combat, il est accompli.

Qu’en est-il de cette passion musicale, de ce chant ? Sommes-nous, ne devrions-nous pas être à même de nous demander qui est ce fils de dieu ? Qu’est-ce qui l’incarne désormais pour nous, et justifie la présence vibrante de cette musique, qui occupe une heure durant tout le volume de l’atelier ?

Paris, dimanche 15 avril

Retransmission télévisée de la messe de Pâques à Saint-Pierre de Rome. La caméra s’attarde sur Jean-Paul II, dont la vie ne semble plus tenir qu’à un fil... Où est-il cet homme que l’on voit maintenant franchir la porte d’un confessionnal pour entendre... quoi ? Où est-il dans cette absence qui traverse l’image pour un destin... une destination connue ?

Dans l’agenda de la Pléiade, au jour du 15 avril, une citation des Illuminations de Rimbaud : « J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse. »

Et si ce très vieil homme qui ne tient plus qu’à peine debout pouvait se réciter cela, le penser comme le propre de son destin. Si cette vie fut ce qu’elle est, pourquoi ne pas lui supposer une pensée pour tout autre impensable ?

*

Dîner hier chez Marc et Jacqueline Felman, en compagnie de Henri Meschonnic et de son épouse. Il vient de publier chez Desclée de Brouwer une nouvelle traduction des Psaumes qu’il a intitulée Gloire — ce qu’il justifie curieusement en prenant garde de se distinguer de Saint-John Perse, et pour vraisemblablement ne pas reprendre la traduction de Chouraqui, Tehilim : « Louanges ».

Il vient de donner un article à La Vie catholique, qui l’a publié en le présentant comme : Henri Meschonnic, « poète juif ».

Pourquoi le personnel et le clergé catholiques seraient-ils aujourd’hui en meilleur état que le clergé laïque ? Ce soir, dans une émission de bavardage télévisuel, un évêque s’efforce de se mettre au diapason de ses interlocuteurs, clowns patentés du spectacle... et il y réussit.

Phénomène propre à ce XXIe siècle, la pensée, ce qui se pense, n’est manifestement plus portée par les hommes, elle les traverse comme des ombres... comme les images télévisées avec lesquelles ils se confondent. Et dès qu’une de ces ombres tend à prendre un peu d’épaisseur, elle est écartée.

Paris, lundi 16 avril

Éloge de l’infini, « Naissance, Mort », entretien (publié dans le journal de psychiatrie) que je ne me souviens pas avoir déjà lu. Beau et éclairant commentaire d’une intervention de Heidegger sur La Chose (in Essais et Conférences) : « Les mortels sont les hommes, on les appelle mortels, parce qu’ils peuvent mourir. Mourir signifie : être capable de la mort en tant que la mort. Seul l’homme meurt. L’animal périt. La mort comme mort, il ne l’a ni devant lui ni derrière lui. La mort est l’Arche du Rien, à savoir de ce qui, à tous égards, n’est jamais un simple étant, mais qui néanmoins est, au point de constituer le secret de l’être lui-même. [...] En tant qu’Arche du Rien, la mort est l’abri de l’être. » Sollers : « J’ai relu ce texte de Heidegger après avoir écrit Le Secret. En réalité, si j’ai réussi à faire sentir, par l’art du roman, ce qu’est cette "Arche du Rien", cet abri, cette affirmation de la pensée jusque dans la mort, dans cet accès du "pouvoir-la-mort", d’affirmation en quelque sorte, le livre méritait de s’appeler ainsi. »

Projet de Sollers : « Tout penseur qui veut embrasser l’univers doit consentir à se sentir et à devenir un univers de penseurs. » Citation du philosophe tchèque Jean Pàtocka, Éloge de l’infini, p. 231.

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« La résurrection, Madame, lui dit le phénix, est la chose du monde la plus simple ;
il n’est pas plus surprenant de naître deux fois qu’une. Tout est résurrection dans ce monde [...] »

Voltaire, La Princesse de Babylone, 1768.

Quel meilleur triomphe du Temps que l’éternel retour de la Résurrection ?

La Résurrection de Haendel (bis)

C’est un oratorio, sur un livret de Carlo Sigismondo Capece (1652-1728), créé le 8 avril 1708, jour de Pâques, à Rome, au Palais Bonelli, résidence du marquis et futur prince Francesco Maria Ruspoli. A l’époque, l’opéra était interdit dans les États de la papauté et c’est donc sous la forme de l’oratorio que Haendel choisit d’exprimer la passion et la résurrection du Christ. Les femmes n’ayant pas non plus le droit de se produire en public, après la première représentation, le pape exigea que la mezzo-soprano italienne Margherita Durastanti qui sera longtemps l’interprète fidèle de Haendel, soit remplacée par un castrat !
Le Christ n’est pas représenté dans l’oratorio, mais saint Jean, Marie-Madeleine et Marie Cléophas sont témoins de la Résurrection secondés par l’Ange qui s’oppose à Lucifer. Lumières contre ténèbres.

Aria : « Disserratevi o porte d’Averno »

C’est la scène I. L’Ange (Bartoli) s’adresse à Lucifer.

L’Ange demande l’admission aux portes de l’Enfer et déclare que le Christ, bien qu’il soit mort, va maintenant vaincre la Mort, la Culpabilité et la Misère (Morte, Colpa, Pena). Lucifer invoque les puissances de l’Enfer pour s’opposer à lui.

Voici une autre interprétation de Cecilia Bartoli, Mezzo-Soprano.

Orchestre : Les Musiciens du Louvre
Chef d’orchestre : Marc Minkowski
Producteur, producteur d’enregistrement : Christopher Raeburn
Personnel de studio, ingénieur de la balance : Philip Siney
Compositeur : George Frideric Handel
Auteur : Carlo Sigismondo Capece
Collaborateur, rédacteur en chef : Clifford Bartlett

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Reine du Baroque ℗ 2005 Decca Music Group Limited. Sorti le : 27/11/2020.

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« Noli me tangere »

On le sait, mais on l’oublie souvent, c’est une femme, Marie-Madeleine, qui, la première, fut témoin de la Résurrection du Christ.

Les représentations de Marie-Madeleine sont nombreuses dans l’iconographie et la sculpture occidentale (Donatello, Piero della Francesca, Fra Bartolomeo, Bronzino, Le Caravage, Le Pérugin, Le Corrège, Juan de Joanes, Jan van Scorel, etc, etc. [17]) ; l’une des plus belles est sans doute celle du Titien.

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Le Titien, Noli me tangere, 1511-12.
National Gallery, Londres.

Évangile selon Jean, 20, 11-18 :

« Cependant Marie se tenait près du sépulcre, en dehors, versant des larmes ; et, en pleurant, elle se pencha vers le sépulcre ;
Et elle vit deux anges vêtus de blanc, assis à la place où avait été mis le corps de Jésus, l’un à la tête, l’autre aux pieds.
Et ceux-ci lui dirent : "Femme, pourquoi pleures-tu ? » Elle leur dit : « Parce qu’ils ont enlevé mon Seigneur, et je ne sais où ils l’ont mis."
Ayant dit ces mots, elle se retourna et vit Jésus debout ; et elle ne savait pas que c’était Jésus.
Jésus lui dit : "Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? » Elle, pensant que c’était le jardinier, lui dit : "Seigneur, si c’est toi qui l’a emporté, dis-moi où tu l’as mis, et j’irai le prendre."
Jésus lui dit : "Marie !" Elle se retourna et lui dit en hébreu : "Rabboni !" c’est à dire "Maître !"
Jésus lui dit : "Ne me touche point, car je ne suis pas encore remonté vers mon Père. Mais va à mes frères, et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu, et votre Dieu."
Marie-Madeleine alla annoncer aux disciples qu’elle avait vu le Seigneur, et qu’il lui avait dit ces choses. »

La résurrection a eu lieu. Titien peint le Christ en son jardin, avec à la main ce qui pourrait être une petite houe ou, s’il n’y avait anachronisme, une binette. La scène se situe en Italie, ici, maintenant, nous dit Titien. Les habitations le prouvent. Mais la scène se joue aussi dans la peinture même : on trouve le même paysage dans la Vénus endormie de Giorgione, sans doute achevé par... Titien [18]. On a rarement identifié l’arbre du tableau qui prolonge majestueusement le corps du Ressuscité. Un jeune pin, symbole d’immortalité et d’éternité ? Titien en a peint beaucoup de semblables. Cézanne également.

Sollers écrit dans Le paradis de Cézanne :

« Que Marie-Madeleine prenne d’abord le Christ ressuscité pour un jardinier, cela, Cézanne le savait forcément et, comme par hasard, ses derniers tableaux vont tourner autour du jardinier Vallier, le sien, celui de son jardin. Noli me tangere : pas touche ! La seule vraie touche, c’est moi ! Pas de familiarité ou de frôlements se disant innocents ! »

Éloge de l’infini, folio 3806, p. 38.

Relisez maintenant l’avant dernier-chapitre de Légende publié chez Gallimard en mars 2021. Cette fois, Sollers fait appel à Luc et à Matthieu. Ce n’est pas du cinéma.

DÉMONS
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Le cinéma a mis très longtemps à s’emparer de la sexualité supposée du Christ, mais Hollywood veille à tout, et surveille sans cesse le Vatican, capitale obs­ cure des anges et des démons, quand ce n’est pas de Sodome. Le film le plus amusant est, malgré tout, La Dernière Tentation du Christ, où Jésus devient marié et père de famille, en compagnie de la grande énigme de sa vie fascinante, Marie-Madeleine. On sait qu’il était suivi d’un grand nombre de femmes, d’où le succès futur. Saint Luc, dans son Évangile, lâche une information cruciale : Marie-Madeleine, parmi beaucoup d’autres, avait été « guérie ». « Marie, appelée la Magdaléenne de laquelle étaient sortis sept démons. »

Vous vivez plus de deux mille ans après ces histoires, mais vous aimeriez en savoir davantage sur ces démons. Ils sont très bizarres, vivent dans des tombeaux, sont doués d’une force surhumaine, qui leur fait briser leurs liens ou leurs chaînes. Mieux : ils reconnaissent immédiatement le Christ comme le Fils de Dieu et le Sauveur du monde, ils le crient jusque dans les synagogues, ils se plaignent que Jésus veuille les persécuter avant la fin des temps, et demandent à être transférés dans des troupeaux de porcs, qui vont se suicider en se jetant dans la mer.

J’ouvre l’Évangile de Matthieu, et je lis :
« Le soir venu, on lui présenta beaucoup de démoniaques, et il chassa les esprits d’un mot, et guérit tous les malades. » D’un mot, mais lequel ? En tout cas, ça suffit. Un démoniaque, particulièrement inspiré, crie et s’agite beaucoup. Jésus lui demande son nom, et nous avons sa réponse : « Légion, car nous sommes beaucoup.  » Il est évident que ce mot vise les légions romaines, mais deux mille porcs suffiront-ils à noyer tous ces démons ? Tout cela n’est pas gentil pour les porcs, mais comme j’ai horreur des tombeaux, et que je viens de manger des travers de porc délicieux, j’en conclus que je ne suis pas démoniaque.

C’est quand même à Marie-Madeleine qu’est dévolu le rôle de découvrir le tombeau vide du Christ. Elle arrive, le cadavre a disparu, elle voit deux anges près d’un suaire. Elle se relève, stupéfaite, et voit un homme qu’elle prend pour un jardinier. Elle ne le reconnaît que lorsqu’il lui parle, en lui demandant de ne pas le toucher, car il n’est pas encore remonté vers son Père. C’est elle qui va prévenir les apôtres, qui courent comme des fous pour constater l’événement qui va transformer l’Histoire.

Marie-Madeleine était donc une démoniaque qui avait une grande habitude des tombeaux. Sept démons, c’est quand même beaucoup. A-t-elle empoisonné des maris violents qui la battaient jour et nuit ? C’est possible. Dans une autre séquence, on présente à Jésus une femme adultère que la foule brûle de lapider. Il reste silencieux, en écrivant on ne sait quoi par terre, et finit par dire : «  Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre.  » La foule se retire peu à peu, les hommes sont pleins de péchés sexuels, et ils savent bien que leur cœur est creux et plein d’ordures. Le texte ne dit rien sur les femmes. La Bible est très précise sur Sodome, mais, comme c’est curieux, pas un mot sur Gomorrhe.

Si Marie-Madeleine avait été arrêtée pour sept meurtres successifs, le récit de sa vie infernale avec ses bourreaux ferait d’elle, aujourd’hui, une icône du féminisme. Récemment, une femme a été graciée par un président de la République française, quand, après quarante ans de mauvais traitements, elle a soudain décroché une carabine pour tuer son mari, en lui tirant dans le dos. Marie-Madeleine, la femme de Jésus selon Hollywood, avait un sacré caractère. Cette mère de sept enfants savait y faire. Il est plus compliqué d’inventer une fille vierge qui, par l’opération du Saint-Esprit, devient mère de Dieu, puisqu’elle est, à ce moment-là, unique, la fille de son fils. Téléphonez à Dante et à sa Divine Comédie, si vous ne voulez pas me croire.

Philippe Sollers, Légende, Gallimard, 2021, p. 119-121 ; folio, p. 125-128.

Inutile de téléphoner à Dante. La réponse est inscrite sur un mur de Florence.


Photo A. G., Florence, 7 mai 2010.
ZOOM : cliquer sur l’image.
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Titien, Pietà, 1576.
Marie-Madeleine, la Vierge Marie, le Christ et saint Jérôme.

Venise, Galerie de l’Académie. Photo A.G., 19 juin 2022.
ZOOM : cliquer sur l’image.
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LIRE AUSSI :
Jardiniers et
Qui était Marie-Madeleine, la « compagne » de Jésus ?.

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À Tabgha, en Israël, sur la rive nord-ouest du lac de Tibériade, il y a une magnifique mosaïque du IVe siècle. Elle se trouve dans l’Église catholique de la Multiplication des pains et des poissons.


Mosaïque du Ve s. Eglise de la Multiplication des pains et des poissons, à Tabgha, en Israël.
Archives CIRIC. Zoom : cliquez l’image.
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Ecce panis angelorum, de Claudio Monteverdi, Les manuscrits de Malte (extrait), ADF Bayard Musique.
Photos   : basilique de la Multiplication des pains et sanctuaire de la Primauté de Pierre.

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« Après sa Résurrection, Jésus, sur les bords du lac de Tibériade, prépare un repas pour les disciples. Sur un feu de braise, il leur apprête du poisson. Déjà lors des multiplications des pains, il avait fait distribuer du poisson aux foules affamées. Pour désigner ces poissons, l’évangile de Jean emploie le mot opsarion, tandis que pour les cent cinquante trois gros poissons de la pêche miraculeuse il a recours au terme ichtys. C’est ce dernier terme qui sera exploité par la tradition chrétienne. L’hébreu connaît également deux mots pour désigner le poisson : nun et dag. Très tôt le poisson deviendra un symbole majeur du christianisme primitif. Dans la basilique byzantine de Bethléem, une mosaïque de la période constantinienne porte l’inscription grecque Ichtys (poisson) [19]. »

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Sollers l’avait annoncé dans Légende (2021, folio 7053, p. 67) : « Pour l’instant, comme on voit, je m’entraîne à mourir, en espérant trouver la clé d’une résurrection radicale. C’est un peu compliqué, mais j’y arriverai. »

Ouvrons maintenant (« au présent ») Graal, Gallimard, 2022, p. 43-47 :

D U R É E
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Trois minutes de course, le choc de la Résurrection, et la durée humaine change de nature. Jean n’hésite pas à dire de lui-même qu’il est le disciple que Jésus « aime ». Il va même plus loin dans ce qu’il raconte :
« Pierre, voyant Jean, dit à Jésus : "Seigneur, et lui ?" Jésus lui répond : "Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe ? Toi, suis-moi". »
Ce « que t’importe ? », adressé à Pierre, est fabuleux, dans le genre « mêle-toi de ce qui te regarde » et de ce que tu peux comprendre, toujours, à moitié. Il te manque la foi de l’amour.

Jean insiste :
« Le bruit se répandit chez les disciples que Jean ne mourrait pas. Mais Jésus dit quelque chose de beaucoup plus mystérieux "si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne". »

Chaque détail, dans les Évangiles, a son importance. Jean, avant cette déclaration, se définit comme celui qui, pendant le repas final, s’est penché sur la poitrine de Jésus, et lui a demandé : « Seigneur, qui est celui qui va te livrer ? » Il n’en a donc aucune idée ou, plutôt, il pose la possibilité que ce soit n’importe lequel des autres, y compris Pierre. Tous sont virtuellement coupables, sauf lui. Il faut ajouter que Jésus lui-même, du haut de la Croix, l’a nommé Fils de sa Mère, et qu’ils vivront ensemble après sa mort. Ajoutons aussi, détail extraordinaire, les trois questions posées par Jésus à Pierre, trois fois la même, c’est beaucoup : « M’aimes-tu ? »

Vivre avec Dieu, ne fût-ce qu’une semaine, est un émerveillement continu, seconde par seconde. C’est ce que Jean confirme :
« Il y a encore beaucoup d’autres choses qu’a faites Jésus. Si on les mettait par écrit une à une, je pense que le monde lui-même ne suffirait pas à contenir les livres qu’on en écrirait. »
On s’y croirait.

Après sa Résurrection, et avant son Ascension provisoire, puisqu’il doit revenir, pendant que Jean « demeure », Jésus s’amuse un peu. Il apparaît à ses disciples, qui ne le reconnaissent pas, fait toucher ses plaies sanglantes à Thomas l’incrédule, accomplit deux ou trois miracles, pour montrer qu’il est en pleine forme, comme, par exemple, au bord du lac de Tibériade, quand il indique à ses disciples pêcheurs, qui ne l’ont toujours pas reconnu, de tendre le filet de l’autre côté de leur barque. Jésus aime bien les marins, il les invite à déjeuner sur la plage, ce qui nous permet de connaître son plat préféré : le poisson grillé, tout frais, consommé populairement sur place.

Que fait Jean, à la fois mort et vivant, pendant tout ce temps ? Il n’y a qu’une seule réponse : il garde le Graal, mais où et comment ? La réponse est au début de son Évangile, à condition de bien le comprendre et en le traduisant au présent :
« Au commencement est le Verbe,
le Verbe est avec Dieu,
et le Verbe est Dieu. »
Vous avez bien lu cette déclaration stupéfiante, digne des abîmes atlantes : « LE VERBE EST DIEU. »

Et puis :
« Tout est par lui, sans lui rien n’est,
ce qui est en lui est la vie,
la lumière brille dans les ténèbres,
et les ténèbres ne la saisissent pas. »

Il est quand même extraordinaire que le premier miracle de Jésus raconté par Jean soit celui des Noces de Cana, et de la transformation surabondante d’eau en vin. L’eau devait servir à la purification, mais la voici devenue vin, et du meilleur. Deuxième acte, violent, Jésus chasse les marchands du Temple, celui de son père, commence-t-il à dire, acte de purification par excellence. Le vin, ou la colère sacrée ? Les deux, le Verbe humain est un Dieu.

Jésus se fait immédiatement mal voir des trafiquants en tous genres, qui vivent de la superstition locale. Ils vendent des bœufs, des brebis, des colombes, pour d’antiques sacrifices sanglants. Autour d’eux sont assis les changeurs, qui contrôlent beaucoup d’argent. Drôle de supermarché pour un lieu de culte. Beaucoup de bruit, pour que rien ne soit dit.

La mafia du trafic est très religieuse, elle va bientôt réclamer la mort de ce gêneur halluciné, qui, au nom de son Père, comme il dit, plaide pour une gratuité intime des rapports avec Dieu. La mafia finira par obtenir l’exécution de cet agité de l’au-delà. Pour cela, il suffit de manipuler l’occupant romain, qui ne com­ prend rien à ces choses.

Toute cette énorme épopée, passion, sang et massacres, pour aboutir à l’épouvantable sirop « chrétien » des dimanches. Jean se tait, mais son silence, celui du Verbe, doit être l’enjeu du grand jeu en cours. Ici, je suis obligé de repasser au passé, puisque si « le Verbe s’est fait chair », ce ne peut être qu’une seule fois pour toutes :
« Et le verbe s’est fait chair,
et il a habité parmi nous,
et nous avons contemplé sa gloire,
gloire qu’il tient de son Père,
comme Fils unique,
plein de grâce et de vérité. »

Que le verbe se fasse chair reste incompréhensible pour la plupart. Il y faut un acte de foi plein de mystère. La Vierge Marie a pourtant déclenché une multitude de chefs-d’œuvre, chaque artiste, poète, peintre, musicien, devenant son Fils, le plus naturellement du monde. Quelques siècles en Italie, et le tour est joué.

Le Verbe s’est fait forme, couleur, corps, bénédiction, mère, enfant, envol, assomption. On n’est pas obligé de tomber dans l’horrible mauvais goût actuel, et de parler des « ovaires » de la Vierge, d’autant que dans la Procréation Spirituellement Assistée, le Verbe se débrouille très bien avec un Archange. La question n’est donc pas de savoir si cette version mythique est vraie, mais juste de mesurer, si on en est capable, les résultats de création de ceux qui l’ont crue vraie, au point de s’en faire les acteurs.

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LIENS

LIRE : Un corps en état de résurrection permanente

La Bienheureuse Vierge Marie ou l’effet B.V.M.
Dionysos et le Ressuscité, notamment :
Gnostiques
Résurrection et Eternel retour
Dionysos et le Ressuscité
Jeudi de Pâques.

ET AUSSI : La Divine Comédie illustrée par Botticelli et Triomphe de Bach

« Pourquoi Pâques est-elle la fête la plus importante du christianisme ? Pourquoi porte-t-elle le nom d’une fête juive ? Pourquoi sa date change tout le temps ? » C’est ce que vous explique pédagogiquement François Reynaert dans 6 choses à savoir sur Pâques, la Résurrection et autres mystères.

***

1ère mise en ligne le 12 avril 2009. Version complété au fil des ans.


[3Gallimard, Coll. L’Infini, 1995. Ce passage du Propre du temps, relatif à Piero, est partiellement cité dans La Fortune, la Chance (2007, Hermann, p. 61.)

[4C’est moi qui souligne. A.G.

[5Voir plus bas.

[6Note de Jacqueline Risset, la traductrice : « Resurgi » et « Vinci » : hymne non identifiable ; il s’agit évidemment de la résurrection du Christ.

[7Il s’agit de la Messe en si mineur BWV 232 ici dirigée par Harnoncourt en 1968.

[8Cf. wikipedia.

[12L’église Saint-Georges à Eisenach.

[13Traduction : Michel Roubinet www.monteverdiproductions.

[14Osée 13,14 ; 1 Cor.15,55.

[15Ex.12.

[18Cf. La Vénus endormie.
[Voir aussi la belle analyse du tableau du Titien par Fabrice Midal, même s’il confond la main gauche et la main droite du Christ.].

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5 Messages

  • nounounours | 5 avril 2021 - 18:08 1

    Ressusciter ressusciter, c’est un programme inédit en ce monde à ce qu’il paraît...
    Susciter en revanche, voici une autre histoire, c’est déjà pas mal susciter ! Moi je m’en tiens là, d’abord à susciter, un peu de modestie ne fait de mal à personne, suscitons suscitons :
    "Pourquoi Pâques est-elle la fête la plus importante du christianisme ?"
    Parce qu’elle suscite des crises de foi(e)
    Pour le re-, nous repasserons à cela en temps et en heure !

    Voir en ligne : "Je t’ai, moingne, dans l’Avé rité"


  • Raymond Alcovère | 30 avril 2015 - 14:50 2

    Magnifique contribution, bravo !


  • V.K. | 22 avril 2014 - 09:39 3

    Le Monde du 22 avril 2014 :

    Le Monde avait titré la veille :

    « Affaibli, François Hollande lie son destin à la baisse du chômage »
    (C’était suite au déplacement présidentiel au centre de recherche Michelin de Clermont-Ferrand où le chef de l’Etat, très affecté par cette nouvelle affaire concernant son conseiller politique venait de déclarer, sans avoir eu besoin de consulter son oracle déchu ) :
    " Si le chômage ne baisse pas d’ici à 2017, je n’ai ou aucune raison d’être candidat ou aucune chance d’être réélu. " (sic)

    (On apprend que de sa retraite, son ex-conseiller, vient de lui adresser son testament spirituel : une Vie de Jeanne d’Arc avec cette dédicace : "Votre nouvelle voix, à elle vous pouvez faire confiance", A.M.)


  • V. K. | 11 février 2013 - 19:01 4

    GIF L’édition spéciale du Journal de France Inter

    Le Pape Benoît XVI annonce sa démission à partir du 28 février

    http://www.franceinter.fr/emission-edition-speciale-du-journal-de-13h-edition-speciale

    Un homme de pouvoir abandonne volontairement son pouvoir :

    « Je suis parvenu à la certitude que mes forces, en raison de l’avancement de mon âge, ne sont plus aptes à exercer adéquatement le ministère pétrinien. »
    « Pour cette raison et pleinement conscient de la gravité de cet acte, en toute liberté je déclare que je renonce au ministère d’évêque de Rome, successeur de Saint-Pierre »

    C’est rare pour être salué.

    Dans son livre Lumière du monde, livre d’entretiens publié en 2010, répondant au journaliste allemand Peter Seewald, Benoît XVI avait déjà évoqué une telle situation [1] ;

    « Quand un pape vient à reconnaître en toute clarté que physiquement, psychiquement, spirituellement il ne peut plus assurer la charge de son ministère,
    alors il a le droit
    et selon les circonstances, le devoir de se retirer »

    Aujourd’hui, il est passé à l’acte.

    « Je m’incline avec un immense respect devant cette lucidité et ce courage »
    (Mgr Podvin, porte-parole de la Confédération des évêques de France » en direct dans le Journal spécial de France Inter, une heure après l’annonce )

    « La décision du Pape de démissionner est éminemment respectable » a aussi déclaré François Hollande

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    GIF Le Dossier de France Inter

    Dans la continuation du polar du pape, on peut aussi consulter le DOSSIER constitué par France Inter avec une collection d’enregistrements audio.
    Au sommaire :
    Le Monde réagit
    [Un nouveau pape pour Pâques
    De Joseph Ratzinger à Benoît XVI

    http://www.franceinter.fr/dossier-le-pape-demissionne

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    GIF Le dossier vidéo de TF1

    http://lci.tf1.fr/monde/institutions/le-pape-va-demissionner-le-28-fevrier-7818614.html

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    GIF Sollers : « Benoît XVI, c’est le contraire d’une rockstar »

    Philippe Sollers a été très touché par la démission du pape et explique pourquoi dans Le Nouvel Observateur


    archive (pdf)

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  • A.G. | 11 février 2013 - 13:29 5

    Le Pape Benoît XVI va démissionner le 28 février

    ça c’est un scoop !

    Voici son annonce traduite du latin au français par Radio Vatican :

    « Frères très chers, Je vous ai convoqués à ce Consistoire non seulement pour les trois canonisations, mais également pour vous communiquer une décision de grande importance pour la vie de l’Église. Après avoir examiné ma conscience devant Dieu, à diverses reprises, je suis parvenu à la certitude que mes forces, en raison de l’avancement de mon âge, ne sont plus aptes à exercer adéquatement le ministère pétrinien. Je suis bien conscient que ce ministère, de par son essence spirituelle, doit être accompli non seulement par les oeuvres et par la parole, mais aussi, et pas moins, par la souffrance et par la prière.

    Cependant, dans le monde d’aujourd’hui, sujet à de rapides changements et agité par des questions de grande importance pour la vie de la foi, pour gouverner la barque de Saint-Pierre et annoncer l’Evangile, la vigueur du corps et de l’esprit est aussi nécessaire, vigueur qui, ces derniers mois, s’est amoindrie en moi d’une telle manière que je dois reconnaître mon incapacité à bien administrer le ministère qui m’a été confié.

    C’est pourquoi, bien conscient de la gravité de cet acte, en pleine liberté, je déclare renoncer au ministère d’évêque de Rome, successeur de Saint-Pierre, qui m’a été confié par les mains des cardinaux le 19 avril 2005, de telle sorte que, à partir du 28 février 2013 à vingt heures, le Siège de Rome, le Siège de saint Pierre, sera vacant et le conclave pour l’élection du nouveau Souverain Pontife devra être convoqué par ceux à qui il appartient de le faire. »

    zenit.org