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Amours (II) - Conversations d’amour

par Stéphane Zagdanski

D 18 mars 2009     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Deuxième volet de la trilogie « Amours », commencée avec « Le corps amoureux » de Philippe Sollers (cf. catalogue de l’Exposition 1997 de la Fondation Cartier sur le thème « Amours »). C’est Stéphane Zagdanski qui s’y est frotté avec un texte intitulé « Conversations d’amour ». Les illustrations sont extraites du catalogue.

« C’est ce qu’on entend par l’amour qui passe la compréhension :
cet orgueil, ce désir furieux de cacher l’abjecte nudité
que nous apportons au monde avec nous,
que nous transportons avec nous dans les salles d’opération et que,
avec un entêtement furieux, nous emportons avec nous dans la terre. »
William Faulkner, Tandis que j’agonise
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Jean Renoir, Une partie de campagne, 1936-1946

Pourquoi ne me le dis-tu pas ? Tu ne l’as jamais dit. — Mais si, bien sûr, bien des fois. — Non, jamais, en six ans. Presque jamais. Pas une seule fois les deux premières années. — C’est pour cela que tu pleurais des nuits entières en gémissant : « J’aimerais tant qu’on me dise des choses merveilleuses... » ? Comme si je n’étais pas juste à côté de toi et que tu t’adressais à moi par-delà moi ? — Tu vois comme tu es méchant ! — J’avais l’impression d’être un corps sans tain que tes mots traversaient pour rebondir sur le mur avant de revenir murmurer contre mon dos. — Tu es insensible et cruel. Tu évoques mes pleurs pour ne pas avoir à me le dire. Tout ce que tu trouvais à dire c’était, à ta manière ridicule, intransigeante, froide, orgueilleuse, puérile, figée : « Comment un seul corps peut-il produire autant de larmes ? », exprès pour augmenter mes pleurs au lieu de les apaiser en me le disant. — Ne pleure pas. — Tu es d’une si inflexible méchanceté ! Tu n’aimes qu’elle, ta méchanceté. — Allons, ne pleure pas, tu sais bien que c’est faux. — Non ! C’est vrai. — Ça commence bien.
— Les rares fois où tu me dis des mots d’amour c’est quand nous faisons l’amour, bien avant d’éjaculer. Tu vois ! tu rigoles ! tu sais que j’ai raison. — Je ris parce que le dire en faisant l’amour ne signifie pas que ce n’est pas vrai. Au moins c’est senti. La sensation précède la proclamation, c’est souvent l’inverse, non ? — Pourquoi ?

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Luis Bunuel, L’Âge d’or, 1930
Mon amour... Mon amour... Mon amour... Mon amour...
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Pablo Picasso, Le Baiser, 12 janvier 1931
Huile sur toile 61 x 50,5 cm, Musée Picasso, Paris

— D’habitude la déclamation colmate le néant de la sensation. « Rien qu’une forme pour combler un vide » comme dit Addie Bundren qui, étant morte, sait de quoi elle parle. — Sauf que tu n’es pas censé être mort. — C’est précisément la raison pour laquelle je te dis souvent au moment où je te pénètre : « J’aime sentir ton sexe autour de mon sexe. » Ce qui est très vrai. Tu n’aimes pas lorsque je te dis cela ? — Tu sais bien. — C’est ma manière de te dire que je t’aime. Il y en a d’autres. — Tu n’en connais aucune autre.

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Willem de Kooning, Torso of a Woman, vers 1954
Pinceau et encre sur papier 59,6x47,7 cm, Contempo Galerie, Rotterdam
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André Masson, Cache pour L’Origine du monde de Gustave Courbet, 1955

—Fais-moi confiance, chérie, j’en connais mille autres. — « Chérie », « ma beauté », « ma belle », toutes tes copines stupides y ont droit, ça ne vaut rien dans ta bouche. — Au contraire. Et puis « ma beauté » t’est réservée. « Ma belle » n’est qu’une formule d’appropriation pour adoucir le dialogue, un réflexe de gentillesse captative. « Ma beauté » c’est différent, c’est une vérité d’ordre phénoménal. — N’importe quoi. — Cela signifie que t’aimer me rend beau. Ma propre splendeur réside dans la réflexion de l’amour que j’ai pour toi. Comme la lune fait écho à la lumière du soleil, comme tes joues réverbèrent mes paroles, comme tu rosis sous le choc des choses que tu aimes entendre. Voilà, c’est aussi vrai de moi : tu es « ma beauté » parce que je me sens beau lorsque je te regarde m’entendre te le dire. — Oooh ! — Tu vois, c’est quand tu souris comme cela que je t’aime. J’aime le silence sensuel de ton irradiation. Ce n’est pas une déclaration ça ? — Un peu vantarde, à ton habitude, mais c’est vrai que tu es beau ! — Merci ma beauté.

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Pier Paolo Pasolini, Accattone, 1961

— Où es-tu pendant que nous parlons ? — Dans un TGV qui file vers Grenoble. — Il y a de jolies femmes autour de toi ? — Il y en avait une, trois rangées devant. Elle est descendue à l’escale. — Jolie comment ? — Jolie comme toutes les jolies femmes, ça n’a aucune importance. — Tu l’as draguée ? — Pourquoi imagines-tu que je drague sans arrêt ? — Je sais que les mots ne te coûtent rien. Qu’est-ce que tu vas faire à Grenoble ? — Donner une conférence. — Sur quoi ? — « Érotisme et judaïsme. » — C’est une plaisanterie ? — Non.
— Il y aura quelque chose sur la déclaration d’amour dans ta conférence ? — Peut-être, il existe un texte dans le Zohar. — Qui dit quoi ? — Tu veux que je te le lise ? — Oui.

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Alain Resnais, Hiroshima mon amour, 1959

— Tu aimes lorsque je te lis des textes ? — Oui. — Tu te souviens, les premières fois, je te lisais le monologue de Molly Bloom. — Oh, c’était beau. — Tu aimais ça ? — Tu sais bien. — Je crois que c’est une des choses qui m’ont fait t’aimer. Je te lisais du Joyce, du Céline, du Kafka comme Kafka lisait à dix-sept ans des passages de Nietzsche à Selma Kohn, la fille de l’inspecteur des Postes. Tu aimais tellement ça, et moi je t’aimais aimant cela — Lis-moi le Zohar. [...]

Stéphane Zagdanski
in Amours Catalogue de l’Exposition de la Fondation Cartier, 1997
son site

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Ingres, La conversation galante
(et personnages esquissés dont La Femme au fruit), étude pour L’Âge d’or (calque de Montauban), 1842

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