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De l’extermination considérée comme un des beaux arts

D 29 septembre 2007     A par Albert Gauvin - C 2 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


« A "quelqu’un" ce livre est dédié. »
François Meyronnis

Quatrième de couverture :
« Le démoniaque va au plus simple. Il ne prend plus tant de détours. Il aurait tort, d’ailleurs. Plus sa méchanceté s’exhibe et mieux les humains se laissent mettre les menottes.
Son programme s’affiche, il en fait étalage. Son dessein clignote : il apparaît en scintillant.
L’anéantissement de la vie, voilà ce qu’il veut. Ou, ce qui revient au même, sa colonisation par la mort. Tantôt cela passe par l’agencement du massacre, tantôt par la grande herse de l’économie, ou par la capture des corps au plus intime. Une attaque filtre à travers des millions et des millions d’actes, de pensées, de gestes.
 »
Cette force franchit la ligne de dévoilement avec les oeuvres de Littell et de Houellebecq. Tout le monde marche, et personne ne veut rien en savoir. On lit, mais dans la torpeur. Avec cynisme et innocence, ce livre prend le somnambulisme humain à revers. Dans le dos du Diable, il trouve la phrase de réveil.

Meyronnis avec Sollers


François Meyronnis présentait son livre le 8 octobre 2007.

Texte de l’intervention de François Meyronnis

Vidéo de Laurène L’Allinec (le son est très mauvais)

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Après avoir commenté le livre de Meyronnis Sollers présentait Guerres secrètes

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Le nouveau nihilisme

Il s’est passé quelque chose dans la langue. Une sorte de 11 Septembre spirituel dont peu ont semble-t-il pris la mesure. « Que faisiez-vous le jour de la parution des Particules élémentaires ? », devrait-on demander comme on le fait pour l’attentat contre les Twin Towers. Cet événement-là est toutefois d’une nature plus impalpable que les explosions à grand spectacle islamistes. C’est une intoxication lente dont un Michel Houellebecq, ou à sa façon un Jonathan Littell, ne furent au fond que les auxiliaires occasionnels selon le « cerveau » de la revue littéraire « Ligne de risque ». Cet événement, c’est, entre autres, l’avènement d’une ère où le cauchemar contemporain en personne tiendrait désormais la plume.

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François Meyronnis
Phot. Jacques Sassier (Gallimard)

Rien à voir entre ce manuel de survie vibrant d’intelligence, et le pamphlet d’un rouspéteur professionnel. Ni avec ces lamentos sur « la mort de la littérature » où certains, rongés par les succès de leurs confrères, soulagent un dépit impuissant. Tout au contraire, Meyronnis reconnaît, comme peu d’écrivains consentent aujourd’hui à le faire, la force des romans « pousse-au-crime » de Houellebecq et Littell. Du moins ceux-ci ont-ils à ses yeux le mérite de rendre caduque toute une littérature française « de qualité moyenne » acharnée à faire comme si sa langue morte et ses vieilles lunes humanistes suffisaient encore à contrer une société gestionnaire inconsciemment régie par la mort, « posthitlérienne » va-t-il même jusqu’à avancer à la suite de Lacan.
Sexualité impossible, matricide, extermination, c’est drôle, souligne François Meyronnis, comme personne ne remarque que c’est sur ce même trépied nauséabond que repose le sacre public de ces romanciers d’un nouveau genre, dont le style intentionnellement plat dissimule un tour de force toxique. Attentif aux symboles et aux présages, pistant les suggestions dissimulées, ce lecteur intense, armé du Bardo tibétain ou de l’évangile apocryphe des Egyptiens, le démontre notamment à travers « la Possibilité d’une île » dans ce qui restera comme d’éblouissants morceaux de paranoïa critique. Un exercice qui ne va pas sans la mauvaise foi requise bien sûr, notamment lorsqu’il s’applique au cas Littell, assimilé non sans audace au SS homosexuel qu’il se choisit comme porte-voix.

Quand l’époque entière sent la tumeur, sont-ce cependant les porteurs de mauvaises nouvelles que l’on doit ainsi mettre en accusation ? Sauf que ces écrivains-là ne se contentent pas de diagnostiquer, entend prouver Meyronnis. Ils surenchérissent. Ils participent eux-mêmes d’un véritable dressage social, enseignant aux quidams qui les lisent à s’écoeurer mutuellement, à mépriser leur propre sexualité, à se sentir frères humains en crimes contre l’humanité. Ils obturent toute possibilité de rédemption surtout, ne laissant aux êtres que l’issue du suicide, dans le cas de Houellebecq, ou du massacre de masse, dans celui de Littell entre autres gracieusement qualifié ici de « charognard cérébral ».
Au blitzkrieg initial du livre succède toutefois, et c’est heureux, le moment où l’auteur pointe la sortie du bocal à mouches. Ne pas être le propagateur du ravage nihiliste, « ne pas perpétuer sa légende douloureuse, tout en refusant l’idylle humaniste et le boniment du progrès », telle est la tâche que Meyronnis assigne à qui entendrait encore aujourd’hui faire vivre le nom d’« écrivain ». Libre à chacun, à tout moment, de guetter la « phrase de réveil » dans le dos de la désespérance morbide, et dans cette lutte-là, l’amour est l’allié privilégié.

Nul hasard, souligne à cet égard l’auteur, si c’est précisément sur la faillite sexuelle qu’un Houellebecq appuie sans relâche pour faire mal. Salir l’amour, c’est ôter aux hommes un de leurs ultimes points de résistance possible. Le corps amoureux, comme celui qu’habite la parole indemne, est justement ce qui ne se laisse pas aisément réduire au tas de viande anonyme des partouzes de « Plateforme » ou aux charniers fumants des « Bienveillantes ». Pieuse requête à laquelle on s’autorisera à préférer l’éprouvante lucidité des évangélistes de la destruction ? Ce pourrait être le cas si François Meyronnis n’en avait pas déjà démontré la possibilité dans un roman à couper le souffle, « Ma tête en liberté », paru en mars 2000. De l’art comme remède à l’extermination aurait pu en être le titre.

Aude Lancelin, Le Nouvel Observateur du 11 octobre 2007.

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François Meyronnis en guerre contre le nihilisme

Le livre alertera ceux qui trouvent l’époque plutôt dévastée, le débat intellectuel au plus bas, laissant place à de faux combats, à coups d’injures et de calomnies. François Meyronnis, en continuant, avec De l’extermination considérée comme un des beaux-arts, la guerre énergique contre le nihilisme contemporain qu’il avait entamée en 2003 dans L’Axe du néant, montre que les quadragénaires ne se sont pas tous résignés à devenir " les dépôts de la catastrophe, les précipités qu’elle laisse dans le langage ".

Dans un monde où "la provocation", naguère "rebelle, hors-la-loi", est désormais la norme, et une tactique efficace pour vendre des livres ou faire de l’audience, il est possible de résister, de penser encore. En premier lieu, il est urgent de refuser la déploration et "l’affliction". " Ce ne serait que le négatif d’un espoir infondé, le contre-pied saturnien d’une baliverne. " Les forces vives sont toujours là, l’intelligence toujours à l’oeuvre, l’Histoire continue, même dans les basses périodes. François Meyronnis, comme son ami Yannick Haenel, l’affirme, tant dans Ligne de risque, revue qu’ils coaniment, que dans leurs essais et romans.

Dans le souci d’être précis et concret, Meyronnis, dans De l’extermination... , s’intéresse notamment à deux écrivains qui ont eu récemment un grand succès critique et public, Jonathan Littell, avec Les Bienveillantes, et Michel Houellebecq. Sa démonstration est plus ample sur Houellebecq, qui a déjà une oeuvre, tandis que Littell débute. Qu’on n’attende pas là les démolitions violentes et banales, teintées de pure jalousie, qu’on a pu lire sur Houellebecq, ni de la "moraline". "Je ne conteste pas certains mérites à Littell et Houellebecq, écrit Meyronnis. Je ne les accuse de rien, et je ne les toise pas." Il est rare aujourd’hui que des romans aient de "l’ampleur", comme en a, par exemple, La Possibilité d’une île, le dernier Houellebecq, et il ne s’agit pas de "défendre ou attaquer", mais de "montrer, tout simplement, de quoi il retourne", ce que ne font pas les journalistes, pris dans le flux de l’actualité littéraire.

En quatre parties, encadrées par un prologue, "spirales du maléfique", et un propos de conclusion, "l’ampleur du sauf", Meyronnis démonte, en de brefs développements, dans un style percutant, jamais confus, l’"ambiguïté" de Littell, sa manière de "polariser le crime, d’occuper l’axe de la mort" et la pensée de Houellebecq, "dans une ascèse tendue vers la vengeance".

Littell, qui commence son récit par "Frères humains, laissez-moi vous raconter comment ça s’est passé", "postule une étrange fraternité humaine". Ce qu’a fait Max Aue, l’ancien SS qui est son héros, chaque lecteur aurait pu le faire. Et des centaines de milliers de lecteurs ont accepté ce que Meyronnis désigne comme "un pacte bubonique". N’est-il pas urgent de tenter de comprendre pourquoi et de montrer comment fonctionne, tant chez Littell que chez Houellebecq, ce "trépied ardent de la vengeance", "Sexualité impossible, Matricide, Extermination" ?

Quand on arpente le monde que propose Plateforme, l’avant-dernier roman de Houellebecq, une sorte de "lupanar triste et morose", quand on dérive dans les siècles avec les clones de La Possibilité d’une île, jusqu’à Daniel 25, sous l’autorité de "la Soeur suprême", il n’existe plus que des humanoïdes et un "horizon global", "l’extermination".

"Le nihilisme aplatit tout langage ; l’écrase comme une crêpe." Comment retrouver le langage, et sa dimension poétique ? Comment répondre à Houellebecq, affirmant que "le véritable amour, qui suppose abandon et générosité, n’existerait que du chien à l’homme" ? Comment lutter contre cette société qui "ravale le désir à l’état de besoin" et comprendre la littérature de Houellebecq, avec ses "benêts, rejoints par les trombes de l’échec, qui s’emmanchent dans le chagrin" ? En suivant le raisonnement de Meyronnis au plus près, on y parvient, et on rejoint des territoires où l’esprit de vengeance recule et où "l’amour met en échec la terreur".

Josyane Savigneau, Le Monde des livres du 05.10.07.

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La littérature fascinée par le mal

Après le succès des livres de Michel Houellebecq et Jonathan Littell, François Meyronnis étudie les liens entretenus par les écrivains avec le mal, à la lumière d’une nouvelle donne contemporaine

Cet « événement », renforcé par les progrès de la technologie et la mondialisation, est l’idée autour de laquelle évolue le livre de François Meyronnis. Il insiste sur la nécessité d’envisager désormais les liens entre l’art et le mal en fonction de nouveaux paramètres, et avec bien plus de précaution, postulant la prédominance du « Diable » lorsqu’il n’est plus tenu en respect par le Bien. « Selon les anciennes coordonnées, bimillénaires, le Diable personnifiait l’Opposant. (...) En ce temps, le mal participait d’une faiblesse. Loin de subsister en lui-même, il était pénurie, malfaçon. (...) Et puis quelque chose a tourné. »

Ce virage, difficile à dater de l’aveu même de Meyronnis, a partie liée avec le glissement opéré par la soumission de la pensée à la science, « du Verbe au Chiffre ». Son corollaire selon Meyronnis : l’avènement des provocateurs qui pratiquent la surenchère au lieu d’opérer une distanciation salvatrice en faisant « un bond hors de la représentation courante ». En termes plus triviaux, nos commentateurs, médiatiques ou littéraires, peuvent devenir des agents du Mal même en donnant de l’eau au moulin du Diable au lieu de tenter d’endiguer la crue. Si de prime abord on pourrait soupçonner Meyronnis de conservatisme ou de réaction, son propos ne flirte en réalité jamais avec un rejet de son époque. L’auteur soutient au contraire les bienfaits de la vitalité à l’ ?uvre dans la société et dans le langage, dont il ne déplore que la raréfaction.

Son étude prend pour point de départ la lecture des derniers livres de : Michel Houellebecq et de : Jonathan Littell, dont il souligne le cynisme et l’ambiguïté. Sans mauvais procès, il note que « de l’événement, ils sont davantage les complices qu’ils n’en témoignent », suscitant l’adhésion du lecteur par des procédés délétères. La lecture fouillée et inédite qu’il offre de La Possibilité d’une île et des Bienveillantes pointe avant tout « un pacte bubonique » : la recherche de l’identification du lecteur à leurs héros par le postulat d’une fraternité immorale du genre humain. De ce projet, François Meyronnis trouve la confirmation dans la thématique du clonage humain pour l’un, et de celle de la gémellité incestueuse pour l’autre. « Cette oscillation ouvre un espace ambigu, qui restera béant jusqu’à la fin. » Point commun aux deux livres qui consolide ce piège, le trépied sur lequel ils reposent : extermination, matricide et sexualité impossible. Thématiques dangereuses dès lors que « l’extrême passe au premier plan, et arraisonne la réalité ».

Cette lecture s’ouvre vers une réflexion plus large sur la société occidentale. Une société où le langage a perdu de sa force comme moteur de la pensée, où la fascination pour le tragique a pris le pas sur la poésie et l’humain. Cette soumission du sentiment à la marchandise, fil conducteur de sa réflexion, François Meyronnis l’envisage aussi, dans un dernier chapitre lumineux, dans le domaine de l’amour et de la sexualité, constatant la mutation maligne du désir en besoin.

Cet essai très écrit pourra sembler de prime abord ardu, et requiert un effort de lecture et de réflexion. C’est-à-dire effectuer le pas de côté préconisé par l’auteur quand il invite à ne pas considérer ce qui s’avance sous un angle trop simpliste. Son propos est un voeu d’attention et de distanciation dès lors que l’on décide de s’aventurer en art sur les terres de l’innommable. Et il retourne par là comme un gant le propos d’Adorno, suggérant, par cette brillante étude, qu’après l’avènement du Mal absolu, l’acte de barbarie réside au contraire dans le renoncement même à la poésie.

Sabine Audrerie, La Croix, 26/09/2007.

Lorsque Georges Bataille publia, en 1957, La Littérature et le Mal, recueil d’études consacrées notamment à Sade, Baudelaire et Genet, il y insistait sur le pouvoir de la littérature et la responsabilité morale de l’écrivain dès lors qu’il se collette au démoniaque, soulignant que cet art exige une « hypermorale ». « La littérature est communication. La communication commande la loyauté : la morale rigoureuse est donnée dans cette vue à partir de complicités dans la connaissance du Mal, qui fondent la communication intense. La littérature n’est pas innocente, et, coupable, elle devait à la fin s’avouer telle. » S’inscrivant dans cette conception tout en pointant que les décennies écoulées ont imposé de modifier notre approche, François Meyronnis propose à son tour une étude pointue des rapports entretenus dans la période récente par la littérature et le mal. Décennies écoulées qui ont vu le renforcement du constat nietzschéen de l’« événement » constitué par la crise de la « mort de Dieu » — notion grossièrement résumable par l’avènement des Temps modernes qui offrirent à l’homme l’illusion de sa toute-puissance.

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2 Messages

  • A.G. | 29 juin 2008 - 11:46 1

    Le 8 octobre 2007, François Meyronnis et Philippe Sollers intervenaient à la Maison de l’Amérique latine à l’occasion de la publication de leurs livres. Ces interventions ont été filmées par Laurène L’Allinec. Elles sont sur le site de paroles des jours ainsi que le texte de François Meyronnis :

    {{ Guerres secrètes}}


  • Marie-Gabrielle | 11 février 2008 - 14:23 2

    La conscience est douloureuse, mais projeter les "extermination, matricide et sexualité impossible", aussi obscène que de penser renoncer à la poésie, car serait-il possible de renoncer à la poésie sans prétendre au même impossible ?

    L’écriture est ce temps visuel dont le combat faisait la dimension. Je crois plutôt utile de renoncer à l’attribut dans sa manière épaisse d’appréhender notre apparence...

    Tous ces extraits créent l’appel d’air en donnant l’envie de s’y engouffrer vraiment métamorphosée. Incroyable.