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Au temps des cerisiers en fleurs avec Ozu et Marc Pautrel

D 25 mars 2023     A par Viktor Kirtov - C 4 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Article initialement publié le 1er avril 2020.
HANAMI la fête des cerisiers en fleurs : les dimanches 26 mars et 2 avril 2023 avec pique-nique sous les cerisiers (ou au salon de thé), au Parc oriental de Maulévrier.

Au Japon, comme en France, et au jardin japonais de Maulévrier, en Anjou, c’est le temps des cerisiers en fleurs :

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Cerisiers japonais dans le Parc oriental de Maulévrier (Sud Anjou)
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Malheureusement, cette année, confinement oblige, il n’y aura pas de Hanami au parc de Maulévrier (voir ci-après), il n’est pas possible de contempler la féérie des cerisiers en fleurs, dans ce jardin qui m’est cher, au pays de mon enfance. Il était alors en friche, ce qui augmentait son mystère et déjà plein d’attrait.

Il est aussi un cinéaste japonais, Ozu, célébré par Marc Pautrel dans son livre éponyme qui comporte un magnifique chapitre 6, dédié à Ozu et les cerisiers en fleurs.

Aussi, vous proposons-nous aujourd’hui pour fêter Hanimi, la fête des cerisiers en fleurs
- Une visite du parc japonais de Maulévrier.
- Un extrait du livre OZU de Marc Pautrel, emprunté à l’excellent site : Tokyo Time Table animé par Michaël Ferrier que l’on aime retrouver sur pileface.

Hanami, la fête des cerisiers en fleurs

Le Hanami (littéralement, « regarder les fleurs ») est la coutume traditionnelle japonaise de célébrer la beauté des fleurs, principalement celles des cerisiers, lorsqu’elles entrent en pleine floraison fin mars, début avril (en même temps que chez nous).

Au Japon, les familles et les amis se rassemblent pour photographier les cerisiers et investissent les parcs pour pique-niquer, discuter, chanter, et boire ! Ils s’installent sous les cerisiers, sur des bâches, souvent bleues, réservées parfois longtemps à l’avance. Familial et amical, le Hanami est aussi un rituel social avec ses règles et sa hiérarchie. Généralement, ce sont les plus jeunes du groupe (les kohai) qui arrivent tôt le matin pour déposer la bâche en plastique, garder les places et attendre l’arrivée de leurs aînés (les sempai).

Pourquoi fêter la floraison des cerisiers ?

Au Japon, les fleurs de cerisiers représentent l’innocence et la simplicité, mais elles sont également liées à la culture des samouraïs. Tout pourrait être réduit en deux mots : beauté éphémère et elles symbolisent la brièveté de la vie. Au-delà de la beauté de ces fleurs, c’est la portée philosophique qui se cache derrière elle et qui est à la base de beaucoup d’éléments de la société japonaise. (Hanami au château d’Himeji sur la photo ci-dessous)

Visite du parc japonais de Maulévrier, ICI

OZU ET LES CERISIERS

Enfin, à un moment où il ne pensait plus aux fleurs de cerisiers, il les découvre un matin, minuscules, des pointes blanches accrochées aux bras noirs des arbres, comme de petites billes de coton : la floraison a commencé.

Marc Pautrel

Mais tout d’abord cette information :


2 avril 2020
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Petit portrait d’Ozu au cognac (Crédit : https://www.tokyo-time-table.com/marc-pautrel-ozu)
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L’hiver lui paraît durer chaque année plus longtemps. Il a tellement hâte que les arbres retrouvent enfin des feuilles, hâte qu’ils accueillent enfin des fleurs. Il sait que tout ira mieux alors, qu’il sera soulagé.

Dans une vie, on ne voit les cerisiers en fleurs qu’une poignée de fois, quelques dizaines, pas plus, parce que petit on ne se rappelle pas, et en tout on ne vit vraiment que soixante ou soixante-dix floraisons, on fait la fête sous les arbres en fleurs beaucoup moins de cent fois. Son pauvre père a manqué les cerisiers à quelques jours près, il a disparu le 2 avril 1934, la floraison a été tardive cette année-là, il faisait trop froid. Chaque année, Ozu honore sa mémoire et chaque année lorsque les arbres sont en fleurs il se dit que son père aurait aimé mourir en les voyant, après les avoir lui aussi admirés, au bout de cinq ou six jours, juste au moment où les pétales commencent leur chute.

Un de ses amis écrivain lui a parlé d’un romancier d’Europe dont Ozu ignorait jusqu’ici le nom, il lui en a lu quelques pages et c’était magnifique, et à un moment cet auteur employait une très belle métaphore,

et Ozu a souri plus tard en voyant les fleurs tomber lentement, par centaines chaque minute sous les branches, et il a repensé à la métaphore de cet étrange romancier, un Français dont il va falloir qu’il lise les livres : Marcel Proust, qui disait qu’il se trouvait « comme au milieu d’une pluie de perles ».

Pendant tout l’hiver et le début du printemps, il cherche à retrouver où sont les cerisiers dans Tokyo, mais il ne voit que des arbres peu visibles, des squelettes immobiles qui vont devenir durant l’été des massifs feuillus au vert sombre. Au bord du canal des douves du Palais impérial, qu’on longe un moment en train quand on prend la ligne Chûô, des cerisiers sont plantés tout le long des berges, il le sait, mais difficile de les voir pendant toute l’année, il faut attendre.

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(Crédit : https://www.tokyo-time-table.com/marc-pautrel-ozu)
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Pour les cerisiers, c’est comme pour la vie : il faut attendre, attendre, attendre, et ensuite encore attendre, et toujours attendre, et finalement arrivera le moment où l’attente sera récompensée, et on pourra admirer l’œuvre accomplie.

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Crédit : https://www.tokyo-time-table.com/marc-pautrel-ozu
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Quand il passe devant un cerisier encore en sommeil mais dont il sait qu’il prépare ses fleurs, Ozu s’approche et regarde où en sont les bourgeons. Ils croissent, ils grossissent lente-ment, très lentement, pas encore une fleur. Mi-mars, les premiers boutons éclosent sur quelques arbres, pas des cerisiers, non, mais des pruniers. Enfin, à un moment où il ne pensait plus aux fleurs de cerisiers, il les découvre un matin, minuscules, des pointes blanches accrochées aux bras noirs des arbres, comme de petites billes de coton : la floraison a commencé.

Chaque jour en sortant de chez lui il s’arrête devant les arbres pour les admirer, regarder les fleurs grossir, heure par heure à présent, pour ainsi dire minute par minute, au gré du soleil et de la rosée du matin. Il prend des photos avec son petit appareil Leica, il n’est pas le seul, des photographes professionnels sont là aussi, avec leur trépied et leur gros boîtier, et quelques amateurs aussi qui ont des appareils portatifs à soufflet, ils se photographient les uns les autres devant les arbres qui commencent à peine leur grande parade blanche. C’est une immense fête, tout le monde rit et se félicite, on dirait un mariage ou un gigantesque anniversaire. Il y a des petits attroupements devant tous les arbres du quartier et dans tous les jardins publics, à Koishikawa Kôrakuen, à Kiyosumi Teien, au parc Ueno, lieux de rencontres et de fêtes. Les fleurs de sakura sont là, le miracle a commencé, il va encore continuer et s’intensifier, les fleurs vont peu à peu s’ouvrir, elles seront de plus en plus vastes, et les lourdes branches de plus en plus blanches.

Partout dans la ville les nuages de fleurs immaculées se détachent sur le ciel bleu, et quand Ozu prend le train pour aller vers le sud, pendant tout le trajet, le long des rails il voit des cerisiers éclatants. À Kita-Kamakura, avant et après la petite gare au toit si pentu, les branches éblouissantes forment une immense ombrelle de lumière et de parfums au-dessus des quais.

Oui, c’est un miracle, un événement magnifique qui ne dure que quelques jours, et pendant ces quelques jours chaque fois qu’il admire les cerisiers il prie pour l’âme des disparus, il pense à son père, à son neveu, à tous ceux qui sont morts depuis des millénaires, à ceux qui hélas mourront encore pendant des millénaires puisque la règle ici-bas est de céder sa place après un temps donné, la règle folle de l’humanité c’est chacun son tour. Au moins, pendant cette petite semaine des sakura, pendant la floraison des prunus, le temps ferme sa boucle et les vivants cèdent un moment leur place aux morts, une petite poignée de vivants se recueille pour permettre à des milliards de morts d’aspirer quelques bouffées d’air frais. Les disparus ressuscitent sur les branches des arbres et jouissent du soleil et du ciel. Puis le vent, lentement, rend leur âme à la terre : les fleurs tombent.

Lorsqu’il n’y a eu ni vent violent ni pluie, ou lorsque le cerisier est dans un endroit abrité, et Ozu connaît plusieurs de ces endroits, dans des jardins à Tokyo, ou près de son auberge favorite plus au sud, les fleurs ne chutent que le jour où elles sont fatiguées. Il reste longtemps assis surle pas de la porte, sous l’auvent de l’auberge, à regarder les fleurs tomber une à une, en pluie lente et régulière, pluie de perles disait l’écrivain français, petites averses de neige épisodiques en plein printemps, et s’il osait il irait s’asseoir sous l’arbre pour avoir le visage baigné par les fleurs, mais il y sent un sacrilège, les fleurs doivent rejoindre directement le sol, la brise les accompagne, les aide à rejoindre la terre où se mêlent depuis toujours les cendres des disparus, la vie vient de la poussière et elle revient à la poussière.

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Hara Setsuko, muse de Ozu, ici dans Printemps tardif (1949)
Crédit : https://www.tokyo-time-table.com/marc-pautrel-ozu
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Mais durant ces jours où les fleurs ont pu s’accrocher aux branches des cerisiers, étincelantes sur le ciel bleu, il a été heureux.

Marc PAUTREL

© 2016 by Marc Pautrel/Ed. Louise Bottu/Tokyo Time Table


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4 Messages

  • Viktor Kirtov | 5 août 2020 - 15:08 1

    Merci cher Thelonious pour cette nouvelle contribution. Toujours pertinent !


  • Thelonious | 5 août 2020 - 14:24 2

    Je termine la lecture du livre de Marc Pautrel consacré à Ozu. La dernière phrase est celle-ci :"Il (Ozu) peut bien disparaître, il ne mourra jamais". Je pense au dernier livre de Sollers, Désir, qui se termine ainsi : "Le coeur peut s’arrêter, la pensée vivra". Je pense aussi au dernier livre de M. Pautrel, l’éternel printemps, qui est le portrait d’une femme, auquel l’auteur selon moi aurait pu donner comme titre Désir.
    Sollers, éditeur du Bordelais Pautrel, tout sauf un hasard.
    Bel été à pileface.


  • Viktor Kirtov | 17 avril 2020 - 16:56 3

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    Journal de 13 H TF1 du 17 avril 2020.

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    « Les cerisiers du plus grand jardin japonais d’Europe sont en floraison.
    C’est un voyage au cœur de l’Orient, une peinture plus vraie que nature d’un univers situé à Maulévrier, en Anjou. Douze hectares de parc inspiré des jardins traditionnels de l’Empire du soleil levant. Une ambiance propice à la méditation et à la poésie. Un écrin de verdure orienté Est-Ouest, la symbolique de la vie. C’est la course du soleil du levant au couchant, de la naissance vers la mort. Et donc l’eau arrivant vers l’Est représente la naissance, et puis se repose avant de sortir du parc par cette étendue qui représente la fin de la vie et même l’infini puisqu’on n’en voit jamais le bout. »


  • Viktor Kirtov | 11 avril 2020 - 14:30 4

    KYOTO SONG par Colette Fellous et la critique de Philippe Chauché. Un autre écho du Japon après et dans le prolongement de celui dédié à OZU

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    « Je dis tour à tour Kyoto, Japon, Kyoto song, mais ce n’est jamais le mot juste, je sais seulement que cet endroit du monde est pour moi à la fois le pays réel et le pays mental, qu’il est très fragile et qu’il pourrait d’une seconde à l’autre disparaître, comme tant d’autres choses ».

    Kyoto song est le récit inspiré d’un voyage à Kyoto de l’écrivain et de sa petite fille Lisa, âgée de dix ans, curieuse, joyeuse, et attentive : « j’ai envie d’être encore une enfant pour voir le Japon ». Un voyage odorant comme des fleurs des cerisiers, vibrant au rythme des haïkus de Bashô : « Dans le chant de la cigale, rien ne dit qu’elle est près de sa fin ». Un voyage placé sous très haute protection littéraire, Paul Claudel, Roland Barthes, Soseki ; et cinématographique, Yasujirô Ozu : « (C’est que) tous ses films n’en forment qu’un, ils sont le grand roman qu’il n’a pas écrit, mais filmé ». La voix unique de Colette Fellous vibre à chaque page de Kyoto song, comme elle vibrait lorsqu’elle proposait ses Carnets nomades sur France Culture.

    Ce livre est un carnet nomade, qui fait se rencontrer le Japon, ses passions, mais aussi son enfance, les douleurs, les pertes, et l’affront absolu, la barbarie d’un viol. Colette Fellous a une voix et donc un style. […]

    La suite ICI