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Sollers, clap de fin, par Philippe Lançon

Charlie Hebdo

D 20 mars 2024     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Sollers, clap de fin

Philippe Lançon

Mis en ligne le 20 mars 2024
Paru dans l’édition 1652 du 20 mars

Le 27 septembre 2021, Philippe Sollers commence un livre, La Deuxième Vie, qu’il finit le 10 mars 2023 par ces mots : «  Si le néant est là, il est là, en train de voir le monde éclairé par un soleil noir.   » Le néant est-il voyant, comme les prophètes  ? Sur la page, en tout cas, il rebondit («  Si le néant est là, il est là  », hop, hop). Ensuite, écrit dans la postface Julia Kristeva, veuve de Sollers, «  son état s’aggrave […]. Philippe se tourne vers le cahier, sa voix frémit : "C’est tout, c’est bien. On part  ?" Je confirme : "On part"  ». On, c’est lui, dans ses deux vies. Je suis là, je m’en vais. Le 5 mai, il meurt. Gallimard publie aujourd’hui La Deuxième Vie.

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Le manuscrit l’a suivi, dit-elle, tout au long de son parcours médical. C’est compréhensible. Quand écrire est une manière d’être ailleurs tout en étant là et quand on effectue cette traversée hospitalière, les textes qu’on écrit ont tout de l’esquif dans la tempête. On ne le lâcherait pour rien au monde, même s’il flotte mal. C’est la baleine magique de notre enfance, laquelle ressurgit, avec son petit jet d’encre, dans l’ombre de la fin. Que vaut La Deuxième Vie, cette barque légère sur le Styx, ce bref livre posthume  ? Et d’abord, qu’est-ce que cette ­Deuxième Vie majuscule  ? Sollers écrit : «  Je n’ai pas été un bon saint lors de ma première vie, mais j’en suis un très convenable dans ma Deuxième.   » Dans celle-ci, «  pas de loyers, de factures, d’impôts. Tout est gratuit dans une profusion intense. Quel silence  ! Quel repos  ! Comme le Ciel est grand, indulgent et vaste  !  ».

Bim bam boum

Ce n’est pas la vie après la mort, qui n’existe pas, mais la vie juste avant la mort, dans sa perspective. Elle rend sensibles, détachés, dépouillés, ceux qu’elle choisit. À l’en croire, ils sont rares : l’écrivain s’est toujours créé comme personnage d’exception, sinon d’élite, contre une société que l’homme a longtemps voulu séduire, occuper. «  Aimé des fées   », disait André Breton. Et suivi par Carabosse, qui prend ici des tas de figures différentes. Comment leur échapper  ? «  Dans la Deuxième Vie, tout est double et se répète indéfiniment. Les éléments négatifs sont éliminés et chaque moment est perçu instantanément pour la Deuxième. Le caractère le plus inattendu de l’éternité est donc la vivacité. C’est d’un vif mouvement que la mer se mêle au soleil.   » Merci Rimbaud. L’autre héros, c’est Picasso.

La Deuxième Vie  ? Du pur Sollers  ; l’essence de son parfum. Galop concentré, elliptique et enjoué sur la mort qui vient. Galop d’enfant triste mettant vite ses masques, les jetant plus vite encore. Et donc, bien sûr, panoramique rapide, agressif, pas du tout progressiste, encore moins féministe, sur une époque contre laquelle il déploie une dernière fois ses panoplies. Quelques personnalités en prennent, sans être nommées, pour leur grade. Godard, par exemple : «  Un vieux con du cinéma s’est cru malin en disant qu’au cinéma on lève la tête, alors qu’on la baisse en regardant la télé. Mais oui, tant mieux, en mettant trois postes de télévision par terre, et deux en hauteur, ces deux-là sans le son, on notera des surprises, des grimaces mal escamotées, tout le mensonge naturel de l’espèce humaine.   » La télé  ? Elle «  a tué le cinéma comme la photographie a tué la peinture, laquelle ne survit que comme laideur instituée   ». Sa mission  ? « Démontrer la bêtise démocratique. » Le cinéma engendre les féminicides. Les hommes sont réduits à l’état de violeurs. Les femmes développent une morale soumise à «  l’arrière-grand-mère américaine   ». Ils sont «  barbants   », elles sont «  gonflantes  », tout le monde se plombe et se plaint. Rien ne va plus, salut l’artiste : «  La fin du monde, c’est dans trois minutes si vous prenez la dose prescrite.   »

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Le ressentiment, lié à la lutte des classes et des sexes, domine : «  Le plus amusant ce sont les références uniquement sociales dans le grand final historique que nous vivons. Dans ce crépuscule des premières vies, l’un, écrivain célèbre, rappellera de temps en temps que sa mère était femme de ménage, l’autre, journaliste proliférant, n’arrêtera pas de rendre hommage à son père illettré, ouvrier agricole. Enfin, une vieille femme française, prix Nobel de littérature, se souviendra, au bord des larmes, de l’épicerie familiale, en disant qu’elle n’écrit que pour "venger sa race et sa classe". Tout va donc dans la bonne direction, puisque les victimes sont récompensées.   » On reconnaît Annie Ernaux, peut-être Michel Onfray. Quel attelage  !

Charlie hebdo, 20 mars 2024.

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