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PHILIPPE SOLLERS célébrer la vie de son vivant

par Vincent Roy (art press 522)

D 25 mai 2024     A par Albert Gauvin - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


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Philippe Sollers.
(Ph. F Mantovani. © Gallimard)

PHILIPPE SOLLERS
célébrer la vie de son vivant

Philippe Sollers. la Deuxième Vie
Gallimard. 72 p., 13 euros

Mort en mai 2023, Philippe Sollers a laissé un ultime livre, un court roman inachevé, la Deuxième Vie.

« Malheur à celui ou à celle qui n’a pas célébré sa vie de son vivant », écrit Philippe Sollers, dès les premières lignes de son dernier roman intitulé la Deuxième Vie et publié neuf mois après sa mort. Cette formule est centrale. Elle irrigue les 60 pages de la dernière « liaison de raisonnement » de l’auteur de Désir (2020). Il l’avait déjà tournée autrement, comme une « révolution radicale », dans Graal (2022) : « La vraie vie consiste à vivre sa propre mort. » En d’autres termes, il ne s’agit rien moins que d’éprouver son « corps glorieux » de son vivant ; d’en mener l’expérience intérieure : impassibilité, clarté, agilité et subtilité. Contre les négativités (résistances), la vivacité pour l’éternité.
« Malheureux qui ne s’est pas aimé comme un mort », est-il écrit dans Médium (2014). S’aimer comme un mort, c’est le Graal de vie. Quiconque penserait que le combat spirituel n’en passe pas, comme il est dit en sanscrit, par la connaissance de « la vue de la vue » ou du « souffle du souffle » n’a pas « pénétré l’absolu ». Or, seule la pensée permet cette connaissance : « La pensée est un acte. » C’est ici qu’intervient le Dieu nouveau — cher à Heidegger —, lequel n’apparaît qu’à certains, ceux qui ont la connaissance, par la pensée justement, de « l’ouïe de l’ouïe ». Ce nouveau Dieu « choisit des croyants par révélation personnelle », il procède par illuminations (Rimbaud est là), « il peut surgir d’un rayon de soleil ou d’un léger coup de vent ». Surtout, si vous êtes admis aux mystères bien réels, par attention constante à des points précis, il vous révèle votre Deuxième Vie. Pendant la première. Des pans entiers de cette Deuxième Vie vous sont donnés, tombent sous vos yeux décillés, de ce côté du temps. Ainsi, soudai­nement et absolument, « le Ciel » vous apparait-il « grand, indulgent et vaste ». Pour cette opération médiumnique qui compte peu d’élus, il vous faut avoir réfuté radicalement la croyance, inculquée dès l’enfance, « comme quoi tout plaisir se paie ». Un enfant éveillé, vous dit Sollers, ne connaît que « l’instinct de gratuité ». Contre toutes les évidences négatives en cours, contre le nihilisme, vous pourrez alors reprendre à votre compte la formule, d’une « provocation inouïe », de la Juliette de Sade : « Le passé m’encourage, le présent m’électrise, je crains peu l’avenir. » Gageons qu’elle devienne d’un coup votre « principe de délicatesse » ! En somme, vous métaboliserez le poison !

SOLEIL NOIR

60 pages, c’est peu, c’est beaucoup ; c’est dense, resserré, testamentaire : « Tout doit faire voûte, rien d’inutile, tout serré, tout en preuve et en chaîne, sans interruption. » Écoutons Julia Kristeva qui donne une postface à ce roman posthume : « l’Acteur, ironiquement Migrant et Blanc terminal, qui dit "je" sous cette voûte sait bien que la mort ne se laisse ni nommer, ni représenter. » C’est ici qu’elle évoque la « première mort » de Sollers dans « les maladies d’enfance » : celle-ci aura « enraciné en lui l’inébranlable conviction qu’ il bénéficie d’une grâce transcendantale ». Et elle poursuit, c’est éclairant : « Échappant in fine à la métaphysique binaire, à la volonté de puissance elle-même, un néant propulseur précipite son élan de pensée — vécu, rythmé, dédoublé, distancié, dissident, conflictuel, singulier. » Il est intéressant, là, de donner, selon Sollers, la définition du néant — on la trouve dans Théorie des exceptions (1986) : « Une façon qu’a le participe passé du verbe "naître" de fréquenter une certaine inquiétude du participe présent. » Après une « première mort », en effet, le passé encourage et le présent électrise !
Le néant désarme la puissance puisqu’elle ne peut exister qu’en se heurtant. Le « Blanc terminal », acteur final et auteur de la Deuxième Vie, confesse avoir appris à jouer de cette contradict­ion dans la première. Le voici donc maintenant comme un « cosmonaute glissant dans la nuit ». Rien ne l’étonne, tout va de soi de façon claire. Tout est limpide. Sa lucidité est à toute épreuve. D’où cette formule, vraiment terminale cette fois : « Si le néant est là, il est là, en train de voir le monde éclairé par un soleil noir. »
Alors, comme ça, dans la Deuxième Vie, le monde s’éclaire d’un soleil noir — de celui, donc, que l’on peut regarder en face. Et là, la magie opère. Sollers, jusqu’à la fin, ne désarme pas. Lisez plutôt (l’humour n’est jamais loin) : « En France, tous les rapports humains sont dictés par la lutte des classes, d’où, peu à peu, après quelques contorsions révolutionnaires, un profond ennui. » Aussi : « Le cinéma est le premier responsable de l’épidémie de féminicides. Un garçon abusé par des centaines de scènes hétéros pensera toujours, naturellement, que les femmes sont à prendre et n’attendent que ça. » Et encore : « Le comble sera atteint quand l’esprit de vengeance voudra se venger de l’esprit de vengeance. » Et aussi, à propos de Michel Houellebecq : « Il va donc continuer à décrire l’effondrement du sexe français, pour le plus grand bonheur de la presse internationale, qui ne s’attendait pas à un tel cadeau. » En enfin, à propos d’Annie Emaux : « [...] une vieille femme française, écrivaine, prix Nobel de littérature, se souviendra, au bord des larmes, de l’épicerie familiale, en disant qu’elle n’écrit que pour "venger sa race et sa classe". Tout va donc dans la bonne direction puisque les victimes seront récompensées. En douter vous désigne immédiatement comme conservateur élitiste. » COFD.

Vincent Roy, art press 522, juin 2024.

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1 Messages

  • Manon | 29 mai 2024 - 01:24 1

    Bravo pour cet article, intégralement constitué de phrases empruntées au roman de Sollers et à la lumineuse postface de Julia Kristeva. 50% de citations, 50% de paraphrases. Comme toute bonne critique se doit de l’être, bien sûr !