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"Filles de mémoire" ou la Fête des désirs & de l’hétérosexualité

 : Jean-Hugues Larché - En librairie, le 1er mars 2024

D 15 février 2024     A par Viktor Kirtov - C 2 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



Illustration de couverture ; Fragonard, Les Hasards heureux de l’Escarpolette (détail)
le livre sur amazon.fr

J’avais d’abord reçu un extrait d’une trentaine de pages sur le début du livre et griffonné ces lignes en guise de premier écho :

Des mots jaillissaient à mon esprit pour tenter de donner un premier écho à cette lecture partielle : désir, désirs, fente féminine, petite enfance, puis adolescence : la féminité incarnée par ces filles (pas encore femmes), mais désirablement sexuées, attractives, un récit écrit à la première personne, la mémoire des premières fois. Un récit de mémoire, écrit par un adulte, la mémoire du temps pour restituer les scènes primitives, dans leur simplicité biblique ou génétique de l’espèce humaine.
C’est un récit personnel, mais en même temps universel, parce que les lois de l’espèce ne sont pas individuelles.

Puis j’ai reçu le livre et après l’avoir lu, j’étais sonné comme un boxeur qui a reçu un uppercut. Après l’enfance et l’adolescence, c’était sa période adulte de libertinage actif.

Comment allais-je parler de ce livre si sexuel, si différent de tout ce que j’avais lu de lui jusqu’à présent. On pouvait bien deviner chez lui une tendance dionysiaque marquée, mais c’était allusif, alors que là on entre dans le dur, ou plutôt le dur entre dans le mou, mais c’est très mal dit car les scènes de sexe sont fort bien écrites, précises, les mots peuvent être crus, mais la délicatesse n’est pas absente, les jeux de séduction, les portraits des filles, des femmes, les nuances dans la couleur des yeux de ses conquêtes - mais il lui arrive aussi d’être choisi par une femme – le grain de la peau, les seins, la toison, sont bien présents, et tout cela est décrit « avec amour » de la féminité, de la femme, on le sent bien. La poésie peut aussi être présente. Des portraits valorisants, qui font revivre les sensations du moment avec une précision telle que je me suis dit, que l’auteur devait prendre des notes, posséder un carnet rouge, comme Sollers, qui y notait ses expériences sexuelles, description et notation au sens scolaire, mais aussi, prénom, âge, profession, détails physiques etc. C’est impressionnant de vécu, mais n’oublions pas que l’écrivain a aussi le pouvoir de romancer ses souvenirs.

Dans les derniers chapitres qui donnent de la profondeur au livre, l’auteur précise ses intentions et son questionnement. On peut notamment y lire ceci :

« À ne pas mettre entre toutes les mains. Ni en parler à l’oreille de n’importe qui. Ne le poser encore moins à portée des yeux. De peur de fasciner ou effrayer au-delà des espérances. Sa philosophie ne se range dans aucune autre. Hors catégorie. Instinctif, arbitraire, il s’apparente à la bête qui est en moi, à la délicatesse aussi et au savoir-faire, parfois. Pas besoin d’initiales, seulement d’initiés. Sans l’écriture du désir, il demeure lettre morte. Seul un, deux ou trois prénoms de femmes l’inspire. Illico. À la première rencontre, au quart de tour, cheveux, regard, peau, formes, parfum, effluves ; il démarre. Il s’érige pour la beauté du mouvement ascendant, du simple contentement d’être rigide, droit vers le ciel dans le plaisir d’exister au grand air. »

Suivent deux pages de la même inspiration où l’écrivain reprend la main avec maestria. A ne pas manquer !

Moralité : ne pas surfer que sur l’écume des mots, plonger, c’est le fonds qui manque le moins.

J’ai alors lu le résumé de l’éditeur et découvert que c’est un excellente présentation qui, au-delà de l’écume du premier degré, dit bien la quintessence du livre, des choses essentielles et justes, en somme :

Elles s’appellent Iris, Zoé, Nadja, Salomé ou Dora en rencontres amoureuses sur un quart de siècle. Une suite de désirs multiples et variés qui pourrait de prime abord passer pour des stéréotypes d’un temps révolu.
Ici, la tension du désir témoigne d’aventures restituées en toute liberté. La mémoire reconstitue sous forme romanesque des scènes sensuelles et érotiques qui n’oublient pas de fréquentes références filmiques ou littéraires.
Le désir charnel est rendu à sa joie, à son ironie, à sa chance. Dégagé du nouveau contrôle sexuel obligatoire – pornographie mécanique, ultra-féminisme ou androgynie militante –, la seule revendication de ce récit est celle du plaisir sensible. Plaisir de la rencontre, de la mémoire et de la beauté.

Après ce préambule, entrons maintenant dans le corps du texte :

« La beauté du visage et du corps féminin en focale. »

C’est ce qu’on peut lire dans son autoportrait, p. 49.

Echo visuel en dernière page du journal que je lisais, Natalie Portman, égérie de Dior, la beauté de l’instant, d‘un visage shooté par un photographe de talent. Oui, de talent ! La pose, le regard, le haut découvrant la peau composant une Natalie aguichante et sensuelle, Que nous dit-elle ? « Et vous que feriez-vous par amour ? » Tandis que J-H. Larché nous dirait plutôt « Etes vous prêt à aller au bout de vos désirs ? » La publicité aussi, peut être belle, quand elle célèbre la femme avec goût et talent.

C’est son credo : « Ma curiosité va naturellement vers l’autre sexe. … », ce sont les premiers mots du livre avec en exergue « Aux désirs » Ce livre est une célébration de la femme, des filles… A travers les cinq sens ! Et le sexe, omniprésent ! Mais pas que !

« Aux désirs » me remémore cette citation de Dany Laferrière dans son dernier livre : « Un certain art de vivre » :

« Le désir est le plus court chemin d’un corps à un autre. »

Cours y vite, il va filer !

« Curieux des lettres des arts et de la musique » dit-il aussi dans son autoportait (p .49). On pourrait ajouter arts et « queutart », ça rime ! Et dans son sens noble, c’est aussi pratiquer le sexe avec art, « tout entier art ». pourrait ajouter Sollers qui l’inspire beaucoup. Et, pour le fréquenter, via pileface, depuis plus d’une quinzaine d’années, je peux confirmer que sa curiosité affirmée pour les lettres, les arts et la musqiue n’est pas usurpée. Elle consistait même en l’essentiel de ce que je connaissais de lui jusqu’à cette ode à la femme.

VOIR ICI NOTAMMENT :

Déambulation en compagnie de Jean-Hugues Larché, De Kooning, Soutine et les autres
Ou
« Seul Mozart » sous le regard d’angle du trublion Jean-Hugues Larché .
avec Fragonard, Billie Holliday , Skalespeare et plus.

Sans oublier ce beau témoignage sur Sollers :
Sollers à l’étoile

Commencements

A la découverte du continent féminin. La Fente mystéreuse

L’enfant que l’auteur a été, comme nous tous, car il y a de l’universel dans son récit personnel, découvre l’anatomie féminine, la "Fente mystérieuse", cette particularité que le jeune garçon qui n’a pas de sœur à la maison, ne peut que découvrir à l’extérieur, Jeux d’enfants, jeux sexualisés, c’est son Livre de la Jungle, in vivo.

« La scène est primitive. En simple duo avec Joëlle, dans le bac à sable isolé. « Si tu baisses ta culotte, je baisse mon slip. » En un coup d’eil, j’ai remarqué que ce n’est pas la même texture de sous-vêtement. Curiosité précoce, vision de la fente échangée contre celle du petit bout. Chacun veut voir l’autre côté ; ce qui n’est pas soi. Je suis troublé à cette première vue fendue. Image de chair comme si c’était hier. Dix ans à tous les deux. Cinq et cinq. Juste après le début des phrases et des pensées correctement articulées. Conscience de cette scission bien avant celle de l’existence. Présence de l’altérité en face. Approche visuelle, mais pas tactile. Respect immédiat de l’autre dans son intégrité. Ne pas faire à autrui... ce que l’on ne voudrait pas pour soi. Le catéchisme n’a pourtant pas encore posé son empreinte. Fascination pour cette fente originelle d’où je viens sans trop le comprendre. Une seule fois en échange visuel avec Joëlle. En point récurrent par la suite du vouloir voir d’autres images fendues. Je tenterais parfois d’observer ma mère lorsqu’elle jardine, courbée. Aujourd’hui on appellerait ça un enfant pervers au prisme moralisateur des hypocrites de tous bords. »

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Dessin de Benoît Monneret
benoit.monneret@gmail.com

https://www.instagram.com/monneretbenoit/

« Une fin d’après-midi, revenant du collège, dans la classe du cours moyen 1 de ma mère, des filles (une dizaine) forment une rangée le dos contre le mur. Pour un franc, elles retroussent leurs robes, baissent leurs culottes à mi-cuisses et montrent leurs toisons. Ce sont les grands redoublants qui organisent ça. Je vais voir pour la première fois des toisons en vrai. Dans mon souvenir, il n’y a pas de forçage mais un accord commun. Aucune violence physique. Je pense à ce que j’ai fait six ans plus tôt dans le bac à sable. Personne ne moufte sur l’histoire. Vous voulez voir, c’est interdit, alors vous payez. Accord tacite. Ça n’ira pas plus loin.
Aucuns attouchements. J’assiste à l’opération deux ou trois fois. En même temps, je n’en mène pas large. Si ma mère apprenait la chose, ce serait le festival de gifles et un vrai scandale. Je comprends que des choses se font clandestinement et que ce besoin de voir l’intimité des filles travaille tous les garçons et certaines filles. »

« Nous prenons le même bus depuis deux années de lycée. La réputation de Fabienne la précède. Très timide et un peu facile. Elle couche avec le premier venu. Ça m’intéresse. Elle est fille de propriétaire en céréales. Je l’ai invitée à une soirée où l’on s’est embrassés, un peu à l’écart. Elle s’est laissée toucher le sexe et lécher. Forte odeur sous sa toison. J’en reste là. Ensuite mes avances sont claires et décidées car j’ai presque seize ans. On est mi-juin et il fait chaud. Je passe chez elle, elle y est seule et m’attend.


"Première fois qu’une fille se déshabille entièrement devant moi"
Dessin de Benoît Monneret (benoit.monneret@gmail.com)
"beauté du corps féminin en focale" : pureté des lignes, courbes et rondeurs esquisses de sensualité.
https://www.instagram.com/monneretbenoit/

Nous montons à sa chambre au premier étage. Les volets sont fermés. Demi-pénombre. Première fois qu’une fille se déshabille entièrement devant moi. Elle enlève son jean et son sweat. Puis son soutien-gorge et sa culotte. Je me dévêts aussi. Un peu fébrile. On s’assoit sur le lit. J’embrasse son cou, ses beaux seins, puis sa chatte, cette fois sans odeur, mais avec la langue. D’ailleurs, nous ne parlons presque pas. Elle est de nature timide mais écarte vite les cuisses. Elle a l’habitude. Elle est passive. Je la monte classique. La pénètre. Elle répond de quelques coups de bassin. Rapidement, je jouis en elle. Elle sourit. Elle m’embrasse encore. Ne dit toujours rien. Je reste blotti contre elle longtemps. Elle pense peut-être que je vais la reprendre. Je sors une plaisanterie un peu à plat. Elle se rhabille, moi ensuite. Nous redescendons calmement l’escalier. Je la remercie pour le moment passé. Elle me dit au revoir gentiment. Il va falloir que je progresse. J’ai passé le « gué » et ne le dis à personne.

L’adolescence se poursuit avec Reine, Clarine et Laurine, Isabella  : « Elle porte des bas à jarretière », Alice.

« Vanessa est la première fille à me chercher, à vouloir sortir avec moi. Son physique ne me plaît pas trop, mais je ne la rejette pas. Elle est très mince et vient régulièrement me voir chez mes parents qui ont la même profession que les siens. Rapprochement de classe sociale. Compagnie de week-ends. […] Notre accouplement un peu normatif en escalade sur son mont de Vénus, me fait avancer dans la confiance. […] Souvenir de sa gentillesse, de ses dents enfantines quand elle me sourit et de ses yeux qui se ferment, de ses paupières fines. »

La ronde sexuelle de l’adolescence n’est pas encore tout à fait close. Ferment la ronde : June : « Elle veut que nous fassions du théâtre ensemble. Je suis en faculté de Sciences économiques. » Carry, Lucia : « vierge frêle et pâle, a été éduquée à la campagne, à l’ombre des grands pins. […] Elle me fera tourner la tête pendant plus de neuf mois.’


Picasso, Buste de femme, 1907
Plus ICI

La période batifolage

« Fin de relation avec Alice. « Ayant recroisé les faits et su que ma fidélité n’était pas partagée, je commence à courir façon chasseur-cueilleur. Je ne suis pas en avance, j’ai vingt-huit ans et je veux rattraper je temps perdu. La ville jazzée de blues de Nougaro accueille mon libertinage tardif. »

Si vous pensez que la période batifolage a déjà eu lieu, vous vous trompez !
Vont se succéder une myriade de prénoms féminins. Certains sont imagés à souhait : Fontaine, « J’aime son copieux épanchement fluide dont elle a honte », mais aussi la belle Blondie, « très belle, une des plus belles que j’aie eues dans ma cuisine, dans mon salon, mon lit, de l’appartement qui longeait la voie ferrée. C’est toujours elle qui passe me voir »,

Mais notre chasseur-cueilleur n’est pas toujours à la fête : « Beaucoup de résistance de la part de Danielle, Alcool en déliquescence régulière. Je suis allergique aux haleines de bière. Là, je suis servi [….i . Plusieurs soirées interminables à la draguer. A la rappeler le lendemain. A insister pour la voir. Elle me cherche querelle à la moindre occasion.[….]. Je m’y suis accroché quand même. Drôle d’idée de se laisser prendre par le négatif ».

Les personnages peuvent être croqués comme le ferait un dessinateur ou un peintre, les mots de l’écrivain se substituent , au trait de crayon ou de pinceau appuyé :
« . Lyne est magistrale dans sa beauté distante. Magnétisme d’un regard de husky. »

Son empathie naturelle, sa culture littéraire, musicale et artistique son abord sympathique sont autant de flèches affutées dans son carquois de chasseur, mais cela ne suffit pas toujours : « Nous avons trainé beaucoup ensemble dans les soirées. […] Elle aime qu’on la remarque. Dora, je ne lui plais pas, elle préfère les mecs clichés, musclés et à belle gueule de dur. […] Passé beaucoup de temps ensemble, alors que nous avions très peu de points communs. Seulement de la sympathie et une harmonie camarade. »

La persévérance est une qualité indispensable au chasseur : « Nat, Elle ressemble à s’y méprendre à la blonde du lycée technique. Mais elle m’impressionne moins qu’à l’époque. Elle est petite et jolie. Après une résistance de quelques jours, je finis par la séduire. […] Jamais quelqu’un ne m’a embrassé de façon aussi voluptueuse, en vraie gourmet. Je la suis attentivement dans sa pratique de velouté buccal. […] Envie de faire plaisir et de se faire plaisir. Quelque chose de maritime, de la douceur du sable frôlé sur la plage, dans le mélange de nos langues. Un délice que je n’ai pas oublié. Vingt minutes à se reprendre ainsi en bouche. Pas plus loin. Pas d’insistance. Un concentré soyeux avec la féminité vraie en inoubliables instants. »

La ronde des prénoms se poursuit : Joan, « Voyage à Londres en compagnie de Joan, séduite récemment. Nous rions et baisons tout le temps. […] Légère acidité de peau. », puis Salomé, Betty, Albertine, Harmonie, Miranda, Myriam, Gipsy, Alba.

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Picasso, Nu assis, 1905

Fini le batifolage, je vais m’intéresser aux choses sérieuses

Fin de la période batifolage. « Début du siècle. Voyage en Italie sur les traces de Nietzsche. Je vais m’intéresser aux choses sérieuses » Intérêt aussi pour la pensée chinoise ancestrale ave en exergue du chapitre II :

« L’élément Yin est la majesté de la quiétude.
L’élément Yang, le dynamisme
débordant et fougueux »
Tchouang-tseu

Tchouang-tseu qualifié de « romancier extraordinaire, un penseur qui déroule ses contes en fausses leçons de morale, sans penser à quelque reconnaissance ultérieure. Ses histoires fabuleuses se situent dans un hors du temps qui est le Temps lui-même »
Et aussi ce passage de lettré. :

« Je sors du rayonnage Le Manuel de la chambre à coucher en Chine, sous la dynastie des Souei (590-618). Je l’ouvre et lis le passage de Belle de Candeur s’adressant à l’Empereur jaune : « Aux cinq désirs, on peut juger la réaction de la femme. Premièrement, si ses pensées vont vers l’union, sa respiration se fera irrégulière. Deuxièmement, si son vagin désire l’union, ses narines se dilateront et sa bouche s’entrouvrira. Troisièmement, si son essence vitale veut être activée, son corps se soulèvera et s’abaissera. Quatrièmement, si le désir de son cœur veut être comblé, le liquide qui s’épanche de son vagin mouillera ses vêtements. Cinquièmement, si elle est sur le point d’atteindre l’orgasme, son corps s’étirera et elle fermera les yeux. »

La belle lettrée s’approche, prend le livre, le ferme en respirant par intermittence.

La rechute

« Pour ma part j’avais arrêté de courir. Je ne marchais plus au premier jupon qui passait. J’avais donné dans la chasse et la cueillette. » déclare t-il p. 86.

Que nenni !

Il va rechuter de plus belle avec des partenaires mâtures : Axelle, vingt-trois ans, Beatrix, trente-trois ans, Charline, Diane « danse sans sous-vêtement […] apprête ses mouvements », Elisa « propose des prestations naturelles », Flore « t’appelle mon amour avec un accent brésilien. ». Gabrielle « fait des croquis sur le vif et veux que je pose pour elle »
Halle, « son rire après ses intimidations à mon encontre. Le feu de la cheminée monte derrière son dos et tout le Congo apparaît dans son charme neuf »
Iris « ressemble à un modèle que Goya aurait pu croiser et peindre à Bordeaux. »
Jeanne, « étudiante en lettres », Kate, Lucie « Le corail huilé de sa fente », Marlène , Nadja « baise comme elle respire. C’est ce qu’elle dit »,
Oriane,« proviseure retraitée garde la souplesse d’une danseuse, la tenue physique »

Eclectisme des rencontres et c’est sans fin : Queen, Rose, Sonia, Tatiana, Uranie « ouverte, accueillante, bien que timide », Val « est professeur de violon », Xénia et Yolande, Zoé.

Quel tableau de chasse ! A découvrir dans le texte !

Vénusiens

L’auteur est un amoureux de Venise comme Philippe Sollers. Voir notamment :

Quintet pour Venise
Navigation vénitienne
Cœur de Venise

et ne pouvait terminer ce livre sans une rencontre amoureuse à Venise. « Attiré magnétiquement par le visage et le corps pulpeux des Madones ou des Vénus de Tiepolo », « mon peintre vénitien préféré » déclarait-il dans Quintet pour Venise. Là, sa Vénus descend du tableau pour s’offrir à lui :

« …Redescendant les marches, on s’embrasse tous les dix mètres, se prenant la main, ou la relâchant par jeu comme si nous étionns déjà trop attachés. Attirés, aimantés, nous n’avons plus qu’à trouver un coin tranquille.
- Allons nous mélanger à l’abri des regards.
- Oui. On va faire au plus près... Chez toi ?
- J’ai un peu la tête à l’envers. . . Ce n’est pas très loin, juste à quelques rues d’ici. C’est rue des miracles.
- Ah, ah ! Pas très étonnant ! »

[…]

Elle aime la littérature et les arts, comme l’auteur. Ambiance :

« Nous montons l’escalier mal éclairé aux lourdes pierres poreuses et géraniums fournis qui scandent chaque palier. J’ aperçois les cuisses nues sous sa jupe, ravi, troublé. Elle ouvre la porte d’une petite entrée qui donne sur la chambre blanche, sobre et lumineuse. Le grand lit de style XVII est défait, encombré de vêtements épars et d’une revue Arts. Cinq volumes format poche de Proust gisent en éventail au pied du lit. Sur la large commode de style vénitien à fleurs et rubans sur fond d’ivoire, les Mémoires d’Outre-Tombe reliés en cuir clair, sont accompagnés de quelques guides sur Venise, près d’un large vase de fleurs séchées.

Puis, les préludes :

Elle lance en souplesse sa veste pourpre sur le dossier du fauteuil de toile claire. […] Désormais, le temps nous appartient. […] Je descends la fine fermeture et dégrafe sa jupe qui glisse en corolle sur ses bottes de cuir. Elle s’en dégage en deux souples battements de jambe. Culotte et soutien-gorge couleur chair sur sa chair renforcent mon trouble. Elle se retourne, approche son visage tout doucement comme si le temps s’arrêtait. Elle mélange avec plus de vigueur sa langue à la mienne. Déboutonne ma chemise. Garde une main sur mon torse. Sent mes pulsations. Je fais sauter, par chance, du majeur et du pouce les agrafes du soutien-gorge. N’ai-je pas rêvé galbe plus harmonieux que celui de ses seins ? Elle m’embrasse le torse comme en dévotion. Elle enlève la ceinture élastique de mon pantalon qui tombe à mes pieds et m’en dégage. Évaluant mon érection de la main, elle lève les yeux vers moi en vierge effarouchée. Ses seins passent sur mes cuisses et mes genoux en caresse veloutée.

Avant de laisser cours à l’expression d’une sexualité naturelle, épanouie et humaine. Retour aux origines.

Elle goutte mon excroissance et lape avec douceur le gland devenu pourpre. Y accole ses lèvres carmin, un instant. Ton sur ton sublime. Tourne sa bouche autour, évite de l’engloutir tout de suite. Considère mes bourses presque médicalement. Elle se relève, vire ce qui l’encombre, et se met sur le lit. Bascule sur le dos, remonte les jambes, ôte sa culotte et offre à ma vue son pubis bien taillé. Triangle brun fauve, longues lèvres entr’ouvertes dans le losange suintant du corail vif. Je prends le temps de m’y aveugler. Elle me laisse faire. « Le temps nous appartient. ». Colle ma bouche à son orifice dilaté, en saisis le poivré, le pimenté, l’acide. J’y glisse deux doigts en vrille sous sa caresse griffée de mon crâne. Son étrange gémissement fait m’enfouir nez et langue. J’épluche avec délicatesse le bouton épanoui qu’elle rejoint bientôt de ses trois doigts. Elle se cabre, s’agite des soubresauts, y mêle de petits rires nerveux et retenus. D’émotion, j’écoule une fine giclée. Elle la devine, pivote et veut goûter au filet répandu. Elle engloutit ma pine. Son con s’humecte encore sous ma bouche. Notre emboîtage latéral pourrait durer. Mais l’envie de se prendre monte en course de dauphins accompagnant un vaisseau ou la montée soudaine de la mer.
Elle glisse au sol, devant la porte-fenêtre sans vis-à-vis. Se met à quatre pattes pour me tendre le plus beau cul du monde.…. Je la prends de long et en large.

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Dessin de Benoît Monneret
benoit.monneret@gmail.com

https://www.instagram.com/monneretbenoit/

Fosse dorée contre Tige de jade. A l’attaque ! Chant guerriers et amoureux à la Monteverdi. Cavalcade ! Cavalier et monture. Tagada, tagada ! Contraction des cuisses, des fesses et des abdos. Lutte joyeuse à la gréco-romaine. Vénus Venise en réceptacle ; Héraclès-Neptune en pilon. On halète en drôles d’animaux élémentaires. Yin en accueil agité. Yang en frictions retenues. Respiration profonde à la chinoise. Conscience partagée du jouir. Nectar de vie.

C’est la fête des sens, La Fête à Venise pourrait dire Sollers. en compagnie de Luz, sa conquête du moment. Ainsi parla non pas Zarathoustra, mais l’auteur de « Filles de mémoire », au-delà du bien et du mal, et de toute morale, dans le simple jeu des désirs et de la sexualité, la vraie roue motrice du cours des choses, inspiratrice de l’art et la poésie , chantée depuis la nuit des temps dans le Cantique des Cantiques.

Philippe Sollers Éloge de Venise
Richard Bonnet
Laurène L’ Allinec
Metropolis, arte, 2004

Et ne pas manquer

Les chapitres de fin, d’une belle écriture, vont au-delà de la simple légèreté et donnent de la profondeur au livre. A découvrir dans le livre.
MUSIQUE
LEVITATION
SEULE
BIENVEILLANTE
L’OUBLI
Ou comment dire avec des mots d’écrivain « la fascination interdite et volontaire pour le corps féminin », « Les attraits que [l’auteur] ressent à cette complémentarité. » Son « approche aimantée vers un corps complémentaire pour le caresser, l’embrasser ou le pénétrer, voire d’en être victorieux ou apaisé après lui avoir fait l’amour. »
« Il s’agit pour moi d’objectiver ce désir, […] de le suivre comme un sculpteur ou un explorateur de l’impossible à dire ou à circonscrire » écrit-il…

Au final

Au final, un livre dionysiaque qui célèbre, sans tabou, la fête des désirs d’un corps masculin pour un corps féminin - et aussi réciproquement - dans une sexualité virile et tendre, sans tabou religieux ou sociétal ! Le Paradis retrouvé, les cinq sens, à discrétion, en open bar. Une célébration de l’attraction universelle des corps humains, à l’image des corps célestes (lorsqu’une étoile s’effondre dans un trou noir, les astronomes parlent d’étreinte fatale). Un serpent qui danse au bout d’un bâton dit Baudelaire en référence biblique.

…« Et Dieu créa la femme ! » Vadim, Picasso, Rodin, Baudelaire : c’est-à-dire le cinéma, la peinture, la sculpture, la poésie, d’une même pulsion artistique ont célébré la femme. Cette ode au continent féminin, à la découverte, à cinq ans, de la Fente féminine, ouvrant sur la caverne des mystères, celle de la sexualité et de la vie, s’inscrit pleinement dans cette pulsion artistique. Dans le prolongement d’un Pessoa ou d’un Kundera, « Filles de mémoire » pourrait s’intituler : « Le livre des désirs hétérosexuuels », ou « Le livre de l’hétérosexualité » si l’auteur osait un tel titre. Mais sa modestie naturelle ne le lui permet pas. Pourtant elle le pourrait, ce livre touche - avec talent et une palette variée de couleurs - à l’universel humain.

A propos de l’auteur

Jean-Hugues Larché, né à Bordeaux en 1962, où il exerce aujourd’hui la profession de libraire. Après des études de sociologie et quelques voyages, principalement en Italie, il devient éclairagiste et régisseur au théâtre du Capitole et Sorano à Toulouse.

Suite à un film sur Nietzsche en 2001, il réalise quatre documentaires littéraires sur Paris avec Philippe Sollers, François Julien, Stéphane Zagdanski et Malek Chebel. Fondateur et rédacteur de la revue Sprezzatura (2008-2014), il y écrit des textes qui prônent le gai savoir, la désinvolture et le dégagement du nihilisme. Il collabore également aux revues L’Infini et Les Cahiers de Tinbad. En 2019 et 2022, il publie Le rire de De Kooning et Dionysos à la lettre aux éditions Olympique, à Bordeaux.

Quintet pour Venise a paru chez Serge Safran éditeur en mars 2023.
Serge Safran éditeur

Jean-Hugues Larché sur pileface

2 Messages

  • Viktor Kirtov | 8 mars 2024 - 16:16 1


    Fragonard, Les Hasards heureux de l’Escarpolette (détail)
    ZOOM : cliquer l’image

    Auteur : Olivier Olgan
    Singulars, 8 mars 2023

    Qu’il est difficile pour un mâle français d’oser écrire un texte érotique sans tomber, dans la caricature de favoriser le patriarcat de l’homme blanc, dans une confusion aveugle avec la pornographie, ou pire une censure larvée faute de distribution. Pourtant, Filles de mémoire (Serge Safran) de Jean-Hugues Larché n’a rien ni d’un brûlot sadien, ni ne cède aux facilités torves d’un Houellebecq. Le libraire renoue avec une longue tradition d’un exercice littéraire, nécessaire face à la surenchère délétère des écrans et des réseaux sociaux ! Aux questions d’Olivier Olgan, le co-fondateur de la revue Sprezzatura assume le risque de cette aventure, qui ne devrait pas être sans lendemain.

    Votre récit narre 50 ans de rencontres érotiques d’un mâle blanc, est-ce le chant du cygne de celui qui se définit comme ‘un explorateur de l’impossible à dire ou à circonscrire« 

    Ce texte romanesque suit le parcours sur quart de siècle d’un homme français né en province. Il n’a pas vocation à être un manifeste mais peut éventuellement retracer un itinéraire intéressant. Il débute dès l’enfance et reste peu exemplaire pour la norme sociale actuelle. Ce qui peut sembler être un chant du cygne a été écrit assez rapidement et dans la joie d’une remémoration de cette initiation érotique.

    L’époque ne voit plus l’érotisme que comme une image floue à résolution mécanique et préfère la confondre avec la pornographie. J’espère que ce n’est pas le cas de Filles de Mémoire.

    L’érotisme n’est-il pas le dernier rempart « du discours idéologique des technocrates du progrès » ?

    Notre époque a tendance à voir l’autre comme un exutoire à sa pulsion en partenaire rentable et de moins en moins en partenaire de jeu. Omniprésence de l’ultralibéralisme oblige.

    Pour qu’il y ait partenaire érotique, il faut qu’il y ait le respect des corps, des paroles échangées et pas que du bavardage ou de la recherche de rentabilité, cela devient rare dans les relations actuelles.

    Vous revendiquez de « rendre désir charnel à sa joie », écrire son ou un désira-t-il encore un espace

    Le narrateur, de sexe mâle, assume sa sexualité sans la revendiquer, il se contente de la préciser et parfois appuie sur cette réalité. Sa pulsion parfois difficile à contrôler reste dans des limites des conduites civilisées. Le continent féminin demeure pour lui, charmant, attirant, fuyant, pas toujours accessible, souvent difficile à suivre. Le désir de rencontres au pluriel se construit donc sur cette attraction qui lui échappe.

    La parole libre à propos d’un désir des corps différents est aujourd’hui quasiment inaudible et ce n’est pas dans le cadre d’un club libertin qu’elle se produit !

    Le récit du rapport avec l’autre peut-il être compris par l’autre, sans créer le sentiment d’être instrumentalisé ?

    Explorateur de l’impossible est un bien grand mot auquel le narrateur souscrit un temps. Il ne garde aucun souvenir amer de cet impossible mais plutôt celui de la chance d’avoir pu avoir accès à des plaisirs simples et naturels. Cet impossible est devenu aujourd’hui encore plus concret, l’âge passant, l’époque changeant, les rapports entre humains et les humaines se durcissant. Il connait quelques recettes alternatives dont il se sert pour ne pas céder sur son désir, amours tarifés, massages, sublimation par les arts : littérature, peinture, cinéma.

    La littérature peut-elle échapper à ce que vous appelez le « nouveau contrôle sexuel obligatoire » alors qu’il semble que le sexe n’a jamais été aussi omniprésent, voir omnipotent ?

    Si le sexe recule, tant pis ou tant mieux. La demande performative se fait prégnante et déstabilise l’amoureux sensible des corps. Si les technocrates ou les politiques avaient une sexualité intéressante, ça se saurait et se verrait. Ils n’ont que faire des autres, seul les intéressent le pouvoir, l’instrumentalisation d’autrui et le sexe de consommation. La sexualité accomplie n’est pas qu’une technique, elle est essentiellement un rapport de désir, un souffle, une envie partagée – cf. le chapitre Musique. Un érotisme en émerge dans le miraculeux hasard d’une rencontre. Chaque rencontre étant aussi mystérieuse que la précédente. Le désir est sans fin et le sexe féminin reste une boîte de pandore pour un homme. Soit. Mais pas de quoi à avoir peur et à vouloir rivaliser. Et c’est d’ailleurs pour cela qu’il y a trouble et excitation.
    Mais le trouble et l’excitation n’existe pas que dans l’hétérosexualité même si cette pratique est en figure de proue dans
    Filles de mémoire.

    L’oubli des corps, c’est l’oubli de soi et vice versa. Reste l’espoir inaltérable de croiser un corps accueillant, un corps n’étant pas dans le circuit de la virtualité, sans oreillettes dans la rue par exemple, pas rivé sur son portable et ne répondant pas aux sonneries comme un toutou. Un corps encore capable de lire attentivement un livre, d’en parler sans tricher et d’avoir une conversation longue et intéressante. Cela fera l’objet de réflexion pour l’un de mes prochains livres.
    S’il y a une place pour le désir, il ne se trouve que très rarement sur les réseaux ou les écrans.

    Sans la littérature, la philosophie ou la sagesse comment sortir du contrôle sexuel ? C’est impossible. Plus les gens parlent de sexe, dit l’adage, moins ils le pratiquent. Le narrateur de Filles de mémoire malgré son obsession ne pratique le sexe qu’en accord de principe et rencontres sensuelles. Ça marche ou ça ne marche pas. Pas question de performance ou de tableau de chasse, seulement le plaisir de la rencontre et plus si affinité. Nulle obligation ni molestation, bondage ou autre fantasmatique individualiste. Même avec des professionnelles du sexe, il garde du respect, et s’il se trompe et que ça tourne court, il rebroussera chemin avec élégance.

    Le libertinage façon XVIIIème siècle rend le désir charnel à sa joie.

    Les expériences, les conversations ou les récits de cette époque ne pouvaient que produire de l’écrit. La vraie littérature me semble érotique par définition. Proust n’est qu’érotisme, Casanova, Roth, Sapho, Grisélidis Real et Bataille, aussi. Chacun l’est d’une façon très singulière. Mon opinion, peu partagée, est que tout militantisme est anti-érotique par définition sauf s’il s’agit de la splendide Angela Davis ou de Billie Holiday dans son interprétation de Strange fruit. Les chanteuses sont souvent érotiques par définition.

    Le narrateur parle d’attraction, pas d’addiction, autrement dit d’art et pas de dépendance. Il ne nie jamais le féminin et passe son temps à évaluer ce qu’il peut faire avec. La pornographie reste pour lui l’envers de l’érotisme, l’ultra-féminisme l’envers de la féminité et l’androgynie militante, une revendication pour la confusion des genres.

    Qui aurait véritablement envie d’échapper au contrôle global de la société ? Qui pourrait rester en dehors de la fascination qu’exerce l’intelligence artificielle ? C’est la question que pose tout en douceur Filles de mémoire dans l’amour du souvenir des rencontres et de l’incandescence de la mémoire mêlée à l’imagination.

    Contre « la pornographie mécanique, ultra-féminisme ou androgynie militante », la littérature érotique est-elle à une chance ou sa disparition est-elle inéluctablement programmée ?

    La littérature dite érotique n’accompagne ma tasse de thé que si elle est classique.

    Ma préférence va d’abord à Duclos, Les confessions du comte de…, à Crébillon, Les Egarements du cœur et de l’esprit, puis aux recueils poétiques de Verlaine, Femmes ou de Sapho. Et bien sûr, elle remonte à Casanova repasse par Apollinaire et retrouve Les mille et une Nuits ou l‘Ane d’or d’Apulée.

    Mon parcours littéraire érotique en zigzags est pluriel comme mon désir pour différents corps féminins qui passent devant mes yeux ou ma mémoire et m’incitent à écrire dans leur sillages.

    Propos recueillis par Olivier Olgan


  • Viktor Kirtov | 3 mars 2024 - 15:28 2

    Le 2 mars 2024, Jean-Hugues Larché présentait son livre "Filles de mémoire" (éditions Serge Safran) à la librairie Mollat à Bordeaux. Voici la vidéo : .

    PLUS sur le livre ICI