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Jean Azarel, « Vous direz que je suis tombé »
Vies et morts de Jack-Alain Léger

Parution : avril 2023

D 28 septembre 2023     A par Albert Gauvin - C 2 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


En rédigeant mon article sur Jack-Alain Léger et L’Opéra du moi (je l’ai complété par un entretien que Cécile Guilbert a donné à Marianne), je m’étais contenté de signaler, en lien, la publication du livre de Jean Azarel paru au printemps dont je découvrais l’existence par la même occasion. C’est une biographie : « Vous direz que je suis tombé » Vies et morts de Jack-Alain Léger. Je l’ai reçu et j’en remercie son auteur. Vous en lirez les trois premiers chapitres. Jacques Henric, « un des rares écrivains à avoir gardé [...] le contact avec l’auteur de Vivre me tue », a échangé de nombreux courriels et écrit plusieurs articles sur Jack-Alain Léger [1] et, ça ne vous aura pas échappé, il évoquait la figure de Léger aux pages 68-69 de La nuit folle, son dernier livre (Seuil, 2021) :

J.-A. L.
Avant qu’en papillon il ne prenne son envol du huitième étage de son immeuble parisien et que son corps ne s’écrase sur l’asphalte (après ceux de Nikos Poulantzas, de Gilles Deleuze, de Jean-Noël Vuarnet), j’ai vu mon ami J.-A. L. tomber de son haut sur le trottoir, puis dans la salle de restaurant du 13e arrondissement où je le rejoignais pour déjeuner.
Sans éditeur, ruiné par les fastes de son existence passée, délaissé par ses amis, à l’exception d’Emmanuel Pierrat, son avocat et exécuteur testamentaire, il sortait d’un internement en hôpital psychiatrique bas de gamme pour s’être promené à poil dans les rues de son quartier.
Son corps avait doublé de volume, démoli par les médicaments ; de plus il souffrait d’une maladie des os, devenus aussi fragiles que du cristal. On lui avait fabriqué une coque en polystyrène noir ultrarésistante qui le couvrait de la base du cou à la tombée des fesses et le protégeait en cas de chute. L’impressionnante bogue qui emmurait la masse de chair flasque de J.-A. L. devait ressembler à cette carapace métallique, instrument de torture moyenâgeux, que des Diafoirus avaient fait fabriquer pour obliger Joë Bousquet à se tenir debout, ou aux potences destinées à aider Pascal, paralysé du bas, à ne pas tomber en marchant. La démarche de J.-A. L. rappelait celle des hommes d’armes, descendus de leurs chevaux, grotesquement emprisonnés dans leurs armures. Grâce à la coquille, les os de J.-A. L. résistaient à la chute, sauf que le malheureux, une fois à terre, ne pouvait plus se relever. Il s’affalait sur le ventre ou sur le dos, agitait dans le vide ses bras et ses courtes jambes pour tenter de se remettre debout. Un gros hanneton éperdu. Il me fallait l’aide d’un passant ou d’un serveur du restaurant pour le relever et le remettre sur ses pieds. Le mal contre lequel il luttait était un mal visible, les maladies, la souffrance physique, ce mal que Simone Weil avait dit aimer. Quant au mal de l’âme, pour parler la langue de l’auteur de La Pesanteur et la Grâce, si l’on veut suivre les empoignades de brute que J.-A. L. a eues avec lui, lisons ses écrits.
Enfant, déjà homo, ses copains l’avaient surnommé la Grosse.

Henric en parle à nouveau dans son feuilleton du numéro 514 d’art press du mois d’octobre qui vient de me parvenir. Il a intitulé son texte : Grandeur d’un maudit. Eh bien, maudits soient à leur tour les censeurs de Jack-Alain Léger !

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Jack-Alain Léger. (Ph Olivier Dion)
 

Jean Azarel, Vous direz que je suis tombé
Séguier, 320 p., 23 euros

Jack-Alain Léger, L’Opéra du moi.
Œuvres choisies

Édité et préfacé par Cécile Guilbert Bouquins. 1 216 p., 32 euros

Hasard ? Si oui, heureux hasard, deux ouvrages paraissent, à quelques mois d’écart, consacrés à Jack­-Alain Léger. La biographie de Jean Azarel et la réédition d’un choix de romans de Jack-Alain Léger (publiés sous son nom ou sous pseudonymes) devraient rendre enfin justice à cet écrivain injustement méconnu aujourd’hui. Cécile Guilbert, qui fut amie de Jack-Alain Léger, s’en alarme dans sa préface à l’Opéra du moi Œuvres choisies, dans la collection Bouquins : « Dix ans après son suicide, qui se souvient encore que Jack-Alain Léger fut l’auteur de près d’une quarantaine de livres écrits sous cinq pseudonymes, un grand écrivain virtuose et mélancolique capable d’embrasser tous les genres, abonné tantôt aux succès euphorisants, tantôt aux échecs crépusculaires. » Ce sont ces fiascos répétés qui ont conduit Jack­ Alain Léger au suicide le 17 juillet 2013. Suicide par défenestration, maintes fois annoncé à ses amis et dans ses écrits. « Si je mets fin à mes jours, ce ne sera pas pour attenter à ma vie mais à ma mort qui m’infectait. » Ce sont ses copains d’école, qui se moquaient de lui en l’appelant « La grosse » à cause de son physique ingrat, qui ont décidé le jeune Théron à prendre pour sobriquet le nom de Léger. Éprouva-t-il la sensation d’être au comble de la légèreté lors de son vol final de quelques secondes depuis le huitième étage de son appartement parisien ? Jean Azurel, dans les premières pages de son livre, obéissant à ce qui doit être la morale de tout biographe, à savoir tout dire, être au plus près de la vérité, ne nous épargne pas « l’horreur factuelle de l’explosion d’un corps ». Morale dont il s’acquitte tout au long de son livre, mettant au service de celle-ci sa vaste culture littéraire, une connaissance et une compréhension en profondeur de l’œuvre de Jack-Alain Léger. Dans les jugements qu’il porte sur les comportements parfois blâmables qu’avait Léger à l’encontre de ses proches amis, il prend soin de le faire en ayant recours à ce que Klossowski appelait le « principe de délicatesse ».

UN HOMME QUI TOMBE

Peut-être, pour comprendre enfin en quoi l’auteur du Siècle des ténèbres (1989) est un de nos grands écrivains contemporains, faudrait-il en finir avec ce qui a été dit, répété à satiété, par lui-même d’abord, sur ses maladies, ses dépressions, sa bipolarité, son masochisme, sur ses déboires avec les éditeurs, la bêtise, l’agressivité d’une critique littéraire inculte, les saloperies balancées dans la presse écrite ou dans des émissions de radio par de minables journaleux, voire des confrères « écrivains » bien en place, jaloux de son talent, et s’en tenir désormais à l’étude critique de son œuvre. À condition, bien sûr, de ne pas oublier les violentes attaques dont il a été victime, celles d’une droite homophobe, raciste, ne supportant pas l’amitié de Jack-Alain Lé­ger pour les Arabes, et celles d’une certaine gauche « islamo-gauchiste », comme elle ne s’appelait pas encore, réagissant contre le pamphlet anti­-islamiste Tartuffe fait Ramadan (2003). Comme victime, en tout cas voici un écrivain qui aurait pu retenir l’attention de René Girard lors de sa théorisation du « bouc émissaire ».
« Presque tout, note Jean Azurel, conduit à la haine de pareil écrivain, trop libre de ses mots, trop libre de ses pensées, trop libre de ses excès. » Et Cécile Guilbert : « Légèreté, désinvolture, Sprezzatura, Esprit des Lumières, rayon radieux, musique... Sans oublier les notes plus sombres, plus tristes, plus déchirantes, sans lesquelles cet écrivain ne serait pas celui qui rêva tant d’être un autre. » Il se trouve que j’ai connu et fré­quenté Jack-Alain Léger dans les dernières années de sa vie. Nous le recevions à diner, Catherine Millet et moi, et le plus souvent je le re­trouvais à déjeuner dans un restaurant de son quartier. Entre-temps, nous correspondions par mails. À ma connaissance, à l’exception de son avocat et tuteur Emmanuel Pierrat, il n’avait plus guère d’amis autour de lui, tant il leur était devenu « infréquentable ». Jean Azarel a titré son livre Vous direz que je suis tombé. Comme j’en ai fait le récit dans un des chapitres de mon roman la Nuit folle, consacré aux hommes qui tombent, j’ai vu maintes fois tomber Jack-Alain Léger dans des conditions horribles. Il était atteint d’une maladie des os, son corps ayant doublé de volume, démoli par les médicaments, il avait fallu l’emprisonner dans une coque en polystyrène. Il chutait sur le trottoir ou dans la salle de restaurant sans pouvoir se relever seul, il était comme un hanneton renversé sur le dos, je devais le re­mettre sur pieds avec l’aide d’un passant ou d’un serveur du restaurant. C’était un spectacle à la fo is comique et pathétique .

QUERELLES

Lecteur empêché depuis longtemps de gros romans traditionnels, ce sont les livres tardifs de Jack-Alain, l’Autre Falstaff (1996). Zanzaro Circus (2012), Hé bien ! la Guerre (2006), Maestranza (2000), où il était souvent question de peinture, de musique, que j’ai particulièrement admirés et chroniqués dans artpress. Cécile Guilbert a souligné avec raison les affinités intellectuelles et politiques qu’il y avait au départ entre Philippe Muray et J.-A. Léger. Cela étant, il est assez culotté le camarade Muray de débiner Léger dans son Journal intime, lui qui a déversé des tombereaux de merde sur ceux qui ont été ses soutiens. La vérité est que c’est Léger qui a rompu avec Muray. Ses raisons : racisme anti­ Arabe de l’auteur de l’Empire du bien, homophobie, liens avérés, à la fin de sa vie, avec l’extrême droite. Oublions ces lamentables querelles et suggérons aux jeunes lecteurs, désireux de découvrir l’œuvre de J.-A. Léger, de commencer par la lecture de son flamboyant récit autobiographique publié en 1998 et réédité aujourd’hui : Ma vie (titre provisoire).

Jacques Henric, art press 514, p. 98.

« Vous direz que je suis tombé »
Vies et morts de Jack-Alain Léger

Il a connu les flamboyances du rock psychédélique, le succès littéraire avec un best-seller mondial, puis les polémiques les plus virulentes. Qu’il prenne pour nom Dashiell Hedayat, Paul Smaïl, Eve Saint-Roch ou Jack-Alain Léger, qu’il porte lunettes et cuir noirs ou veste de tweed, il s’est toujours démarqué par sa puissance créatrice, son originalité et un sens du style hors du commun. Sa vie méritait d’être racontée puisqu’elle a tout d’un grand roman.

Pour cette biographie, Jean Azarel a rencontré la famille, les amis, les éditeurs de cet écrivain d’exception dont l’œuvre inclassable, visionnaire, rassemble près de quarante romans et essais parmi lesquels Monsignore, Maestranza ou Vivre me tue. Au fil des pages et des témoignages se dessine le portrait de l’artiste en homme singulier, dont la perpétuelle quête d’identité contamine une œuvre sans équivalent connu. Ne parvenant plus à écrire, Jack-Alain Léger se suicide le 17 juillet 2013 en sautant par la fenêtre de son appartement.

Ce livre lui offre aujourd’hui sa juste place dans la littérature française : au-dessus du lot.

Finaliste du prix Goncourt de la biographie – Edmonde Charles-Roux 2023.

Jean Azarel est l’auteur de plusieurs romans et recueils de poésie ainsi que d’une biographie consacrée à l’actrice mythique Tina Aumont, Waiting for Tina (L’Autre Regard, 2019).

Editions Séguier

LES PREMIERS CHAPITRES

 
1

Le 17 juillet 2013, Jack-Alain Léger, né Daniel-Louis Théron, profession écrivain, décide de se jeter par la fenêtre du huitième étage de son appartement parisien. Dans les bouffées de chaleur de l’été, un souffle encore — sans retenue —, puis basta, finita la hurla, un romancier has been, caractériel profond, rancunier génial, infréquentable pique-assiette, emmerdeur de première, s’envole et s’écrase.
L’affaire de quelques secondes pour clore les chapitres d’une vie. Vous direz que je suis tombé ? Fin de la catabase de Jack-Alain Léger et ses hétéronymes en ce jour où le suicide d’un écrivain au bout du rouleau fait une annonce de quelques secondes à la fin des informations, alors que les médias dégorgent des nouvelles hétéroclites.
Qu’on en juge : ce 17 juillet 2013, le ministre de l’intérieur Manuel Valls se rend à la Grande Mosquée de Paris pour adresser « un signe d’affection » aux musulmans qui pratiquent en cette période le ramadan et « un message de fermeté » aux islamophobes, sans qu’on puisse voir une relation de cause à effet avec le geste définitif de l’auteur d’À contre Coran. Ce même jour, la France et le monde enregistrent d’autres actualités brûlantes : la garde à vue de l’épouse du Norvégien d’extrême-droite Kristian Vikernes au lendemain de l’arrestation du couple en Corrèze est levée ; des bébés pandas géants, un événement rare, sont nés au zoo d’Atlanta ; l’athlète Mehdi Baala dément l’annonce de sa retraite, parlant d’une usurpation de son compte Twitter...
Pour Léger qui adorait la musique, avec une affection particulière pour Mozart, le Dove sono s’est tu. Les gens accourent. Se pressent. Entourent le cadavre disloqué de l’indécrottable prosateur désormais reconnu pour le talent de sa mort. Du saut d’un huitième étage, il résulte d’abord — avant les blablas sur le courage qu’il faut pour se jeter dans le vide, la force du désespoir, les belles métaphores littéraires — l’horreur factuelle de l’explosion d’un corps : éclatement du foie et de la rate, expulsion des viscères, arrachement des ligaments, multiples fractures dues à la libération de l’énergie cinétique accumulée par la carcasse au moment de l’impact. Un état « à l’os », selon l’expression consacrée.
Au moins le macchabée n’a-t-il pas le temps de pourrir et de puer atrocement comme il advint à Tony Duvert, autre plumitif maudit découvert chez lui en lambeaux un mois après son décès.

Historiquement, la défenestration relève d’une pratique ancienne. Dès l’Antiquité, les Spartiates l’utilisent pour tuer les nouveau-nés atteints de rachitisme ou de malformations congénitales. Plus spectaculaire : les Romains effectuent l’acte du haut des cent quinze pieds de la roche Tarpéienne. Tombant (!) parfois en désuétude pour renaître, le procédé traverse les siècles. Ainsi dans les années 1850, les « précipitations » causent un nombre proche de deux mille décès annuels en France.
Quant aux suicides, si les actes violents par arme à feu ou pendaison sont relativement fréquents — bien moins que les formules soft par ingestion massive de barbituriques, autres médicaments et poisons —, le choix de la défenestration reste rare. Au hit-parade de la catégorie émargent cependant des célébrités disparates : Gilles Deleuze, philosophe, le 4 novembre 1995 dans son appartement parisien du 17e arrondissement où il est né, Mike Brant, chanteur, le 25 avril 1975 à Paris, rue Erlanger, après une première tentative ratée à Genève, Chet Baker, trompettiste, le 13 mai 1988, depuis la fenêtre de l’hôtel Prins Hendrik à Amsterdam ; mais aussi nombre de femmes de lettres : la poétesse de la Beat Generation Elise Cowen saute à vingt-huit ans le 27 février 1962 du septième étage de l’appartement de ses parents à Washington Heights, Francesca Woodman, photographe, effectue à vingt-deux ans le bond fatal de son logement de New York le 19 janvier 1981, ou encore Unica Zürn, depuis la fenêtre de l’appartement de Hans Bellmer en 1970, Ana Cristina Cesar, trente et un ans, à Rio de Janeiro...

Côté psychophysiologie, le saut volontaire d’un huitième étage engendre la désintégration corporelle qui depuis longtemps minait le cerveau. Dans une coalescence totale de l’esprit et de la matière, l’être humain accède au dérèglement définitif des chairs après celui des sens, rejoignant ainsi les personnages inachevés des toiles de Bacon qui ont hanté la vie de l’auteur de Mon premier amour.
Par quelle alchimie mortifère en arrive-t-on là ? Avec quels démons mangeurs de barbaque fraîche nichés dans la tête ? Avec quels ogres bouffeurs des plus minces désirs d’avenir à l’œuvre ?
Oui, ainsi que l’a écrit Léger telle une antienne tout au long de son œuvre, « ce malaise, à quel moment a-t-il commencé et comment ? Ce sentiment d’une descente à l’abîme, d’une chute »...?

2
Je jure sur l’honneur, ami lecteur, que je n’invente rien, que ces pages sont du reportage sur le vif. Je n’ai pas d’imagination, mais une mémoire d’éléphant. Et, à treize ans, disgracieux, obèse, boudiné dans mon costume étriqué, la démarche dandinante et pesante, je suis un éléphanteau.

Jack-Alain Léger, Zanzaro Circus

Dans la fulgurance de ses œuvres,Jack-Alain Léger excisait une mélancolie endémique venue de loin. Hanté par le « bleu des origines » — le titre du film de Philippe Garrel convient ici tout à fait —, il a tenté de dompter une damnation remontant à sa venue au monde sans jamais y parvenir complètement.
C’est le « propre » des obsessions mentales, qui ne lave pas plus blanc pour autant. Le sentiment de déréliction de notre homme ? La conséquence d’une psychose maniaco-dépressive dans laquelle la rémanence romantique de la chute tient une place de choix. « À la fin de l’opéra, la Tosca se jette dans le vide comme avait tenté de le faire ma mère quelques jours à peine avant ma naissance »,écrit-il dans Autoportrait au loup en 1982.

Qui était Jack-Alain Léger ? Il fut le premier à se poser la question. Il n’a cessé de se chercher, de tenter de se réunir. Du talon d’Achille d’une identité malmenée, Léger tirait sa force, son anabase. Le croyait-on définitivement disparu, il réapparaissait sous un nom différent, avec un roman d’un nouveau genre, un charcutage autobiographique prononcé, ou bien savamment dissimulé dans des fictions historiques, ou encore avec des pamphlets inspirés par une actualité nourrissant ses déboires. Un homme n’hésitant pas à publier sous un nom de femme ! Un homme obnubilé par l’écriture de sa « recherche du temps perdu ». Un homme transcendant son mal-être dans la littérature, qui sera toujours son seul métier, en dehors d’une brève incursion dans la chanson pop ; elle tourna court — il ne se sentait pas à la hauteur dans cet art pour accéder à la gloire, ce « deuil éclatant du bonheur » selon la formule de Mme de Staël reprise comme titre d’un de ses livres.
Auteur temporairement à succès, adapté plusieurs fois au cinéma, incontournable poulain des maisons d’édition pendant une décennie, il n’est jamais gagnant aux grands prix des rentrées littéraires, éternel second de la littérature comme d’autres le sont du sport ou de la politique. Il en conçoit une rage d’abord froide puis chaude bouillante, qui va se déverser sur le monde entier. Il croira pourtant longtemps en l’étoile de son talent, jusqu’à ce que ses démons l’enferment dans un lieu sûr et secret connu des seuls grands cyclothymiques.
« Mais à quel moment cela a-t-il commencé ? Et comment ? Ce sentiment d’un... d’un enlisement. D’un enlisement. »

Pour comprendre Jack-Alain Léger, entrer dans la peau de ses personnages s’impose puisque toutes les figures de ses œuvres révèlent une facette de l’auteur. Toute sa vie il aura ainsi louvoyé entre réalité et fiction, nageant entre vérité et mensonge jusqu’à s’y noyer, ne parvenant plus à distinguer le vrai du faux, le faux devenant un moment du vrai. Autofabulateur surdoué, Léger se coupe ainsi exagérément du monde réel. Le romanesque finit par dépasser l’écrivain, comme il le reconnaîtra en 2006 : « Ma manie littéraire, au sens médical du mot, ma maladie, ce fétichisme qui m’aura toujours fait préférer le papier à la chair, qui aura ruiné mon aptitude à vivre, ma capacité à aimer... La réalité du livre a pris le dessus sur la réalité tout court. » Quant au lecteur, son adhésion à l’œuvre se révèle d’autant plus forte qu’il peut s’identifier à des protagonistes aux profils de héros, dévoilant in fine son besoin, ou à tout le moins le plaisir, de s’imaginer dans la peau d’un autre.
Ainsi dans Wanderweg, Bruno Arnhein, le protagoniste, symbolise à sa manière le surhomme nietzschéen, posture chère à Léger qui lui aussi se voit et se vit dans sa créature. Arnhein, chef d’orchestre-compositeur au génie reconnu, a pour surnom « le Magicien ». Bientôt quadragénaire, il a réussi la synthèse de la créativité et du labeur. Ses opéras, où il met en scène les personnages de sa vraie vie, sont joués, dupliqués, parfois détournés, dans le monde entier. Il crée, mais en même temps il dirige : voilà sa grande force. Comme Arnhein, Léger a une musique singulière en tête. L’un la retranscrit dans la composition, l’autre dans l’écriture.
Wanderweg raconte une saga familiale avec le nazisme pour toile de fond. La femme du chef d’orchestre, la Contessina, et ses deux petits­ enfants sont juifs par leur mère, donc aux yeux de la loi hitlérienne. Le choix de cette période sombre marquée au fer rouge de la Shoah n’est pas neutre pour Léger, obsédé par la question du juif en lui. La destinée de ce peuple élu mais errant, persécuté (pour les nazis, il ne peut y avoir deux peuples élus), lui fait écho. Il s’y retrouve pleinement, car ainsi que le souligne l’écrivaine Cécile Guilbert citant Kafka, toute élection (chez Léger au don littéraire, à une certaine sprezzatura, cette faculté qui est une des caractéristiques de l’art de la Renaissance de donner une apparence de facilité et de naturel aux réalisations les plus ardues) est aussi une malédiction, et ce point était crucial pour un homme qui choisira « Melmoth » pour premier pseudonyme.
Dans Wanderweg, la musique d’Arnhein, libre, légère, mélodieuse, soude entre eux les membres de la famille malgré leurs différences. Mais, comme si l’ange cachait le démon dans ses entrailles, les hitlériens vont annexer cette musique, la prendre pour emblème culturel, faire jouer plus lourd, la déverser partout comme un flot triomphant appelé à submerger le monde, Strauss et Wagner en première ligne.
Sans doute le chef d’orchestre est-il un artiste « raisonnable » quand tant d’autres se révèlent ingérables, maniaques, voire pervers. Si le mimétisme apparaît flagrant entre Arnhein et Léger, il l’est tout autant entre Jean Schreiber, écrivain laborieux qui décide d’écrire une biographie sur Arnhein, et Léger, maître littérateur. Schreiber symbolise le plumitif de romans de gare sans talent mais susceptible de rencontrer le succès en touchant le plus grand nombre.Il est sur ce plan la copie conforme du Léger bankable qui va triompher avec son roman Monsignore.

L’auteur, ses personnages, le lecteur forment le trio souverain de la littérature. Léger prend soin d’associer le lecteur — tant mieux s’il est aussi écrivain — à son œuvre créatrice. Dans Le Roman, il lui permet de suivre l’évolution de la confection du livre. Léger en fait ainsi un complice. Grâce à ce procédé, il revient, fût-ce provisoirement et virtuellement, au monde à qui son inadaptabilité maladive fait écran. Il se raccroche à l’Autre, un autre qui n’est ni soi ni ses créatures. Malheureusement, ce lecteur, avec qui il faut, par nécessité autant financière que psychologique, communiquer par le truchement du livre, influe sur la liberté de l’auteur sommé de lui plaire, un auteur déjà contraint par les règles de la grammaire et l’exigence du vocabulaire. De façon contradictoire, Léger n’en a pas moins un besoin d’écrire qui tourne à l’addiction pour se soustraire à une société qui ne lui convient pas. L’écriture est pour lui une jouissance, quasi sexuelle dira-t-il, le seul médicament capable de soulager sa maladie de vivre dissocié.
Dans le chapitre intitulé « Ricercare » (rechercher), Jean Schreiber revoit pour la dernière fois Pamina, une des filles de Bruno Arnhein. La guerre vient de s’achever. Pamina (Léger a tiré le prénom de La Flûte enchantée de Mozart) est la seule survivante des quatre enfants du compositeur ballottés par les événements, un des frères s’étant engagé dans la Résistance quand un autre, Siegfried, optait pour le régime hitlérien. Siegfried représente la face ténébreuse de Léger. Le fils d’Arnhein, passé dans les rangs des SA, participe à des rituels extrêmes pour vaincre son émotivité. Ses camarades lui lient les mains puis lui plongent longuement la tête dans un seau d’eau froide. « Il bande ses muscles, et se crispe pour ne pas se débattre lâchement. Il suffoque et poisse son caleçon. »
Siegfried est aussi attiré par Egon von Rosenberg, ami de son père, qui l’entraîne dans des cabarets toujours plus glauques, s’empilant tels les cercles concentriques de l’Enfer de Dante, jusqu’à parvenir à l’Inferno où se dévoilent ses désirs latents d’homosexualité. Niant celle-ci, Siegfried choisira de se venger d’Egon pour écarter de lui tout ce qu’il illustre : le doute, le monde de l’art, la beauté de son enfance. Siegfried fait ainsi écho aux révélations de Léger sur son comportement sadomasochiste, et ses préférences physiques pour les hommes, dans sa biographie Autoportrait au loup, parue en 1982. Avec Ali le Magnifique en 2001, il ira encore plus loin dans le basculement vers un narcissisme de mort. Pour l’heure la vérité éclate aux yeux du biographe Schreiber empêtré dans sa biographie : « Plus l’écrivain accumulait de preuves, moins il avait de certitudes. »

Il ne suffit pas de vouloir écrire la vie de quelqu’un. Encore faut-il ne pas trahir, affabuler, pervertir. L’existence de l’autre. Celle des proches. Malgré l’aiguillon d’illuminer ou de noircir le tableau. Les nazis avaient bien compris le phénomène. Quand le mal supplante le bien, pire, devient le bien, on veut l’imposer au monde entier car le mal est trop grand, trop impérialiste, trop profondément ancré en soi pour le garder égoïstement, alors qu’il se fond dans l’alibi enivrant du collectif. L’enfer se trouve ainsi justifié par le nombre des diables qui y vouent leur existence, réduisant en cendres celle des autres. Si énorme apparaît le crime organisé que revenir en arrière se révèle impossible. Alors, on récrit l’histoire à sa sauce. On efface ce qui dérange. On invente ce qui arrange. On fabrique la légende. Du Führer, du guide suprême, de la race pure. On oublie qu’il était pétomane et drogué jusqu’à la moelle. Comme le rappelle Léger dans Pacific Palisades, on va chercher en 1935 chez les communistes russes, experts en faux et manipulations, la bonne méthode pour rentabiliser les camps de travail, avant d’en arriver à promulguer la Solution finale en 1942 à Wannsee, là où « Dieu est mort », écrira-t-il en leitmotiv dans plusieurs de ses œuvres. En littérature, grande se révèle la tentation de céder à l’hagiographie, ou bien à son contraire, le dénigrement, en les mâtinant de faits invérifiables et de fiction rocambolesque. À la lecture de Wanderweg , le lecteur tombe immanquablement sur les mots de Pamina à Jean Schreiber : « Je crois que vous êtes condamné à imaginer, Schreiber. Je crois qu’il est vain de chercher la vérité dans ces milliers de documents que vous avez rassemblés. Écrivez donc un roman. Et tant pis pour nous. Ou tant mieux. »

3

À défaut de pouvoir rembobiner tout le fil de la vie de Léger pour écrire une biographie rigoureuse, qui du reste ne serait pas conforme à sa personnalité à tiroirs, je récolte de précieux indices sur la jeunesse de l’énergumène, né le 5 juin 1947 à Toulon. Le récit de la petite enfance attendra, qu’importe si les pièces du puzzle ne suivent pas un assemblage logique, ou plutôt tant mieux.
Philippe Torrens, ami fidèle à l’heure des découvertes adolescentes, nous instruit sur les tendres années du futur Léger.
Daniel nie son deuxième prénom, « Louis », qui le confond par un tour de passe-passe maladroit de ses parents avec un frère mort à la naissance. Évoquant son enfance, il se décrivait comme un bon élève un peu maniaque et odieux à la maison, qui préparait soigneusement son petit cartable tous les soirs et cassait les pieds à toute la famille s’il ne retrouvait pas un stylo ou un cahier. À Paris, élève de seconde au lycée Henri-IV, il dessille avec maestria les yeux de ses camarades de classe sur les pseudo-« mérites » de son professeur de français et de latin.
Philippe Torrens donne le la d’une petite musique savamment composée par son condisciple :


Photo de la classe de terminale du lycée Henri-IV, 1964-1965 (détail).
Jack-Alain Léger est au deuxième rang, le premier en partant de la droite
© Archives personnelles Philippe Torrens

Zoom : cliquez sur l’image.
M. Clément était aussi incroyablement réactionnaire que paresseux. Il nous faisait copier intégralement le texte des versions latines qu’il écrivait au tableau, sans nous fournir le nom de l’auteur — de peur, sans doute, que nous ne recourions à une traduction. Cela lui permettait de passer une bonne demi-heure (au moins) à ne pas faire cours, si tant est que par ailleurs il l’ait vraiment fait. Je ne me souviens pas d’avoir entendu de lui la moindre explication de texte. Il nous donnait à apprendre par cœur d’incroyables poèmes du Suisse Philippe Godet ou d’Hélène Vacaresco (son « Chant de guerre » injustement fameux...) — tirés d’une vieille anthologie de la poésie française des années 1920 ou 1930. Il vomissait Baudelaire, accusait Jean-Paul Sartre d’être responsable de centaines de suicides, et affichait des opinions royalistes.
A-t-il vraiment dit un jour que nous n’étudierions pas Montaigne parce qu’« il avait du sang juif et que tous les juifs ont très mauvais esprit, comme le lui disait un jour son ami Charles Maurras alors qu’ils dînaient avec le maréchal Pétain » ?Je crois honnêtement que nous l’avons imaginé, mais peut-être bien que l’invention, très caricaturale, vient de Daniel qui l’avait baptisé « la Vioque », voyant en lui la caricature de l’ancien combattant Croix-de-Feu et collabo.

Depuis des années, ses parents emmènent Daniel en Italie, toujours au même endroit : Cupra Marittima, près de San Benedetto del Tronto, sur la côte adriatique. Dans leur 403, il sillonne le pays. L’Italie le fascine. Dans une carte postale envoyée à Torrens, rédigée face aux orangers, à la beauté du ciel, et à la mer, il écrit avec quelques fautes d’orthographe corrigées dans la reproduction suivante :

Nous avons retrouvé l’Italie avec autant de joie que les autres années... avons passé quelques jours chez des amis vénitiens, avons revu Rome, Vérone, Bologne, avons découvert Bergame et Mantoue, Pompéi et la côte amalfitaine. De quoi ramener des souvenirs (et des cartes postales) pour tout l’hiver, des nouveaux noms en prévision des « bacs » de permanence, tant de très bons peintres italiens sont inconnus en France, ou presque. Seule Naples nous a plus que déçus, la poésie de la poubelle me laisse froid.

Il suit le cours d’italien au lycée, et suscite chez les autres l’envie de découvrir aussi ce pays. Torrens parviendra ainsi à convaincre sa mère de troquer l’habituelle Bretagne pour un séjour dans la bien médiocre station balnéaire de Milano Marittima, d’où il reviendra, après des excursions à Florence, Venise et surtout Urbino, motivé à son tour pour suivre les cours d’italien distillés par un petit homme charmant, d’une cinquantaine d’années, répondant au nom évocateur de « Petrolacci ».
Malgré des commentaires un peu interminables sur les textes, il fait connaître aux jeunes gens Dante, Boccace, l’Arioste, le Tasse et Leopardi. Les goûts littéraires de l’enseignant sont ceux de l’époque. Il célèbre la trinité Cesare Pavese-Elio Vittorini-Carlo Levi, et pour les poètes Umberto Saba-Giuseppe Ungaretti-Eugenio Montale. Il passe sous silence Italo Calvino ou Elsa Morante, tient Moravia en piètre estime. Quand il mentionne passagèrement Pasolini, c’est comme spécialiste de la vie des mauvais garçons de Rome. Un jour, alors qu’il commente Dante, sa langue fourche. À plusieurs reprises la Sainte Vierge se transforme en « Sainte Verge » — ce que les ragazzi de la classe colportent ensuite allègrement à l’extérieur. Gavé d’Italie, Daniel lit, assimile, ingurgite, creuse un tunnel du sensible où s’engouffre sa propension pour l’imaginaire, la beauté, la transgression .

Pendant plusieurs années, Daniel, Philippe et Michel Chabert vont former un trio d’amis inséparables. Garçon intelligent, sensible et très discret, timide, même, Chabert — comme Torrens — est nouveau au lycée et cela les rapproche. En discutant avec Daniel au début de l’année scolaire, le duo avoue n’être jamais allé au Louvre : scandalisé, il les incite à combler cette lacune. Ils s’y rendent dès lors tous les jeudis, avant que Daniel se fasse leur guide au musée d’Art moderne. Il fait ainsi de Torrens et Chabert des amateurs d’art passionnés.Tous trois courent dès lors les musées comme les expositions — Jeu de paume, Guimet, Cernuschi... —, sources de discussions enflammées, mais aussi les concerts, en particulier ceux de musique contemporaine. Grâce aux billets obtenus par le père de Daniel, président de !’Association des amis du TNP, mais aussi rédacteur de comptes rendus de disques et de livres dans Paris Match sous le pseudonyme de « Jean Buèges », Daniel et Philippe voient divers spectacles au théâtre : Le baruffe chiozzotte (Odéon, mis en scène par Strehler), Marat-Sade (mis en scène par Peter Brook), Le journal d’un fou de Gogol, adapté et joué par Roger Coggio.
Avec l’arrivée en terminale à Henri-IV de Jean-Yves Bosseur, futur compositeur, le trio mue en quatuor. Sous l’influence de Bosseur, les adolescents fréquentent régulièrement les concerts du Domaine musical, du GRM au studio 105 de la Maison de la radio, de l’Ensemble instrumental de musique contemporaine de Constantin Simonovitch — qui alors jouait beaucoup Varèse — en manifestant bruyamment leurs enthousiasmes ou leurs répulsions. Le double disque Philips sur les musiques expérimentales les passionne. Daniel en pince pour une composition, présumée d’inspiration lettriste, de borborygmes, signée Baronnet et Dufrêne. L’étonnant, voire le délirant, les enchante.
Le père de Daniel reçoit en service de presse de nombreux disques pour alimenter son travail de chroniqueur. Une manne fantastique pour son fils. En première, Daniel écoute avec délectation un enregistrement du XVme siècle comprenant un morceau de Ditters von Dittersdorf, dont le nom un peu difficile à prononcer lui plaît visiblement. Dans une enquête faite dans leur classe sur les loisirs et les goûts artistiques des élèves, il fait figurer de façon un peu ostentatoire les productions de ce compositeur parmi ses œuvres de prédilection, se vantant ensuite de l’avoir mentionné tandis que les autres citaient les « classiques » Vivaldi ou Beethoven.

En musique, précise Torrens, nous sommes de la génération qui a découvert avec enthousiasme Gustav Mahler, presque ignoré des générations précédentes de mélomanes. Nous écoutions avec émerveillement le Chant de la Terre chanté par Kathleen Ferrier, que le père de Daniel, naturellement, avait dans sa discothèque. Côté littérature, nous étions tous deux de grands lecteurs. Il avait au départ un bien plus grand capital que moi, mais il lui restait à découvrir. Nous lisions beaucoup les classiques du XIXe siècle, en premier lieu Balzac et Stendhal, Flaubert également, et nous en discutions volontiers. Nous aimions aussi le moins connu Georges Darien. En terminale, nous avons commencé à nous intéresser au surréalisme, notamment le pamphlet de René Crevel, Le Clavecin de Diderot. Nous lisions globalement surtout des romans et assez peu de poésie, à part Rimbaud que nous adorions, et nous avions été emballés par les essais provocateurs de Robert Faurisson parus chez J.-J. Pauvert, dans le cadre de la revue Bizarre, sous le titre A-t­ on lu Rimbaud ? et dont les interprétations psychanalytiques assez élémentaires nous semblaient très convaincantes. Faurisson est, hélas, plus connu aujourd’hui pour ses positions négationnistes concernant la Shoah, qu’il a maintenues toute sa vie. En littérature étrangère, les Anglo-Américains, Hemingway (plus moi que lui), Faulkner et Steinbeck, puis les grands du roman noir, Chandler et Hammett, nous passionnaient. Un cas me semble intéressant, celui de Dostoïevski, que j’ai beaucoup lu à cette époque. Je crois que nous ne l’avons pas partagé et je suis frappé par le fait qu’il ne le mentionne jamais dans ses livres, si ce n’est, assez tardivement, pour lui reprocher (à juste titre) son nationalisme russe et l’opposer à Pouchkine. La thématique des humiliés et des offensés, si importante chez cet auteur, et qui touche de près l’homme aux origines sociales et culturelles modestes que je suis, semble totalement étrangère à Daniel, du moins dans le domaine intellectuel (pour ce qui est du physique, vous savez ce qu’il en est). Il était capable d’encaisser de la part des autres des remarques et des attitudes violentes et vexantes sans que cela paraisse l’affecter. Il aimait se montrer volontiers provocateur, ironique et blessant ; évidemment, ses victimes lui répondaient, mais lui, par ailleurs si sensible, semblait avoir contre ce qu’il estimait venir des « cons » et des « fascistes » une cuirasse solide. 

 

Zanzaro Circus

Zanzaro, le clownesque héros de ce roman, qui n’est autre que l’auteur, nous invite à le suivre dans ce cirque qu’aura été sa vie. On y croise Françoise Sagan, Liz Taylor, Viva Superstar et Derrida. On découvre avec lui les peines mais aussi les joies que cause sa maladie : la psychose maniaco-dépressive. Comme autant de pop-up surgies sur un écran d’ordinateur, les bribes du passé s’imposent à son souvenir. Le lecteur l’accompagne sur la piste d’une existence consacrée à l’art : à la musique, à l’écriture, à la musique de l’écriture… Le livre tout entier est porté par le ton bouleversant et le sens de la dérision de Jack-Alain Léger.

Le grand entretien. Lundi 25 mars 2013.

Jack-Alain Léger, Zanzaro Circus, Paris, L’Editeur, 2012

LIRE L’ARTICLE DE JACQUES HENRIC

Lettre de Jack-Alain Léger à Cécile Guilbert




Le Nîmois Jean Azarel
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Questions à Jean Azarel

Qu’est qui vous a attiré chez cet écrivain ?

Un auteur fantasque qui a commencé sa carrière comme chanteur de rock dans les années 70 sous le nom de Dashiell Hedayat, souffrant d’une bipolarité et qui finira par le conduire au suicide en 2013.

Son principal succès, signé Jack-Alain Léger en 1976, Monsignore, a été tiré à 350 000 exemplaires, traduit dans plusieurs langues et adapté à Hollywood avec Christopher Reeve et Geneviève Bujols. Mon premier amour, qui parle de sa mère a été également adapté au cinéma, ainsi que Vivre me tue, publié sous le pseudonyme de Paul Smail, pour ne citer que trois des multiples pseudonymes du personnage.

C’était une plume formidable, un homme d’une érudition extraordinaire de culture classique européenne, possédant un humour mordant et visionnaire.

Comment se passe le travail de biographe ?

Il faut recueillir les témoignages de ceux qui l’ont connu, ses proches, les maillons de la chaîne du livre. Des témoignages qui pour mon éditeur, Séguier, doivent être validés par écrit. Il faut ensuite trouver son chemin entre les différentes interprétations, d’autant que la maladie, qui faisait dire vers la fin à ce grand mélomane "même Mozart grinçait à mes oreilles", l’a brouillé avec tous ses éditeurs et ses amis. Un gros travail d’archive est aussi nécessaire, relire ses livres, tout ce qui a été écrit sur lui. J’ai trouvé une thèse de doctorat, de Marie-Anne Staebler, "Reflets narcissiques dans l’œuvre de Jack-Alain Léger". Mon objectif est de donner envie de redécouvrir l’écrivain, six de ses œuvres introuvables vont être rééditées en un volume chez Bouquins. (Cf. Cécile Guilbert édite Jack-Alain Léger et c’est L’Opéra du moi)

C’est un travail de longue haleine ?

Neuf ans pour aboutir à la publication de cette biographie, depuis le moment où j’ai appris le décès de cet auteur que j’admirais. Le titre que j’ai choisi est celui d’une de ses chansons de 1969. Écrire sur les autres est une aventure humaine, je me suis entretenu avec des personnes que je n’aurais jamais imaginé rencontrer.

Le Midi libre, 14 juin 2023.

Lu dans la presse

« Saluons le remarquable travail de réhabilitation, d’enquête et de rédaction de Jean Azarel […] qui en s’affranchissant de la stricte chronologie et en croisant les nombreux témoignages recueillis, réussit à lever le voile sur cette personnalité aux multiples facettes. »
Denis Roulleau, Rolling Stone

« C’est […] ce destin d’un gamin d’un siècle qui n’a pas voulu de lui que nous rend aujourd’hui Jean Azarel, plume sensible des marges, dans une biographie qui a le bon goût d’en être moins une qu’une rêverie […]. Il redonne à Léger sa dignité perdue et que l’on peut enfin percevoir. »
Olivier Mony, Livres hebdo

« Une émouvante biographie signée Jean Azarel. […] Tout en nuances et balancements au gré des œuvres et comportements évoqués, le récit opère la résurrection du “mort-vivant” Jack-Alain Léger, paria et poids lourd méconnu des Lettres. »
Philippe Kieffer, L’Obs

« C’est avec amour et érudition que Jean Azarel nous plonge dans les méandres de la vie de cet astre noir, trop brillant et trop sensible pour son époque. »
Harper’s Bazaar France

« Une biographie très documentée, riche en témoignages et agrémentée d’analyses aussi personnelles que pertinentes de l’œuvre. »
Lucien d’Azay, Transfuge

« [Ce] livre intime et exhaustif est l’occasion de redécouvrir la vie et l’œuvre d’un authentique Icare des lettres. »
Louis-Henri de La Rochefoucauld, L’Express

Jean Azarel fait le portrait d’un écrivain aussi génial qu’insupportable : « Vous direz que je suis tombé ».
LeSoir

« Vous direz que je suis tombé. » Dix ans après le suicide de l’écrivain, c’est sous ce titre prémonitoire que Jean Azarel, lui-même auteur de plusieurs romans, dresse un portrait biographique de Jack-Alain ­Léger, créateur visionnaire et tourmenté, bipolaire, narcissique, excessif, affabu­lateur, homosexuel masochiste, drôle et profondément mélancolique à la fois, toujours au bord du précipice.
Le Monde, 6 mai 2023.


Emmanuel Pierrat on Twitter :
"Le Monde publie une recension de la biographie consacrée à Jack-Alain Léger".

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AUTOUR DES AUTEURS : JEAN AZAREL

2 Messages

  • Albert Gauvin | 28 janvier 2024 - 13:50 1

    Festival de la biographie, Nîmes
    Midi libre, Publié le 28/01/2024 à 10:59
    Stéphane Cerri

    Le Nîmois Jean Azarel présente "Vous direz que je suis tombé. Vies et morts de Jack-Alain Léger" au festival de la biographie.

    Personnage culte de la scène littéraire et musicale underground des années 60 et 70, Jack-Alain Léger est le héros du nouveau livre au ton très personnel du Nîmois Jean Azarel, dont le livre "Vous direz que je suis tombé. Vies et morts de Jack-Alain Léger" était finaliste du prix Goncourt de la biographie.


  • Albert Gauvin | 6 novembre 2023 - 15:31 2

    Certains le connaissaient sous le nom de Jack-Alain Léger, Paul Smaïl, d’autres de Melmoth ou de Dashiell Hedayat : mais qui était vraiment Daniel Théron, cette comète de Haley-Davidson à l’origine du tube underground Chrysler Rose et qui, d’échecs en incompréhensions, se tourna vers la littérature à ses risques et périls ? Avec Vous direz que je suis tombé, aux éditions Séguier, l’auteur Jean Azarel se penche sur cette énigme digne de la disparition d’Alain Kan. Pour Gonzaï, il explique la chute du Français aux 1000 visages qui décida de se défenestrer, voilà pile 10 ans.

    Il se rêvait Iggy Pop, il avait le corps de Daniel Balavoine. Fin des années 60 en France, pas facile de se faire une place au soleil quand on était rondouillard, qu’on ne savait pas vraiment chanter et qu’on était davantage attiré par les hommes et les stupéfiants que par la facilité des plateaux télé.
    C’est pourtant l’incroyable exploit, éphémère, réalisé par celui dont le nom (Théron) était une prédiction. Une autre : l’un des titres de son premier album pionnier du talkover, bien avant Gainsbourg, se nomme Vous direz que je suis tombé. On le retrouvera, cinquante-quatre ans après son premier album « La devanture des ivresses », récompensé par le prix Charles Cros en 1969, écrasé sur le sol suite à une défenestration. C’était le 17 juillet 2013, et l’arc tendu par les dates de début et de fin de la carrière du schizophrène en quête de reconnaissance ressemble à une scène de meurtre résumant en elle-même tous les zigzag du personnage, en pointillés.

    Trop underground pour le rock français, trop esthète ou fantasque pour le monde très fermé de l’édition, Jack-Alain Léger aura mené sa vie comme on changerait de carte d’identité ; multipliant les noms de scène comme autant de tentatives pour tantôt repartir à zéro, tantôt gommer, corriger cette trajectoire étrange qui l’aura vu signer l’un des plus beaux albums de rock français des seventies (« Obsolète ») et plus de 40 livres dont certains adaptés au cinéma.

    C’est cette histoire en 1000 chapitres que Jean Azarel raconte avec force détails dans Vous direz que je suis tombé, un ouvrage de pure méticulosité où les vies de Daniel Théron sont passés au peigne fin ; délivrant ainsi la clef de compréhension d’un homme multiple dont l’oeuvre musicale, aux côtés de Gong, est à écouter comme le pendant bordélique du « La solitude » de Léo Ferré accompagné par le groupe Zoo.

    Karl Lagerfeld aimait à citer son écrivain préféré, l’inconnu du bataillon Keyserling : « Les Helmt étaient si distingués qu’ils pouvaient à peine vivre ». Pour Jack-Alain Léger, la délivrance mit du temps à venir mais cette mort multicolore éclaire désormais une oeuvre désormais compilée dans L’opéra du moi, dans la collection Bouquins. Comme quoi. Tombé, peut-être, mais pas forcément dans l’oubli.

    Gonzaï