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Yann Moix hors de pair
Sur le Journal de Yann Moix et notre amitié

par Stéphane Zagdanski

D 9 septembre 2023     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Il faudra faire un jour l’histoire des disputes (littéraires, philosophiques ou théologiques), des brouilles (et des broutilles), des malentendus, des vraies (et fausses) amitiés, des inimitiés irréversibles et des vraies (et fausses) réconciliations (parfois posthumes) entre les écrivains et, plus généralement les artistes (qu’on pense aux multiples querelles qui ont pu animer le mouvement surréaliste ou le groupe Tel Quel !). Voir en quoi cela a pu engendrer de la stérilité chez les uns, voire de la bêtise, comme de la productivité chez d’autres et de très belles pages. Je lis ce jour sur la page facebook — donc publique — du Séminaire de Stéphane Zagdanski ce double témoignage. — A.G.

 

Yann Moix hors de pair

Sur le Journal de Yann Moix et notre amitié

Séminaire Zagdanski

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Mon ami Yann Moix publie le premier tome de son Journal, et il est déjà n°1 des ventes. Il me l’a envoyé, je suis en train de le lire, et je dois dire que ce succès est très amplement mérité. Moix s’y montre d’une profonde probité psychologique, à l’égard des autres autant que de lui-même, d’une intelligence radiographique des êtres et des situations, et d’une impertinence hilarante lorsqu’il crayonne quelques-unes de ses nombreuses connaissances qui sont à peu près toutes des célébrités du monde politico-médiatico-culturel : Sarkozy, Jean Daniel, Léa Salamé, Marion Cotillard, des dizaines d’autres…

Il connaît ses propres défauts, ses propres qualités, et surtout a su assister, comme depuis un balcon d’opéra, à son propre cheminement spirituel hors de pair, vers toujours plus de probité et de pureté. Qu’il ait survécu à son enfance, psychologiquement, et qu’il soit parvenu à s’extirper de sa chrysalide de plomb pour devenir l’écrivain qu’il est aujourd’hui (lui-même décrit et explique tout cela très bien) relève véritablement du miracle.

Une autre qualité rarissime, qui transpire à chaque page et rend la lecture de ce livre passionnante (je n’arrive pas à m’en détacher alors que j’ai toute une boulangerie-pâtisserie sur la planche…), c’est sa connaissance de la nature humaine :

Je ne sais pas ce qui, chez moi, est raffiné à ce point — je ne serai pas modeste sur ce dossier — que je puis détecter, tel un radar surpuissant, les gens vénéneux (ce qui ne m’empêche nullement de les côtoyer, mais c’est là une tout autre histoire), les personnages toxiques, les sales types, les êtres duplices, les pervers, les méchants, les faux-monnayeurs. Ils sont fortiches en déguisement, en ‘‘cèlement’’. Mais il y a toujours un petit quelque chose qui suinte, qui suppure. Cela peut être une haleine de rat qui sèche dans les orties sous le soleil d’août, un parfum corporel excrémentiel, un sourire très désagréable, une dentition redoutable ; mais le délétère se voit, le simili se lit, la faux-culerie se dévoile. Je suis fasciné par cette catégorie d’humains qui ne savent pas se contenter des épreuves naturelles et qui s’en rajoutent en exécutant de basses traîtrises, des manigances pathétiques, de petits coups foireux. Ils préparent leurs plans, salivant au résultat maudit de leur besogne laborieuse : une manière de se fuir, de suicider au petit feu de sa propre haine. Ils ne savent pas, les malheureux, que cela se voit.

Beaucoup de questionnements sur sa passion pour le judaïsme et son sentiment intime d’être juif ; des analyses toujours pertinentes sur le terrorisme ; son enfance martyre ; l’amour, ses joies et ses impasses ; le racisme ; l’antisémitisme ; le catholicisme et ce qui le distingue du judaïsme, Jésus, etc.
Beaucoup aussi de réflexions très vives, auxquelles je souscris intégralement, sur l’incommensurable grâce de la Littérature, avec des citations et des portraits dithyrambiques qui donnent immédiatement envie de lire l’écrivain en question, Heidegger, aussi bien qu’André Suares :

Suarès est un génie-que-plus-personne-ne-lit, donc. Ce n’est pas très grave, il n’eût pas supporté qu’on ne connût de lui que son nom, ni même qu’une partie seulement de ses œuvres. Suarès était l’homme du tout ou rien. Si, de sa vie, il ne fit jamais le moindre compromis, c’est que, malgré sa culture sans limites, il n’avait jamais entendu parler de ce mot. Comme il n’a pas écrit le moindre petit roman à l’intrigue bien ficelée et au style ‘‘ intéressant’’, notre époque n’a pas cru bon de s’embarrasser de sa postérité, reléguée sans doute à plus tard. En littérature, les purgatoires ne sont que des salles d’attente. Au vrai, l’exemple de Suarès éclaire encore les mœurs d’aujourd’hui : réfléchir sur son cas, c’est s’intéresser à l’aigreur, à la jalousie, à la médiocrité de quelques écrivains et critiques littéraires ‘‘d’influence’’.

Né à Marseille, Suarès monte étudier à Paris où il passe haut la main le concours de Normale sup, puis se suicide à l’agrégation d’histoire en adoptant un style mallarméen. Commence alors un incessant dialogue avec son propre génie, qu’il n’aura de cesse de répandre, jusqu’à quatre-vingts ans, sur tous les champs de l’esprit : universel, ‘‘Félix’’ se passionne pour la littérature, l’histoire, la politique, la musique, l’économie, l’architecture.

Les cent livres qu’il nous a laissés, et que les éditeurs (en dehors de ‘‘Bouquins’’) continuent de bouder, sont ceux d’un poète limpide, d’un philosophe aguerri, d’un pamphlétaire subtil, d’un dramaturge étonnant, d’un épistolier inlassable. Il voit plus loin que les autres, pense mieux, subjugue aujourd’hui par ses prophéties. Ajoutons qu’il est sans conteste celui qui, plus encore que ses contemporains Gide Claudel ou Malraux, allie la plus solide culture au plus pur des styles. Seul Proust, dans un tout autre univers, peut se dresser sans rougir en face de Suarès.

Je relisais, l’été dernier, Vues sur l’Europe, en “Cahiers Rouges”. Livre incroyable. Mis hélas au pilon par Grasset en 1936, et qui constitue, quelques années avant le cauchemar, un des textes les plus visionnaires de la littérature française. Florilège : « Il ne peut pas y avoir d’Europe, parce que pour l’Allemagne une telle idée n’a pas de sens : l’Europe pour les Allemands doit être allemande ou n’être pas » ; « Le mythe de la race est la plus basse des idolâtries matérialistes » ; « Dans Mein Kampf, il y a tous les crimes de Hitler commis cette année, et tous ceux qu’il pourra commettre encore” ; « Hitler répète cent fois le même propos. Ce rabâchage est un signe de la manie : dix fois moins long, Mein Kampf ne serait ni plus ni moins vrai, ni plus ni moins complet. Drue et pleine la haine est une folie. Le fou pousse toujours les mêmes cris ; mais à Berlin, il n’a pas la camisole de force ; il n’est pas muré dans une cellule blindée de matelas. Sa cellule est tout un peuple ; il a l’écho de 60 millions d’hommes ; loin d’être enchaîné, c’est lui qui est le maître absolu de leur liberté. Sa haine est une religion et son livre en est l’ignoble Évangile ».

Mais Suarès n’est pas entendu, on préfère étouffer sa voix claire et dérangeante. Sa vie, son œuvre pactisent avec l’ombre. Certes, son tempérament, son intransigeance ne servent guère sa publicité. Celui qui signe ses chroniques ‘‘Caerdal’’ fuit les cénacles et les salons, ne s’éprend pas de catholicisme, ne se prostitue pas dans les rédactions parisiennes, et, enfin, ne fait de politique que par son style - le seul parti auquel il adhérera jamais est celui de la solitude. Son ambition est unique : être lui-même, jusqu’au bout. Un ami lui écrira : ‘‘Aucun homme n’a jamais vécu une si prodigieuse intégrité de pensée dans le développement sévère de la vie de son esprit et de son cœur.’’ Suarès refusera de s’abaisser à postuler à l’Académie, à fomenter des intrigues pour recevoir le Nobel ; il poursuit aveuglément sen œuvre, ne plie pas.

Il est pauvre, mais des mécènes, époustouflés par son génie, se relaient pour lui assurer de quoi se consacrer à sa fureur, à son désespoir, à son destin. Et, au voyage, ce qu’il préfère en ce monde, avec la musique, c’est — comme moi — un fou d’Italie : il lui consacrera son chef-d’œuvre, Voyage du Condottière, immense poème en prose de trois tomes dont le premier paraît en 1910 et les deux demiers en 1932. Ce livre, un véritable sommet, s’inscrit parmi les plus beaux textes jamais écrits en langue française. C’est là que le bât blesse : ceux qui s’enorgueillissent de donner sa chance à Suarès sont ceux, aussi, qui tentent de le contrôler, de limiter son influence, son aura. Comme il est difficile de faire sans lui, on fait avec, mais c’est pour mieux le flinguer. Gide, qui joue les fair-play au début, le jalouse vite : son Dostoievsky — soyons honnête — est ridicule comparé à celui de Suarès. Il éliminera vite l’encombrant Condottière (ce n’est pas, cela va sans dire, l’instant que je préfère dans la biographie gidienne). Et la NRF de Jacques Rivière, encouragée par le médiocre Jules Romains, continuera longtemps à son égard un dégueulasse travail de sape. La presse, elle, boude son art, lui préférant des œuvrettes pâlichonnes : ‘‘Je ne vis, écrit Suarès, je ne respire que pour durer : pour l’œuvre la plus belle. Et tous, ils ne jugent que sur le plaisir et le succès.’’ Puis ‘‘Tout est contre moi... Je n’en peux plus...’’

Que Moix soit un ami ne suscite pas ce que j’écris ici et pense sincèrement. C’est l’inverse : qu’ils soit un aussi excellent écrivain, un esprit si subtil et drôle dans sa vision du monde, si épanoui dans sa forteresse de solitude intérieure, justifie l’amitié que je lui porte, même si nous nous voyons très peu.
Il y a quelques années, après une vague brouille liée aux puérilités propres au milieu journalistico-littéraire, je lui avais écrit un email de réconciliation, après qu’il s’était excusé publiquement dans une revue littéraire, ce qui est un acte rarissime dont je ne connais aucun autre écrivain contemporain capable (pas même moi), et dont j’ai aussitôt perçu la grande valeur spirituelle.
J’ai eu la surprise de le lire l’évoquer p. 463 :

Reçu un mail très sympathique de Stéphane Zagdanski. Il y a quelques années, je l’avais malmené dans un article paru dans Elle, et remalmené dans une revue. Franchement, je le regrette. Je n’aurais pas dû. Se faire des ennemis, pourquoi pas - et c’est sans doute même vital. Mais se faire des ennemis qui pourraient, qui devraient être des amis, c’est idiot. Les raisons de ces attaques sont un peu confuses aujourd’hui : disons qu’une tierce personne, par ailleurs écrivain hystérique, aigri, antisémite, et finalement mineur, avait jeté pas mal d’huile sur le feu. Je ne suis pas juif, mais, dans le judaïsme, la médisance est un des péchés les plus graves. Heureusement, le pardon est quelque chose d’essentiel dans ce même judaïsme, et peut-être Stéphane me pardonnera-t-il un jour. Je considère que quelqu’un qui s’intéresse autant à Martin Buber et aux aphorisme de Kafka ne peut que (re)devenir mon ami. Par ailleurs, Zagdanski est très proche je crois de quelques jeunes auteurs de chez Sollers, eux aussi férus de littérature, comme notamment Valentin Retz et Jean-Philippe Rossignol, qui sont à mon avis en train d’ébaucher des œuvres importantes.

La première fois que j’ai rencontré Stéphane, il me semble que c’était, au mitan des années 1990, lors d’une petite allocution que j’avais faite, accompagné (et introduit) par Rita Gombrowicz, dans un local de la bibliothèque François-Mitterrand, sur Gombrowicz. Il y avait peu de monde, il faut bien le dire. Stéphane était là. Nous avions parlé. Il était venu gentiment me trouver : « Tu es le seul à avoir raconté quelque chose d’intéressant. » « Zag » est fou de Talmud, de Proust, de Heidegger et de Céline — ce qui ne fait, avec moi, que des points communs. Lorsqu’on est plus jeune, qu’on débarque à Paris il y a deux attitudes possibles : soit on entre en contact, en empathie, en amitié, en fraternité avec ceux qui partagent nos passions, sois on se braque bêtement, un peu jaloux, et on voit tout à l’aune de la concurrence - ou plutôt (le mot est plus fidèle à ce que j’essaie d’exprimer) : de la compétition. J’ai stupidement choisi la deuxième voie. Qui est une impasse. Et une preuve d’immaturité, sinon de bêtise. J’ai longtemps, j’ai beaucoup été bête. J’ai longtemps, j’ai énormément été stupide. Je le suis resté, bien entendu (je ne suis toujours pas parvenu à la sagesse, peut-être même pas à ce qu’on nomme l’‘‘intelligence’’), mais du moins ai-je fait quelques progrès. A tel point que je connais peu, aujourd’hui, d’écrivains capables à ce point de dire leur admiration pour un autre écrivain — là où la plupart de mes contemporains se recroquevillent dans une attitude suffisante, hautaine. Le problème des écrivains, c’est que chacun se croit, seul dans son rabicoin, le meilleur, le plus grand, le plus beau, le plus fort — le seul.

J’aime chez Stéphane la folie de l’autodidacte ; sa soif de tout comprendre - de vouloir percer le secret de la littérature, dont il a bien senti, lui, qu’il allait de pair avec le grand secret biblique. Stéphane sait ce que « parole » signifie. Il a saisi les correspondances entre la pensée de Heidegger, la poésie, la littérature et la Torah. Ce n’est pas un homme de lettres. C’est un homme de la lettre. J’aime beaucoup Stéphane. Je suis heureux de le savoir sur Terre — il assure une manière de permanence.

Il a cessé de publier, écrivant son œuvre autrement, à la main, sur des toiles, des feuilles, des objets, des cadres et autres supports uniques. Il en avait assez que ses ouvrages soient, en librairie, mélangés à ceux du tout-venant — du tout-écrivant. Certes, il n’est pas agréable d’être logé à la même enseigne que David Foenkinos, Delphine de Vigan, Laurent Gaudé, Maylis de Kerangal ou Éric Reinhardt ; je puis parfaitement l’entendre. Encore que : cela ne donne-t-il pas plus de piquant ? J’aime que mes livres soient mélangés à ceux des autres, cela leur donne une allure normative, et ne confère que plus de puissance encore à leur contenu — ils sont indiscernables par l’allure, par la robe, et la subversivité n’en est que plus grande. Cela ne m’a jamais dérangé que, dans une librairie, Grangé et Gide soient voisins. Au contraire. C’est la guerre entre les livres. Une guerre muette, mais violente. Les œuvres se reniflent entre elles. Elles savent très bien qui est qui. Je ne suis pas inquiet. Zag, si. Il l’est. II en avait plus que marre que son talent ne se remarque pas dans ce cimetière de l’imprimé. Il a donc décidé de retirer ses billes. C’est un jeu dangereux. Pas sûr qu’il y gagne.

Je me méfie de ce genre de positions radicales, surtout quand, comme c’est le cas ici, elles sont guidées par le seul orgueil. Oui, le gros problème de Stéphane, que je respecte tant — si jamais il tombe sur ces lignes, je crains qu’il ne les prenne mal, hélas, car il n’est pas le dernier à être susceptible —, c’est son orgueil. Comme personne ne le place à la hauteur à laquelle il souhaiterait être placé, il s’y place tout seul, s’y installe d’autorité au risque de finir par s’admirer tout seul, d’être son seul lecteur, son seul thuriféraire, son seul public et son seul critique.

Il exagère un peu : dans les « Z », ils ne sont pas si nombreux que ça. La concurrence est moindre que dans les « M ». Moi, par exemple, il faut que je me coltine le voisinage de Modiano : pas évident à vivre. Modiano à l’œuvre si fabriquée, si insincère, si cynique, si truquée, si attendue, si marketing — si fausse. À « Z », il n’y a pas grand monde. Il aurait pu se battre davantage.”

Il y a beaucoup de vrai dans tout ce qu’écrit ici Yann Moix. Une seule erreur, factuelle, ce n’est pas Jean-François Rossignol mais François Meyronnis (qu’il cite par ailleurs dans son livre) qui était, avec Valentin Retz, mon excellent ami à cette époque.

Les deux derniers ouvrages de l’orgueilleux “Zag”, extraits et commande en ligne :


Heidegger et l’Extermination.
ZOOM : cliquer sur l’image.

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La calamité cybernétique.
ZOOM : cliquer sur l’image.

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Stéphane Zagdanski

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