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D’où viennent les mots ?

D 13 juillet 2023     A par Michaël Nooij - C 2 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



La Tribune libre de Michaël Nooij.

« D’où viennent les mots ? » La question est fascinante.
« Au commencement était le Verbe » (la parole, les mots...) dixit saint Jean dans son Évangile. Rousseau a écrit un essai intitulé « Essai sur l’origine des langues ». Un contemporain, Claude Hagège, linguiste et professeur au Collège de France, virtuose des mots, a écrit un intéressant « Dictionnaire amoureux des Langues ».
Chacun apporte son éclairage propre au temps de la formulation, laissant sa part de mystère à une question essentielle des commencements de l’Homme.
Michaël Nooij, peintre et poète ne craint pas de revisiter cette question essentielle à la lumière des mythes et référence aux textes des religions du Livre.
Conscient du scepticisme que peut faire naître ce texte, l’auteur nous a livré cet addendum :
 :

« Pour avoir recouru à une référence tirée de la Génèse, les athées refuseront toute pertinence à ce discours, paroles pour eux fabulatrices, invérifiables et même spécieuses - la Bible à leur yeux ? Un stade dépassé, des folios couverts de fils d’araignée jetés aux oubliettes
"Mais ces pages racontent l’histoire de la naissance de mon premier ancêtre au Paradis !"
"Balivernes, des contes de fée pour enfants à dormir debout, opium pour le vulgaire"
"Vous en êtes sûrs ?"
De toute façon, "D’où viennent les mots" n’est pas adressé aux négateurs mais aux amants d’intensité, de saveur, d’ivresse, leur cœur veut battre, leur âme se laisser ravir par les codes de l’amour - que vouloir de plus ? Là où je suis est le paradis [1] »
MN

VK

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Sa vie durant Ph. Sollers s’est servi des mots pour bâtir sa place au soleil, la langue est sa matière première, le verbe son outil - il en a attentivement étudié le fonctionnement "au carrefour de la linguistique, de la psychologie et du matérialisme historique" et en a tiré les conclusions

Il s’aperçut que le langage ne procède pas des hommes mais d’un ailleurs sensible - les mots pour penser et dire ont été offerts au premier homme quand celui-ci fut invité par son Concepteur-Réalisateur à donner un nom aux bestiaux, aux oiseaux du ciel et à toutes les bêtes sauvages, à formaliser la langue de la Maison de l’Être

La langue de la Maison de l’Être ? L’Être en majuscule ? mais oui, l’être cent pour cent auquel rien ne peut être ajouté ni enlevé, qui vit dans la paix de l’âme et la joie tranquille, l’être à la parole pulsion créatrice, Être suprême mais oui, le moule de ma nature, le code sans lequel rien ne peut venir à l’existence - un pot peut-il exister sans les mains du potier ? ! vivre plus loin que le bout des doigts, confiant dans son étoile, connecté aux réalités d’en-haut, le voilà l’Être, fort et doux il redresse la tige brisée, il boit à la source, ses pas vont où il veut, humble de cœur il est lent à la colère, son sourire tue, il habite la Maison de l’Être

Adam vocalise les tonalités des premiers mots quand il séjourne encore au Paradis - il parle avec son Père potier, les mêmes vocables les relient
Lorsque donc le premier des hommes fut invité en Éden à former les mots ceux-ci ne pouvaient pas ne pas être d’essence édénique, divine
L’origine du langage se trouve bel et bien au Jardin des Délices
Le couple déchu a certes perdu son état paradisiaque mais pas les mots, leur conscience s’est structurée avec, ils parlent encore l’édénien pur si irrésistible à l’oreille, des sons, une musique, un gazouillis à huit harmonies où le ténor Mars répond à Vénus l’alto - le moine, avec cette claire, céleste oreille surpassant l’oreille des hommes, entend à la fois les sons humains et les sons célestes, fussent-ils loin ou près [2]

Mais comment l’édénien a-t-il pu perdre sa puissance et son lustre originels ?
Le meurtre d’Abel, le Déluge, la Tour de Babel l’expliquent déjà très bien

Qu’est le verbe devenu aujourd’hui ? Un terme pompeux désuet pour dire propagande, le moyen utile pour fabriquer du consensus - de sacrée la langue est devenue outil pratique, d’ailleurs les mots ne veulent plus rien dire la guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force, les ténèbres sont lumière, l’enfer c’est le paradis

Mais comment restaurer cette langue adénique  ? Chaque poète l’ambitionne, beaucoup se pendent, rares sont ceux revenus, le Graal se mérite

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De son côté l’épouse de Sollers comprit elle aussi que la langue est une conscience active précédant le cerveau humain - elle vit aussi combien cette "métalinguistique" par son empire est joyeuse et l’appela la Révolution du langage poétique

S. dans ses poèmes Paradis I et II ramasse les mots tombés au sol pour les accrocher à nouveau au ciel - mais non dit-il, le langage n’est pas né d’en bas par imitation de chants d’oiseaux comme le pensent les darwinistes mais les mots naissent, la conscience agit, la bouche parle depuis un en-haut, le surconscient nourrit les lèvres, c’est dans et par le langage que l’homme se constitue comme sujet [3], le verbe est au commencement

Croire que le langage humain est une copie du ramage des volatiles ou au contraire être sûr que le langage est né d’Éden ? Le poète décide, il ne se trompe pas

Le monde est la configuration de la parole dit Heinrich Heine

Sollers l’initié a fait et laissé fluer dans sa plume ce verbe infini - devant les caméras durant soixante ans de couronne germano-pratine Mister Sollers en réalité n’a cessé de nous informer sur la nature de la nature qui fait de nous des dieux, la lumière du monde

Là où il est va-t-il trouver la parole perdue du Paradis ? Je veux le croire, paix à son âme


La tombe de Philippe Sollers au cimetière d’Ars-en-Ré
Crédit illustration : benoit.monneret@gmail.com

Michaël Nooij sur pileface

oOo

[1Voltaire, Le Mondain (1736)

[2texte bouddhique

[3Julia Kristeva

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2 Messages

  • Michaël Nooij | 18 juillet 2023 - 10:37 1

    Un nouvel addendum à mon article :

    Les premières paroles* au monde ne furent pas dites par Adam mais par son Créateur : yehi ’or ! fiat lux ! lumière, soit !

    Ces trois syllabes contiennent tout le potentiel de ce qui allait venir, le firmament, la terre et les mers, la verdure, les luminaires du ciel, les poissons et les oiseaux, les bestioles et les bestiaux

    Infailliblement les rouleaux de lumière sortis de la bouche du Père artiste finissent par modeler l’univers, le cosmos prend forme, temps et espace en assurent la stabilité, la gravité tient le tout ensemble, le décor est planté, les petits oiseaux piaillent, les fleurs poussent, les singes volent d’une branche à l’autre, mère tortue pond ses œufs, le lion se couche tout auprès de l’agneau, YHWH se dit "le moment est arrivé de façonner l’homme, d’associer ma béatitude à une autre âme pour jouir ensemble du Paradis", ce qui fait que

    Dieu créa l’homme à son image
    à l’image de Dieu il le créa
    homme et femme il les créa

    Si Adam fut certes modelé dans la glaise, il est avant tout la réalisation du désir de YHWH à partager sa félicité avec une autre personne, non pas jouet, marionnette, robot, esclave mais un "partner in Paradis au libre arbitre pour embrasser les étoiles, nager dans les lacs de montagnes, se frayer un chemin sur le dos d’un éléphant à travers la jungle une licorne devant pour guide - j’ai donné à mon ami Adam mon âme et mes cinq sens, à présent je vais lui donner l’intelligence des mots, c’est facile il est à mon image, à ma ressemblance je l’ai confectionné, lui et moi nous sentons pensons la même chose, comme le ruisseau sort de sa source les mots couleront de nos esprits jumelés, en un rien de temps il parlera l’édénien et pour récompense je lui susciterai une femme, une mie à aimer au Paradis à combler de caresses de poèmes d’amour !"

    Au huitième siècle avant notre ère à Jérusalem le poète-prophète Isaïe un jour reçut l’ordre du Très-Haut d’écrire en toutes lettres pour que chacun comprenne : ainsi ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce qui me plaît, sans avoir accompli sa mission

    Les mots descendent d’en haut par un pont qui unit le ciel à la terre et la terre au ciel

    Le langage est sacré, lourd de conséquences - ils ont raison ceux qui disent qu’avant de sortir un mot de la bouche mieux vaut sept fois tourner sa langue

    Les influences verticales passent le désir du ciel dans le limon de la terre, l’esprit se métamorphose en substance

    L’énergie des rouleaux de lumière par une sorte de photosynthèse se transforme en chimie, en chair, le souffle d’en-haut se matérialise en violette en tulipe en lys en humble herbe - c’est le plan horizontal

    Là où le vertical et l’horizontal se croisent se tient le point-centre, en réalité c’est lui, ce centre-point qui pulse les mots dans les quatre directions

    Là se tient la source qui sort d’Éden, le fleuve à quatre bras qui arrose le monde

    Sollers au Paradis s’écrie dis-moi que nous sommes des dieux me dit elle hein nous sommes des dieux

    Bien sûr les dieux parlent l’édénien, langue royale sacerdotale et prophétique

    (*) parole vient du latin écclésiastique "parabola", "comparaison", les mots sont des paraboles

    PS : A ceux qui, comme Viktor Kirtov, se poseraient la question de savoir pourquoi je ne termine pas mes paragraphes par un point, voici ce que je réponds :

    Si le point n’est pas là c’est que j’aime l’idée d’une phrase qui flotte, qui bien qu’elle soit terminée continue le texte sans l’effrayant point final, mortel par son aspect définitif, c’est lourd, ça fait professoral, ça ne danse pas
    oOo


  • Michaël Nooij | 16 juillet 2023 - 07:35 2

    En complément de mon article :

    Si donc les mots, quelque soit leur usure, sont nés d’Éden, ils n’ont en aucun cas pu perdre leur charge originelle - le diamant a beau être couvert de gangue il n’en brille pas moins, les mots ont beau être malmenés, salis, violés, leur caractère diamantin hérité du Paradis les rend insensible à la flétrissure

    Bien qu’ensevelis sous des tonnes de décharges leur puissance propre n’en est point affectée et il suffit d’ôter les croûtes et écorces pour retrouver leur éclat et force primitifs - les mots ont été forgés, coulés avec l’or du Jardin divin, ils ont l’éternité en eux

    Adam donne un sens aux sons, la conscience des mots structurera sa vista du monde, il se garde bien de mal les employer, il sait leur effet boomerang à double impact

    Les mots possèdent une âme, une conscience, une mémoire de l’emploi fait d’eux, ils sont subtils, précèdent la chair - être malmenés leur est une vraie souffrance, pourquoi bon sens vouloir masquer le feu du rubis, cacher l’azur du saphir, couvrir l’émeraude ? Les mots sont des balles d’énergie, les mots écoutent

    Comme pour l’or inaltérable, rien ne corrompt le verbe, les mots sont forever young

    Ceux formés par Adam lui furent soufflés à l’oreille par son Auteur, le divin est leur certificat d’origine et sceau royal, les rogatons des millénaires ne peuvent les altérer ...même s’il faut bien avouer qu’ils souffrent affreusement de se voir si mal traités car les mots ont une chair, d’ailleurs aussitôt après qu’Adam invente la langue lui naît Ève sa chérie du Paradis l’os de ses os, la chair de sa chair, ça y est, les deux pôles sont en place, ça fonctionne, ils échangent leurs paroles en flux fluides, luxe calme et volupté règnent, le soir à la brise fraîche le couple se promène en compagnie de son Créateur qui en bon père de famille attentif à sa progéniture, préventif, en profite pour donner aux amoureux les codes de conduites à respecter au Jardin des Délices

    Il y a cette légende qui raconte comment tous les mots prononcés par une personne au cours de sa vie se rassemblent après sa mort pour dresser son portrait posthume - a-t-elle enrichi son âme ou au contraire avili ? That is the question

    Sollers dit dans Paradis II "la lettre est ressuscitée", les mots ont trouvé le moyen de réapparaître à la surface, se sont frayés un chemin à travers les strates d’immondices, à nouveau le soleil les éclaire et les fait flamboyer dans la nuit - je vois la rosée briller sur les murs ajoute-t-il

    Ou encore c’est dans cette confusion collusion décompofaction que quelqu’un se sera quand même dressé obstiné tenu accroché là chaque matin chaque soir mot à mot syllabe à syllabe - Sollers depuis sa jeunesse a tenu le défi jusqu’au grand âge, le soleil est fou cette année et moi aussi je suis beaucoup plus fou