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Hommage à Georges Bataille

Critique 195-196, août-septembre 1963

D 6 février 2012     A par Albert Gauvin - C 7 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Georges Bataille lors du cocktail donné en 1957 pour ses 60 ans (archives A.G.). Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

« Je le répèterai sur tous les tons : le monde n’est habitable
qu’à la condition que rien n’y soit respecté.
 »
Georges Bataille


Georges Bataille est mort le 9 juillet 1962. L’un des plus importants écrivains français du XXème siècle avec Proust et Céline est au "catalogue" des « Commémorations Nationales ». A ce jour, on peut lire, sur le site des Archives de France, dans l’avant-propos de Frédéric Mitterrand :

[...] La spiritualité, une philosophie éclairée et, d’une manière plus large, l’exigence humaniste animeront les anniversaires de l’année 2012 grâce à Jean-Jacques Rousseau, Ambroise Paré, l’abbé de l’Épée, Henri Mondor, Léon-Gontran Damas, l’abbé Pierre. Les créateurs, les artistes, les écrivains seront également présents avec Doisneau, Jean Vilar, Yves Klein sans oublier Georges Bataille, Louis Massignon ou Roger Nimier. En lien avec l’INHA et les institutions scientifiques, un hommage au grand historien de l’art André Chastel sera coordonné par mon ministère, afin de souligner l’importance de cette discipline dans un monde de l’image et du simulacre. [...] [1]

Bataille, incontestable « homme de plumes et de pensée », n’est pas donc oublié « dans un monde de l’image et du simulacre ». Espérons que « l’exigence humaniste », aussi bien partagée que le bon sens, n’y trouvera, cette année, rien à redire.

C’est à Jean-François Louette, professeur à la Sorbonne, éditeur en 2004 du premier volume de la Pléiade consacré aux romans et récits de Bataille qu’est revenue la présentation. Je prélève ce passage où il écrit justement :

[...] La société de la Troisième République tend à l’athéisme : Bataille voudrait, quant à lui, fonder une athéologie, c’est-à-dire une science de l’absence de Dieu, qui tire les conséquences rigoureuses de l’enseignement de Nietzsche (si « Dieu est mort », il revient à l’homme de vivre jusqu’à l’impossible la nécessité de se substituer à lui). Le monde bourgeois ne rêve qu’accumulation de capital : Bataille plaide pour la dépense improductive, aussi bien dans les conduites individuelles (l’ivresse, la débauche), que collectives (la fête, la consomption des richesses, une économie de consumation et non pas de consommation). L’Occident s’est enfermé dans la prison de la rationalité et de l’utilité, du calcul qui privilégie demain au détriment d’aujourd’hui : Bataille prétend nous en délivrer, nous aider à perdre la tête, nous apprendre à vivre sans délai. [...] [2]

« Il faut le système et il faut l’excès », disait Bataille. On a le système et les excès du système. Vivre sans délai dans le monde du calcul bourgeois et capitaliste ! Est-ce vraiment raisonnable ? demande, excédé, le vieil humaniste, c’est-à-dire, aujourd’hui, presque tout le monde.

Sollers, en 1966, avait raison d’écrire :

La raison mise en oeuvre ici (une raison qui sait forcer la folie à se faire comprendre) a ceci d’étrange qu’elle fait apparaître comme irrationnels et idéalistes la plupart des rationalismes humanistes et psychologiques qui lui furent opposés.

La "toile" n’est guère bavarde sur les formes que revêtiront les éventuelles commémorations [3]. Anticipons. Ce ne sera pas la première fois.

Dans sa présentation du premier volume des Oeuvres complètes de Bataille, Michel Foucault écrivait en 1970 [4] :

On le sait aujourd’hui : Bataille est l’un des écrivains les plus importants de son siècle. L’Histoire de l’oeil, Madame Edwarda ont rompu le fil des récits pour raconter ce qui ne l’avait jamais été ; la Somme athéologique a fait entrer la pensée dans le jeu — dans le jeu risqué — de la limite, de l’extrême, du sommet, du transgressif ; L’Érotisme nous a rendu Sade plus proche et plus difficile. Nous devons à Bataille une grande part du moment où nous sommes ; mais ce qui reste à faire, à penser et à dire, cela sans doute lui est dû encore, et le sera longtemps. Son oeuvre grandira. Du moins, faut-il qu’elle soit là, rassemblée, elle que l’occasion, le risque, l’aléa, la nécessité, la pure dépense aussi ont dispersée et rendue aujourd’hui si difficile d’accès.

André S. Labarthe, Bataille à perte de vue, 1997.
"Dernier plan : les Oeuvres Complètes entassées sur l’humus. Une tombe papier. La deuxième tombe. [5]" Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

L’oeuvre est rassemblée, disponible. Elle a fait l’objet, depuis quarante ans, d’innombrables commentaires universitaires. Mais est-elle pour autant plus lisible ? André S. Labarthe, en 1997, achevait son film, Bataille à perte de vue, par ces mots :

Comment ne pas admirer l’ironie noire qui a baptisé "Oeuvres complètes" un ensemble de textes qui célèbre le triomphe de l’inachevé. Dieu merci : cette tombe ferme mal [6].
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Les éditions « lignes », dirigées par Michel Surya, auteur de la plus intéressante biographie de Georges Bataille, « Georges Bataille, la mort à l’oeuvre » (Éditions Séguier, 1987 ; Gallimard, 1992), rééditent régulièrement de courts textes de Bataille [7]. Elles annoncent la parution prochaine d’une étude de Michel Foucault publiée en 1963 dans la revue Critique, en « hommage à Georges Bataille » : Préface à la transgression.

Michel Foucault,
Préface à la transgression

Présentation de Francis Marmande.

Paris / Fécamp : Editions Lignes, 2012.
64 p. — 13,00 EUR

PARUTION LE 16 FÉVRIER

Présentation de l’éditeur :

Paru en 1963 dans la revue Critique, une année après la mort de Georges Bataille, ce texte d’hommage du jeune Michel Foucault [8] inaugure la postérité de Georges Bataille en tant que philosophe.

Parution programmée à l’occasion du cinquantenaire de la mort de Georges Bataille (1897-1962).

On pourrait en douter aujourd’hui : à sa mort, en 1962, Georges Bataille reste quasiment inconnu. Quelques dates marqueront sa reconnaissance posthume. On le sait de la décade de Cerisy, en 1973, « Artaud / Bataille, pour une révolution culturelle » [9]. On le sait des deux numéros de la revue L’Arc (fin des années 1960 — début des années 1970). On le sait moins du numéro que la revue Critique a publié dès l’été 1963, soit un an après sa mort, « Hommage à Georges Bataille », que de « plus bruyants », comme dit Francis Marmande, auraient « hissé à hauteur de manifeste ».

C’est dès ce numéro, en effet, que sont mesurées l’ampleur et la diversité de l’apport de Georges Bataille à la littérature et à la pensée. Ce qui n’allait pas de soi : la publication des Oeuvres complètes (12 vol.) ne commencerait que dix ans plus tard, lesquelles porteront enfin au jour un continent inconnu de tous — tant d’écrits oubliés ou inédits ; pas loin sans doute du tiers des textes qu’elles réunissent.

Les contributeurs de ce numéro de Critique ne les ont pas attendues pour en attester déjà. Des écrivains : Raymond Queneau, Michel Leiris, Philippe Sollers ; des écrivains-philosophes : Roland Barthes, Maurice Blanchot, Pierre Klossowski ; des philosophes : Michel Foucault, Jean Wahl ; un ethnologue : Alfred Métraux. À peu près tous les domaines dans lesquels Georges Bataille s’est illustré y sont représentés. On peut tenir ce numéro pour constitutif de la postérité de Bataille ; il l’a déployée et articulée. Tout ce qui s’est écrit depuis cinquante ans que Bataille est mort lui doit plus ou moins.

La contribution de Michel Foucault à ce numéro emblématique de Critique sera décisive : Foucault est certes loin d’avoir encore l’aura des autres contributeurs (ayant alors encore peu de livres à son actif, sinon Histoire de la folie à l’âge classique) ; pour autant, la jeune génération de la philosophie ne pourra pas ignorer que Bataille est aussi un philosophe, et pas seulement un écrivain, comme on sera encore trop longtemps enclin à le penser. Un philosophe d’une étrange sorte, soit ; parmi les plus considérables cependant. On peut le dire aussi simplement : l’analyse élogieuse de Michel Foucault vient corriger celle, stigmatisante, énoncée par Jean-Paul Sartre en 1943, soit 20 ans plus tôt.


Le début du texte de Foucault (archives A.G.). Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Texte admirable (admirablement écrit) de Michel Foucault (ses propres motifs y sont abondamment déployés) autant que sur Georges Bataille (sur lequel il prend appui par le même mouvement qu’il en analyse l’oeuvre et la pensée) ; où il est beaucoup et indissolublement question de la sexualité et de Dieu : « Ce qu’à partir de la sexualité peut dire un langage s’il est rigoureux, ce n’est pas le secret naturel de l’homme, ce n’est pas sa calme vérité anthropologique, c’est qu’il est sans Dieu ; la parole que nous avons donnée à la sexualité est contemporaine par le temps et la structure de celle par laquelle nous nous sommes annoncés à nous-mêmes que Dieu était mort. [...] Mort qu’il ne faut point entendre comme la fin de son règne historique, ni le constat enfin délivré de son inexistence, mais comme l’espace désormais constant de notre expérience. » Où il est question, bien sûr, de la transgression (affirmation non-positive dit-il, qui n’affirme rien) : « Peut-être un jour apparaîtra-t-elle aussi décisive pour notre culture, aussi enfouie dans son sol, que l’a été naguère, pour la pensée dialectique, l’expérience de la contradiction. » De la philosophie en tant que telle, enfin, en quoi il se tient aussi près que possible de l’expérience que Georges Bataille a faite de la pensée et invite à faire après lui : « C’est au coeur de cette disparition du sujet philosophant que le langage philosophique s’avance comme en un labyrinthe, non pour le retrouver mais pour en éprouver (et par le langage même) la perte jusqu’à la limite, c’est-à-dire jusqu’à cette ouverture où son être surgit, mais perdu déjà, entièrement répandu hors de lui-même, vidé de soi jusqu’au vide absolu, — ouverture qui est la communication. »

Michel Foucault dira plus tard dans un entretien : « Klossowski, Bataille, Blanchot ont été pour moi très importants. Et je crains bien de n’avoir pas fait dans ce que j’ai écrit la part suffisante à l’influence qu’ils ont dû avoir sur moi. [...] Je me suis dit que finalement on n’a peut-être pas montré suffisamment la dette qu’on leur doit. » C’est pourtant Michel Foucault qui sera à l’initiative de la publication des Oeuvres complètes de Georges Bataille, et qui en préfacera le premier volume, dix ans plus tard.

Il nous a paru essentiel de redonner ce texte essentiel à lire, à l’occasion de la célébration du cinquantième anniversaire de la mort de Bataille.

Crédit : éditions lignes

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Le numéro de Critique

L’original de Critique 195-196, août-septembre 1963. 1ère et 4ème de couverture (archives A.G.) Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Le sommaire complet du numéro :

« Georges Bataille à Riom-es-Montagnes » [10]
Alfred Metraux, « Rencontre avec les ethnologues »
Michel Leiris, « De Bataille l’impossible à l’impossible Documents »
Raymond Queneau, « Premières confrontations avec Hegel »
André Masson, « Le soc de la charrue »
Jean Bruno, « Les techniques d’illumination chez Georges Bataille »
Jean Piel, « Bataille et le monde : de La Notion de dépense à La Part maudite » [11]
Maurice Blanchot, « Le jeu de la pensée »
Pierre Klossowski, « Le simulacre dans la communication de Georges Bataille »
Michel Foucault, « Préface à la transgression » (extraits )
Roland Barthes, « La métaphore de l’oeil »
Jean Wahl, « Le pouvoir et le non-pouvoir »
Philippe Sollers, « De grandes irrégularités de langage »
Bibliographie : I. Oeuvres de Georges Bataille — II. Études et articles sur Georges Bataille.

Un numéro de Critique qui, évidemment, a fait date (et pour moi si j’en crois mon vieil exemplaire furieusement annoté [12]). Réédité en fac-similé, il est encore disponible sur le web.

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Bataille / tel quel

Michel Foucault et Philippe Sollers en conversation avec Jean-Pierre Faye (de dos).
Colloque de Cerisy-la-Salle, septembre 1963 [13]. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Il pourrait être tentant aujourd’hui d’"opposer" tous les noms prestigieux qui figurent au sommaire de ce numéro de Critique et, par exemple, celui de Michel Foucault, à d’autres écrivains, alors plus jeunes et, par la suite, « plus bruyants », c’est-à-dire, en premier lieu, ceux de la revue Tel Quel. La lecture minutieuse des textes peut, a posteriori, le justifier, sûrement pas la réalité des relations de proximité intellectuelle existant dans les années soixante.

D’une part, Michel Foucault est alors très attentif à ce qui s’écrit dans Tel Quel. La revue qui vient alors de se consolider s’ouvre à des philosophes qui ne vont pas tarder à exercer une influence durable (Foucault mais aussi Derrida [14]). En septembre 1963, Foucault préside le colloque de Cerisy organisé par le groupe Tel quel sur le thème « Une littérature nouvelle » (photo ci-dessus [15]). En novembre 1963, il écrit, dans Critique, « Distance, aspect, origine » [16], texte largement consacré aux livres de Sollers, de Thibaudeau et de Marcelin Pleynet et qui sera repris en octobre 1968 dans Théorie d’ensemble (Seuil, collection « Tel Quel »).

D’autre part, Philippe Sollers pour qui la lecture, à dix-sept ans, de L’Expérience intérieure de Bataille, a été décisive, s’est rapproché de celui-ci. Il a relaté à plusieurs reprises, l’émotion ressentie lors d’une rencontre au « Pré-aux-clercs » entre Breton et Bataille [17]. On connait aussi ce récit qui ouvre l’intervention de Sollers au colloque « Artaud-Bataille » de juillet 1972 :

Je revois Georges Bataille dans un bureau où il passait quelquefois. Ce bureau ouvre sur un jardin intérieur accessible par une fenêtre. Bataille veut visiter le jardin. Fatigué, il a du mal à sauter. Je le prends par le bras, nous retombons sur la terre et l’herbe. Les feuilles sont noires. Il fait beau. (L’acte Bataille)

Bataille meurt en juillet 1962. Malgré les pressions de certains de ses proches [18], Tel Quel publie dans son n° 10 (été 1962), sorti en octobre 1962, les Conférences sur le Non-Savoir. Le texte est suivi de cette note signée de Jean-Edern Hallier (il est alors « secrétaire général » de la revue) et de Philippe Sollers :

Quelques temps avant sa disparition, Georges Bataille nous avait remis les manuscrits des conférences qu’il fit, en 1952, au Collège Philosophique. Son intention semblait alors de les publier sous forme de texte continu, exclusion faite des points de repère et des notes ayant dû servir à un développement oral. Il avait été convenu du titre général : Conférences sur le Non-Savoir.
Toutefois, d’accord en cela avec Michel Leiris et d’autres proche de l’auteur, il nous a paru préférable, Georges Bataille n’ayant pu revoir les épreuves, de donner les manuscrits dans leur état original. On s’est donc contenté d’indiquer entre crochets les titres primitifs de chacune des conférences, ainsi que les fragments allusifs.
Il est inutile de souligner l’importance de ces textes qui reprennent et précisent les thèmes capitaux de la pensée de G. Bataille, non plus que la perspective prise par eux du fait de sa mort. Cette mort, celle d’un homme dont le génie nous semblait un des plus incontestables de ce temps, nous touche d’une façon particulière. Nous rendrons hommage à G. Bataille dans l’un de nos prochains numéros.

Compte-tenu de l’intérêt porté par plusieurs écrivains de Tel Quel à Bataille, il n’est pas étonnant de voir le nom de Philippe Sollers (qui a alors vingt-six ans) figurer au sommaire du numéro de Critique d’août-septembre 1963 en hommage à Bataille. Le texte de Sollers ferme le numéro et, d’une certaine manière, ouvre une nouvelle époque. Il s’intitule « De grandes irrégularités de langage ».

Bataille, en 1950, dans sa préface de Justine ou les malheurs de la vertu, avait écrit :

En un sens, parler ne fut peut-être pour Sade qu’un moyen de parvenir à de grandes irrégularités de langage.
Il me faut donc reconnaître que, — décidément, la violence étant silencieuse, — lui donner la parole devait la trahir (et trahir en même temps les lois du langage). Mais cette position peut être à volonté renversée...
S’il s’agit d’un dérèglement, d’un langage qui n’en est plus un, avec une égale vérité, il est possible de redire autrement ce que j’ai dit : l’usage irrégulier du langage est peut-être une forme irrégulière de silence.

D’entrée de jeu, une "filiation", secrètement, s’affirme. Et même plus d’une, car on lit aussi dans De grandes irrégularités de langage :

Cette force inemployée, cette " négativité sans emploi " — part maudite — qui tourne massivement à la consumation et à la " fête " de la volonté n’appelle-t-elle pas en écho les Poésies de Lautréamont ?

Question qui mérite d’être approfondie (et qui ne l’a guère été) si l’on se souvient de ce qu’écrivait Bataille, en 1957, dans une note de la fin de l’Avant-propos de La littérature et le mal :

Il manque à cet ensemble une étude sur Les Chants de Maldoror. Mais elle allait si bien de soi qu’à la rigueur elle est superflue. A peine est-il utile de dire des Poésies qu’elles répondent à ma position. Les Poésies de Lautréamont, n’est-ce pas la littérature « plaidant coupable » ? Elles surprennent, mais si elles sont intelligibles, n’est-ce pas de mon point de vue ?

Le point de vue du Coupable, ainsi que se définissait lui-même Bataille, « par anti-phrase ? », en 1943, alors que la catastrophe fait rage, «  ce coupable dénonçant notre culpabilité, et celle de notre système implicite ou explicite de mots, de pensée, de vie ».

Le texte de Sollers, repris dans le recueil d’essais Logiques en avril 1968, n’a pas, à ma connaissance, été republié depuis [19].

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Le début du texte de Sollers (archives A.G.). Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

" L’usage irrégulier du langage peut être une forme irrégulière de silence. " Parler régulièrement de qui a écrit cette phrase, n’est-ce pas, cédant au mensonge, le contraindre au silence contre lequel il n’a cessé de se prononcer ? En parler irrégulièrement , n’est-ce pas, de la même façon, tenter un partage dérisoire ? Vis-à-vis des livres de Georges Bataille qui n’en forment, comme ceux de Sade, qu’un seul — non pas calcul esthétique, mais mouvement emporté qui fait cesser aussitôt leurs limites respectives pour les rapprocher d’un même centre orageux, décisif — ; vis-à-vis de l’Expérience intérieure, du Coupable, de Haine de la poésie (rebaptisé pour finir, et comme pour donner congé, l’Impossible, de la manière la plus tranchante), livres à l’écart et cependant perfidement insérés dans la masse du discours universel comme des tourbillons incessants ; vis-à-vis de tels livres, tout commentaire est suspect, nécessairement fastidieux. Ni "littérature", ni "philosophie" ; ni romans, ni essais, ni poésies, ni journaux — et tout cela en même temps, carnet unique d’une exploration menée en tous sens, carnet dont le graphisme interne, si l’on peut dire, est lui-même inappréciable (parce que cette main est là plus que tout autre, à l’instant, au plus près, fiévreuse, inscrite dans la figure plane de l’écriture, décidant de sa rupture ou la transcrivant sans repos), carnet d’une recherche égarée et méthodique qui devait "épuiser la possibilité d’être"... Dès l’abord, ces livres ne sont pas des " livres ", cette pensée n’est pas une " pensée ". Eux comme elle sont " dénonciation de la trêve ", exigent " l’être sans délai ". Ensemble, ils constituent cette extrême dramaturgie de la pensée, trajectoire à la fois convulsive et maîtrisée (d’une fermeté toujours ressaisie, fut-ce dans l’aveu d’impuissance), qu’il n’est pas question, évidemment, de circonscrire ni de composer. Sa fragmentation elle-même est un avertissement pour qui voudrait masquer ce qu’elle désigne : ce vide, ce vertige entre deux phrases et entre deux gestes, ce vide qu’il serait illusoire de vouloir combler par les pointillés du commentateur. Peu d’oeuvres, peu d’existences donnent en effet, comme celle-ci, l’impression quasiment mythique de s’être frayé un passage au plus épais, au plus dérobé de la vie mentale ; de s’être glissées en force dans une interrogation perpétuelle en ne nous laissant plus que les traces actives de leur combustion ; de fonder davantage l’énergie qu’elles déclenchent plutôt que l’identité partielle de leur représentant provisoire parmi nous.

Que Georges Bataille ait pourtant vécu à notre époque, que l’on puisse le situer comme il le faisait lui-même (mais par souci, semble-t-il, de précision secondaire) " à la suite, à côté du surréalisme " ; que l’on souligne en lui sa " fidélité " à Nietzsche ; que l’on écrive à son propos les mots inévitables de " mysticisme" et " d’érotisme ", soit. Mais lui qui a voulu, délibérément, être ce coupable dénonçant notre culpabilité, et celle de notre système implicite ou explicite de mots, de pensée, de vie, pouvait juger d’avance le langage " apaisé ", resté sur la rive, dont, après sa mort (qui lui appartient ouvertement), il serait la victime déjà ironique et absente. S’étant en entier jeté dans le flux sans âge de la " communication " (refus de l’isolement et du sujet simple, glissement d’un bord à l’autre, d’un être à l’autre), il s’affirme d’abord comme contestation acharnée de tous les repères, de tous les points de vue communautaires, de toutes les autorités : l’expérience intérieure est à elle-même sa propre autorité, et cette autorité s’expie  [20]. Voilà la tenaille où il se prend avec son lecteur, rendus l’un et l’autre, l’un pour l’autre, au seul vertige de la présence — négation de l’individualité protectrice qui définit le monde limité, servile, discursif où a lieu la parodie de l’échange en place du courant intense, de l’écoulement sacré (joie, désir et horreur inextricablement mêlés ; logique et agonie de la logique) dont il a attiré sur lui la dangereuse liberté : " La liberté n’est rien si elle n’est celle de vivre au bord des limites où toute compréhension se décompose. " A ce point, le silence lui-même n’est plus qu’une échappatoire, une compréhension abusive et feinte, il ne peut qu’être relancé dans le circuit du langage, qu’être trahi sans relâche (de même que le langage, un peu plus loin, sera trahi par l’excès du non-savoir, puis cet excès contesté à son tour). En vue d’un autre silence ? Sans doute. " Je veux trouver des mots qui réintroduisent — en un point — le souverain silence qu’interrompt le langage articulé. " Si, dans la tragédie — qui est la scène privilégiée du rapport langage-silence poussé dans ses derniers retranchements —, on arrive à la proposition " Le reste est silence ", ce n’est qu’après cette mise à mort du faux silence et du langage (et par conséquent de la pensée) poussée à son point de rupture sans retour. Il est assez étrange que le dernier texte publié par Bataille traitât justement de la tragédie ; texte où, généralisant la formule définitive d’Hamlet, il définissait la philosophie comme la seule méthode qui laisse silencieux " de manière conséquente ". Mais une telle position de " manquement " au langage (Bataille nous dit qu’il s’approche de la poésie — du langage par excellence — " mais pour lui manquer ") suppose non seulement " la perversion poétique des mots sans laquelle une domination semblerait subie " mais un " silence voulu non pour cacher, pour exprimer à un degré de plus de détachement. L’expérience ne peut être communiquée si des liens de silence, d’effacement, de distance, ne changent pas ceux qu’elle met en jeu ".


O les dés joués
du fond de la tombe
en des doigts de fine nuit

dés d’oiseau de soleil

En dehors de tout dogmatisme, nous sommes donc jetés ici dans le jeu lui-même, où les privilèges du langage et du silence (qui maintenant se retrouvent du même côté face à " l’inconnu " sans partage) sont sans arrêt contestés. " Sur le plan où ces choses se jouent, chaque élément se change en son contraire, incessamment. " " ... le monde en moi se joue... D’être un coup de dés, c’est ma joie. " Et encore : " Cette légèreté du jeu est si bien donnée dans l’ambiguïté des choses que nous méprisons les anxieux s’ils les prennent lourdement au sérieux. " Cet espace du jeu, du langage et du silence indissolubles, est celui des " moments souverains " (de ceux où tout va au " rendez-vous " de l’inconnu), et non pas, bien entendu, celui de la frivolité égale du sérieux et du manque de sérieux. C’est le domaine imprévisible de la chance, de la dépense libre et irréductible — et non du compromis rationnel : " L’au-delà du sérieux diffère autant de l’en-deçà que le sérieux du plaisant. Il est bien plus sérieux, bien plus comique — son sérieux n’étant mitigé par rien de plaisant, son comique par rien de sérieux. Un seul instant, l’homme sérieux ou le plaisantin ne pourraient même y respirer. Ceci dit sans le moindre sérieux, mais de plein fouet, sans rien prendre par un biais. "

Prononcer ainsi la suspension radicale du discours (du monde, de ce que Bataille appelle " ce qui arrive ") où la ligne de flottaison parole-mutisme semble à jamais établie, et le ramener sans cesse, y compris ce qu’il dissimule en se taisant, à une obsession, à une interrogation sans réponse ; être " la proie " de l’inconnu (de ce qui " n’arrive pas ") — et non d’une façon rassurante, abstraite, mais dans le saut et la rupture des situations où l’événement, le langage, deviennent la brutalité même, voilà qui supposait sans doute la plus grande volonté. Alors les " spectacles " apparaissent comme à l’intérieur d’un éclair continu (le langage y fait brûler le silence) : filles nues, spasmes, morts, supplices, passages du connu à l’inconnu, du contenu au contenant ; géométrie instantanée du déséquilibre et du porte-à-faux (sur le mode sans réplique du passé simple). Ce sont les points de fuite du non-sens ponctués par l’emploi dérapant mais éveillé des mots (pervertis, c’est-à-dire vivifiés, enflammés), récitatif immédiat et coupé de nuit, à la fois ri et pleuré, subi et appelé, comme si le rôle de l’écriture n’était que de maintenir cette ouverture, cette brèche, ce courant enfin dégagé. Partition uniquement composée de temps forts, et frangée en conséquence. Discontinuité des paragraphes qui sont autant d’indications scéniques aussi bien pour une tragédie du visible que pour une comédie de la connaissance (là encore les termes tragiques et comiques peuvent être permutés). Dramatisation à tous les niveaux (dont l’obscénité, note grave la plus résonante, justifie et recharge indéfiniment les parenthèses aberrantes — comme la scène des oeufs de l’Histoire de l’oeil —, érotisme où passe toujours quelque chose de la tempête : " Chez une femme, la chance est reconnaissable à la trace, lisible sur les lèvres, de baisers donnés dans une heure d’orage à la mort "), dramatisation qui débouche, en pleine contradiction maintenue, sur le vide... La nature est enfin " dansée ". Le centre de contradictions qui provoque la couronne noire ou lumineuse de l’extase est comme le sujet parlant de ce théâtre sans fin. C’est l’extase devant " le point " que l’on atteint non par défaut mais par excès, point où il n’y a plus ni sujet ni objet, ni question ni réponse (mais tout va recommencer dans l’angoisse de la contestation), simplement le " dénudement " et la nuit. La nuit intervient plus loin que la simple appropriation des instants privilégiés (où langage et silence jouissent l’un de l’autre), elle est cette foudre (" La nuit est aussi un soleil " dit l’épigraphe de l’Expérience intérieure empruntée à Zarathoustra), ce geste souverain de " tirer la chaise " que l’on éprouve par l’ultime bifurcation de la méditation : " Si je n’avais pas cherché l’objet, je ne l’aurais jamais trouvée (la nuit). Il fallut que l’objet contemplé fasse de moi ce miroir altéré d’éclat que j’étais devenu pour que la nuit s’offre enfin à ma soif. " Alors, l’extase a lieu " seule ", pourrait-on dire — et quant à son sujet il " conserve en marge de son extase le rôle d’un enfant dans un drame ", rôle de témoin et de choeur, car encore une fois l’expérience est langage, c’est-à-dire " conquête, et comme telle, pour autrui ". Il faut insister sans doute sur ce passage de la douceur à la flamme, à la discontinuité de la continuité, de la possession à la perte, sur ce seuil et cet orgasme mortel sans lesquels il n’y aurait que répétition et langage de survivance : parlant de Proust, Bataille indique avec précision comment celui-ci atteint l’essentiel surtout dans l’insatisfaction (comme dans l’épisode des " trois arbres "). Ainsi la poésie doit-elle accéder (pour n’être pas le vide de la " belle poésie ") à l’expérience, et " la littérature n’est rien si elle n’est poésie ". (Mais, ajoute Bataille, " j’oppose à la poésie l’expérience du possible ".)

De ces " moments ", il nous est dit qu’ils sont en nous " d’une plasticité désarmante ". Mais sans doute doivent-ils justement désarmer au maximum, et le courant (insinuant ou violent, déclenché aussi bien par l’insignifiance, par des " riens ", que par des images bouleversantes : c’est ici que l’on peut saisir l’agrandissement et comme la découverte de ces nouvelles dimensions organiques ; agrandissement, découverte de l’intériorité pour elle-même telle qu’elle n’avait pas encore été nommée dans ses propres mouvements) conduit par des paradoxes concrets, le paradoxe est un sûr conducteur... On pourrait en montrer la disposition manifeste ou furtive dans le détail, l’effet de basculement inévitable qu’il produit — visions suspendues qui gravitent dans le drame fondamental — comme si en affirmant un antagonisme vivant le paradoxe le dérobait à la fois dans une échappée magique (trouvait ainsi sa " racine "). Tel ce renversement, soudain, au détour d’un enlisement dans la mort, le plaisir, l’horreur : " Dans l’inhumain silence de la forêt, sous la lumière plombée, oppressante, de gros nuages noirs, pourquoi allai-je angoissé, à l’image dérisoire du Crime, que poursuivent la Justice et la Vengeance ? Mais ce qu’à la fin je trouvai, sous un rayon de soleil féerique et dans la solitude fleurie des ruines, fut le vol et les cris ravissants d’un oiseau — minuscule, moqueur et paré du plumage bariolé d’un oiseau des îles ! Et je revins retenant mon souffle, baigné dans un halo d’impossible lumière, comme si l’insaisissable saisi me laissait debout sur un pied. "

Contradiction exprimée, c’est-à-dire qui refuse en même temps la contradiction : l’abandon est un piège où se prend et s’épure la méthode, le relâchement de la rigueur appelle une rigueur redoublée. Là, dans cette dialectique par rapport à l’inexprimable, dialectique avouée et décrite, enfoncée dans ce désert où, en principe, personne ne garde la parole (l’abandonne ou l’emprunte à une " autorité " quelconque), là se révèle l’apport considérable de Georges Bataille. Il n’est pas plus possible d’annexer une telle tentative à une revendication passivement insensée, que de l’étouffer sous un jugement ou une esthétique monocordes : " Il ne m’importe pas que les pieds-bots de la pensée ne me suivent pas, et si parfois les facilités de la poésie donnent l’illusion de culbutes impeccables, c’est tant pis. Le dernier mot de la philosophie est le domaine de ceux qui, sagement, perdent la tête. " Oui, il s’agit bien de la plus grande volonté, celle qui peut traverser, épuiser et abandonner derrière elle tout " romantisme " (et l’on comprend mieux pourquoi Bataille trouvait en Nietzsche son " désir de communiquer ", Nietzsche dont il a prédit : " Il n’eut en fait, jusqu’ici, que des conséquences superficielles, si imposantes soient-elles. "). Il serait difficile de feindre de l’ignorer : " Je fais du langage un usage classique. Le langage étant l’organe de la volonté (de la mise en action), je m’exprime entièrement sur le mode de la volonté allant son chemin jusqu’au bout. Elle signifie l’abandon de la volonté si l’on parle : romantisme, mensonge, inconscience, amphigouri poétique. " (Et ailleurs : " Dans quelle mesure je m’éloigne ainsi — décidément — d’apparences romantiques — que j’ai dû prendre — c’est ce qu’une paresse engage à mal voir. " Encore : " J’ai de la haine pour le romantisme. Ma tête est l’une des plus solides en ce monde. Le désordre en moi vient de la force inemployée. " Cette force inemployée, cette " négativité sans emploi " — part maudite — qui tourne massivement à la consumation et à la " fête " de la volonté n’appelle-t-elle pas en écho les Poésies de Lautréamont ?)

Un tel usage " classique" (poussé jusqu’à la destruction de lui-même [21]) est la garantie visible de l’expérience par où elle se place résolument et irréductiblement (mieux que tout romantisme toujours " récupéré " à la longue) en dehors de la sphère du discours : non pas aboutissement formel, mais acheminement, de la sobriété à l’ivresse maintenues de front, vers la disparition du langage. Il fallait sans doute que l’emploi du langage fût celui de la tension classique qui se brise — de la raison qui se brise — dans le naufrage simultané du sens et du non-sens : langage qu’il s’agit dès lors de dénuder en présence de l’événement extatique (" Si personne ne réduit à la nudité ce que je dis, retirant le vêtement et la forme, j’écris en vain ") et non de ramener à l’ordre, langage qui nous est donné juste avant sa chute et qui devient ainsi une participation de plus en plus déclarée, montante ; forme de la volonté totale allant au-devant d’une altération non moins totale... Là aussi on pourrait parler, dans un sens plus noir, de " rage de l’expression " : " La rage habite en moi de parler, d’être exact... L’encre change l’absence en volonté. Le vent du dehors écrivit ce livre : écrire est imposer sa volonté. " Pour qu’il y ait irrégularité significative, encore faut-il que la régularité soit présente, mais poussée à bout ; non pas dérobade devant la logique mais logique menée à son comble — et qui trouve son point d’immersion dans le ruissellement de l’inconnu. Sade n’est-il pas (comme Nietzsche aussi bien) cette limite fascinante d’un hyperclassicisme, d’une hyperconscience sacrifiée ? Mais là où, chez Sade, une continuité sans défaut était nécessaire pour pousser l’extériorité du spectacle jusqu’à la fiction plus que réelle du cauchemar, ici, l’intériorité (qui est avant tout contestation) doit se fragmenter comme si elle cherchait déjà à être l’envers parfait de son explosion centrale. Là, tout est montré sans fin, le commentaire " pensé " n’apprend qu’à mieux voir, la vue qu’à voir plus avant dans le crime. Ici, toute image vient d’être dérobée, aucune vision ne dure sans brûler et se renverser aussitôt, et ramener en elle ce cri, cette brisure du miroir nocturne. Savoir détruit par lui-même ; non-savoir conté... Bataille nous dit que, pour Sade, " parler ne fut peut-être qu’un moyen de parvenir à de grandes irrégularités de langage ". Ainsi, malgré tout, du mouvement qui se joue de son texte et de lui, de la nature excédante et pareille, mouvement qui, en retirant la parole au malheur, s’adresse directement à la mort, au point inaccessible mais " touché " d’une pensée soulevée et consumée sur elle-même comme en holocauste : " Le seul élément qui relie l’existence au reste est la mort : qui conçoit la mort cesse d’appartenir à une chambre, à des proches, il se rend aux libres jeux du ciel. "

Philippe Sollers, 1963.

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Publication de Ma mère

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1ère édition, 1966

En juin 1966, Jean-Jacques Pauvert publie le récit de Bataille Ma mère, de manière posthume. Le récit est précédé de cette présentation :

Les familiers de Georges Bataille savaient depuis longtemps que Madame Edwarda devait avoir, sinon une suite, disons un prolongement. Ce qui était généralement ignoré, c’est que Madame Edwarda devait faire partie d’un ensemble de quatre textes, et que l’un d’eux était au moment de la mort de Georges Bataille, rédigé, corrigé, et prêt, dans sa quasi totalité, à l’impression. C’est ce texte que nous présentons aujourd’hui.
L’examen des papiers laissés par Georges Bataille n’étant pas terminé, il est difficile de définir la présentation exacte qu’il voulait donner à cet ensemble. Le titre même n’en est pas certain. Un feuillet manuscrit, sorte de projet pour une page de titre, porte en effet ces mentions dont nous respectons la disposition :

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Pierre Angelici 1
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Madame Edwarda
I
Divinus Deus
II
Ma Mère
III 2

suivi de
Paradoxe sur l’Érotisme
par
Georges Bataille
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C’est bien dans cet ordre que l’on trouve les manuscrits dont nous avons extrait Ma Mère.

1. On sait que de son vivant, « Pierre Angélique » a toujours été le pseudonyme choisi par Bataille pour la publication de Madame Edwarda.
2. Ici un blanc. Sans doute Charlotte d’Ingerville.

Mais avec cette différence que Divinus Deus, au lieu de Madame Edwarda, devient ici le titre général, présenté seul sur une page en gros caractères, alors que les textes qui suivent comportent chacun une page de titre : I, Madame Edwarda ; II, Ma Mère. Troisième partie, Charlotte d’Ingerville, cette « troisième partie » étant d’ailleurs réduite à trois pages de début où nous voyons Pierre, après la mort de sa mère, faire la rencontre d’une amie de celle-ci, Charlotte d’lngerville. Suivent 236 feuillets de notes, variantes, et ébauches diverses se rapportant aux trois parties, et 15 feuillets de notes concernant le Paradoxe sur l’Erotisme qui devait clore le livre.
Le manuscrit de
Ma Mère occupe 91 feuillets, numérotés de 22 à II2, plus la page de titre. Il est, comme nous l’avons dit corrigé et prêt pour l’impression jusqu’au feuillet 97, page 194 de notre édition. A cet endroit, le texte devient confus, surchargé, et présente souvent plusieurs versions d’un même passage. Après beaucoup d’hésitation, nous nous sommes arrêtés au parti de donner un résumé (pages 194-195) des feuillets les moins lisibles, en rétablissant de temps à autre les passages clairs.

Telle qu’elle peut se présenter ici, cette oeuvre inconnue nous a semblé indispensable aux lecteurs, nous allions dire aux amis, de Georges Bataille.

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La même année, Sollers écrit un texte bref Le récit impossible.
Le thème central du récit de Bataille — qu’on retrouvera, dans de nombreux romans de Sollers, envisagé sous toutes les formes, (et aujourd’hui dans L’Éclaircie) — y est abordé sans détour : l’inceste («  l’inceste est au coeur du récit de notre vie et en contrôle les articulations cachées et les interdits » — «  l’inceste (même s’il a lieu effectivement) est l’impossible par définition »).
Ce texte a, lui aussi, été publié dans Logiques (Seuil, 1968). Il ne sera pas repris dans L’écriture et l’expérience des limites (Points, 1970 [22]).

LE RÉCIT IMPOSSIBLE

Je continuais de mettre en question la limite du monde, rayant la misère de qui s’en contente, je ne pus supporter longtemps la facilité de la fiction : j’en exigeai la réalité, je devins fou.


Nous sommes pris aujourd’hui dans la contradiction suivante : parler de "littérature" pour faire entendre qu’il s’agit en même temps de quelque chose de tout autre , que les signes que nous déchiffrons ou traçons encore, il est plus que jamais nécessaire de les rendre à leur contrôle maximum mais aussi à leur dimension dérobée, ambiguë, qui ne les distingue pas des signes réels dont ils ne sont pas la représentation. Replacer l’écriture dans ce mouvement signifiait pour Bataille que l’existence la plus concrète — l’ensemble de pensées et de gestes dont nous sommes le lieu provisoire — était mise en jeu, malgré une société pesante et sourde, dans la réserve et l’obscénité, le rire et la solitude, l’affirmation hasardeuse et systématique du refus du sommeil commun : "La littérature (la fiction) s’est substituée à ce qui était précédemment la vie spirituelle, la poésie (le désordre des mots), aux états de transe réels."

Ce mouvement porte, d’emblée, non seulement sur une désintégration de la logique apprise, logique qui tire toute sa force de la mise en place de la grammaire, mais encore, parallèlement, et pour des motifs d’appartenance profonde entre langage et sexualité, sur les interdits sexuels. L’opération tentée par Bataille à tous les niveaux (études littéraires, " méditations ", recherches sur l’économie, l’art, la mystique ; romans " érotiques ") est en ce sens d’une cohérence et d’une ampleur méconnues. La raison mise en oeuvre ici (une raison qui sait forcer la folie à se faire comprendre) a ceci d’étrange qu’elle fait apparaître comme irrationnels et idéalistes la plupart des rationalismes humanistes et psychologiques qui lui furent opposés. Sartre, par exemple, a l’air d’un nouveau mystique [23] en regard de Bataille : il croit que les mots expriment la réalité. N’importe quel psychanalyste prend de son côté figure de fétichiste mineur, cramponné à sa manie explicative, à sa lorgnette phallique : " Combien il est comique de retourner les choses et d’expliquer ma conduite par la psychiatrie... la névrose est rendue responsable, on élude l’énigme insoluble... " Et encore : " J’ignore ce que ceci veut dire : si ce n’est pas détruit, je donne à qui veut bien une ignorance de plus (imaginer le psychiatre qui le saurait ? est-il rien de plus bête ?). "

L’impossibilité de toute explication, de tout savoir fixe et figé dans un langage assagi, déclinant, schématique, voilà ce qui contraint Bataille à ne jamais séparer ce qu’il dit du moment formel singulier où il le dit, position qui donne à ses essais la convulsion de la fiction, à ses " romans " la contestation d’une pensée sans repos. Dans les romans (Madame Edwarda, Histoire de l’oeil, le Bleu du ciel, l’Abbé C. et, aujourd’hui, Ma mère [24]), l’obscénité est elle-même fonction de cette imbrication des niveaux du discours : la description apparemment la plus " crue " voisine avec la pensée apparemment la plus " noble ", le haut et le bas communiquent sans cesse dans la chaîne signifiante courant sous les mots. Rapprocher deux mots lointains l’un de l’autre est toujours possible : la " poésie " peut s’en charger sans grands risques, et ce qu’on nomme encore " poésie " joue le plus souvent le rôle d’une censure morale. Au contraire, à l’intérieur d’un récit, c’est-à-dire une fois produit l’effet de " réalité ", la contiguïté des mots, la mise en scène de régions inconciliables du vocabulaire, la mise en commun d’organes en principe peu faits pour se rencontrer, doivent jouer avec des obstacles sévères : le résultat sera d’autant plus efficace que l’éventail sera plus ouvert entre l’aspect : noble (la pensée) et l’inavouable (l’excrément, le sexe). Trois raisons, par exemple, tendent la phrase qui va suivre " scandaleuse " : " Ah, serre les dents mon fils tu ressembles à ta pine, à cette pine, ruisselante de rage qui crispe mon désir comme un poignet. " Dans ce propos tenu par une mère à son fils, le mot " pine " est gênant non seulement à cause de son référent déclaré obscène, mais surtout à cause de mon fils et peut-être plus encore, sans en avoir l’air, à cause de la substitution implicite de rage au mot que le lecteur s’apprêtait à lire, et aussi de mon désir comme un poignet , métaphore qui suppose une organisation de pensée très complexe et différenciée, inscrite dans un déplacement formel. Un tel processus est constamment et magistralement appliqué par Bataille, ce qui donne à son écriture le double versant de la censure et de son franchissement. Par exemple, cette phrase : " La vieillesse renouvelle la terreur à l’infini. Elle ramène l’être sans finir au commencement. Le commencement qu’au bord de la tombe j’entrevois est le porc qu’en moi la mort ni l’insulte ne peuvent tuer. La terreur au bord de la tombe est divine et je m’enfonce dans la terreur dont je suis l’enfant. " L’arrivée du mot porc dans ce contexte classique produit l’effet d’un lapsus volontaire (comme si l’inconscient était appelé délibérément à dire son mot) qui déséquilibre et accroche en même temps l’espace de la narration. " La terreur dont je suis l’enfant " prolonge l’accent de " porc ". En sorte que nous sommes amenés insidieusement à lire : le fils d’une truie est aussi un enfant divin que la mort évite. Voilà les difficiles accouplements que Bataille nous invite à penser.

Le récit, au fond, ne vise qu’à atteindre ces points névralgiques — ivres —, qui eux-mêmes ne sauraient devenir pleinement effectifs sans récit. De même, l’inceste est au c ?ur du récit de notre vie et en contrôle les articulations cachées et les interdits. " Le rapport, écrivait Bataille, entre l’inceste et la valeur obsédante de la sexualité pour l’homme n’apparaît pas si facilement, mais cette valeur existe et elle doit certainement être liée à l’existence des interdits sexuels, envisagés en général. " Il faudrait ajouter : les interdits de langage. Car l’interdit fondamental de l’inceste (condition de toute société, de toute culture) ne nous est jamais donné, c’est là le point capital, que sous la forme de la fiction. Il serait naïf, en ce sens, de voir dans Ma mère la description d’un inceste : l’inceste (même s’il a lieu effectivement) est l’impossible par définition . Bataille le sait si bien qu’il procède à un renversement significatif : au lieu de parler (comme le savoir courant) d’un inceste impossible (au niveau du réel) mais conçu comme possible (au niveau symbolique), il décrit un inceste réellement et physiquement possible mais symboliquement annulé. Autrement dit, la situation donnée par le texte est la suivante : c’est parce que la mère (jeune, jolie, débauchée) est offerte sans obstacle au désir du fils que précisément l’inceste ne saurait avoir lieu (l’interdit est intérieur au désir lui-même). D’où toute une série de substitutions, d’approches, qui vont souligner le seul acte dont il ne peut être question : celui qui anéantirait le désir par la satisfaction du désir qui porte tous les désirs. Le fils, c’est-à-dire le narrateur (et peut-être que le fait de narrer est se mettre automatiquement dans la position du fils incestueux) [25], est rendu à un rôle entièrement symbolique : corps qui n’existe qu’en fonction du corps violent qui l’a enfanté, il ne pourra trouver un autre corps que par cette médiation active : de toutes les femmes qu’il pourra toucher, la mère (la langue) forme le fond inaccessible et brûlant. C’est là la limite insensée que Bataille avoue et maintient dans son écriture, la part de folie répétée qu’il accepte, se plaçant sous le coup de l’expérience la plus risquée qui soit, écrivant ce qui ne devrait pas être écrit : l’enfantement monstrueux qui, à travers les figures toujours plus nues des corps féminins, est celui de la mort. " Je voudrais, dit la mère, t’entraîner dans ma mort. Un court instant du délire que je te donnerai ne vaut-il pas l’univers de sottise où ils ont froid. " La bouche maternelle est la bouche mortelle. La transgression est donc vécue au plus près de l’interdit : par le seul corps unique et multiple, désiré et inaccessible (celui du fils pour lui-même, de la mère pour son fils, du fils pour sa mère, de la mère pour elle-même) passent comme des mots tous les autres corps qui, dans un désordre de fête, sont pénétrés, épuisés, perdus.

Du corps maternel au corps qui en est sorti, le seul rapport lucide est donc celui d’un langage déréglé repris à la mort. " Peut-être, écrit la mère, devineras-tu dans mes phrases si tristes soient-elles que je m’efforce d’atteindre en toi ce qu’elles deviendraient si dans un monde inconcevable une pure amitié nous liait qui ne concerne que nos excès. " La narration est ce monde inconcevable qui suit, d’ailleurs, une courbe révélatrice : une fois le père mort, la mère commence par choquer délibérément son fils par sa parole et ses jeux plus qu’équivoques, puis elle s’en va et lui écrit au moment où l’acte risquerait de montrer son impossibilité (elle lui donne à sa place une des femmes qu’elle a perverties, une " soeur "), enfin, pour autant que l’état d’inachèvement du manuscrit puisse le laisser supposer, elle se met nue devant lui pour mourir (se tuer). Or le plus remarquable, dans cette composition du texte, l’élément organisateur qui risque de passer inaperçu en raison de la violence des figures de premier plan, c’est le milieu, nettement indiqué par Bataille, l’inceste se réalise, où l’impossible est là . L’écriture — la lettre qui édicte la loi de transgression extrême — y dévoile son rôle exact : " T’écrivant, dit la mère, je comprends l’impuissance des mots, mais je sais qu’à la longue, en dépit de leur impuissance, ils t’atteindront. Tu devineras quand ils t’atteindront ce qui ne cesse pas de me renverser : de me renverser les yeux blancs. Ce que des insensés disent de Dieu n’est rien auprès du cri qu’une si folle vérité me fait crier. " Une telle phrase, évidemment, est la définition même des textes que Bataille nous adressait.

" De quoi rire ici-bas sinon de Dieu ? " dit Bataille. Ce qui signifie également : de quoi rire ici-bas sinon du fantôme du père qui dérobe et étouffe ce cri de folie qui est le désir de la mère ? De quoi rire sinon de l’emploi de la langue selon la loi ? " En t’écrivant, dit-elle, je suis entrée dans ce délire : tout mon être en lui-même est crispé, ma souffrance crie en moi, elle m’arrache hors de moi de la même façon que je sus, en te faisant naître, t’arracher de moi. " Nous sommes bien ici dans l’inguérissable dont la majorité [26] refusant le feu de l’écriture — de cette écriture du monde qui est, jusque dans les mots, jeu et destruction des corps — cherche sournoisement, paternellement , à guérir. Bataille a signé de son nom ce défi :

Mon père m’ayant conçu aveugle (aveugle absolument), je ne puis m’arracher les yeux comme Oedipe. J’ai comme Oedipe deviné l’énigme : personne n’a deviné plus loin que moi [27].

Philippe Sollers, 1966.

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Georges Bataille dans Tel Quel

Bibliographie provisoire

Textes de Bataille

Les larmes d’Eros, n° 5, Printemps 1961
Conférences sur le Non-Savoir, n° 10, Eté 1962
La "vieille taupe" et le préfixe sur dans les mots surhomme et surréalisme, n° 34, Eté 1968
Le berceau de l’humanité, n° 40, Hiver 1970
C’est une banalité..., n° 81, Automne 1979

Sur Bataille

Philippe Sollers, Le toit, n° 29, Printemps 1967
Le coupable, n° 45, Printemps 1971
L’acte Bataille, n° 52, Hiver 1972

Denis Hollier, Le matérialisme dualiste de Georges Bataille, n° 25, Printemps 1966
Le savoir formel, n° 34, Été 1968

Jean-Michel Rey, La figuration et la mort, n° 40, Hiver 1970

Jean-Louis Baudry, Bataille et l’expérience, n° 55, Automne 1973

Jean-Louis Houdebine, L’ennemi du dedans, n° 52, Hiver 1972

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Georges Bataille dans L’Infini

Textes de Bataille

Programme politique, n° 18, Printemps 1987
Correspondances, n° 24, Hiver 1988-1989
L’humanité mexicaine, n° 83, Été 2003

Sur Bataille

Francis Marmande, Bataille et la pelle hydraulique, n° 22, Été 1988

Jean-Paul Corsetti, Correspondances de Georges Bataille, n° 24, Hiver 1988-1989

Jacques Henric, Au colloque Artaud-Bataille, n° 49-50, Printemps 1995

Guy Scarpetta, Le clitoris de la négresse (sur Les larmes d’Éros), n° 58, Été 1997

Marcelin Pleynet, Aragon et Bataille, n° 60, Hiver 1997

Piere Bourgeade, De Rimbaud à Bataille : le vrai XXe siècle, n° 66, Été 1999

Cécile Moscovitz, Bataille et l’Homme du sous-sol, n° 75, Été 2001

Marine Galletti, Georges Bataille et « la sociologie du Mexique », n° 83, Été 2003

Philippe Sollers : voir dans les articles ci-dessous.

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Georges Bataille sur Pileface

Principaux articles

Le salut - ou l’ultime rencontre - entre Breton et Bataille
Le miracle de Lascaux
Bataille à propos de Camus : Le temps de la révolte
Georges Bataille, Manet et le Portrait de Mallarmé
La littérature et le mal (avec entretien télévisé)
L’affaire Sade : le témoignage de Georges Bataille
Bataille dans « Mozart avec Sade » (V)
Bataille et « l’homme invisible » (Blanchot)
Bataille avant la guerre
Bataille, le coupable, à Vézelay
Scènes de Bataille
D’Edwarda à Madame Edwarda
Tremblement de Bataille (avec des entretiens radiophoniques rares)
L’expérience intérieure
A.S. Labarthe, Bataille à perte de vue (film)
Bataille a l’oeil
Il y a 40 ans le colloque de Cerisy : « Artaud/Bataille »
Bataille en Dieu.

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[1Cf. Avant-propos.

[2Cf. Jean-François Louette, Georges Bataille.

[3Signalons le colloque GEORGES BATAILLE, UNE EROTIQUE DU MAL" organisé par l’Association Coalition Cyborg
et la Faculté de Lettres de l’Université de Bourgogne.

[4Jean-François Louette :

« Nul hasard si en 1970 Robert Gallimard demande à Michel Foucault, qui vient d’être élu au Collège de France, un mot de « Présentation », et donc de caution, pour ouvrir, et surtout couvrir, le premier volume des oeuvres complètes. »

[5André S. Labarthe, Bataille à perte de vue (Le carnet). Limelight - Les Éditions Ciné-fils, avril 1997.

[8Michel Foucault est né le 15 octobre 1926 à Poitiers et mort le 25 juin 1984 à Paris. A.G.

[9

Sic. En fait : le colloque « Artaud / Bataille, vers une révolution culturelle » eut lieu du 29 juin au 9 juillet 1972. La publication fut assurée par Christian Bourgois (10/18) en septembre 1973. Voici le sommaire des interventions sur « Bataille » (nous y reviendrons). A.G.

[10Extrait d’une lettre adressée à Jean Piel par le docteur Delteil, ami d’enfance de Georges Bataille.

[11Se reporter à cette présentation.

[12La découverte de ce numéro de Critique et du rôle que joua Bataille à la direction de la revue qu’il avait fondée m’encouragera, peu après, à faire photocopier par mon père, bienveillant, dans telle bibliothèque municipale, tous les textes que Bataille y publia. Ce qui me permit de les lire (et d’en faire lire quelques-uns) bien avant qu’ils soient publiés dans les Oeuvres complètes. Époque bénite !

[13Philippe Forest, Histoire de Tel Quel, Seuil, 1995.

[15Cf. les notes de V.K. : Débat sur le roman et L’intermédiaire.

[18Cf. sur cet épisode, l’incontournable Histoire de Tel Quel de Philippe Forest, Seuil, p. 112-113.

[19Il ne figure pas dans L’écriture et l’expérience des limites (Points, 1970), la version abrégée de Logiques. Il n’a pas été réédité dans Logique de la fiction et autres textes, présenté par Philippe Forest (éditions cécile defaut, 2006).

[20On sait que cette formulation, attribuée par Bataille à Maurice Blanchot, est le leitmotiv de l’Expérience intérieure.

[21Ce processus de destruction est particulièrement bien mis en évidence par Georges Bataille dans son Manet.

[22Logiques comme L’écriture et l’expérience des limites reprendront le texte que Sollers avait publié sur Bataille dans Tel Quel n° 29 (printemps 1967) : « Le toit — essai de lecture systématique » (texte qui avait été refusé par la revue L’arc).

[23Un nouveau mystique est le titre de l’essai que Sartre a écrit sur Bataille.

[24Ce livre est édité de façon posthume, c’est-à-dire aléatoire. Rien ne permet de le considérer comme entièrement voulu par l’auteur sous sa forme actuelle (souvent décevante, enlisée).

[25Sade, Idée sur les romans.

[26Il faut cependant distinguer soigneusement Bataille de toute exploitation individualiste : " Je hais même ces faibles aux esprits confus qui demandent tous les droits pour l’individu : la limite d’un individu n’est pas seulement donnée dans les droits d’un autre, elle l’est plus durement dans ceux du peuple. Chaque homme est solidaire du peuple, en partage les souffrances ou les conquêtes, ses fibres font partie d’une masse vivante (il n’en est pas moins seul aux moments lourds). "

[27W.C., préface à Histoire de l’oeil, in Le petit, Pauvert, 1963 (tiré à cinquante exemplaires, vers 1943, hors-commerce, sous le pseudonyme de Louis Trente). A.G.

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6 Messages

  • A.G. | 9 février 2013 - 00:31 1

    Où en est la revue Critique avec Georges Bataille cinquante ans (et quelques mois) après la mort de son fondateur ?

    Revue Critique N° 788-789 (janvier-février 2013)
    Dossier Georges Bataille d’un monde à l’autre

    2 parties :

    le Collège de Sociologie (Denis Hollier, Georges Didi-Hubermann — qui s’interroge sur le tournant, à la fin des années 30, qui les détourne de la lutte antifasciste autour de la guerre d’Espagne — et des lettres de Walter Benjamin, alors associé comme chercheur à la section parisienne de l’Institut für Sozialforschung, rencontre Bataille à la Nationale) dossier coordonné par Pierre-Antoine Fabre et Muriel Pic.

    Bataille dans le monde : Japon, Russie, Allemagne, Italie et monde anglosaxon

    « Il y a cinquante ans mourait Georges Bataille. L’anniversaire a été discret. Parler de Bataille, il est vrai, n’est pas aisé. Et l’honorer, c’est peut-être édulcorer sa pensée, comme lui-même le disait de Sade.

    Critique, quelques mois après la mort de son fondateur, lui avait consacré un numéro spécial qui reste un incontournable témoignage sur sa « situation » en France au milieu des années soixante (« Hommage à Georges Bataille », n° 195-196, août-septembre 1963).

    Le choix fait ici, en 2013, est tout différent : c’est celui du grand écart entre le Bataille des années trente et le Bataille du IIIe millénaire, entre le cénacle du Collège de sociologie et le collège planétaire de ses lecteurs d’aujourd’hui.

    Ce numéro revient d’abord sur l’énigmatique matrice que fut le Collège de sociologie. Denis Hollier, Georges Didi-Huberman, Laurent Jenny, Dominique Kunz Westerhoff, Philippe Roger, ainsi que Muriel Pic et Pierre-Antoine Fabre (qui ont conçu ce premier volet) se penchent sur ce petit monde, ce monde éprouvette, où Bataille, Caillois et Leiris mélangent d’étranges potions devant un public fasciné ou rétif. On découvrira dans ce dossier les témoignages (pour partie inédits en français) d’un auditeur exigeant, Walter Benjamin, et d’une auditrice éblouie, Édith Boissonnas.

    Le second volet du numéro se tourne résolument vers l’actualité et s’ouvre au vaste monde. La silhouette de Bataille s’y découpe sur des horizons intellectuels bien différents de ceux du Collège. À l’étranger, cinq pays surtout ont fait accueil à Bataille : l’Allemagne (Marcus Coelen), les États-Unis (Stefanos Geroulanos), l’Italie (Yves Hersant, Franco Rella et Susanna Mati), le Japon (Nakaji Yoshi­kazu), la Russie (Elena Galtsova). Et c’est en France, tout de même, que s’achève ce tour du monde (Jean-François Louette). »

    Plus d’informations sur France Culture.


    • La revue de presse

      Aliocha Wald Lasowski, Le Magazine Littéraire, février 2013

      Legs de Bataille

      Quelques mois après la mort de Georges Bataille en 1962, la revue Critique rendait hommage à son fondateur par un numéro spécial, auquel participaient des collaborateurs prestigieux parmi lesquels Leiris, Queneau, Blanchot, Foucault, Barthes ou Sollers, témoignant de l’intensité et de la diversité des enjeux esthétiques, littéraires et politiques d’une des figures les plus actives de l’avant-garde : la question de la valeur, la théorie du sacrifice, la notion de dépense, l’interprétation du fascisme ou l’hétérologie, cette science des résidus qui excèdent le savoir. Aujourd’hui, pour le cinquantenaire de la disparition de l’écrivain, Critique poursuit l’exploration de celui qui, du surréalisme à Tel quel, contribua à questionner la littérature du XXe siècle, dont il fut, d’après Foucault, l’« un des écrivains les plus importants ». Ce numéro, intitulé « Georges Bataille. D’un monde l’autre », atteste de « la présence protéiforme de Bataille dans le monde contemporain », selon le mot de Philippe Roger, qui dirige la revue depuis 1996. La première partie de ce numéro restitue l’aventure intellectuelle que fut le Collège de sociologie, de novembre 1937 à juillet 1939. Quel regard, sociologique et littéraire, le groupe de la rue Gay-Lussac et ses trois principaux animateurs (Bataille, Leiris, Caillois) porte-t-il alors sur l’actualité ? Quel enjeu représente à ses yeux la catégorie du « sacré » ? Au fil des études proposées (celles de Denis Hollier, Georges Didi-Huberman, Philippe Roger, Muriel Pic...), on mesure le large spectre d’une pensée audacieuse, réunissant autour d’elle des personnalités d’horizons divers. Parmi ces personnalités, et auditeurs des séances du Collège, se trouve Walter Benjamin. Arrivé à Paris en 1933, celui-ci fréquente Bataille à la Bibliothèque nationale, où il prépare son Livre des passages, resté inachevé. Critique publie ici des extraits inédits portant sur le Collège de sociologie, tirés de la correspondance de Benjamin avec Adorno et Horkheimer, les dirigeants de l’école de Francfort exilés alors aux États-Unis. Dans sa seconde partie, Critique déploie une vaste analyse de l’accueil et de la réception de Bataille aujourd’hui dans le monde. Le lecteur découvre des développements inattendus sur la place de sa pensée au Japon, en Russie, en Allemagne, aux États-Unis ou en Italie, et bien sûr aussi en France.

  • A.G. | 18 juin 2012 - 14:38 2

    Georges BATAILLE : la vérité de la nuit

    Une vie une oeuvre (France Culture, 16-06-12, 58’46)

    Avec :
    _ Bruno Mathon, peintre
    _ Odile Felgine, écrivain, biographe de Roger Caillois
    _ Jean-François Louette, Professeur de littérature française à la Sorbonne, responsable de l’édition des Récits de Bataille dans la Pléiade (cf. sur pileface : Scènes de Bataille)
    _ Diego Masson, qui évoquera des souvenirs concernant Bataille
    _ Francis Marmande, écrivain, critique, musicien, auteur de l’ouvrage "Le pur bonheur Georges Bataille" Ed. Lignes
    _ Michel Surya, écrivain, philosophe, éditeur, auteur de " La mort à l’oeuvre Georges Bataille" Ed. Gallimard.

    Et la voix de Georges Bataille Archives INA (cf. sur pileface : Qui êtes-vous Georges Bataille ? )
    _ Textes lus par Quentin Baillot.


    Pour démarrer l’écoute, cliquez sur la flèche verte

    Crédit : France Culture.


  • A.G. | 27 avril 2012 - 19:21 3

    Rayonnement de Georges Bataille

    Journée d’étude à l’occasion du cinquantenaire de la mort de Georges Bataille.
    _ Avec Jean-François Louette, Christine Détrez, Jean-Joseph Goux, Denis Hollier, Jean-Michel Besnier, Sylvain Santi, Jacques Henric, Philippe Forest et Yannick Haenel, Clarisse Hahn et Gisèle Vienne. Informations ici


  • A.G. | 6 avril 2012 - 19:12 4

    Georges Bataille aujourd’hui

    Université Paris 7 Denis-Diderot
    _ Jeudi 12 avril 2012
    _ A l’occasion de la parution du premier numéro des Cahiers Bataille
    _ Et autour d’Une phrase pour ma mère de Christian Prigent

    Plus d’infos ici


  • A.G. | 6 mars 2012 - 18:51 5

    Pour info.

    Journée d’études : Le Collège de Sociologie (1937-1939). Une institution indisciplinée

    Vendredi 8 juin 2012, EHESS, salle 3, RdC, bât. Le France, 190-198 av. de France 75013 Paris

    « Entre 1937 et 1939, se sont tenues dans l’arrière salle d’une librairie à Paris un ensemble de conférences animées, principalement, par Georges Bataille, Roger Caillois et Michel Leiris. De ces dernières, nous conservons le dossier magistralement réalisé par Denis Hollier qui réunit documents, notes, témoignages, publications. Sise entre littérature, anthropologie, sociologie politique et religieuse, la communauté du Collège a davantage été l’objet de procès historico-politiques que d’une investigation intellectuelle croisant les disciplines et les points de vue. Dans cette perspective, nous souhaiterions revenir sur les enjeux intellectuels et historiques d’une pensée collective multi-disciplinaire qui, à une époque de tension politique extrême, s’interroge sur les fondements du système social. [...] » Plus sur Fabula.

    Kojève, Caillois, Leiris, le sacré... Avec un peu de chance, et bien que son nom ne soit pas mentionné dans les intitulés des interventions au programme de la journée (ai-je mal lu ?), il devrait être question de Bataille, non ? Ou bien a-t-on confondu « l’institution indisciplinée » avec la multi-disciplinarité institutionnelle ? Sacredieu !


  • V.K. | 6 février 2012 - 10:29 6

    En toile de fond à cet important et érudit dossier Bataille (partie I), on peut visionner
    _ - Le documentaire que lui a consacré le cinéaste André-S Labarthe.
    _
    _ - Et consulter un document pdf, sur le livre qu’a consacré Valérie Cadet à la trilogie documentaire : Bataille, Sollers, Artaud réalisée par A-S Labarthe.