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Transfuge n°61 - Octobre 2012 : Désertez !

D 5 octobre 2012     C 0 messages Version imprimable de cette Brève Version imprimable   

L’époque est aux injonctions. Les plus récentes : Indignez-vous !, puis Engagez-vous ! Il y a peu : votez ! Ou encore : participez ! (J.O.). Bientôt (mais c’est de tous les temps) : payez ! (l’injonction même ?). On en vient à regretter les temps romantiques où les consignes étaient : « Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi » (c’est encore en débat), « On a raison de se révolter ! » ou, mieux encore : « On a besoin de têtes brûlées, pas de moutons ! » Le magazine Transfuge, dans son numéro d’octobre 2012, ne craint pas de titrer : Désertez ! Il n’est pas sûr qu’il faille céder à l’injonction sans se contredire.
Le numéro donne la parole à Philippe Sollers pour la sortie de Fugues (cf. Je ne vois pas l’apocalypse, je vois l’aurore), à Meyronnis pour Tout autre, à Haenel (pour le plaisir) ; défend les livres de Christine Angot « l’antibourgeoise » (Une semaine de vacances) et de Pascal Quignard (Les désarçonnés [1]) et de bien d’autres encore ; oublie (à tort) Zagdanski et son Chaos brûlant [2]...
Bref, c’est un manifeste anarchiste qui fait l’éloge de la « croyance en l’infini ». « L’infini, cet irrécupérable. » Faut-il s’en plaindre ?

L’Editorial de Vincent Jaury

Désertion imparfaite

Alors que la société littéraire suit son cours, Houellebecq consacré hier, Bellanger aujourd’hui, sans parler de la fausse monnaie, Philippe Djian, Christophe Donner, Claro ou encore Amélie Nothomb, une autre société, plus discrète celle-là, plus dangereuse, se forme, à contre-courant, en dehors de la mode et de la marchandise. Dans les caves de la littérature. Ces écrivains, du monde entier, font entendre leurs noms en cette rentrée et, hasard ou pas, il me semble que c’est de leur côté que la meilleure littérature est en train de se construire : Pascal Quignard (Les désarçonnés, Grasset), François Meyronnis (Tout autre, Gallimard), Gonçalo M. Tavares (Un voyage en Inde, Viviane Hamy), Wajdi Mouawad (Anima, Actes Sud), Nick Flynn (Contes à rebours, Gallimard), Olga Tokarczuk (Sur les ossements des morts, Noir sur Blanc), Thierry Beinstingel, (Ils désertent, Fayard), Gwenaëlle Aubry (Partages, Mercure de France), Ladislav Klíma (Je suis la volonté absolue, La différence). Ces écrivains posent des bombes, les seules légitimes : des mots de l’anarchie. Cette anarchie prend chez eux la forme du mysticisme, c’est-à-dire une croyance en autre chose que les normes que la société impose : une croyance en l’infini. L’infini, cet irrécupérable. Ils lancent tous un appel clair à rompre avec le positivisme dominant, le règne du Nombre, de l’utile, de la statistique, du rendement. Certains sont panthéistes, d’autres sont animistes : tous sont favorables à la sécession, c’est-à-dire le « désabritement », comme l’écrit un des grands écrivains de la désertion, Yannick Haenel. La liberté est à ce prix, la désertion est une initiation qui coûte, elle est semée d’embûches et d’angoisse. Le saut dans le vide, c’est-à-dire une sortie du social, procure une jouissance possible, mais il est aussi du côté de la douleur. Le travail n’est-il pas un rempart, pour beaucoup, contre la folie ? La servitude volontaire n’est-elle pas garante, certes de l’ordre social, de la pérennité des hommes du pouvoir, mais aussi de l’équilibre de chaque individu ?
Quoiqu’il en soit, ces écrivains mystiques sont des créatures dangereuses, méfiez-vous d’eux, leurs livres, comme ceux de Rimbaud, Lautréamont, Artaud, Bataille, Baudelaire et quelques autres, vous changeront. D’abord petit à petit ; puis, un jour, sans savoir vraiment pourquoi, vous vous levez un matin et vous décidez de ne plus jamais aller travailler. Une autre existence est possible. Ça y est : vous reprenez vie.

Transfuge.