Quand le corps se fait « pinceau vivant » avec Yves Klein
Avec sa série Antropométrie, 1960, Yves Klein expérimente le corps comme « pinceau vivant ».
Agnès Varda : « J’ai choisi cette peinture d’Yves Klein ;je l’aime, voilà, elle me plaît. J’ai toujours l’impression d’avoir un rapport proche, et pourtant je n’ai pas connu Yves Klein mais je l’admire, je l’ai toujours admiré car il a fait quelque chose de très extraordinaire, c’est novateur, c’est culotté. Puis il a posé la question de l’acte de peindre. Ca s’est passé dans une galerie, en 1960. Il avait convoqué ses modèles ; il les appelait des « pinceaux vivants », alors on leur peignait le corps jusqu’aux cuisses, de ce bleu qu’il avait inventé.Alors elles se plaquent contre la toile ou le papier et cette idée du corps avec cette forme entre les cuisses et le buste, les poils pubiens, ça met la peinture dans un rapport charnel avec les spectateurs.
Et c’est en même temps quelque chose qui renoue avec des mœurs très très anciennes, bien avant la civilisation, dans les cavernes, il y avait des traces, il y avait des empreintes, il y a eu des empreintes de mains.Là, la notion de traces et d’empreintes est un acte qui, moi, me touche et puis j’ai une admiration, une tendresse pour ce peintre. Il est mort jeune, en plus, alors évidemment ça en fait un héros.
(Source DVD « Suivez l’artiste », Musée national d’art moderne du Centre Pompidou, 2004)
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1960
23 février : à son domicile, Yves Klein réalise les empreintes de Rotraut ( sa femme) et de Jacqueline qui déposent les traces bleues de leur corps sur une grande feuille de papier blanc fixée au mur en présence de Pierre Restany. L’œuvre est nommée par les participants Célébration d’une nouvelle Ère anthropométrique. Avec ces traces inscrites sur le support, Klein veut fixer dans leur fugacité les marques des " États-moments de la chair ".
9 mars : Anthropométries de l’Époque bleue, à la Galerie Internationale d’Art Contemporain, 253, rue Saint-Honoré à Paris. Sous la direction d’Yves Klein et pendant l’exécution de la Symphonie monoton, (de sa composition) trois modèles nus s’enduisent de peinture bleue et apposent les empreintes de leur corps sur des papiers blancs, disposés sur les murs et le sol de la galerie. Une gestuelle mise en scène par Klein, anime les figures d’un étrange ballet, dans lequel les actrices se roulent ou se traînent par les mains sur le sol, sous les yeux de l’assistance. Le public, en habit de soirée, est nombreux, composé d’artistes, de collectionneurs, de critiques et après la performance, un débat général s’ouvre avec la participation de Georges Mathieu et du critique d’art Pierre Restany ( il inventera le nom d’Anthropométrie pour désigner ces œuvres.)
Dans ces tableaux, Klein orchestre comme le note Catherine Millet « la rencontre de l’épiderme humain avec le grain de la toile ».
Cette rencontre se fait par simple contact, la couleur passant directement du corps-pinceau à la toile et de la toile au regard du spectateur. Le savoir faire du peintre n’existe plus dans ces œuvres où s’efface la facture. Les corps de chair, eux-mêmes réduits à des tampons, semblent disparaître devant une autre vérité que ces empreintes de seins, de ventres, de cuisses amènent à la surface, celle de la trace réelle, donnant à voir l’immédiateté du contact.
Travail de négatif et d’aplatissement des corps niant tout effet de profondeur, l’empreinte est en deçà de la représentation, trace du travail du modèle, en même temps médium et motif. Le corps de l’artiste peignant ainsi que le corps figuré manquent ici. Contrairement à Pollock, dont la peinture était le résultat de son geste et de son corps à l’œuvre, il s’agit ici, comme le souligne Klein, de « projeter ma marque hors de moi ». [Crédit : Le corps dans l’œuvre, Centre Geoges Pompidou ]
Vidéo de la performance : youtu.be/dyOm2c815fQ
Extrait tiré d’un film italien, l’un des rares à restituer la performance du 9 mars 1960, en couleur, avec le bleu Klein, l’IKB (International Klein Blue), qu’il a fait breveter).
« On n’a pas un corps, on est un corps » (Philippe Sollers)
Un autre article traite du corps de l’écrivain, ici : « Vous voyez bien que le corps gêne... »
Crédit photos : Archives Yves Klein