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Edgar Poe et La Lettre volée (The Purloined Letter) (I)

Le texte et les commentaires de Lacan et de Sollers

D 3 avril 2009     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


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Dessin de F. Lix
« j’allai droit au porte-cartes, je pris la lettre,
je la mis dans ma poche, et je la remplaçai par une autre... »

Edgar Allan Poe est né le 19 janvier 1809 à Boston. Il est mort à Baltimore le 7 octobre 1849. Il avait quarante ans. On a beaucoup écrit sur Edgar Poe mais le livre qui fera date est celui que vient de publier Henri Justin Avec Poe jusqu’au bout de la prose. Nous l’avons rapidement présenté dans une récente note. Nous donnerons des extraits de ce livre dans un second article.

Un texte de Poe a suscité un nombre important de commentaires, il s’agit de La Lettre volée traduite il y a 150 ans par Charles Baudelaire lui-même. Lacan, en 1966, choisit d’ouvrir la publication de ses Écrits par son fameux Séminaire sur " La Lettre volée " de 1955. Sollers, en 1978, y voit tout simplement « l’acte de naissance de la littérature moderne » :

« On peut rêver un moment sur le fait que « The Purloined Letter », « la Lettre volée » d’Edgar Poe a été publiée par le « Chamber’s Journal », en novembre 1841. C’est l’acte de naissance de la littérature moderne. L’histoire vient de devenir extraordinaire, le fantastique et une perversité tortueuse et mathématique envahissent le quotidien. »

Philippe Sollers, Le Nouvel Observateur du 12-06-78 [1]

*

La Lettre volée, métaphore de l’écriture, devient même, par extension, vingt ans plus tard, le symbole de tous ces « livres [qui] seraient là, partout, y compris, là sous nos yeux, comme La Divine Comédie de Dante », mais que personne ne lirait :

« La Lettre volée d’Edgar Poe pourrait là nous servir un bref instant de référence, pour signifier que tout est fait en quelque sorte par et pour la police, de façon à ce qu’elle fouille partout pour ne pas trouver ce qui est là, retourné sous ses yeux. Je pense que c’est une fable qui nous interpelle maintenant, pour la bonne raison que les livres seraient là, partout, y compris, là sous nos yeux, comme La Divine Comédie de Dante, mais qu’il n’y aurait plus personne pour les lire. On les classerait, on les rangerait, on les lirait même, sans les lire, comme si, dans une dimension invisible du cerveau, quelque chose comme des mots retransmetteurs ne fonctionnait plus. L’être humain lirait des phrases, croirait en avoir perçu le sens et, bizarrement, les oublierait aussitôt après, comme si elles ne s’imprimaient pas dans sa mémoire, au point qu’on ne se rendrait même pas compte que quelque chose est en train de se dire. »

Philippe Sollers, La Divine Comédie, 2000.

Ou encore : « Le problème est là : il y a dans la parole même quelque chose dont personne ne s’aperçoit, alors que c’est la chose la plus présente, intimement, à l’être humain. C’est tout de même un paradoxe fabuleux. Vous avez une belle métaphore pour ça, l’écrit fameux d’Edgar Poe qui s’appelle La Lettre volée. C’est un magnifique petit récit où la police, chargée de retrouver une lettre très importante qui a été volée, fouille l’appartement, défonce les murs ou peu s’en faut, fouille sous les parquets, et ne trouve pas quelque chose qui se trouve sous ses yeux. C’est que le type a simplement retourné l’enveloppe, et l’écriture, et l’a mise bien en évidence. Bon, vous voyez tout de suite la puissance de cette fiction : c’est dire que ce qui est le plus proche, le plus évident, le plus visible, n’est pas vu, pas entendu. Le plus proche... Nous passons sans cesse à côté du plus proche sans le voir, sans l’entendre, sans le sentir. Voilà. »

Philippe Sollers, La Parole de Rimbaud, 1999.

Un autre exemple, entre mille autres (il est à nouveau question de Dante) :

« La photo avec Jean-Paul II n’a pas plu. Du tout. Des remarques caustiques ou acerbes, et même des fureurs, des brouilles. Au lieu d’être félicité pour cette séquence hautement surréaliste, et, ô combien, situationniste, des gênes, des embarras, des pâleurs, des lèvres pincées. Et le livre ? Quel livre ? Il y avait un livre ? Où ça ? A droite, là, saisi courtoisement par un cardinal. Un livre ? Sur Dante ? Mais qu’est-ce qu’on en a à foutre de Dante ?
L’ensemble de l’opération pourrait avoir comme titre : La nouvelle lettre volée. La police croit tout voir, et elle est aveugle. »

Philippe Sollers, Un vrai roman, 2007.

ou encore — et là c’est de Sollers en personne qu’il s’agit : « Pour les sociomanes, personne n’est plus apparent que moi. Je les invite, ces bienveillants, à reprendre La Lettre volée d’Edgar Poe. Et si j’étais, malgré tout ce qui se voit, et tout ce qui se propage dans la sphère du on-dit, l’un des écrivains les plus inapparents de son temps ? »

Philippe Sollers, Méditation historiale, L’Infini 73, 2001.

*

Le début de la Lettre volée.
Chamber’s Journal, 1844. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

La Lettre volée est — comme les Pensées de Pascal [2], les Poésies de Lautréamont, les Illuminations de Rimbaud ou comme telle Note du Secret de Philippe Sollers [3] — toujours à lire, à relire. Il faut commencer par là.

Voici le texte complet, il est très court (une quinzaine de pages). Vous pouvez l’écouter en le lisant, assis dans un confortable fauteuil (un fauteuil Voltaire, par exemple), en fumant une bonne pipe et vous laissant aller à la « volupté de la méditation ».
J’ai mis en parallèle des extraits du Séminaire de Lacan (sur le jeu du pair et impair) et de l’entretien que Sollers a donné en mai 1978 aux peintres Marc Devade et Louis Cane — Le tri —, repris, en 1991, dans Improvisations. Ce dernier texte — lettre volée ? — a été peu lu, semble-t-il, puisque Henri Justin, malgré sa prodigieuse érudition, ne le mentionne pas dans son livre. C’est peut-être une question de lunettes et, plus précisément de « lunettes vertes », de « lunettes de couleur ».

*


La Lettre volée I

Version sonore (42’)

*


La Lettre volée II

Traduction de Charles Baudelaire

Nil sapientioe odiosius acumine nimio

SÉNÈQUE [4]

J’étais à Paris en 18... Après une sombre et orageuse soirée d’automne, je jouissais de la double volupté de la méditation et d’une pipe d’écume de mer, en compagnie de mon ami Dupin, dans sa petite bibliothèque ou cabinet d’étude, rue Dunot, n° 33, au troisième, faubourg Saint-Germain. Pendant une bonne heure, nous avions gardé le silence ; chacun de nous, pour le premier observateur venu, aurait paru profondément et
exclusivement occupé des tourbillons frisés de fumée qui chargeaient l’atmosphère de la chambre. Pour mon compte, je discutais en moi-même certains points, qui avaient été dans la première partie de la soirée l’objet de notre conversation ; je veux parler de l’affaire de la rue Morgue, et du mystère relatif à l’assassinat de Marie Roget. Je rêvais donc à l’espèce d’analogie qui reliait ces deux affaires, quand la porte de notre appartement s’ouvrit et donna passage à notre vieille connaissance, à M. G... , le préfet de police de Paris.

Nous lui souhaitâmes cordialement la bienvenue ; car l’homme avait son côté charmant comme son côté méprisable, et nous ne l’avions pas vu depuis quelques années... Comme nous étions assis dans les ténèbres, Dupin se leva pour allumer une lampe ; mais il se rassit et n’en fit rien, en entendant G... dire qu’il était venu pour nous consulter, ou plutôt pour demander l’opinion de mon ami relativement à une affaire qui
lui avait causé une masse d’embarras.

— Si c’est un cas qui demande de la réflexion, observa Dupin, s’abstenant d’allumer la mèche, nous l’examinerons plus convenablement dans les ténèbres.

— Voilà encore une de vos idées bizarres, dit le préfet, qui avait la manie d’appeler bizarres toutes les choses situées au-delà de sa compréhension, et qui vivait ainsi au milieu d’une immense légion de bizarreries.

— C’est, ma foi, vrai ! dit Dupin en présentant une pipe à notre visiteur, et roulant vers lui un excellent fauteuil.

— Et maintenant, quel est le cas embarrassant ? demandai-je ; j’espère bien que ce n’est pas encore dans le genre assassinat.

— Oh ! non. Rien de pareil. Le fait est que l’affaire est vraiment très simple, et je ne doute pas que nous ne puissions nous en tirer fort bien nous-mêmes ; mais j’ai pensé que Dupin ne serait pas fâché d’apprendre les détails de cette affaire, parce qu’elle est excessivement bizarre.

— Simple et bizarre, dit Dupin.

— Mais oui ; et cette expression n’est pourtant pas exacte ; l’un ou l’autre, si vous aimez mieux.

Le fait est que nous avons été tous là-bas fortement embarrassés par cette affaire ; car, toute simple qu’elle est, elle nous déroute complètement.

— Peut-être est-ce la simplicité même de la chose qui vous induit en erreur, dit mon ami.

— Quel non-sens nous dites-vous là ! répliqua le préfet, en riant de bon c ?ur.

— Peut-être le mystère est-il un peu trop clair, dit Dupin.

— Oh ! bonté du ciel ! qui a jamais ouï parler d’une idée pareille.

— Un peu trop évident.

— Ha ! ha ! - ha ! ha ! - oh ! oh ! criait notre hôte, qui se divertissait profondément. oh ! Dupin, vous me ferez mourir de joie, voyez-vous.

— Et enfin, demandai-je, quelle est la chose en question ?

— Mais, je vous la dirai, répliqua le préfet, en lâchant une longue, solide et contemplative bouffée de fumée, et s’établissant dans son fauteuil. Je vous la dirai en peu de mots. Mais, avant de commencer, laissez-moi vous avertir que c’est une affaire qui demande le plus grand secret, et que je perdrais très-probablement le poste que j’occupe, si l’on savait que je l’ai confiée à qui que ce soit.

— Commencez, dis-je.

— Ou ne commencez pas, dit Dupin.

— C’est bien ; je commence. J’ai été informé personnellement, et en très-haut lieu, qu’un certain document de la plus grande importance avait été soustrait dans les appartements royaux : on sait quel est l’individu qui l’a volé ; cela est hors de doute ; on l’a vu s’en emparer ; on sait aussi que ce document est toujours en sa possession.

— Comment sait-on cela ? demanda Dupin.

— Cela est clairement déduit de la nature du document et de la non-apparition de certains résultats qui surgiraient immédiatement s’il sortait des mains du voleur ; en d’autres termes, s’il était employé en vue du but que celui-ci doit évidemment se proposer.

— Veuillez être un peu plus clair, dis-je.

— Eh bien, j’irai jusqu’à vous dire que ce papier confère à son détenteur un certain pouvoir dans un certain lieu où ce pouvoir est d’une valeur inappréciable. — Le préfet raffolait du cant diplomatique.

— Je continue à ne rien comprendre, dit Dupin.

— Rien, vraiment ? Allons ! Ce document, révélé à un troisième personnage, dont je tairai le nom, mettrait en question l’honneur d’une personne du plus haut rang ; et voilà
ce qui donne au détenteur du document un ascendant sur l’illustre personne dont l’honneur et la sécurité sont ainsi mis en péril.

— Mais cet ascendant, interrompis-je, dépend de ceci : le voleur sait-il que la personne volée connaît son voleur ? Qui oserait... ?

— Le voleur, dit G... , c’est D... , qui ose tout ce qui est indigne d’un homme, aussi bien que ce qui est digne de lui. Le procédé du vol a été aussi ingénieux que hardi. Le document en question, une lettre, pour être franc, a été reçu par la personne volée pendant qu’elle était seule dans le boudoir royal. Pendant qu’elle le lisait, elle fut soudainement interrompue par l’entrée de l’illustre personnage à qui elle désirait particulièrement le cacher.

Après avoir essayé en vain de le jeter rapidement dans un tiroir, elle fut obligée de le déposer tout ouvert sur une table. La lettre, toutefois, était retournée, la suscription en dessus, et, le contenu étant ainsi caché, elle n’attira pas l’attention. Sur ces
entrefaites arriva le ministre D... Son ?il de lynx perçoit immédiatement le papier, reconnaît l’écriture de la suscription, remarque l’embarras de la personne à qui elle était adressée, et pénètre son secret. Après avoir traité quelques affaires, expédiées tambour
battant, à sa manière habituelle, il tire de sa poche une lettre à peu près semblable à la lettre en question, l’ouvre, fait semblant de la lire, et la place juste à côté de l’autre. Il se remet à causer, pendant un quart d’heure environ, des affaires publiques. A la
longue, il prend congé, et met la main sur la lettre à laquelle il n’a aucun droit. La personne volée le vit, mais, naturellement, n’osa pas attirer l’attention sur ce fait, en présence du troisième personnage qui était à son côté. Le ministre décampa, laissant
sur la table sa propre lettre, une lettre sans importance.

— Ainsi, dit Dupin en se tournant à moitié vers moi, voilà précisément le cas demandé pour rendre l’ascendant complet : le voleur sait que la personne volée connaît son voleur.

— Oui, répliqua le préfet, et, depuis quelques mois, il a été largement usé, dans un but politique, de l’empire conquis par ce stratagème, et jusqu’à un point fort dangereux. La personne volée est de jour en jour plus convaincue de la nécessité de retirer sa lettre. Mais, naturellement, cela ne peut pas se faire ouvertement. Enfin, poussée au désespoir, elle m’a chargé de la commission.

— Il n’était pas possible, je suppose, dit Dupin dans une auréole de fumée, de choisir ou même d’imaginer un agent plus sagace.

— Vous me flattez, répliqua le préfet ; mais il est bien possible qu’on ait conçu de moi quelque opinion de ce genre.

— Il est clair, dis-je, comme vous l’avez remarqué, que la lettre est toujours entre les mains du ministre ; puisque c’est le fait de la possession et non l’usage de la lettre qui crée l’ascendant. Avec l’usage, l’ascendant s’évanouit.

— C’est vrai, dit G... , et c’est d’après cette conviction que j’ai marché. Mon premier soin a été de faire une recherche minutieuse à l’hôtel du ministre ; et, là, mon principal embarras fut de chercher à son insu. Par-dessus tout, j’étais en garde contre le danger qu’il y aurait eu à lui donner un motif de soupçonner notre dessein.

— Mais, dis-je, vous êtes tout à fait à votre affaire, dans ces espèces d’investigations. La police parisienne a pratiqué la chose plus d’une fois.

— oh ! sans doute ; et c’est pourquoi j’avais bonne espérance. Les habitudes du ministre me donnaient d’ailleurs un grand avantage. Il est souvent absent de chez lui toute la nuit. Ses domestiques ne sont pas nombreux. Ils couchent à une certaine distance de l’appartement de leur maître, et, comme ils sont napolitains avant tout, ils mettent de la bonne volonté à se laisser enivrer. J’ai, comme vous savez, des clefs avec lesquelles je puis ouvrir toutes les chambres et tous les cabinets de Paris. Pendant trois mois, il ne s’est pas passé une nuit, dont je n’aie employé la plus grande partie à fouiller, en personne, l’hôtel D... Mon honneur y est intéressé, et, pour vous confier un grand secret, la récompense est énorme. Aussi je n’ai abandonné les recherches que lorsque j’ai été pleinement convaincu que le voleur était encore plus fin que moi. Je crois que j’ai scruté tous les coins et recoins de la maison dans lesquels il était possible de cacher un papier.

— Mais ne serait-il pas possible, insinuai-je, que, bien que la lettre fût au pouvoir du ministre, — elle y est indubitablement, — il l’eût cachée ailleurs que dans sa propre maison ?

— Cela n’est guère possible, dit Dupin. La situation particulière, actuelle, des affaires de la cour, spécialement la nature de l’intrigue dans laquelle D... a pénétré, comme on sait, font de l’efficacité immédiate du document, — de la possibilité de le produire à la minute, — un point d’une importance presque égale à sa possession.

— La possibilité de le produire ? dis-je.

— Ou, si vous aimez mieux, de l’annihiler, dit Dupin.

— C’est vrai, remarquai-je. Le papier est donc évidemment dans l’hôtel. Quant au cas où il serait sur la personne même du ministre, nous le considérons comme tout à fait hors de question.

— Absolument, dit le préfet. Je l’ai fait arrêter deux fois par de faux voleurs, et sa personne a été scrupuleusement fouillée sous mes propres yeux.

— Vous auriez pu vous épargner cette peine, dit Dupin. D... n’est pas absolument fou, je présume, et dès lors il a dû prévoir ces guets-apens comme choses naturelles.

— Pas absolument fou, c’est vrai, dit G... , toutefois, c’est un poète, ce qui, je crois, n’en est pas fort éloigné.

— C’est vrai, dit Dupin, après avoir longuement et pensivement poussé la fumée de sa pipe d’écume, bien que je me sois rendu moi-même coupable de certaine rapsodie.

— Voyons, dis-je, racontez-nous les détails précis de votre recherche.

— Le fait est que nous avons pris notre temps, et que nous avons cherché partout. J’ai une vieille expérience de ces sortes d’affaires. Nous avons entrepris la maison de chambre en chambre ; nous avons consacré à chacune les nuits de toute une semaine. Nous avons d’abord examiné les meubles de chaque appartement. Nous avons ouvert tous les tiroirs possibles ; et je présume que vous n’ignorez pas que, pour un agent de police bien dressé, un tiroir secret est une chose qui n’existe pas. Tout homme qui, dans une perquisition de cette nature, permet à un tiroir secret de lui échapper est une brute. La besogne est si facile ! Il y a dans chaque pièce une certaine quantité de volumes et de surfaces dont on peut se rendre compte. Nous avons pour cela des règles exactes. La cinquième partie d’une ligne ne peut pas nous échapper.

Après les chambres, nous avons pris les sièges. Les coussins ont été sondés avec ces longues et fines aiguilles que vous m’avez vu employer. Nous avons enlevé les dessus des tables.

— Et pourquoi ?

— Quelquefois le dessus d’une table ou de toute autre pièce d’ameublement analogue est enlevé par une personne qui désire cacher quelque chose ; elle creuse le pied de la table ; l’objet est déposé dans la cavité, et le dessus replacé. On se sert de la même manière des montants d’un lit.

— Mais ne pourrait-on pas deviner la cavité par l’auscultation ? demandai-je.

— Pas le moins du monde, si, en déposant l’objet, on a eu soin de l’entourer d’une bourre de coton suffisante. D’ailleurs, dans notre cas, nous étions obligés de procéder sans bruit.

— Mais vous n’avez pas pu défaire, - vous n’avez pas pu démonter toutes les pièces d’ameublement dans lesquelles on aurait pu cacher un dépôt de la façon dont vous parlez. Une lettre peut être roulée en une spirale très mince, ressemblant beaucoup par sa forme et son volume à une grosse aiguille à tricoter, et être ainsi insérée dans un bâton de chaise, par exemple. Avez-vous démonté toutes les chaises ?

— Non, certainement, mais nous avons fait mieux, nous avons examiné les bâtons de toutes les chaises de l’hôtel, et même les jointures de toutes les pièces de l’ameublement, à l’aide d’un puissant microscope. S’il y avait eu la moindre trace
d’un désordre récent, nous l’aurions infailliblement découvert à l’instant. Un seul grain de poussière causée par la vrille, par exemple, nous aurait sauté aux yeux comme une pomme. La moindre altération dans la colle, — un simple bâillement dans les jointures aurait suffi pour nous révéler la cachette.

— Je présume que vous avez examiné les glaces entre la glace et le planchéiage, et que vous avez fouillé les lits et les courtines des lits, aussi bien que les rideaux et les tapis.

— Naturellement ; et quand nous eûmes absolument passé en revue tous les articles de ce genre, nous avons examiné la maison elle-même. Nous avons divisé la totalité de sa surface en compartiments, que nous avons numérotés, pour être sûrs de n’en omettre aucun ; nous avons fait de chaque pouce carré l’objet d’un nouvel examen au microscope, et nous y avons compris les deux maisons adjacentes.

— Les deux maisons adjacentes ! m’écriai-je ; vous avez dû vous donner bien du mal.

— Oui, ma foi ! mais la récompense offerte est énorme.

— Dans les maisons, comprenez-vous le sol ?

— Le sol est partout pavé en briques. Comparativement, cela ne nous a pas donné grand mal.

Nous avons examiné la mousse entre les briques, elle était intacte.

— Vous avez sans doute visité les papiers de D... , et les livres de la bibliothèque ?

— Certainement, nous avons ouvert chaque paquet et chaque article ; nous n’avons pas seulement ouvert les livres, mais nous les avons parcourus feuillet par feuillet, ne nous contentant pas de les secouer simplement comme font plusieurs de nos officiers de police. Nous avons aussi mesuré l’épaisseur de chaque reliure avec la plus exacte minutie, et nous avons appliqué à chacune la curiosité jalouse du microscope. Si l’on
avait récemment inséré quelque chose dans une des reliures, il eût été absolument impossible que le fait échappât à notre observation. Cinq ou six volumes qui sortaient des mains du relieur ont été soigneusement sondés longitudinalement avec les aiguilles.

— Vous avez exploré les parquets, sous les tapis ?

— Sans doute. Nous avons enlevé chaque tapis, et nous avons examiné les planches au microscope.

— Et les papiers des murs ?

— Aussi.

— Vous avez visité les caves ?

— Nous avons visité les caves.

— Ainsi, dis-je, vous avez fait fausse route, et la lettre n’est pas dans l’hôtel, comme vous le supposiez.

— Je crains que vous n’ayez raison, dit le préfet. Et vous maintenant, Dupin, que me conseillez-vous de faire ?

— Faire une perquisition complète.

— C’est absolument inutile ! répliqua G... Aussi sûr que je vis, la lettre n’est pas dans l’hôtel !

— Je n’ai pas de meilleur conseil à vous donner, dit Dupin. Vous avez, sans doute, un signalement exact de la lettre ?

— Oh ! oui !

Et ici, le préfet, tirant un agenda, se mit à nous lire à haute voix une description minutieuse du document perdu, de son aspect intérieur, et spécialement de l’extérieur. Peu de temps après avoir fini la lecture de cette description, cet excellent homme prit congé de nous, plus accablé et l’esprit plus complètement découragé que je ne l’avais vu jusqu’alors.

Environ un mois après, il nous fit une seconde visite, et nous trouva occupés à peu près de la même façon. Il prit une pipe et un siège, et causa de choses et d’autres. A la longue, je lui dis :

— Eh bien, mais G... , et votre lettre volée ? Je présume qu’à la fin, vous vous êtes résigné à comprendre que ce n’est pas une petite besogne que d’enfoncer le ministre ?

— Que le diable l’emporte ! J’ai pourtant recommencé cette perquisition, comme Dupin me l’avait conseillé ; mais, comme je m’en doutais, ç’a été peine perdue.

— De combien est la récompense offerte ? vous nous avez dit... demanda Dupin.

— Mais... elle est très-forte... une récompense vraiment magnifique, je ne veux pas vous dire au juste combien ; mais une chose que je vous dirai, c’est que je m’engagerais bien à payer de ma bourse cinquante mille francs à celui qui pourrait me trouver cette lettre. Le fait est que la chose devient de jour en jour plus urgente, et la récompense a été doublée récemment. Mais, en vérité, on la triplerait, que je ne pourrais
faire mon devoir mieux que je l’ai fait.

— Mais... oui... dit Dupin en traînant ses paroles au milieu des bouffées de sa pipe, je crois... réellement, G... , que vous n’avez pas fait... tout votre possible... vous n’êtes pas allé au fond de la question. Vous pourriez faire... un peu plus, je pense du moins, hein ?

— Comment ? dans quel sens ?

— Mais... (une bouffée de fumée) vous pourriez... (bouffée sur bouffée) — prendre conseil en cette matière, hein ? — (Trois bouffées de fumée.) — Vous rappelez-vous l’histoire qu’on raconte d’Abernethy ?

— Non ! au diable votre Abernethy !

— Assurément ! au diable, si cela vous amuse ! or donc, une fois, un certain riche, fort avare, conçut le dessein de soutirer à Abernethy une consultation médicale. Dans ce but, il entama avec lui, au milieu d’une société, une conversation ordinaire, à travers laquelle il insinua au médecin son propre cas, comme celui d’un individu imaginaire.

— Nous supposerons, dit l’avare, que les symptômes sont tels et tels ; maintenant, docteur, que lui conseilleriez-vous de prendre ?

— Que prendre ? dit Abernethy, mais prendre conseil à coup sûr.

— Mais, dit le préfet, un peu décontenancé, je suis tout disposé à prendre conseil, et à payer pour cela. Je donnerais vraiment cinquante mille francs à quiconque me tirerait d’affaire.

— Dans ce cas, répliqua Dupin, ouvrant un tiroir et en tirant un livre de mandats, vous pouvez aussi bien me faire un bon pour la somme susdite. Quand vous l’aurez signé, je vous remettrai votre lettre.

Je fus stupéfié. Quant au préfet, il semblait absolument foudroyé. Pendant quelques minutes, il resta muet et immobile, regardant mon ami, la bouche béante, avec un air incrédule et des yeux qui semblaient lui sortir de la tête ; enfin, il parut revenir un peu à lui, il saisit une plume, et, après quelques hésitations, le regard ébahi et vide, il remplit et signa un bon de cinquante mille francs, et le tendit à Dupin par-dessus la table.
Ce dernier l’examina soigneusement et le serra dans son portefeuille ; puis, ouvrant un pupitre, il en tira une lettre et la donna au préfet. Notre fonctionnaire l’agrippa dans une parfaite agonie de joie, l’ouvrit d’une main tremblante, jeta un coup d’ ?il sur son contenu, puis, attrapant précipitamment la porte, se rua sans plus de cérémonie hors de la chambre et de la maison, sans avoir prononcé une syllabe depuis le moment où
Dupin l’avait prié de remplir le mandat.

Quand il fut parti, mon ami entra dans quelques explications.

— La police parisienne, dit-il, est excessivement habile dans son métier. Ses agents sont persévérants, ingénieux, rusés, et possèdent à fond toutes les connaissances que requièrent spécialement leurs fonctions. Aussi, quand G... nous détaillait son mode de perquisition dans l’hôtel D... , j’avais une entière confiance dans ses talents, et j’étais sûr qu’il avait fait une investigation pleinement suffisante, dans le cercle de sa spécialité.

— Dans le cercle de sa spécialité ? dis-je.

— Oui, dit Dupin, les mesures adoptées n’étaient pas seulement les meilleures dans l’espèce, elles furent aussi poussées à une absolue perfection. Si la lettre avait été cachée dans le rayon de leur investigation, ces gaillards l’auraient trouvée, cela ne fait pas pour moi l’ombre d’un doute.

Je me contentai de rire ; mais Dupin semblait avoir dit cela fort sérieusement.

— Donc, les mesures, continua-t-il, étaient bonnes dans l’espèce et admirablement exécutées ; elles avaient pour défaut d’être inapplicables au cas et à l’homme en question. Il y a tout un ordre de moyens singulièrement ingénieux qui sont pour le
préfet une sorte de lit de Procuste, sur lequel il adapte et garrotte tous ses plans. Mais il erre sans cesse par trop de profondeur ou par trop de superficialité pour le cas en question, et plus d’un écolier raisonnerait mieux que lui.


Lacan, 1956 :
le jeu de pair ou impair

« [...] C’est ainsi que pour démontrer à nos auditeurs ce qui distingue de la relation duelle impliquée dans la notion de projection, une intersubjectivité véritable, nous nous étions déjà servi du raisonnement rapporté par Poe lui-même avec faveur dans l’histoire qui sera le sujet du présent séminaire, comme celui qui guidait un prétendu enfant prodige pour le faire gagner plus qu’à son tour au jeu de pair ou impair.
Il faut à suivre ce raisonnement, — enfantin, c’est le cas de le dire, mais qui en d’autres lieux séduit plus d’un —, saisir le point où s’en dénonce le leurre.
Ici le sujet est l’interrogé : il répond à la question de deviner si les objets que son adversaire cache en sa main sont en nombre pair ou impair.
Après un coup gagné ou perdu pour moi, nous dit en substance le garçon, je sais que si mon adversaire est un simple, sa ruse n’ira pas plus loin qu’à changer de tableau pour sa mise, mais que s’il est d’un degré plus fin, il lui viendra à l’esprit que c’est ce dont je vais m’aviser et que dès lors il convient qu’il joue sur le même.
C’est donc à l’objectivation du degré plus ou moins poussé de la frisure cérébrale de son adversaire que l’enfant s’en remettait pour obtenir ses succès. Point de vue dont le lien avec l’identification imaginaire est aussitôt manifesté par le fait que c’est par une imitation interne de ses attitudes et de sa mimique qu’il prétend obtenir la juste appréciation de son objet.
Mais qu’en peut-il être au degré suivant quand l’adversaire, ayant reconnu que je suis assez intelligent pour le suivre dans ce mouvement, manifestera sa propre intelligence à s’apercevoir que c’est à faire l’idiot qu’il a sa chance de me tromper. De ce moment il n’y a pas d’autre temps valable du raisonnement, précisément parce qu’il ne peut dès lors que se répéter en une oscillation indéfinie.
Et hors le cas d’imbécillité pure, où le raisonnement paraissait se fonder objectivement, l’enfant ne peut faire que de penser que son adversaire arrive à la butée de ce troisième temps, puisqu’il lui a permis le deuxième, par où il est lui-même considéré par son adversaire comme un sujet qui l’objective, car il est vrai qu’il soit ce sujet, et dès lors le voilà pris avec lui dans l’impasse que comporte toute intersubjectivité purement duelle, celle d’être sans recours contre un Autre absolu.
Remarquons en passant le rôle évanouissant que joue l’intelligence dans la constitution du temps deuxième où la dialectique se détache des contingences du donné, et qu’il suffit que je l’impute à mon adversaire pour que sa fonction soit inutile puisqu’à partir de là elle rentre dans ces contingences.
Nous ne dirons pas cependant que la voie de l’identification imaginaire à l’adversaire à l’instant de chacun des coups, soit une voie d’avance condamnée ; nous dirons qu’elle exclut le procès proprement symbolique qui apparaît dès que cette identification se fait non pas à l’adversaire, mais à son raisonnement qu’elle articule (différence au reste qui s’énonce dans le texte). Le fait prouve d’ailleurs qu’une telle identification purement imaginaire échoue dans l’ensemble.
Dès lors le recours de chaque joueur, s’il raisonne, ne peut se trouver qu’au delà de la relation duelle, c’est-à-dire dans quelque loi qui préside à la succession des coups qui me sont proposés.
Et c’est si vrai que si c’est moi qui donne le coup à deviner, c’est-à-dire qui suis le sujet actif, mon effort à chaque instant sera de suggérer à l’adversaire l’existence d’une loi qui préside à une certaine régularité de mes coups, pour lui en dérober le plus de fois possible par sa rupture la saisie.
Plus cette démarche arrivera à se rendre libre de ce qui s’ébauche malgré moi de régularité réelle, plus elle aura effectivement de succès, et c’est pourquoi un de ceux qui ont participé à une des épreuves de ce jeu que nous n’avons pas hésité à faire passer au rang de travaux pratiques, a avoué qu’à un moment où il avait le sentiment, fondé ou non, d’être trop souvent percé à jour, il s’en était délivré en se réglant sur la succession conventionnellement transposée des lettres d’un vers de Mallarmé pour la suite des coups qu’il allait proposer dès lors à son adversaire.
Mais si le jeu eût duré le temps de tout un poème et si par miracle l’adversaire eût pu reconnaître celui-ci, il aurait alors gagné à tout coup.
C’est ce qui nous a permis de dire que si l’inconscient existe au sens de Freud, nous voulons dire : si nous entendons les implications de la leçon qu’il tire des expériences de la psychopathologie de la vie quotidienne par exemple, il n’est pas impensable qu’une moderne machine à calculer, en dégageant la phrase qui module à son insu et à long terme les choix d’un sujet, n’arrive à gagner au delà de toute proportion accoutumée au jeu de pair et impair.
Pur paradoxe sans doute, mais où s’exprime que ce n’est pas pour le défaut d’une vertu qui serait celle de la conscience humaine, que nous refusons de qualifier de machine-à-penser celle à qui nous accorderions de si mirifiques performances, mais simplement parce qu’elle ne penserait pas plus que ne fait l’homme en son statut commun sans en être pour autant moins en proie aux appels du signifiant. [...] »

Jacques Lacan, « Le Séminaire sur La Lettre volée », 1956 (repris au début des Écrits, 1966).
Le Séminaire de 1955 (pdf)

J’ai connu un enfant de huit ans, dont l’infaillibilité au jeu de pair ou impair faisait l’admiration universelle. Ce jeu est simple, on y joue avec des billes. L’un des joueurs tient dans sa main un certain nombre de ses billes, et demande à l’autre : « Pair ou non ? » Si celui-ci devine juste, il gagne une bille ; s’il se trompe, il en perd une. L’enfant dont je parle gagnait toutes les billes de l’école.

Naturellement, il avait un mode de divination, lequel consistait dans la simple observation et dans l’appréciation de la finesse de ses adversaires. Supposons que son adversaire soit un parfait nigaud et, levant sa main fermée, lui demande : « Pair ou impair ? » Notre écolier répond : « Impair ! » et il a perdu. Mais, à la seconde épreuve, il gagne, car il se dit en lui-même : « Le niais avait mis pair la première fois, et toute sa ruse ne va qu’à lui faire mettre impair à la seconde ; je dirai donc : « Impair ! » Il dit : « Impair », et il gagne.

Maintenant, avec un adversaire un peu moins simple, il aurait raisonné ainsi : ce garçon voit que, dans le premier cas, j’ai dit « Impair », et, dans le second, il se proposera, — c’est la première idée qui se présentera à lui, — une simple variation de pair à impair comme a fait le premier bêta ; mais une seconde réflexion lui dira que c’est là un changement trop simple, et finalement il se décidera à mettre pair comme la première fois.

« — Je dirai donc : « Pair ! » Il dit « Pair » et gagne. Maintenant, ce mode de raisonnement de notre écolier, que ses camarades appellent la chance, en dernière analyse, qu’est-ce que c’est ?

- C’est simplement, dis-je, une identification de l’intellect de notre raisonnement avec celui de son adversaire.

— C’est cela même, dit Dupin ; et, quand je demandai à ce petit garçon par quel moyen il effectuait cette parfaite identification qui faisait tout son succès, il me fit la réponse suivante :

— Quand je veux savoir jusqu’à quel point quelqu’un est circonspect ou stupide, jusqu’à quel point il est bon ou méchant, ou quelles sont actuellement ses pensées je compose mon visage d’après le sien, aussi exactement que possible, et j’attends alors pour savoir quels pensers ou quels sentiments naîtront dans mon esprit ou dans mon c ?ur, comme pour s’appareiller et correspondre avec ma physionomie. Cette réponse de l’écolier enfonce de beaucoup toute la profondeur sophistique attribuée à La Rochefoucauld, à La Bruyère, à Machiavel et à Campanella.

— Et l’identification de l’intellect du raisonneur avec celui de son adversaire dépend, si je vous comprends bien, de l’exactitude avec laquelle l’intellect de l’adversaire est apprécié.

— Pour la valeur pratique, c’est en effet la condition, répliqua Dupin, et, si le préfet et toute sa bande se sont trompés si souvent, c’est, d’abord, faute de cette identification, en second lieu, par une appréciation inexacte, ou plutôt par la non-appréciation de l’intelligence avec laquelle ils se mesurent. Ils ne voient que leurs propres idées ingénieuses ; et, quand ils cherchent quelque chose de caché, ils ne pensent qu’aux moyens dont ils se seraient servis pour le cacher. Ils ont fortement raison en cela que leur propre ingéniosité est une représentation fidèle de celle de la foule ; mais, quand il se trouve un malfaiteur particulier dont la finesse diffère, en espèce, de la leur, ce
malfaiteur, naturellement, les roule.

Cela ne manque jamais quand son astuce est au-dessus de la leur, et cela arrive très fréquemment même quand elle est au- dessous. Ils ne varient pas leur système d’investigation ; tout au plus, quand ils sont incités par quelque cas insolite, — par quelque récompense extraordinaire, — ils exagèrent et poussent à outrance leurs vieilles routines ; mais ils ne changent rien à leurs principes.

Dans le cas de D... , par exemple, qu’a-t-on fait pour changer le système d’opération ? Qu’est-ce que c’est que toutes ces perforations, ces fouilles, ces sondes, cet examen au
microscope, cette division des surfaces en pouces carrés numérotés ? Qu’est-ce que tout cela, si ce n’est pas l’exagération, dans son application, d’un des principes ou de plusieurs principes d’investigation, qui sont basés sur un ordre d’idées relatif à l’ingéniosité humaine, et dont le préfet a pris l’habitude dans la longue routine de ses fonctions ?

Ne voyez-vous pas qu’il considère comme chose démontrée que tous les hommes qui veulent cacher une lettre se servent, — si ce n’est précisément d’un trou fait à la vrille dans le pied d’une chaise, — au moins de quelque trou, de quelque coin tout à fait singulier dont ils ont puisé l’invention dans le même registre d’idées que le trou fait avec une vrille ?

Et ne voyez-vous pas aussi que des cachettes aussi originales ne sont employées que dans des occasions ordinaires et ne sont adoptées que par des intelligences ordinaires ; car, dans tous les cas d’objets cachés, cette manière ambitieuse et torturée de cacher l’objet est, dans le principe, présumable et présumée ; ainsi, la découverte ne dépend nullement de la perspicacité, mais simplement du soin, de la patience et de la résolution des chercheurs. Mais, quand le cas est important, ou, ce qui revient au même aux yeux de la police, quand la récompense est considérable, on voit toutes ces belles qualités
échouer infailliblement. Vous comprenez maintenant ce que je voulais dire en affirmant que, si la lettre volée avait été cachée dans le rayon de la perquisition de notre préfet, en d’autres termes, si le principe inspirateur de la cachette avait été compris dans les principes du préfet, il l’eût infailliblement découverte. Cependant, ce fonctionnaire a été complètement mystifié ; et la cause première, originelle, de sa défaite, gît dans la supposition que le ministre est un fou, parce qu’il s’est fait une réputation de poète. Tous les fous sont poètes, — c’est la manière de voir du préfet, — et il n’est coupable que d’une fausse distribution du terme moyen, en inférant de là que tous les poètes sont fous.

— Mais est-ce vraiment le poète ? demandai-je. Je sais qu’ils sont deux frères, et ils se sont fait tous deux une réputation dans les lettres. Le ministre, je crois, a écrit un livre fort remarquable sur le calcul différentiel et intégral. Il est le mathématicien, et non pas le poète.

— Vous vous trompez ; je le connais fort bien ; il est poète et mathématicien. Comme poète et mathématicien, il a dû raisonner juste ; comme simple mathématicien, il n’aurait pas raisonné du tout, et se serait ainsi mis à la merci du préfet.

— Une pareille opinion, dis-je, est faite pour m’étonner ; elle est démentie par la voix du monde entier. Vous n’avez pas l’intention de mettre à néant l’idée mûrie par plusieurs siècles. La raison mathématique est depuis longtemps regardée comme la raison par excellence.

— « Il y a à parier ", répliqua Dupin, en citant Chamfort, " que toute idée politique, toute convention reçue est une sottise, car elle a convenu au plus grand nombre ». Les mathématiciens, — je vous accorde cela, — ont fait de leur mieux pour propager
l’erreur populaire dont vous parlez, et qui, bien qu’elle ait été propagée comme vérité, n’en est pas moins une parfaite erreur. Par exemple, ils nous ont, avec un art digne d’une meilleure cause, accoutumés à appliquer le terme analyse aux opérations
algébriques. Les Français sont les premiers coupables de cette tricherie scientifique ; mais, si l’on reconnaît que les termes de la langue ont une réelle importance, - si les mots tirent leur valeur de leur application, - oh ! alors, je concède qu’analyse traduit algèbre à peu près comme en latin ambitus signifie ambition ; religio, religion ; ou homines honesti, la classe des gens honorables.

— Je vois, dis-je, que vous allez vous faire une querelle avec un bon nombre d’algébristes de Paris ; — mais continuez.


Sollers, 1978 :
un traité sur l’affrontement entre deux arts poétiques

En mai 1978, lors d’un long entretien avec les peintres Marc Devade et Louis Cane, Philippe Sollers revient longuement sur La Lettre volée d’Edgar Poe [5] :

« [...] Je finis rapidement sur La Lettre volée d’Edgar Poe, puisque ce texte est devenu logiquement une référence cardinale pour la psychanalyse. Il est à remarquer que ce texte de Poe est  un  des textes de Poe, donc à prendre dans l’ensemble des textes d’Edgar Poe. Ce que je voudrais relever, c’est que Poe appuie le raisonnement de son récit où il va s’agir, dit-il, d’une lettre retournée comme un gant, sur une théorie des jeux. Ce qui n’a pas échappé à Lacan dans son commentaire de La lettre volée, puisque c’est le jeu de pair et d’impair qui est interpellé par Poe dans La lettre volée. Cela dit, dans Le double crime de la rue Morgue — je note au passage que, comme La lettre volée ça se passe à Paris — il s’agit d’un écrivain américain dont le héros est Français et le récit se passe en France — je mets ça en comparaison avec ce que j’ai dit tout à l’heure sur le fait que la traduction de Baudelaire fait question dans cette affaire [6]. La scène se passe à Paris —... Dans Le double crime dans la rue Morgue, Poe fait l’apologie du jeu de dames contre le jeu d’échecs. Il dit que dans le jeu d’échecs, les pièces sont douées de mouvements divers et bizarres représentant des valeurs diverses et variées et qu’on prend ça pour de la profondeur, alors que ce n’est que de la complexité. Par conséquent, le jeu d’échecs se joue avant tout sur une forte attention, avec des mouvements variés mais inégaux en puissance. En revanche, dans le jeu de dames — et, bien entendu il faut comprendre que Poe est en train de nous donner une métaphorisation de l’écriture —, le mouvement est « simple dans son espèce » - c’est la traduction de Baudelaire. Poe, lui, écrit qu’il est  unique , et qu’il y a peu de variations [7]. Ainsi les probabilités d’inadvertance sont moindres et il propose d’imaginer deux joueurs munis chacun de quatre dames et là, la question n’est plus celle de l’attention portée au jeu, mais l’unique moyen pour l’un des deux joueurs de gagner, ce sera d’entrer suffisamment dans la stratégie de l’autre joueur, donc de procéder à une identification qui dépasse la conscience qu’a l’autre joueur de sa propre identité, pour gagner. C’est dans ces jeux-là, dit Poe, qui est en train de parler de son écriture, dans le jeu de dames, le whist — ou Je jeu de pair et d’impair de La lettre volée — qu’on peut dire vraiment que « l’esprit lutte avec l’esprit ») [8]. Ça nous intéresse parce que ce qui est décrit par Poe, c’est la réduction du mouvement à l’unicité. C’est donc le traitement de la répétition et la question est donc de passer à un transfert tel que l’un des joueurs, incluant l’autre joueur, gagne à tous les coups dans un mécanisme de répétition. A chaque instant, Poe insiste dans ces textes sur une confrontation entre la logique mathématique et la poésie. La lettre volée, si on sait la lire, est un traité sur l’affrontement entre deux arts poétiques. Il est de la plus grande importance que le ministre qui a dérobé la lettre soit mathématicien et poète ; poète, sans doute mauvais, c’est ce que Poe s’attache à démontrer à travers la mise en scène qu’il raconte où Dupin est son délégué sur la scène de la mauvaise poésie, c’est-à-dire sur la scène de l’intrigue du pouvoir. Tel est, en effet, le raisonnement du préfet de police qui représente dans ce récit la raison scientifique. Le raisonnement du préfet de police qui n’arrive pas à découvrir la lettre volée, c’est que tous les fous sont poètes et que, donc, tous les poètes sont fous. Raisonnement où Poe dit que ce qui est omis, c’est le troisième terme, le terme médiat. Tous les fous sont poètes, tous les poètes sont fous. Mais, paradoxalement, ça implique que la police, dans son quadrillage de l’espace et sa conception de l’espace, et sa conception du langage dans j’espace, et sa conception du rapport entre l’ ?il et la parole dans l’espace et de la pensée dans l’espace, ça implique (tous les fous sont poètes, donc tous les poètes sont fous) que, bizarrement, le ministre aurait dû cacher sa lettre d’une façon ordinaire,  c’est-à-dire  dans une cachette exceptionnelle. Or, le ministre, qui, évidemment, n’est pas fou, donc n’est pas quelqu’un d’ordinaire — il faut bien saisir cette finesse du raisonnement de Poe —, a, comme vous le savez, retourné la lettre, retourné l’enveloppe de la lettre en évidence avec l’inversion suivante : la lettre qui était adressée à la reine était écrite d’une écriture hardie, décidée, caractérisée et elle portait le sceau, petit et rouge, aux armes du duc de S... Une fois retournée, l’écriture est devenue menue et féminine, très fine, et le sceau rouge est devenu noir et comporte le chiffre du ministre. Un sceau large et noir au lieu d’un sceau petit et rouge. Ce n’est pas tout. Pour observer l’espace où la lettre, retournée comme un gant, mise très en évidence, se trouve donc parfaitement cachée aux yeux de la science et de la police, Dupin, dit-il, met pour son entretien avec le ministre des lunettes vertes. J’insiste sur le fait que vous voyez apparaître la couleur dans cette affaire. Vous trouvez une question d’écriture, une question de sceau, une question de couleur. On n’a pas beaucoup insisté sur le fait que c’est aussi une question de couleur. Dupin met des lunettes. Des lunettes de quoi ? Des lunettes de couleur [9]. Et il se conduit, lorsqu’il va rendre visite au ministre pour observer les lieux, il se conduit de la façon suivante : il l’entraîne dans une discussion très vive et, derrière ses lunettes, il observe l’espace. Dissociant par là une activité de parole et un regard qui se dissimule derrière des lunettes de couleur, la solution lui vient, c’est-à-dire que la lettre se retourne sous ses yeux et qu’il est absolument sûr que c’est bien cette lettre qui substitue à une écriture hardie et décidée une menue écriture féminine et un petit sceau rouge à un large sceau noir, qui est bien celle qu’il recherche. La suite est suffisamment connue pour qu’on n’y insiste pas : il revient, il fait tirer un coup de feu dans la rue, il s’empare de la lettre et la remplace par un fac-similé, un fac-similé qui comporte les vers : « un dessein si Funeste, s’il n’est digne d’Atrée et digne de Thyeste », c’est-à-dire un extrait de L’Astrée de Crébillon, c’est-à-dire de la mauvaise poésie. Tout se passe comme si Poe voulait dire : il y a une mauvaise poésie qui est, par conséquent, ministrable — le ministre est mathématicien et poète, mauvais poète —, la circulation de la lettre entre instances de pouvoir, la circulation politique de la lettre est retournable, réduite à la figure d’un échiquier : le roi, la reine et le chevalier Dupin. C’est une partie d’échecs, mise en échec par quelqu’un qui se munit d’une logique plus puissante qui est celle de la réduction à un mouvement unique, une dissociation de l’ ?il et de la parole ; de quelqu’un, donc, qui a étudié plutôt le jeu de pair et d’impair ou le jeu de dames. Cette circulation de la lettre politique est donc retournable, détournable, par une certaine conception de la mauvaise poésie, ça peut suffire au ministre pour que les passions impliquant une manipulation du pouvoir politique tombent entre ses mains. Il faut voir que Dupin, délégué d’Edgar Poe, retourne un retournement ; il va faire un fac-similé de retournement. Bien entendu, il ne peut le faire que parce que Poe, lui, est un très grand poète. Je disais pour commencer que c’était un conflit entre deux arts poétiques, l’un qui se comprend dans une logique subordonnée à la science et au temps de l’histoire (donc, du pouvoir, etc.), et un autre art poétique qui, bien entendu, se paie le luxe de retourner ce retournement. Il n’est pas non plus indifférent que les vers que Dupin introduit dans l’enveloppe soient, dans un texte anglais, en français — une pièce banale de Crébillon, de la mauvaise poésie française — et que ça porte sur la famille des Atrides dans la mythologie grecque, c’est-à-dire ce qui porte à son comble la référence à la tragédie grecque, c’est-à-dire ce qu’on peut faire de plus fort dans la tragédie familiale refoulée, dans le cannibalisme familial. Et c’est comme ça que la tragédie grecque et le mythe d’ ?dipe lui-même peuvent se terminer en vaudeville.

On peut penser que la limite de l’écrit est mathématique. Ça implique d’une certaine façon que la langue ou la parole ne peut pas aller jusqu’aux limites de l’écrit et que ces limites de l’écrit sont représentables uniquement selon une procédure spatiale de prescription mathématique. Ou bien on pense ce que je pense, c’est qu’il n’y a aucune raison qu’une limite d’écrit ne soit pas parlable, comme vous savez bien, c’est de la croyance au non-parlable que s’écrit la peinture et, pratiquement, tout ce qui peut se saisir comme phénomène dit artistique en pariant de l’espace, des surfaces, des couleurs [10]. Qu’est-ce que les gens admirent dans la peinture ? C’est avant tout que c’est très loin de pouvoir être parlé par eux. Je dirai que c’est comparable au fait d’imaginer que tout ce qui peut se dire s’arrête devant l’écrit mathématique. Mais alors, c’est un autre bord. Il y aurait deux limites : une limite gestuelle, colorée, de volume, ce serait une limite de la parole ; à partir de là on se tait et on reconnaît que c’est au-delà de la parole et une autre limite, celle de l’inscription mathématique, aussi compliquée que vous voudrez, aussi complexement articulée que vous voudrez mais que la langue ne saurait en aucun cas atteindre tout à fait. Ce qui m’a intéressé dans cette relecture de La lettre volée d’Edgar Poe, c’est qu’en un sens on y trouve, sous une forme rudimentaire, la question du calcul mathématique qui se pose toujours en dernière instance comme une théorie des jeux et, d’autre part, cette question de l’apparence esthétique rudimentaire de l’écriture, de la graphologie, du sceau. J’ai passé sur le retournement sexuel que ça métaphorise, l’écriture hardie à laquelle se substitue celle menue et le petit sceau rouge sur l’écriture hardie devient le large sceau noir sur l’écriture féminine, vous voyez que là on pourrait gloser sur l’aspect sexuel de ces choses, qui n’a, à mon avis, pas plus d’intérêt que la graphologie. Les caractères sexuels secondaires ne sont pas plus intéressants que les questions de graphologie. C’est pourtant ça qui passionne les gens, savoir de quel graphisme est le sexe. [...] »

Philippe Sollers, Le tri, in Peinture, cahiers théoriques n°13, mai 1978 (repris dans Improvisations, Folio, 1991).

— Je conteste la validité, et conséquemment les résultats d’une raison cultivée par tout procédé spécial autre que la logique abstraite. Je conteste particulièrement le raisonnement tiré de l’étude des mathématiques. Les mathématiques sont la science des formes et des qualités ; le raisonnement mathématique n’est autre que la simple logique appliquée à la forme et à la quantité. La grande erreur consiste à supposer que les vérités qu’on nomme purement algébriques sont des vérités abstraites ou générales. Et cette erreur est si énorme, que je suis émerveillé de l’unanimité avec laquelle elle est accueillie. Les axiomes mathématiques ne sont pas des axiomes d’une vérité générale. Ce qui est vrai d’un rapport de forme ou de quantité est souvent une grosse erreur relativement à la morale, par exemple. Dans cette dernière science, il est très-communément faux que la somme des fractions soit égale au tout. De même en chimie, l’axiome a tort. Dans l’appréciation d’une force motrice, il a également tort ; car deux moteurs, chacun étant d’une puissance donnée, n’ont pas nécessairement, quand ils sont associés, une puissance égale à la somme de leurs puissances prises séparément. Il y a une foule d’autres vérités mathématiques qui ne sont des vérités que dans des limites de rapport. Mais le mathématicien argumente incorrigiblement d’après ses vérités finies, comme si elles étaient d’une application générale et absolue, — valeur que d’ailleurs le monde leur attribue.

Bryant, dans sa très remarquable Mythologie, mentionne une source analogue d’erreurs, quand il dit que, bien que personne ne croie aux fables du paganisme, cependant nous nous oublions nous-mêmes sans cesse au point d’en tirer des déductions, comme si elles étaient des réalités vivantes.

Il y a d’ailleurs chez nos algébristes, qui sont eux-mêmes des païens, de certaines fables païennes auxquelles on ajoute foi, et dont on a tiré des conséquences, non pas tant par une absence de mémoire que par un incompréhensible trouble du cerveau.

Bref, je n’ai jamais rencontré de pur mathématicien en qui on pût avoir confiance en dehors de ses racines et de ses équations ; je n’en ai pas connu un seul qui ne tînt pas
clandestinement pour article de foi que x2 + px est absolument et inconditionnellement égal à q. Dites à l’un de ces messieurs, en matière d’expérience, si cela vous amuse, que vous croyez à la possibilité de cas où x2 + px ne serait pas absolument égal à q ; et, quand vous lui aurez fait comprendre ce que vous voulez dire, mettez-vous hors de sa portée et le plus lestement possible ; car, sans aucun doute, il essayera de vous assommer.

Je veux dire, continua Dupin, pendant que je me contentais de rire de ses dernières observations, que, si le ministre n’avait été qu’un mathématicien, le préfet n’aurait pas
été dans la nécessité de me souscrire ce billet. Je le connaissais pour un mathématicien et un poète, et j’avais pris mes mesures en raison de sa capacité, et en tenant compte des circonstances où il se trouvait placé.

Je savais que c’était un homme de cour et un intrigant déterminé. Je réfléchis qu’un pareil homme devait indubitablement être au courant des pratiques de la police.
Evidemment, il devait avoir prévu - et l’événement l’a prouvé - les guets-apens qui lui ont été préparés. Je me dis qu’il avait prévu les perquisitions secrètes dans son hôtel. Ces fréquentes absences nocturnes que notre bon préfet avait saluées comme des adjuvants positifs de son futur succès, je les regardais simplement comme des ruses pour faciliter les libres recherches de la police et lui persuader plus facilement que la lettre n’était pas dans l’hôtel. Je sentais aussi que toute la série d’idées relatives aux principes invariables de l’action policière dans le cas de perquisition, idées que je vous expliquerai tout à l’heure, non sans quelque peine, - je sentais, dis-je, que toute cette série d’idées avait dû nécessairement se dérouler dans l’esprit du ministre.

Cela devait impérativement le conduire à dédaigner toutes les cachettes vulgaires. Cet homme-là ne pouvait être assez faible pour ne pas deviner que la cachette la plus compliquée, la plus profonde de son hôtel, serait aussi peu secrète qu’une antichambre ou une armoire pour les yeux, les sondes, les vrilles et les microscopes du préfet.

Enfin je voyais qu’il avait dû viser nécessairement à la simplicité, s’il n’y avait pas été induit par un goût naturel. Vous vous rappelez sans doute avec quels éclats de rire le préfet accueillit l’idée que j’exprimai dans notre première entrevue, à savoir que si le mystère l’embarrassait si fort, c’était peut être en raison de son absolue simplicité.

— Oui, dis-je, je me rappelle parfaitement son hilarité. Je croyais vraiment qu’il allait tomber dans des attaques de nerfs.

— Le monde matériel, continua Dupin, est plein d’analogies exactes avec l’immatériel, et c’est ce qui donne une couleur de vérité à ce dogme de rhétorique, qu’une métaphore ou une comparaison peut fortifier un argument aussi bien qu’embellir une description.

Le principe de la force d’inertie, par exemple, semble identique dans les deux natures, physique et métaphysique ; un gros corps est plus difficilement mis en mouvement qu’un petit, et sa quantité de mouvement est en proportion de cette difficulté ; voilà qui est aussi positif que cette proposition analogue : les intellects d’une vaste capacité, qui sont en même temps plus impétueux, plus constants et plus accidentés dans leur mouvement que ceux d’un degré inférieur, sont ceux qui se meuvent le moins aisément, et qui sont les plus embarrassés d’hésitation quand ils se mettent en marche. Autre exemple : avez-vous jamais remarqué quelles sont les enseignes de boutique qui attirent le plus l’attention ?

— Je n’ai jamais songé à cela, dis-je.

— Il existe, reprit Dupin, un jeu de divination, qu’on joue avec une carte géographique. Un des joueurs prie quelqu’un de deviner un mot donné, un nom de ville, de rivière, d’Etat ou d’empire, enfin un mot quelconque compris dans l’étendue bigarrée et embrouillée de la carte. Une personne novice dans le jeu cherche en général à embarrasser ses adversaires en leur donnant à deviner des noms écrits en caractères
imperceptibles ; mais les adeptes du jeu choisissent des mots en gros caractères qui s’étendent d’un bout de la carte à l’autre.

Ces mots-là, comme les enseignes et les affiches à lettres énormes, échappent à l’observateur par le fait même de leur excessive évidence ; et, ici, l’oubli matériel est précisément analogue à l’inattention morale d’un esprit qui laisse échapper les considérations trop palpables, évidentes jusqu’à la banalité et l’importunité. Mais c’est là un cas, à ce qu’il semble, un peu au-dessus ou au-dessous de l’intelligence du préfet. Il n’a jamais cru probable ou possible que le ministre eût déposé sa lettre juste sous le nez du monde entier, comme pour mieux empêcher un individu quelconque de l’apercevoir.

Mais plus je réfléchissais à l’audacieux, au distinctif et brillant esprit de D... , — à ce fait qu’il avait dû toujours avoir le document sous la main, pour en faire immédiatement usage, si besoin était, — et à cet autre fait que, d’après la démonstration décisive fournie par le préfet, ce document n’était pas caché dans les limites d’une perquisition ordinaire et en règle, — plus je me sentais convaincu que le ministre, pour cacher sa lettre, avait eu recours à l’expédient le plus ingénieux du monde, le plus large, qui était de ne pas même essayer de la cacher.

Pénétré de ces idées, j’ajustai sur mes yeux une paire de lunettes vertes, et je me présentai un beau matin, comme par hasard, à l’hôtel du ministre. Je trouve D... chez lui, bâillant, flânant, musant, et se prétendant accablé d’un suprême ennui. D... est peut-être l’homme le plus réellement énergique qui soit aujourd’hui, mais c’est seulement quand il est sûr de n’être vu de personne.

Pour n’être pas en reste avec lui, je me plaignais de la faiblesse de mes yeux et de la nécessité de porter des lunettes. Mais, derrière ces lunettes, j’inspectais soigneusement et minutieusement tout l’appartement, en faisant semblant d’être tout à la conversation de mon hôte. Je donnai une attention spéciale à un vaste bureau auprès duquel il était assis, et sur lequel gisaient pêle-mêle des lettres diverses et d’autres papiers, avec un ou deux instruments de musique et quelques livres. Après un long examen, fait à loisir,
je n’y vis rien qui pût exciter particulièrement mes soupçons.

A la longue, mes yeux, en faisant le tour de la chambre, tombèrent sur un misérable porte-cartes, orné de clinquant, et suspendu par un ruban bleu crasseux à un petit bouton de cuivre au-dessus du manteau de la cheminée. Ce porte-cartes, qui avait trois ou quatre compartiments, contenait cinq ou six cartes de visite et une lettre unique. Cette dernière était fortement salie et chiffonnée. Elle était presque déchirée en deux par le milieu, comme si on avait eu d’abord l’intention de la déchirer entièrement, ainsi qu’on fait d’un objet sans valeur ; mais on avait vraisemblablement changé d’idée.

Elle portait un large sceau noir avec le chiffre de D... très en évidence, et était adressée au ministre lui-même. La suscription était d’une écriture de femme très fine. on l’avait
jetée négligemment, et même, à ce qu’il semblait, assez dédaigneusement dans l’un des compartiments supérieurs du porte-cartes.

A peine eus-je jeté un coup d’ ?il sur cette lettre, que je conclus que c’était celle dont j’étais en quête. Evidemment elle était, par son aspect, absolument différente de celle dont le préfet nous avait lu une description si minutieuse. Ici, le sceau était large et noir avec le chiffre de D... ; dans l’autre, il était petit et rouge, avec les armes ducales de la famille S... Ici, la suscription était d’une écriture menue et féminine ; dans l’autre l’adresse, portant le nom d’une personne royale, était d’une écriture hardie, décidée et caractérisée ; les deux lettres ne se ressemblaient qu’en un point, la dimension.

Mais le caractère excessif de ces différences, fondamentales en somme, la saleté, l’état déplorable du papier, fripé et déchiré, qui contredisaient les véritables habitudes de D... , si méthodique, et qui dénonçaient l’intention de dérouter un indiscret en lui offrant toutes les apparences d’un document sans valeur, — tout cela, en y ajoutant la situation imprudente du document mis en plein sous les yeux de tous les visiteurs et concordant ainsi exactement avec mes conclusions antérieures,

— tout cela, dis-je, était fait pour corroborer décidément les soupçons de quelqu’un venu avec le parti pris du soupçon.

Je prolongeai ma visite aussi longtemps que possible, et tout en soutenant une discussion très vive avec le ministre sur un point que je savais être pour lui d’un intérêt toujours nouveau, je gardais invariablement mon attention braquée sur la lettre.

Tout en faisant cet examen, je réfléchissais sur son aspect extérieur et sur la manière dont elle était arrangée dans le porte-cartes, et à la longue je tombai sur une découverte qui mit à néant le léger doute qui pouvait me rester encore. En analysant les bords du papier, je remarquai qu’ils étaient plus éraillés que nature. Ils présentaient l’aspect cassé d’un papier dur, qui, ayant été plié et foulé par le couteau à papier, a été replié dans le sens inverse, mais dans les mêmes plis qui constituaient sa forme première. Cette découverte me suffisait. Il était clair pour moi que la lettre avait été retournée comme un
gant, repliée et recachetée. Je souhaitai le bonjour au ministre, et je pris soudainement congé de lui, en oubliant une tabatière en or sur son bureau.

Le matin suivant, je vins pour chercher ma tabatière, et nous reprîmes très vivement la conversation de la veille. Mais, pendant que la discussion s’engageait, une détonation très forte, comme un coup de pistolet, se fit entendre sous les fenêtres de l’hôtel, et fut suivie des cris et des vociférations d’une foule épouvantée. D... se précipita vers une fenêtre, l’ouvrit, et regarda dans la rue.

En même temps, j’allai droit au porte-cartes, je pris la lettre, je la mis dans ma poche, et je la remplaçai par une autre, une espèce de fac-similé (quant à l’extérieur) que j’avais soigneusement préparé chez moi, en contrefaisant le chiffre de D... à l’aide d’un sceau de mie de pain.

Le tumulte de la rue avait été causé par le caprice insensé d’un homme armé d’un fusil. Il avait déchargé son arme au milieu d’une foule de femmes et d’enfants. Mais comme elle n’était pas chargée à balle, on prit ce drôle pour un lunatique ou un ivrogne, et on lui permit de continuer son chemin. Quand il fut parti, D... se retira de la fenêtre, où je l’avais suivi immédiatement après m’être assuré de la précieuse lettre. Peu d’instants après, je lui dis adieu. Le prétendu fou était un homme payé par moi.

— Mais quel était votre but, demandai-je à mon ami, en remplaçant la lettre par une contrefaçon ?

N’eût-il pas été plus simple, dès votre première visite, de vous en emparer, sans autres précautions, et de vous en aller ?

— D... , répliqua Dupin, est capable de tout, et, de plus, c’est un homme solide. D’ailleurs, il a dans son hôtel des serviteurs à sa dévotion. Si j’avais fait l’extravagante tentative dont vous parlez, je ne serais pas sorti vivant de chez lui. Le bon peuple de
Paris n’aurait plus entendu parler de moi. Mais, à part ces considérations, j’avais un but particulier.

Vous connaissez mes sympathies politiques. Dans cette affaire, j’agis comme partisan de la dame en question. Voilà dix-huit mois que le ministre la tient en son pouvoir. C’est elle maintenant qui le tient, puisqu’il ignore que la lettre n’est plus chez lui, et qu’il va vouloir procéder à son chantage habituel. Il va donc infailliblement opérer lui-même et du premier coup sa ruine politique. Sa chute ne sera pas moins précipitée que ridicule.

On parle fort lestement du facilis descensus Averni ; mais en matière d’escalades, on peut dire ce que la Catalani disait du chant : « Il est plus facile de monter que de descendre. » Dans le cas présent, je n’ai aucune sympathie, pas même de pitié pour celui qui va descendre. D... , c’est le vrai monstrum horrendum, — un homme de génie sans principes.

Je vous avoue, cependant, que je ne serais pas fâché de connaître le caractère exact de ses pensées, quand, mis au défi par celle que le préfet appelle une certaine personne, il sera réduit à ouvrir la lettre que j’ai laissée pour lui dans son porte-cartes.

— Comment ! est-ce que vous y avez mis quelque chose de particulier ?

— Eh mais ! il ne m’a pas semblé tout à fait convenable de laisser l’intérieur en blanc, cela aurait eu l’air d’une insulte. Une fois, à Vienne, D... m’a joué un vilain tour, et je lui dis d’un ton tout à fait gai que je m’en souviendrais. Aussi, comme je savais qu’il éprouverait une certaine curiosité relativement à la personne par qui il se trouvait joué, je pensai que ce serait vraiment dommage de ne pas lui laisser un indice quelconque.

Il connaît fort bien mon écriture, et j’ai copié tout au beau milieu de la page blanche ces mots :

................... Un dessein si funeste,
S’il n’est digne d’Atrée, est digne de Thyeste.

Vous trouverez cela dans l’Atrée de Crébillon. » [11].

FIN

Crédits : ebooks gratuits
La version bilingue sur wikio.

*

Voir en ligne : Edgar Poe sur wikipedia


[1Début d’un article sur Bukowski, le Goya de Los Angeles. On sait maintenant que La Lettre volée date en fait de 1844, c’est Le double crime de la rue Morgue — ou Les Meurtres de la rue Morgue — qui est de 1841 (mars). Cf. l’édition originale de The purloined letter pdf .

[2Pascal ? « E. A. Poe et... nous revoilà une fois encore avec la lettre volée que je vous ai proposée aujourd’hui de lire sous la forme du Mémorial de Pascal... » (Le rire de Rome, 1992).

[3Citation : « Ma note ! Ma note ! Mon la " — " Cette note est un évangile ? Oui. » (Le secret). Comme la Lettre volée, de cette note on ne connaîtra pas explicitement le contenu.

[4« Rien en fait de sagesse n’est plus détestable que d’excessives subtilités » : cette phrase n’a jamais été retrouvée dans les oeuvres de Sénèque.

[5Il n’est pas sans intérêt de noter que l’essentiel de cet entretien porte sur les Évangiles, la signification du Christ — qui n’écrit pas —, que, à la même époque, Sollers donne un autre entretien (à Jacques Henric) qui sera intitulé La "Lettre volée" de l’Évangile et, enfin, qu’il publie Dostoïevski, Freud, la roulette (TQ n° 76) où, après avoir montré les limites psychanalytiques — ici freudiennes — de l’interprétation de la littérature, il s’interroge : « L’Évangile [...] ouvrirait un tout autre régime d’écriture ? Il accomplirait l’écriture pour la délier, et la littérature le saurait ? ». Pourquoi, dès lors, ce détour par La Lettre volée d’Edgar Poe ? Les Évangiles et... Edgar Poe : au-delà de la métaphore de la "lettre volée", n’y-a-t-il pas là quelque chose à méditer ? Y aurait-il un Évangile de Poe ? La littérature, une certaine littérature le saurait ? Pendant ce temps-là, Paradis s’écrit.

[6Peu avant, dans l’entretien, Sollers, après avoir affirmé — ce qui vaut pour lui-même — : « J’écris, donc je ne suis pas. J’écris, donc je suis l’Autre. A partir de là, la stratégie d’écriture convoque l’autreur ou l’altérateur, et ses éventualités, ses correspondants sur une scène qui se trouve déjà posthume. Inquiétante étrangeté de la Lettre en famille et mise en question de la circulation du pouvoir comme tel et de sa matrice. La stratégie d’un écrivain ou d’un artiste est de provoquer des apparentements imaginaires sur la scène où il fait jouer son acte, c’est-à-dire de convoquer les vivants sur une scène où il se trouve déjà posthume. », Sollers ajoute : « La référence psychanalytique à La Lettre volée d’Edgar Poe a  aussi pour fonction d’évacuer, au détour d’une mise en équation abstraite, l’écriture de celui qui s’en est fait le traducteur : Baudelaire. C’est un exemple de conjuration du nom. Peut-être parce qu’il toucherait de trop près la mère française ? » (c’est moi qui souligne.) C’est une prise de distance explicite avec Lacan.

[7Sollers pose là encore la question de la traduction de Baudelaire. Il n’hésite pas à la reprendre, il est important de le signaler. Comme le montre, après d’autres (Jacques Derrida par exemple), Henri Justin dans son dernier livre — Avec Poe jusqu’au bout de la prose —, cette traduction fait parfois problème. Il est peut-être temps de relire Poe avec Baudelaire — évidemment —, mais aussi sans Baudelaire. Il est certain que sans Baudelaire nous ne connaîtrions peut-être pas Edgar Poe, mais ce dernier n’en était pas moins américain (un américain en « guerre » — le mot est de Baudelaire — contre la société américaine et son utilitarisme) et il écrivait en anglais. Si La Lettre volée est bien, comme l’écrit Sollers, « l’acte de naissance de la littérature moderne », qu’en est-il de cette "origine" américaine ? (Même question pour Melville, l’auteur de Moby Dick, autre américain).
Voir Edgar Poe ou La Lettre volée, dérobée, détournée, prolongée... et Mais qui était donc Edgar Poe ?.

Dans Pourquoi les Étas-Unis ? (Tel Quel 71-73, automne 1977), Sollers remarquait déjà : « Si on regarde le XIXe siècle, ce qui se passe à ce moment-là, si on reprend le texte important de Baudelaire sur Edgar Poe, on voit très bien que l’aventure de pensée, l’aventure littéraire, l’aventure d’avant-garde aux États-Unis à cette époque n’est pas tellement différente de ce qui, au XIXe siècle, va affecter toute l’Europe, c’est-à-dire que la découverte ou la manifestation d’une subjectivité " anormale ", particulièrement critique, va être quand même rejetée par ce XIXe siècle, américain, progressiste, positiviste, en pleine expansion. » (p. 8).

[8C’est donc un problème de stratégie. Comment ne pas penser aussi à ce « vieux traité chinois qu’évoque Sollers dans Studio :

« Tromper vraiment consiste à tromper, puis à cesser de tromper. L’illusion croît et atteint son sommet pour laisser place à une attaque en force. Un coup faux, un coup faux, un coup vrai. »

ou encore :

« Le dernier stratagème, éminemment romanesque, s’appelle celui de la ville vide. Il consiste en ceci : faible, on doit créer l’illusion de la force ; fort, celle de la faiblesse. Si on est faible, il faut montrer sa faiblesse pour que l’adversaire croie qu’on dissimule une force. Si on est fort, on fait étalage de sa force pour amener l’adversaire à s’avancer imprudemment en pensant rencontrer une faiblesse.
Ça a l’air simple. Ça ne l’est pas. »

[9

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Monticello Visitors’ Center

« Green spectacles » : Baudelaire traduit par « lunettes vertes ». Poe utilisera la même expression dans la présentation de M. De Rerum Natura (BOUQUIN, p. 74 et dans « Bon-Bon » (ibid., p. 104.), écrit Henri Justin, qui ne voit pas les couleurs, et suppose qu’il s’agit de lunettes à verre fumés (Avec Poe jusqu’au bout de la prose, note de la page 99).
Edgar Poe insiste pourtant sur les couleurs puisqu’il écrit dans « Bon-Bon » (1832) : « A pair of green spectacles, with side glasses, protected his eyes from the influence of the light, and at the same time prevented our hero from ascertaining either their color or their conformation. » [Traduction : « Une paire de lunettes vertes à verres de côté protégeait ses yeux de l’influence de la lumière, et empêchait en même temps notre héros de se rendre compte de leur couleur ou de leur conformation. »]. Et dans « A Few Words on Etiquette » (Godey’s Lady’s Book, août 1846) Poe écrit : « Green spectacles are an abomination, fitted only for students of divinity ; blue ones are respectable and even distingué [En français dans le texte]. » (je souligne).
L’Encyclopédie Thomas Jefferson nous signale par ailleurs que le troisième Président américain a possédé une paire de lunettes vertes (voir photo) dont on attribue l’invention à Silvio Bedini (autour de 1810).

[10Ne pas oublier que Sollers s’adresse ici aux peintres M. Devade et L. Cane.

[111. Il s’agit en fait de l’Atrée et Thyeste de Crébillon (1707). Le distique complet est :
« Quel qu’en soit le forfait, un dessein si funeste,
S’il n’est digne d’Atrée, est digne de Thyeste » (acte V, scène 5).

2. A propos de la fin de la Lettre volée, dans Le facteur de la vérité (La carte postale, Flammarion, p. 523), Jacques Derrida écrit :

« Jeu de guillemets. Dans la traduction française, pas de guillemets, le texte de Crébillon en petits caractères. La phrase qui suit (« vous trouverez cela dans l’’Atrée de Crébillon », They are to be found in Crébillon’s Atrée) peut aussi bien être attribuée à l’auteur de la Lettre volée, au narrateur, à l’auteur de la lettre rendue (Dupin). Mais l’édition américaine dont je dispose ne laisse plus ce doute :
« " He is well acquainted with my MS., and I just copied into the middle of the blank sheet words —
................... Un dessein si funeste,
S’il n’est digne d’Atrée, est digne de Thyeste.

They are to be found in Crébillon’s Atré " »
Il est donc clair que cette dernière phrase est de Dupin, de Dupin disant au ministre : je soussigné Dupin, vous informe du sort de la lettre, de ce qu’elle veut dire, de ce en vue de quoi je vous en soustrais une pour la rendre à sa destinataire et pourquoi je la remplace par celle-ci, souvenez-vous.
Mais ce dernier mot, outre les guillemets invisibles qui bordent toute la nouvelle, Dupin est obligé de le citer entre guillemets, de raconter sa signature : voilà ce que je lui ai écrit et comment j’ai signé. Qu’est-ce qu’une signature entre guillemets ? Puis, à l’intérieur de ces guillemets, le seing lui-même est une citation entre guillemets. Ce reste est encore de la littérature. [...] »

Derrida termine, lui, son texte en relevant la substitution du mot destin au mot dessein par Jacques Lacan dans le Séminaire. Voir notre article.

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