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Paradis - premières lignes

Edition critique et commentée. Thèse de Thierry Sudour

D 3 janvier 2009     A par Viktor Kirtov - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Quelques jours avant sa soutenance de thèse sur Paradis, Thierry Sudour nous avait adressé un message avec en pièce jointe, un extrait de celle-ci - une refonte totale de la prépublication de L’Infini que nous avions publiée. Ce scoop du moment nous a échappé ! Pas vu la pièce jointe ! Découverte à l’occasion de la sauvegarde de fin d’année des messages de ma boîte qui méritaient de l’être. Occasion aussi de vous présenter cet extrait en ce début d’année, et de souhaiter à Thierry Sudour un an neuf paradisiaque, en attendant la publication de la version complète.
Pièce au dossier :

Edition critique et commentée. Thierry Sudour

voix fleur lumière écho des lumières cascade jetée dans le noir chanvre écorcé filet dès le début c’est perdu plus bas je serrais ses mains fermées de sommeil et le courant s’engorgea redevint starter le fleuve la cité des saules soie d’argent sortie du papier jute lin roseau riz plume coton dans l’écume 325 lumen de lumine...

écho des lumières  : Au commencement de Paradis est donc la voix. voix est aussi le dernier mot de H (1973), qui s’achève par ces paroles inspirées du prophète Isaïe (40, 6) : « et si la voix crie tombant d’hydrogène alors que crierai-je crie-lui toute chair est comme l’herbe l’ombre la rosée du temps dans les voix ». Le mot voix renvoie alors non seulement à l’instance divine qui s’adresse au prophète, mais encore à l’incarnation de la parole dans un individu. Le mot fleur, lui, désigne chez Isaïe « toute [la] gloire » éphémère de la chair. Dans le contexte où il est employé par Sollers, cette « gloire » de la chair est, bien entendu, sa jouissance. Or celle-ci n’est que l’ombre la rosée du temps dans les voix : le pluriel de voix signale des accents et des inflexions multiples et place d’emblée la chair et sa jouissance sous l’ordre de la manifestation musicale, lumière écho des lumières, à la fois connaissance et résonance dans la polyphonie. Reformulation du lumen de lumine, la « lumière de la lumière » qui désigne le Verbe incarné dans le Credo (voir note 12), l’écho des lumières signale, à travers les phénomènes de répétition et de résonance propres à l’écho, une dissipation de l’unité du Verbe à travers les voix. Littéralement, dans ce fragment initial, la fleur, la jouissance de la chair, est l’écho des voix, elle-même écoute et résonance de la voix. Dans cette triade, voix, fleur lumière et lumières il y a une émanation progressive de la parole, par échos successifs, ou comme une cascade. Ainsi le début du livre est une juxtaposition de mots qui n’est pas dépourvue d’un sens littéral, sans pour autant que cela dissuade une lecture ?ouvrante’ : on peut en effet lire dans ces premiers mots, au-delà de l’emprunt à Isaïe, une série d’associations (la voix peut alors être la fleur, la lumière et la cascade), ou encore un ?coup de dés’ appelant chacun des mots à ouvrir un espace de sens en rebondissant sur les autres (par exemple, la voix féconde la fleur et engendre la lumière). Si le texte de Paradis semble faire sens avec détermination, il n’empêche pas parfois sa parole de résonner, de se faire écho et se déployer à l’infini : sur la quatrième de couverture de Lois (1972), on pouvait lire cette citation de Mao : « La ligne est la corde principale du filet. Quand on la tire, les mailles s’ouvrent. ».

cascade jetée dans le noir  : On fera attention à la métaphore sexuelle qui innerve tout le passage. La parole-écho cascade de mot en mot et éclaire les ténèbres tout comme la jouissance physique et la cascade de sperme plongent dans l’obscurité de la matière. Dans Paradis, la parole et le sperme, tous deux sources de possible et mouvements vers la manifestation, seront souvent des images du Même.

chanvre écorcé  : Allusion à l’usage de haschisch(drogue à base de sève de chanvre). Sur son utilisation par l’auteur, on peut lire l’article « Cela se passe comme une danse de derviche », cité dans la bibliographie.

filet  : la drogue permet le rassemblement des éléments épars de la conscience. Voir aussi la parabole du filet chez Mt 13, 47-50 : « Le Royaume des Cieux est encore semblable à un filet qu’on jette en mer et qui ramène toutes sortes de choses. [...] ». Matthieu dit ensuite que le filet permet de faire la part entre les méchants et les justes.

dès le début c’est perdu  : fleur, écho, cascade, et plus loin filet : ce qui s’écrit par la voix, à la fois réceptacle et amplificateur du courant de la parole, est éphémère, incomplet et fragile.

plus bas  : puisque, selon saint Jean, l’esprit (la voix ou le vent, c’est-à-dire le souffle), fait naître « d’en haut » alors que la naissance d’en bas est celle de la chair (Jn 3, 5-8).

s’engorgea  : on peut aussi deviner un glissement sémantique sur ce mot, qui pourrait signifier « mettre dans la gorge » donc en état de phonation imminente.

starter  : la lumière-guide de la terre, en somme (star : étoile, en anglais) ; et bien sûr le dispositif d’impulsion du courant.

le fleuve  : « Alph, the sacred river » du poème de Coleridge, « Kubla Khan » abondamment emprunté dans la suite du texte ; Alphée, le dieu-fleuve, fils de Téthys et d’Oceanos, qui s’est transformé en fleuve pour rejoindre la nymphe Aréthuse qu’Artémis a changée en fontaine. Mais aussi Osiris, le Dieu du Nil, qui, dans la religion égyptienne, a subi une passion et a ressuscité, donnant aux hommes l’exemple et les moyens de la vie éternellement renouvelée (en liaison avec redevint starter). Et aussi le fleuve de Vie (Ap 22, 1) qui irrigue et vivifie la terre, et le fleuve du texte (nombreuses métaphores aquatiques dans Paradis : deltas, affluents, sources et fontaines, rosée et cascades ; Dante écrivait, lui, à propos de l’écriture de son Paradiso : « L’eau que je prends n’a jamais été parcourue » II, 7). A noter aussi que le père des fleuves, Océanos, est qualifié par Hésiode de « fleuve au cours inverse » (s’écoulant et remontant de lui-même, à travers la terre, à sa source, un peu comme le courant évoqué plus haut dans le texte, s’engorgeant pour redevenir starter).

la cité des saules , ?Mou-yang-tcheng’ ou encore « maison de la grande paix », est, dans certaines traditions hermétiques chinoises, le séjour des immortels. Y être, c’est avoir échappé à la roue cosmique et aux vicissitudes du yin et du yang. A rapprocher, comme précédemment, de Ap 22, 1 (la Cité de la Jérusalem céleste).

papier  : L’invention du papier date du II° av. JC, en Chine.

lumen de lumine  : C’est en 325 que, sous l’ordre de Constantin, et afin de régler le problème de l’arianisme, se tint le premier concile de Nicée. Un symbole de foi fut alors adopté, fondement du credo chrétien. On y trouve notamment cette affirmation : « Deum de deo, lumen de lumine, Deum verum de Deo vero. », ce qu’on peut traduire ainsi :« Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu du vrai Dieu. » La notion du Fils comme lumière vient de Jn 7, 12. (...)

Lecture de Paradis II par Philippe Sollers


légende

Le journal de Marcelin Pleynet

En parallèle avec Paradis, Sollers publie un livre d’entretiens avec David Hayman. Son titre : Vision à New York. En fait, un prétexte pour un livre commentaires sur Paradis. L’explication de texte en quelque sorte, façon Sollers. Paradis, texte hermétique, déroutant dans sa forme et dans son fond, il le sait, mais texte très travaillé, malgré les apparences - l’examen de quelques pages du manuscrit publiées dans Tel Quel N° 87, en témoigne. Encyclopédique dans ses références aux livres essentiels des origines de notre culture, essentiel pour Sollers. Il veut donner, à son bébé, les meilleures chances de survie, aujourd’hui et demain. Il n’attend pas beaucoup de la critique pour cela. Alors Sollers se fait critique de Sollers. Déjà auteur-interprète avec ses lectures de Paradis, en forme de show, le voilà auteur-interprète-critique et metteur en scène de cet OLNI - objet littéraire, non identifié, qu’il entend bien propulser dans le sillage de Dante et Joyce...

Il s’en ouvre aussi à Marcelin Pleynet. Pas de grands épanchements. La nature profonde des deux hommes s’accommode mieux de la discrétion et du respect réciproque. Ils font équipe depuis les débuts de Tel Quel et partagent le même bureau, mais se vousvoyent. Dans son Journal : « L’AMOUR, Chroniques du journal ordinaire 1980 [1] », Pleynet nous relate, outre son propre cheminement, ses échanges avec Sollers :

27 février [1980] - le pont Mirabeau [domicile parisien de Marcelin Pleynet]

[ le 25, Roland Barthes s’est fait renverser par une voiture en sortant du Collège de France. Le début de l’entrée du 25, lui est consacré. Puis suit, un paragraphe concernant X - non nommé - « qui signe le service de presse de son cinquantième (?) m’entraîne plus lucidement encore dans l’analyse des manifestations sans nom de certaine vieillesse.[...] Quels que soient les moyens qui furent les leurs ils n’ont pas su faire face à la solitude ambiante qui peu à peu les a gagnés, qui toujours inévitablement rattrape la course ; » ] Et de poursuivre :

A Philippe Sollers, qui se plaint bien souvent et à juste titre de l’accueil qui est fait à son ?uvre et à lui-même [ il pense toujours de même, en 2009, semble t-il ], je disais cet après-midi qu’il ne faut voir le plus souvent, dans ce qui, à un raisonnement clair et logique, peut paraître délirant, d’autres causes que celles de la sottise, qui peut sembler extravagante et folle lorsqu’elle occupe une situation d’initiative et de responsabilité (ne disait-on pas jadis que la sagesse se tenait éloignée de ces postes ?).
[...]
Sollers préoccupé par la prochaine publication de Paradis me donne à lire la dactylographie de ses entretiens avec David Hayman. »

4 mars - le pont Mirabeau

Longue discussion avec Sollers à propos de la dactylographie du recueil d’entretiens (Vision à New York) dont la publication doit accompagner l’édition de Paradis. Ces discussions, qui de temps à autre nous retiennent au bureau de la revue jusqu’en fin d’après-midi, sont les rares occasions où Sollers abandonne la réserve qui est généralement la sienne quant à ses motivations d’écrivain. Comme je suggère que la première partie des entretiens risque de fixer les agressivités latentes et de renforcer les résistances à la lecture de Paradis, Sollers tout en me faisant parler, me laisse entendre que c’est précisément là son objectif. Convaincu que ce type de résistance ne peut être levé que dans l’affrontement et l’expérience de sa manifestation explicite (si tant est qu’il puisse être levé), la stratégie de Sollers consiste aujourd’hui comme toujours à en rendre les manifestations aussi évidentes que possible. Il ne s’agit pas bien entendu de renforcer les résistances que peut rencontrer une ?uvre comme Paradis mais de ne pas feindre de les ignorer et d’en rendre les motivations aussi claires et manifestes que possible. Mon point de vue, mon attitude exactement contraires à la sienne relèvent de cette illusion « cùlturaliste » d’intelligence et d’échange communautaire dont Freud a bien vu tout ce qu’elle supposait d’homosexualité implicite. Mais qui ose parler de cela ? Écoutant Sollers exposer ce qu’il en est de la double, triple, quadruple ... biographie de l’écrivain, qui ne saurait se confondre ave des fantasmes de ses lecteurs et de son public, et comment en conséquence il doit s’employer tout à la fois à exposer et à défaire l’organisation de ces fantasmes ; il me faut quelque temps pour reconnaître que sa position est aujourd’hui ce qu’elle fut toujours, et que de ce point de vue, fondamental chez lui, il est l’homme le plus fidèle et le plus constant qui soit. A chaque discussion nos attitudes se distinguent de ce que la mienne tend à exclure l’ordre des résistances et des fantasmes, à les laisser pour ce qu’ils sont vide de sens, à faire ailleurs, toujours ailleurs, c’est-à-dire nulle part ; la sienne tendant à les inclure en les situant à leur juste place dans un ordre de valeur quasi métaphysique dont à l’aide d’une semi-plaisanterie il découvre l’effet de vérité « mais, me dit-il, il faut pourtant bien qu’ils aillent en enfer ! » J’insiste en soulignant qu’il est possible de considérer tout cela sous la forme du « bonjour chez vous », mais il maintient, et il a bien raison, qu’à chasser les faux-semblants par la porte, ils entrent par la fenêtre, et que si on les chasse par la porte et par la fenêtre ils reviennent par la cheminée... que la seule façon de s’en débarrasser c’est de les reconnaître pour ce qu’ils sont à la place qui est la leur. Tout cela bien entendu m’est adressé, mais à qui adresse-t-on quoi que ce soit, à un homme ou à un écrit ? Je sais que Sollers vient de lire les quelques pages sur la poésie que j’ai confiées à TXT [2] qui a cru devoir les publier en corps 6... Je pense effectivement que le faux-semblant, les résistances du faux-semblant (de la caricature du réel, de la caricature littéraire, du faux littéraire) ne cessent de revenir, et que tout écrivain à sa façon les inclut dans son enfer, explicitement chez Dante et non moins explicitement dans les Mémoires d’outre-tombe et non moins explicitement dans cet énorme procès qu’est Paradis.

Nous quittons le bureau de la revue pour marcher sous la pluie jusqu’aux Deux Magots où je me refuse le verre d’alcool dont j’aurais pourtant grand besoin en cette tardive fin de journée. Sollers va en boire deux dans l’heure. Nous continuons à discuter de sujets et d’autres. Nous avons régulièrement ce type d’échange fait de discussions plus ou moins suivies et de partage d’impressions stupéfaites, toujours également stupéfaites sur le peu d’existence que l’ensemble social se révèle susceptible d’accorder à un écrit et sur la sorte de « schize » permanente et obligée des soi -disant rapports sociaux. Je fais à Sollers le récit de ma rencontre avec V. qui de toute évidence ne me perçoit qu’à travers les rapports que j’entretiens avec diverses institutions culturelles ; et Sollers me dit qu’il n’est lui-même le plus souvent perçu que dans les fantasmes politiques de ses interlocuteurs : le directeur d’une grande maison d’édition parisienne aurait insisté sur le rôle qu’il lui voyait pouvoir jouer au Parlement européen. Nous échangeons quelques expériences désabusées, puis nous nous séparons. Il pleut toujours, la chaussée est noire, humide et grasse avec, en éclats sur le trottoir et sur les pavés de la place Saint-Germain, une lumière d’un jaune mouillé. Je marche lentement jusqu’au métro Mabillon. Il faut aussi être là, présent et absent. Je regarde les corps tassés, pressés sous la pluie ; les visages fatigués, crispés, fermés, et cet « entre les corps » où l’on passe, où l’on peut se sentir vide comme une lettre.

5 mars - le pont Mirabeau

Lecture de Sollers à l’ARC [3]. Il commence par un commentaire de Sanctuaire de Faulkner et poursuit par la lecture de Paradis. Son introduction sur Sanctuaire met en évidence le nom de l’héroïne du roman « Temple » et les rapports qu’elle entretient avec son père, notamment lors d’une scène située au jardin du Luxembourg. La lecture de Paradis est un véritable tour de force technique. Ce qui au demeurant ne veut rien dire dans la mesure même où il ne saurait y avoir une technique de ce qu’une telle lecture met en jeu. Le livre est un tour de force, jamais écrivain n’a confronté son talent et sa virtuosité (parce qu’il en faut aussi pour écrire un tel livre) à un aussi complexe réseau de résistances ; la lecture témoigne admirablement du bénéfice vocal de l’entreprise.


[1Hachette-P.O.L, 1982

[2la revue TXT, dont le titre témoigne du focus donné à l’époque, à la notion de « texte ». La revue TXT est créée à Rennes par Christian Prigent et Jean-Luc Steinmetz autour de l’année 1968. Elle a disparu en 1993 ; son premier numéro date de 1969. Entre temps, 28 numéros (plus deux numéros hors-série) ont paru à intervalles irréguliers (note pileface). Voir les sommaires la revue TXT.

[3revue littéraire (note pileface)

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