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Kafka est là...

D 4 juin 2024     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



Kafka © Gallimard La Pléïade

KAFKA EST Là

par Arnaud Jamin, 3 juin 2024
Diacritik

« Si Kafka vraiment a écrit, alors quelque chose résistera toujours aux identifications qu’on tentera de faire à son endroit. » Voici comment l’écrivain Frédéric Berthet, alors seulement âgé de 24 ans, envisage l’œuvre du praguois en 1978 dans un texte de dix pages qu’il confie à l’émission Les Nuits magnétiques de France Culture.

Cette phrase parfaite, qui dit l’énigme totale de Franz Kafka, se trouve dans Aventures, la toute nouvelle et excellente revue littéraire dirigée par Yannick Haenel aux éditions Gallimard. Alors que le centenaire de sa mort bat son plein, force est de constater que Kafka résiste aux célébrations spectaculaires : il est là absolument, minéralement, comme si sa courte vie, qui attire tant les commentaires et les volutes de superpositions de désir – vous aussi, vous vous demandez peut-être parfois en marchant dans votre propre rue quel trottoir aurait choisi de parcourir l’écrivain ce matin – , comme si cette silhouette (le texte de Berthet s’intitule d’ailleurs Kafka, histoire d’un corps) tenait miraculeusement droite, masse sombre et compacte dans le temps. En marge de ces mouvements de foule autour de sa figure, peut-être ne suffit-il, pour trouver le calme, que de se remettre à le lire.

Entre l’automne 1917 et le printemps 1918, Kafka, dont la tuberculose s’est déclarée, est chez sa sœur Ottla à Zürau, en Bohème.

Il s’y trouve de fait acculé à la vérité de la littérature ; aucun autre échappatoire n’est envisageable et il écrit alors librement ce que certains ont nommé des aphorismes. J’ai ouvert le volume édité dans la collection Arcanes de Gallimard par Roberto Calasso et traduit par Hélène Thiérard.

J’y ai relu ces fameuses phrases de Zürau. L’écriture, dans ces quelques pages, est fondamentalement recourbée vers elle-même, l’être de Kafka s’y concentre jusqu’à la disparition (il meurt à petit feu jusqu’à s’éteindre six ans plus tard). En Bohème, exempté de travail comme de la proximité d’une relation sentimentale, Kafka gonfle ses pauvres poumons jusqu’à l’illumination et note : « Je ne me suis encore jamais trouvé à cet endroit-ci : on y respire différemment ; plus aveuglante que le soleil, une étoile irradie à côté de lui. » Il avance sans bruit vers une expérience mystique, enroulée dans la récapitulation de toute son œuvre. « À partir d’un certain point, il n’y a plus de retour. C’est ce point qu’il faut atteindre. » Je crois que ce point définit précisément la littérature elle-même. Il rêve yeux ouverts et peut-être est-il même en train de découvrir une nouvelle religion, voyez les images rituelles inouïes qui s’offrent à lui. « Des léopards font irruption dans le temple et boivent tout le contenu des vases sacrificiels ; la scène se reproduit inlassablement ; pour finir, on peut l’anticiper, et elle devient une partie de la cérémonie. » Pas de contexte, pas d’interprétation facile, les phrases ouvrent une dimension poétique déroutante. Qui nous donnera le pas d’effraction de ces léopards ? Qui les laissera entrer dans le monde et y laper le sacré ?

Les visions de l’écrivain s’enchaînent inexorablement jusqu’à atteindre les régions les plus noires de l’impératif de l’être. « Ne laisse pas le Mal te faire croire que tu pourrais avoir des secrets face à lui. » Dans ces contrées, il n’y a plus trace d’un style Kafka qui puisse s’insérer dans une computation esthétique, seulement des phrases froides, prenant simplement la forme d’auto-injonctions chuchotées aussi terrifiantes que lucides. « T’est-il donc possible de connaître autre chose que la tromperie ? S’il arrive un jour que la tromperie soit anéantie, il ne faudra pas que tu regardes dans cette direction, sans quoi tu te transformeras en une colonne de sel. Puis : Il n’existe pas l’avoir, seulement l’être, l’être tendu vers le dernier souffle, la suffocation. »

Pour l’authentique lecteur de Kafka, c’est à la limite du supportable, n’est-ce pas ? Bien heureusement, une oscillation opère toujours chez lui, et Kafka peut aussi bien dévoiler dans ces lignes les vues d’un tacticien chinois. « Du véritable adversaire un courage illimité entre en toi. »

L’identification avec Kafka est intenable et impossible, Berthet a vu juste, mais un siècle après sa disparition il peut tout de même se révéler, accueilli dans le retrait d’une humble lecture, sidérant conseiller spécial de la royauté de votre âme : En théorie, il existe une parfaite possibilité de bonheur : croire à quelque chose d’indestructible en nous-mêmes et ne pas aspirer à l’atteindre.

VOIR Kafka dans Diacritik avec notamment les textes sur les récentes parutions autour du centenaire de la mort de l’écrivain signées Julia Simon.

Revue Aventures N°1. Printemps 2024, Collectif, revue dirigée par Yannick Haenel aux éditions Gallimard, en librairie et en version numérique. 14,99€. Inédits : Rainer Maria Rilke. Aventure I & II (nouvelle traduction d’Olivier Le Lay). Frédéric Berthet. Kafka, histoire d’un corps. Invités : Pierre Michon. Le rêve d’Homère Laura Vazquez. Soleil de fou malade Christophe Manon. Glorifions le monde par notre vie Camille Goudeau. Vocif Amandine André. Exopoèmes Fanny Wallendorf. Chant Fanny Lambert. Enfeux Valentin Retz. La longue vie.


Kafka © Gallimard La Pléïade

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